Intervention de Perrine Goulet

Réunion du mercredi 3 juillet 2019 à 16h30
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPerrine Goulet, rapporteure :

Merci de cette introduction, Monsieur le président. Je vous remercie également de m'avoir accompagnée pendant cette mission, de même que l'ensemble de mes collègues, quelle que soit leur appartenance politique, qui ont participé à ces travaux et m'ont envoyé force petits mots et informations qui m'ont permis de bien comprendre vos préoccupations et de constater que nous étions sur la même longueur d'onde. Je remercie en particulier ceux qui, parmi vous, ont fait preuve d'une assiduité à toute épreuve.

Enfin, je tiens à remercier nos administrateurs pour leur travail, notamment celui qu'ils ont effectué la semaine dernière, où ils ont eu fort à faire suite à mes remarques, et l'ensemble des services de l'Assemblée nationale pour l'appui qu'ils m'ont apporté.

Cette mission, qui a débuté il y a trois mois, faisait suite à une demande de notre part : le fait que 150 députés aient signé une proposition de résolution visant à la création d'une commission d'enquête, ce qui témoigne de la volonté de l'Assemblée de s'emparer de ce sujet, parfaitement pris en compte par la Conférence des présidents en ne faisant pas dépendre cette question de l'aide sociale à l'enfance d'une commission particulière.

La protection de l'enfance concernait 341 000 enfants, dont 52 % placés en foyers, le reste relevant de l'assistance à domicile.

Cette politique me tient particulièrement à coeur ; j'y avais travaillé durant plus de dix-huit mois. Les constats que nous avons relevés sont assez inquiétants : deux tiers des enfants placés ont déjà un an de retard en sixième, 5 % d'entre eux seulement suivent un cycle général ou technologique en lycée contre 42 % de la population générale – écart proprement abyssal ; les jeunes filles ont treize fois plus de risques d'être enceintes quand elles relèvent de l'aide sociale à l'enfance ; 25 % des moins de 25 ans qui sont à la rue viennent de l'aide sociale à l'enfance.

Malheureusement, ces difficultés perdurent. Selon le rapport de la Fondation Abbé Pierre, 39 % des jeunes issus de l'ASE qui ont connu la rue continuent à connaître des difficultés dix ans après leur sortie : autrement dit, les difficultés d'insertion ne se posent pas seulement à l'âge de 18 ans, elles perdurent sur le long terme.

D'où cette mission d'information, composée de vingt-trois députés de tous bords politiques, ce qui était très important pour la légitimer. Aujourd'hui, c'est un aboutissement, après trois mois de travaux communs. Je suis assez fière du rapport que je vous soumets car il rend bien compte de ce que nous avons pu constater.

Commençons par le début : souvenons-nous de notre première session, où nous avons auditionné des jeunes de l'ASE. Nous en gardons tous un souvenir ému, dans le registre des réussites, du témoignage de Maëlle Bouvier, pour qui l'aide sociale à l'enfance a fonctionné : un seul placement en famille d'accueil avec son petit frère, un suivi psychologique, un contrat jeune majeur, une famille d'accueil qui reste – « C'est ma deuxième famille », a-t-elle dit de façon très belle. Voilà la clé de la réussite. Mais nous avons aussi le souvenir poignant des témoignages de Sonia, Lyes ou Gabrielle qui, eux, ont connu de nombreux changements de lieux, qui n'ont pas bénéficié d'un suivi psychologique, qui ont subi des agressions physiques, sexuelles, morales, la galère ou la rue, à dix-huit ans.

On voit bien que cette politique peut faire du bien, mais aussi du pas bien. Et c'est cela qui n'est pas normal : il faut vraiment lisser, et garantir un bon parcours pour tous ces enfants.

Ce rapport aboutit à dix-huit propositions – étant entendu que certaines en synthétisent plusieurs. Je ne reprendrai pas les éléments contextuels, que vous connaissez tous.

La première partie concerne tout ce qui relève de la gouvernance. Nombre de personnes gravitent autour de l'Aide sociale à l'enfance, certes dans les structures départementales, ce qui est logique, mais, également dans les domaines de la santé, de l'Éducation nationale, de la justice et dans des instances nationales comme le Conseil national de la protection de l'enfance, l'Observatoire national de la protection de l'enfance, le Groupement d'intérêt public Enfance en danger, le Service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger, l'Agence française de l'adoption, etc.

Si l'on veut remettre un peu de cohérence dans cette politique, il faut installer une agence unifiée regroupant l'ensemble de ces acteurs, avec évidemment un copilotage entre les départements et l'État – il est hors de question que mon rapport remette en cause la décentralisation ; il s'agit d'accompagner les départements et de permettre à l'État de reprendre sa place dans une politique qui reste à mes yeux régalienne.

C'est pourquoi nous proposons la mise en place d'une agence unique sur le plan national, dont je souhaiterais qu'elle soit déclinée sur le plan local, dans les départements. Comme il y a des délégués des préfets à l'égalité femme-homme, à la politique de la ville, j'aimerais qu'il y ait un délégué du préfet à la politique de l'enfance. De surcroît, les départements demandent un interlocuteur de l'État pour pouvoir agir sur les services de l'État comme l'Éducation nationale ou la santé. On voit bien que c'est une réelle nécessité et je ne vois pas qui pourrait véritablement s'y opposer.

