Intervention de Nancy Couvert

Réunion du lundi 6 mai 2019 à 16h15
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Nancy Couvert, directrice générale de l'Association de parents et amis de personnes en situation de handicap mental (APEI) de la Région Dieppoise :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames les députées, notre association gère dix établissements et services pour enfants et adultes dans la région de Dieppe. Comme elle est adossée au mouvement parental, je tâcherai de témoigner à la fois des attentes des enfants, des familles et des professionnels du secteur médico-social.

L'IME Le Château-Blanc, implanté sur la commune d'Arques-la-Bataille, accueille 100 enfants et adolescents de 6 aè 22 ans. Sur ces 100 enfants, 52 bénéficient d'un temps de scolarité au sein de l'IME, dans l'unité d'enseignement interne, avec en moyenne six heures quinze de scolarité par semaine.

L'unité d'enseignement externalisée (UEE), que nous avons ouverte en partenariat avec la commune et l'école d'Arques-la-Bataille, accueille 8 élèves scolarisés à temps partiel, tous les matins. Un enfant est scolarisé au collège de Saint-Nicolas-d'Aliermont depuis septembre 2018 dans le cadre d'un projet de scolarisation alternée (PSA) en ULIS collège.

Nous sommes loin des objectifs fixés par le gouvernement – 50% en 2020 et 80% en 2022. En effet, si l'on compte l'UEE et le jeune en PSA à Saint-Nicolas, on est à 9 % de notre effectif total.

Soulignons que parmi les trois IME du territoire de santé de Dieppe, l'IME Le Château-Blanc accompagne des enfants et adolescents présentant des troubles importants et particulièrement fragiles, notamment dans les sections autisme et poly et plurihandicap.

Mais cela ne nous empêche pas d'avoir intégré avec conviction la dynamique de la transition inclusive en mettant en place un pôle inclusif et en créant, au mois d'avril, un poste de coordinatrice inclusion. Chaque enfant doit pouvoir trouver sa place aè l'école, aè condition que cette place soit possible, réelle, effective et pensée dans une continuité de parcours, de façon à ancrer l'enfant dans la société.

Marcel Nuss, un adulte en situation de handicap grave, a écrit : « La capacité aè être autonome dépend, entre autres, du parcours scolaire de chacun d'entre nous. En ce qui concerne les élèves autrement capables, de la réussite de ce parcours découlera la réussite d'une existence citoyenne et responsable. Par conséquent, un parcours scolaire négligé ou bâclé provoquera immanquablement un surhandicap dont souffrira la personne devenue adulte. »

Nous sommes prêts à nous lancer dans la transition inclusive mais il nous semble nécessaire de faire quelques constats et de présenter les difficultés, voire les inquiétudes des familles.

L'école a besoin d'une adaptation et d'une évolution, parallèlement aè la transformation en profondeur du secteur médico-social. Les enseignants que nous rencontrons lors des réunions d'information et d'échanges que nous organisons une fois par an expriment leurs craintes légitimes face à l'arrivée de nouveaux enfants en situation de handicap ou du non-départ vers les IME d'enfants en situation de handicap.

La perspective du soutien et de la coopération des professionnels du secteur médico-social, que nous évoquons avec eux, semble peu entendue et peu perceptible, ou ne pas correspondre aè leurs attentes.

L'association gère un SESSAD qui accompagne des jeunes avec TSA. Les résultats au regard de l'inclusion scolaire sont positifs : depuis sa création, en 2013, le SESSAD ne compte qu'une orientation vers le milieu spécialisé.

Pour accompagner la transition inclusive, il est indispensable de s'appuyer sur tous les acteurs du parcours scolaire, c'est-à-dire les enfants et adolescents en situation de handicap, les enfants des écoles, des collèges, des lycées, de l'enseignement supérieur, les parents des enfants en situation de handicap, les parents des enfants de l'enseignement « ordinaire », les enseignants, les directeurs et proviseurs, les inspecteurs, les AVS futurs AESH, les acteurs du périscolaire, les communes, le conseil départemental, la MDPH, le secteur médico-social, le soin, notamment la pédopsychiatrie, la protection de l'enfance et les centres de loisirs.

Tous les acteurs, et particulièrement les porteurs et développeurs des projets d'inclusion, doivent avancer ensemble vers le même objectif avec une motivation et un engagement commun pour agir en complémentarité et en synergie. Il s'agit bien de coconstruire l'école de demain qui donnera aux enfants toutes les chances de développer au mieux leur potentiel.

Une coopération effective est indispensable entre l'Éducation nationale et le secteur médico-social. Il nous faut apprendre aè travailler ensemble en confiance, et à reconnaître les compétences et l'expertise de chacun.

