Si j'approuve nombre des constats qui viennent d'être dressés, j'insisterai pour ma part – cela ne surprendra personne – sur la situation des finances sociales au sein des finances publiques.
En premier lieu, je voudrais souligner le poids toujours prépondérant des finances sociales au sein des finances publiques. Les chiffres publiés par l'INSEE au mois de mai dernier, portant sur l'exercice 2018, rappellent en effet que les administrations de sécurité sociale représentent 607,9 milliards d'euros de dépenses et 618,7 milliards d'euros de recettes, soit près de la moitié de la surface financière des administrations publiques.
Cette donnée, bien que connue, mérite d'être rappelée, car elle est essentielle pour analyser la situation de nos finances publiques, notamment par rapport à d'autres pays européens, qui assurent une moindre socialisation des risques sociaux et souvent un moindre niveau de protection sociale. Ce choix, politique au sens le plus noble du terme, nous honore, et j'y demeure pour ma part fortement attaché, car il est non seulement facteur de réduction des inégalités, mais aussi d'efficacité dans la gestion des risques couverts.
Certains orateurs qui m'ont précédé ont salué le redressement des comptes publics, et ils ont eu raison. Ma deuxième observation, c'est que le champ social a largement pris sa part dans de redressement, et singulièrement depuis trois ans.
Ce n'est en effet pas un hasard si les administrations de sécurité sociale dégagent une capacité de financement de 10,8 milliards d'euros, ce qui leur permet de se désendetter à un rythme soutenu. Au total, la dette sociale, si injustifiable envers les générations futures, décroît et ne représente à l'heure actuelle que 137,2 milliards d'euros, sur près de 2 322,3 milliards de dette publique. Je rappelle que nous remboursons cette dette sociale, confiée à la Caisse d'amortissement de la dette sociale – CADES – , plus rapidement que prévu : nous pourrions l'avoir soldée au début de l'année 2024, alors que nous sommes tenus de la rembourser avant la fin de l'année 2025. Nous pourrons d'ailleurs peut-être, de ce fait, nous interroger sur une éventuelle révision de l'amortissement de cette dette – mais c'est un autre débat.
S'agissant plus spécifiquement des équilibres inscrits dans la loi de financement de la sécurité sociale, il est bon de rappeler que le régime général de la sécurité sociale était en léger excédent de 500 millions d'euros en 2018, même si la situation du Fonds de solidarité vieillesse – FSV – atténue significativement ce résultat.
Si les recettes ont été au rendez-vous grâce à une nette amélioration sur le terrain de l'emploi et des salaires, cette situation s'explique aussi par un effort sur les dépenses, malgré une forte croissance spontanée des besoins sociaux. Ainsi, nous avions prévu une progression de l'ONDAM de 2,3 % ; ce but responsable mais ambitieux a été atteint en 2017 et en 2018, et une progression de l'ONDAM à 2,5 % est en passe d'être respectée pour 2019.
Il ne faut pas sous-estimer l'effort que cela représente sur le terrain. Derrière ces chiffres un peu abstraits se trouve en effet un système de santé, et notamment des hôpitaux, qui participent à l'effort national.
Ma troisième remarque, c'est que les mesures nouvelles votées ou annoncées depuis l'hiver dernier pourraient affecter les comptes sociaux, ce qui doit nous inspirer une véritable réflexion d'ensemble. Je suis d'autant mieux placé pour connaître ces conséquences que j'ai eu l'honneur de rapporter le projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales.
Les mesures retenues n'ont à ce stade pas d'incidence sur les comptes sociaux, puisqu'elles sont juridiquement compensées par l'État à due concurrence, en tout cas jusqu'à la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. Nous restons en attente des arbitrages.
À mon sens, les choix de financement de ces mesures ne doivent pas être pensés isolément, mais au regard de deux autres éléments également nouveaux. D'une part, depuis l'examen du programme de stabilité, le Gouvernement a ajusté ses hypothèses macroéconomiques – réalisme que je souhaite d'ailleurs saluer, car il témoigne d'un sens inédit des responsabilités en matière financière. Néanmoins, cette dégradation des sous-jacents risque de priver la sécurité sociale des excédents sur lesquels était bâtie la dernière loi de financement. D'autre part, les importants transferts financiers à partir de ces excédents théoriques de la sécurité sociale en faveur de l'État et de la Caisse d'amortissement de la dette sociale – CADES – peuvent également avoir des conséquences sur les comptes sociaux.
Il me semble que ces trois éléments – mesures nouvelles potentiellement coûteuses pour les administrations de sécurité sociale, dégradation de la conjoncture et importants transferts de ressources de la sécurité sociale vers l'État – doivent être appréciés ensemble. Les prochains textes financiers devront probablement dessiner un nouvel équilibre entre d'un côté le souci nécessairement partagé de responsabilité financière et de l'autre la préservation d'un bien précieux : la confiance des Français dans le caractère soutenable du modèle social.
Ma quatrième et dernière observation porte sur les défis qui attendent les administrations de sécurité sociale et les choix financiers qu'ils impliquent pour les années à venir. Les exercices budgétaires qui nous attendent ne pourront pas être ceux d'une fonte des moyens accordés à la protection sociale.
Ne nous le cachons pas, mes chers collègues, le système social français traverse un choc sociodémographique d'une ampleur inédite du fait du vieillissement de la population et de toutes ses conséquences tant sur le système de santé que de retraite ou encore sur la prise en charge de la perte d'autonomie.
L'immense chantier de la réorganisation du système de soins que nous venons d'entamer, la réforme structurelle de notre système de retraite à venir et la mise en place d'une assurance dépendance publique et de haute qualité que le Gouvernement doit nous proposer d'ici la fin de l'année nous imposent deux exigences : continuer à faire preuve de sérieux, encore et toujours, bien sûr, mais aussi faire preuve de détermination pour nous donner les moyens d'accompagner financièrement ces changements profonds.