Nous l'avons vu, un enfant intègre souvent la protection de l'enfance suite à des « informations préoccupantes » : celles que peuvent donner les enseignants juste avant les fêtes de Noël, les médecins – même s'ils ont encore du mal à en fournir. J'ai été surtout frappée en découvrant à quel point l'évaluation de ces informations préoccupante différait selon les territoires : tous n'ont pas le même référentiel et je trouve cela anormal. Je propose donc la définition d'un référentiel unique d'évaluation des informations préoccupantes prenant également en compte les consultations ethno-cliniques : il faut pouvoir porter un regard sur la culture des parents. Évidemment, cela ne doit pas tout expliquer, mais cela ne veut pas dire que ce ne soit pas rattrapable. Il est donc essentiel de définir ce qui relève de la maltraitance pure et simple ou d'une « maltraitance culturelle », sur laquelle il doit être possible d'influer.

Enfin, les informations préoccupantes doivent intégrer la santé et le handicap : nous avons notamment vu toutes les difficultés qui se posent avec l'autisme.

Autre sujet de préoccupation : la justice. J'ai été assez frappée que certains juges ne prennent pas le temps de préciser à l'enfant qu'il a droit à un avocat, craignant qu'un éventuel report ne vienne bousculer leur agenda. Pour pallier ce genre de situation, il est très important que la présence d'un avocat soit obligatoire auprès de l'enfant dès lors que l'on envisage une mesure éducative ou de placement.

Pour une meilleure prise en compte de la procédure judiciaire, je n'oublie pas la place des éducateurs – je ne parle pas des référents, mais de ceux qui sont au plus près de l'enfant, celle des assistants familiaux, qui doit être accentuée, l'audition des enfants hors de la présence des parents et, surtout, la nécessité de les placer dans de bonnes conditions : certains enfants en arrivent à « se faire dessus » quand on les laisse dans la même salle d'attente que les adultes et que ceux-ci se mettent à se disputer… Il faut donc leur consacrer une salle à part où ils pourront être correctement préparés à leur audition.

Il y a quelques années, on ne se préoccupait pas du tout des parents lorsque l'enfant était placé. Aujourd'hui, c'est l'inverse : le parent a désormais une place prédominante. Il importe de revoir la relation parents-enfants : le délaissement parental est d'ores et déjà prévu dans les lois actuelles, et permet aux enfants d'être proposés à l'adoption après jugement. On parle peu de l'évaluation des parents : si l'enfant est évalué lors d'un placement, sa famille, elle, ne l'est pas vraiment. Or, certaines familles sont incompétentes et d'autres incapables, ce qui n'est du tout la même chose : Si l'on fixe des objectifs aux parents incompétents, si on les accompagne, on peut espérer à terme qu'ils récupéreront leurs enfants, ce qui est tout de même l'objectif. Il faut donc mettre en place un dispositif d'accompagnement. Mais pour ce qui est des parents incapables, en revanche, on sait qu'ils ne reprendront jamais leurs enfants en raison de pathologies, psychologiques ou autres. Je souhaite donc que soit créée une mesure alternative entre le délaissement et le reste, qui pourrait être une situation d'incapacité parentale. Ce nouveau statut permettrait de proposer un projet à long terme pour l'enfant, en évitant de le faire repasser chaque année devant le juge, de le faire changer de famille, peut-être même d'ouvrir une possibilité d'adoption simple – mais Monique Limon verra ce qu'il en est dans la partie qui la concerne. Cela permettrait par exemple d'éviter des parcours comme celui de Lyes Louffok, placé le jour de sa naissance et sorti à l'âge de dix-huit ans alors que sa mère était incapable.

Il faut aussi écouter la parole de l'enfant. J'ai été assez choquée d'entendre des juges expliquer que, même si l'enfant était maltraité par ses parents ou avait été victime d'un inceste, il devait être prêt à les revoir. Il faut pouvoir entendre que l'enfant n'est pas prêt à revoir ses parents. Je demanderai que sa parole soit prise en compte sur ce point.

J'ai été également interpellée par une de nos collègues députée qui, depuis deux ans, essayait de récupérer son neveu et sa nièce pris en charge par l'aide sociale à l'enfance. Je souhaite donc que l'on renforce la partie « tiers digne de confiance » : lorsque des personnes, dans une famille, veulent reprendre des enfants, il n'est pas normal de laisser ces derniers à l'aide sociale à l'enfance.

C'est pourquoi je souhaiterais que l'on rende obligatoire l'étude de cette solution que peut être le tiers digne de confiance avant de renouveler l'ordonnance de placement provisoire. Une ordonnance de mise à l'abri est d'abord prise, suivie, quinze jours ou un mois après, par une ordonnance de placement pour six mois ou un an. Pendant ce laps de temps, je souhaite vraiment qu'une recherche familiale soit effectuée pour accueillir l'enfant.

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