Je rappelle à toutes fins utiles que trois recours déposés par les deux organisations d'inspecteurs généraux feront l'objet d'une étude du Conseil d'État au mois d'octobre.
Le groupe Libertés et territoires prend acte de votre décision, mais reste dubitatif sur certains points. L'un d'eux concerne l'avis du Conseil d'État, rendu le 6 juin 2019, dans lequel il a émis des réserves sur le choix du groupement d'intérêt public pour le statut de l'ANS, choix que vous estimez être le plus pertinent. Les GIP n'ont en effet pas vocation à se voir confier la mise en oeuvre d'une politique publique nationale.
Le Conseil d'État estime de surcroît que deux caractéristiques des ressources de l'Agence dérogent au statut des GIP : la quasi-totalité des ressources sera apportée par l'État, par le versement du produit d'impositions, et l'attribution d'une taxe affectée n'est pas au nombre des ressources normalement allouées aux GIP.
Nous nous interrogeons donc sur la qualité juridique de cette agence qui se voit attribuer la maîtrise d'ouvrage s'agissant de la haute performance, autrefois dévolue à l'INSEP, tout en absorbant le CNDS : cette absorption ne va-t-elle pas concentrer tous les pouvoirs dans les mains de peu de personnes, au risque de créer un pôle hégémonique ?
Nous nous interrogeons aussi sur les objectifs assignés à cette agence : sa création va-t-elle permettre à nos sportifs de haut niveau d'améliorer leurs performances et de conquérir de nouveaux titres comme vous le prétendez, madame la ministre ? Si l'exemple britannique semble vous donner raison, la création d'une agence autonome a-t-elle réellement été à l'époque le facteur déterminant ? Nous en apprendrons plus pendant nos débats, mais notre groupe ne pense pas qu'un changement de structure puisse à lui seul considérablement modifier les performances de nos sportifs – ce serait trop facile, d'autant plus que nos résultats sont déjà plus qu'honorables, et je tiens à saluer évidemment, comme sans aucun doute l'ensemble des députés ici présents, les sportives et les sportifs français qui représentent notre nation de façon admirable à chaque compétition à laquelle ils prennent part.
Concernant le second objectif, celui du développement de la pratique sportive, la recherche des moyens de l'atteindre devra être l'occasion d'aborder les inégalités d'accès. De nombreux freins existent, et l'Agence ne pourra pas les lever seule.
Il y a, d'une part, les inégalités de genre : je rappelle que près de 38 % des licenciés en France sont des femmes et que ce chiffre n'a progressé que de quatre points en quinze ans, ce qui démontre que des actions d'information, de sensibilisation mais aussi d'inclusion sont nécessaires. Par ailleurs, seules 20 % des femmes sont détentrices d'une licence, alors que près de 45 % déclaraient pratiquer au moins un sport en 2015. Quelle sera la stratégie de l'Agence en la matière ?
D'autre part, il y a des inégalités territoriales dans l'accès au sport, notamment pour les personnes qui ne résident pas dans une grande ville. Le Sénat avait à cet égard justement modifié l'article 3 du projet de loi en veillant à une meilleure représentation des territoires dans la gouvernance du sport, et la commission des affaires culturelles a renforcé notamment le rôle du délégué territorial – nous tenons évidemment à saluer cette initiative. Outre la présence de deux députés et de deux sénateurs au sein du conseil d'administration de l'Agence, chaque région sera dotée d'une conférence régionale du sport chargée d'établir un projet sportif territorial, en présence des représentants des EPCI compétents en matière de sport et bien entendu de parlementaires. Le groupe Libertés et territoires se réjouit que les deux chambres aient exprimé leur attachement à la déclinaison territoriale de l'Agence nationale du sport.
Pourtant, malgré les avancées constatées, des doutes persistent sur le rôle de l'Agence dans les territoires. L'État pourrait en effet être tenté de reconduire dans ses grandes lignes la doctrine qui a présidé à l'action du Centre national pour le développement du sport, alors que tout le monde dit que le CNDS, c'était la concentration des moyens sur de très grands équipements dans les grandes villes, au détriment des autres territoires.
Par ailleurs, les moyens humains et financiers alloués à l'Agence sont inférieurs aux promesses initiales : il est vrai que c'est un grand classique, mais nous savons tous ici que ce sont les moyens effectivement mis à sa disposition qui lui permettront d'atteindre les objectifs fixés ; sans moyens, pas d'objectifs ambitieux. Je note sur ce point que le Gouvernement a la fâcheuse habitude de proposer des clés de financements qui ne sont que très rarement en adéquation avec les objectifs affichés ; on l'a encore vu dernièrement avec la loi d'orientation des mobilités.
Enfin, la question des conseillers techniques sportifs n'est toujours pas tranchée. Il ne faut pas se raconter d'histoire : si la commission des affaires culturelles et de l'éducation est revenue sur les dispositions introduites par le Sénat en raison du moratoire décidé par la ministre des sports, le Président de la République a rappelé, dimanche 7 juillet, son souhait de détacher ces 1 600 fonctionnaires auprès des fédérations sportives. Cette intervention survient alors que des concertations sont en cours, ce qui nous laisse penser que le Président de la République a d'ores et déjà décidé quel serait l'avenir des CTS, quelle que soit l'issue des discussions. Peut-être pourrez-vous, madame la ministre, nous éclairer sur le sujet. Ce détachement signifierait la fin d'un modèle, et notre groupe ne peut pas s'y résoudre.
Le groupe Libertés et territoires sera donc vigilant et émet des réserves quant à l'article 3 de ce projet de loi.