Des réunions transversales et transdisciplinaires – enseignant, éducateur, psychologue, AESH – régulières sont indispensables pour accompagner, voire ajuster les parcours individuels, mais également les dynamiques de groupe au sein des classes.

En complément de la formation des enseignants peuvent être envisagés des temps d'immersion des enseignants ou des AESH au sein d'établissements spécialisés comme les IME.

Une plus grande souplesse administrative, davantage de modularité, de flexibilité et surtout une grande réactivité sont nécessaires. Mais l'inclusion ne doit pas se faire sans le droit à l'essai et le droit au retour en arrière.

J'en viens aux bénéfices de l'inclusion.

Pour les enfants en situation de handicap, l'inclusion peut permettre de développer des savoir-être, des savoir-faire, des conduites adaptées aux exigences sociales et de développer des compétences sociales. Aller aè l'école « comme tous les enfants » peut également contribuer aè renforcer l'estime de soi, l'affiliation et être source et lieu d'un épanouissement.

Pour les enfants de l'école « ordinaire », l'inclusion permet de partager les différences dès les premiers moments d'expérimentation de la vie en société, d'avoir une représentation et une appréhension bienveillante du handicap, non basée sur la peur et le jugement.

S'agissant des conditions nécessaires, il est indispensable de préparer un environnement favorable aè l'inclusion des enfants en situation de handicap en généralisant des programmes de sensibilisation à la différence, au handicap, à la bienveillance, à l'empathie pour les enfants du milieu ordinaire, et des réunions d'information et de discussion avec les familles afin de renforcer la solidarité.

Les pôles ressource-inclusion des établissements spécialisés sont en mesure de développer ces actions. Il faut s'appuyer sur le secteur médico-social. Cela est déjà mis en place aè l'IME Le Château-Blanc.

Le tutorat des enfants par d'autres enfants peut être un moyen de rendre acteurs les élèves dans le projet d'inclusion.

Chaque projet d'inclusion scolaire doit s'inscrire dans une continuité de parcours. Les différentes étapes – l'après-école, l'après-collège, l'insertion professionnelle – nécessitent pour les jeunes en situation de handicap d'être anticipées, préparées pour éviter des ruptures brutales qui peuvent être destructrices. Pour garantir ce chemin, un accompagnement spécifique aè chaque enfant, en fonction de ses besoins, doit être possible durant toute la durée du parcours, y compris scolaire.

Il est nécessaire de faire évoluer le système d'évaluation, de partir de l'évaluation des besoins des élèves en situation de handicap en s'appuyant notamment sur les neurosciences, en renforçant les équipes de neuropsychologues au sein des pôles inclusifs ou des écoles.

Quant à nos inquiétudes, les enfants en situation de handicap sont vulnérables, fragiles. L'école peut être aussi un lieu de souffrance pour les enfants, entre la violence, le harcèlement ou « simplement » la moquerie.

Nous avons organisé plusieurs temps d'échange sur l'inclusion avec des familles d'enfants présentant des profils différents. Voici quelques extraits de leurs témoignages : « Notre expérience à l'école a été une catastrophe, on voulait le mettre dans la norme alors qu'il ne l'est pas » ; « Comment va-t-on réintégrer en milieu ordinaire des enfants qu'on a exclus » ; « J'y crois aè l'inclusion, mais il faut les moyens, la formation : imposer la différence n'est pas une bonne chose non plus » ; « Quand on met son enfant en IME, c'est qu'on a déjà tout testé, le milieu ordinaire et ses limites » ; « D'accord pour l'inclusion des petits, mais il faut garder les IMPro. »

Concernant les points de vigilance, je parlais de la violence possible. Si l'école devient un lieu de souffrance, des professionnels tels que les psychologues peuvent être ressources pour réaliser des observations dans les cours de récréation, aè la cantine et en classe, pour ajuster l'accompagnement, pour programmer des interventions auprès des enfants.

Autre point de vigilance, le discours sur l'inclusion peut être très culpabilisant pour les familles dont les enfants n'ont pas bénéficié d'un parcours scolaire en milieu ordinaire, ou dont les enfants âgés de plus de 14 ans pourront difficilement intégrer une scolariité en milieu ordinaire au lycée ou dans l'enseignement professionnel.

Nous devons être attentifs aè ne pas créer un clivage entre un « bon » parcours et un « mauvais », ou moins bon parcours. Il ne faut pas ignorer les spécificités et la complexité de l'accompagnement de certains enfants et adolescents. Le milieu ordinaire ne doit pas être proclamé comme la voie royale. Le secteur médico-social est possible pour certains enfants et correspond à de réels besoins.

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