Intervention de Régis Juanico

Séance en hémicycle du mardi 16 juillet 2019 à 15h00
Agence nationale du sport et organisation des jeux olympiques et paralympiques de 2024 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRégis Juanico :

Nous aurions préféré examiner un projet de loi Sport et société, un second projet de loi olympique, un projet de loi d'héritage des Jeux de Paris de 2024 qui permette d'instaurer des politiques publiques promouvant le sport-santé, le sport à l'école, le sport dans l'entreprise, le sport comme facteur d'inclusion des personnes en situation de handicap, avec l'objectif, partagé par tous ici, d'augmenter de 3 millions le nombre de pratiquants dans notre pays.

Or nous regrettons un nouveau glissement dans le calendrier. J'espère que nous pourrons légiférer rapidement, au premier trimestre 2020, comme vous l'avez annoncé, madame la ministre, afin qu'un certain nombre de dispositions produisent des effets concrets, afin que l'on constate un héritage sportif, territorial et sociétal partout en France avant même les Jeux de 2024.

À défaut de loi spécifique qui nous aurait permis de débattre de l'organisation du sport et, plus largement, d'une vision et d'une ambition de la politique en faveur du sport, je n'aurai pas de remarques à faire sur les articles qui traitent de la ratification de l'ordonnance relative aux voies réservées et à la police de la circulation pour les Jeux olympiques et paralympiques de 2024.

J'ai de sérieuses réserves, en revanche, sur la création de l'Agence nationale du sport qui n'est pas une simple mesure technique : l'objectif assumé par le Gouvernement est d'engager une véritable transformation du modèle sportif français – vous avez tout à l'heure évoqué un tournant – , sans que ce débat public fondamental ait pu avoir lieu au Parlement.

Le texte vise à sécuriser juridiquement, par un article introduit subrepticement dans un projet de loi de ratification d'une ordonnance, la création de l'Agence nationale du sport le 24 avril 2019. Tout a commencé au cours de la discussion du projet de loi de finances pour 2019, lorsque le Gouvernement a présenté un amendement visant à attribuer les taxes affectées au Centre national pour le développement du sport à une nouvelle Agence nationale du sport, alors sans existence juridique. Nous vous avions alerté sur le risque pris, sans être vraiment entendus.

Malgré les mises en garde du Conseil d'État, dès le mois d'avril, sur la nécessité de légiférer, vous avez poursuivi dans l'improvisation en donnant, par un simple arrêté et deux décrets, le statut de groupement d'intérêt public à l'Agence nationale du sport. La fragilité juridique de ce dispositif vous oblige aujourd'hui à demander au Parlement de doter cette agence d'une base légale, totalement dérogatoire. Autrement dit, vous demandez au Parlement, par ce projet de loi, d'assurer l'existence juridique d'un organisme créé par un arrêté ministériel. La hiérarchie des normes en est renversée et le Parlement est sommé d'approuver une décision administrative constituée en fait accompli. Sa compétence est ainsi liée, ce qui est contraire au principe démocratique de la séparation des pouvoirs – un impératif, vous en conviendrez, fort peu respectueux des droits du Parlement.

Dans ses avis successifs, le Conseil d'État a rappelé qu'il y avait de sérieuses interrogations sur la robustesse et la sécurité juridique du dispositif que vous avez choisi – un dispositif relativement baroque et un peu hasardeux. En effet, vous avez fait de l'ANS un groupement d'intérêt public ; or, d'après le Conseil d'État, cette structure juridique « n'a pas vocation à être pérenne dans la forme initiale dessinée par le projet de loi ». Le Conseil d'État a également estimé que « le choix du statut de GIP n'est adapté qu'à des collaborations dédiées à un projet ou à la phase de mise en place d'une agence » et qu'une modification des règles régissant le nouvel opérateur pourrait se révéler nécessaire à l'issue du vote de la loi. Un GIP, c'est aussi une structure où, en théorie, tous les partenaires doivent mettre en commun les moyens nécessaires à leurs activités. Or, à ce stade, seul l'État participe au financement de l'Agence.

Le Conseil d'État vous a expressément demandé dans son avis de préciser comment l'État, le Gouvernement et votre ministère continueraient de mettre en oeuvre les politiques publiques du sport. Afin de ne pas déposséder votre ministère de toutes ses capacités d'action, il vous a proposé de renforcer les moyens de contrôle de l'Agence par l'État et de mieux organiser ses moyens d'intervention en faveur des politiques publiques décidées par le Gouvernement. Vous en êtes réduits aujourd'hui à prévoir une convention d'objectifs entre l'Agence et l'État pour bien vous assurer que les orientations de politiques publiques de l'État en matière sportive seront bien respectées. C'est le monde à l'envers.

Un modèle un peu hasardeux, disais-je ensuite à propos de l'Agence. L'étude d'impact du projet de loi indique que « tous les pays qui ont confié la mission d'améliorer les performances de leurs athlètes à une organisation autonome – Royaume Uni, Norvège, Canada – ont vu leur performance aux Jeux olympiques et paralympiques augmenter significativement » quand « à l'inverse, toutes les nations conservant un système organiquement étatique reculent dans les classements ». Cette affirmation est contestable. Elle mériterait en tout cas d'être examinée de près et des comparaisons internationales beaucoup plus poussées devraient venir l'étayer. D'abord, nous ne reculons pas dans les classements sportifs internationaux : nous maintenons notre rang depuis 1996, en obtenant autour de quarante médailles lors de chaque édition des Jeux, et tous les ministres des sports successifs se sont félicités de ces résultats. Ensuite, l'organisation la plus souvent citée en exemple, l'agence UK Sport, est l'organisation la plus étatique au monde. La réussite de ce modèle, au Royaume-Uni, réside finalement plus dans le pragmatisme des Britanniques et dans la permanence des équipes en place.

Vous créez donc une agence bénéficiant d'une large autonomie, qui aura bientôt la capacité de signer des conventions d'objectifs avec les fédérations en lieu et place du ministère des sports, et se verra transférer deux des principales compétences de celui-ci, le sport de haut niveau et le développement de l'accès à la pratique sportive : voilà qui pose inévitablement la question de l'avenir du ministère des sports.

Vous avez vous-même indiqué, madame la ministre, devant le rapporteur du texte au Sénat qu'il y aurait un ministre des sports au moins jusqu'aux Jeux olympiques de 2024, créant l'incertitude pour la période postérieure à cette date.

La création de l'Agence nationale du sport intervient dans un contexte d'effacement programmé du ministère chargé des sports. Les incertitudes sont nombreuses.

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