Depuis le début de nos débats, nous considérons que ce projet de loi est entaché d'une forme d'anachronisme, et qu'il fait encourir des risques graves à des compromis républicains patiemment construits dans le dialogue social, parfois même dans les luttes sociales. Ces compromis, qui ont survécu aux alternances politiques, sont devenus un patrimoine républicain. Et dans ce patrimoine, il y a le statut de la fonction publique, fruit d'une longue histoire au cours de laquelle le pouvoir politique s'est, selon les cas, défié de son administration ou reposé sur elle. Il s'en est défié quand elle était le refuge de la réaction ou de la collaboration ; il s'est appuyé sur elle lorsqu'il s'est agi de construire la République : je pense à ce qui était alors le parti de l'école, avec ses hussards noirs, ou au statut de 1946, qui insufflait l'esprit de résistance dans un État à reconstruire.
La présente réforme est sans mémoire ni profondeur historique ; elle expose à des risques considérables et, surtout, regarde l'avenir avec de vieilles lunettes. Nous sommes face à des enjeux considérables, tels que la transition écologique ou la nécessaire prise en compte du temps long, lequel s'accommode assez mal, bien entendu, d'un recours accru aux contractuels. La question de la sécularisation se pose aussi dans de nouveaux termes : non pour échapper à l'influence de l'église, mais pour reconsidérer nos rapports à la puissance privée et à ses intrusions.
Or, sortie des vieux placards de la doxa libérale, la réforme proposée sent, à bien des égards, la naphtaline. Les députés du groupe Socialistes et apparentés soutiendront cette motion de rejet préalable, car il peut y avoir, selon nous, un rendez-vous pour une fonction publique du XXIe siècle, et non du XIXe.