Pour compléter les propos de ma collègue, je précise que nous sommes confrontés à des logiques sans cohérence. Le combat pour la scolarisation des élèves en situation de handicap, c'est-à-dire le combat pour la désinstitutionnalisation – qui est un très noble combat – a été brandi en étendard sans que nous ne trouvions une cohérence dans l'application des textes et sans que les moyens nécessaires ne soient dégagés.
Je m'explique : les élèves en situation de handicap ont cette particularité qu'ils relèvent de deux ministères. En ce sens, ils font un peu exception. Cela signifie qu'assurer le suivi de leur parcours nécessite de mobiliser une série d'acteurs. Or en multipliant les acteurs, on multiplie les difficultés. Valérie Sipahimalani a rappelé tout à l'heure qu'autour des élèves en situation de handicap était déployé un arsenal technique : des textes et un projet personnalisé de scolarisation (PPS) qui doit normalement être élaboré par les MDPH ; mais dans les faits, nous n'avons jamais ces PPS. Très souvent, en effet, ils n'existent pas, alors qu'il s'agit d'un document opposable de par la loi de 2005. Le cas échéant, une pression est mise sur les enseignants pour appliquer un texte fantôme à la place duquel on brandit un GEVA-Sco. Cet outil est très intéressant et même indispensable, mais ce n'est pas le PPS. Voilà un exemple des difficultés auxquelles sont confrontés les enseignants du fait du manque de cohérence qui peut entourer la scolarisation de ces élèves fragiles et à profil particulier.
Pour nous, enseignants, le sujet des dilemmes professionnels est très fort. Les risques psychosociaux (RPS) sont en train de se développer, pas uniquement en lien avec la scolarisation des enfants handicapés, bien évidemment, mais en partie quand même. Dans notre institution, en effet, nous avons parfois l'impression qu'il n'y a pas de cohérence entre le combat pour l'inclusion et ce que j'appellerais les vieilles logiques – les programmes, les examens – défendues par les cadres intermédiaires comme par les corps d'inspection.
En outre, il existe une carence au regard de la formation. Même si Valérie Sipahimalani a eu raison de rappeler que celle-ci ne sera pas la seule clé pour rendre l'inclusion de tous les élèves possible et heureuse, elle en est néanmoins une condition nécessaire. Cette formation, nous la réclamons à cor et à cri mais nous peinons à l'obtenir. Ou alors, il nous est de plus en plus souvent proposé le recours à des outils de type plateforme en ligne. Ils peuvent être bien faits, la question n'est pas là, mais ils sont chronophages. Cela signifie que les enseignants doivent se former de manière totalement autonome et sur leur temps libre, ce qui leur ajoute de la pression et une surcharge de travail alors qu'ils sont particulièrement fatigués en ce moment. Qui plus est, les journées de formation académique obligatoire sont rares et ne concernent jamais les problématiques de l'inclusion. Dans l'académie où j'exerce, une journée de formation obligatoire a été organisée il y a un mois sur le bilan de la réforme du collège. Mais à aucun moment n'a été abordée la question de la scolarisation des élèves en situation de handicap, qui a pourtant donné lieu à une grande concertation à l'échelle nationale fin 2018 et à la naissance du plan pour l'école inclusive en juillet dernier sous le chapeau du ministère de l'Éducation nationale et du secrétariat d'État aux personnes handicapées. C'est un autre exemple de manque de cohérence.
Je considère que les AESH sont aussi le symbole d'une grande incohérence. Ils sont nés de la prise de conscience que si l'on veut inclure les enfants en situation de handicap à l'école, on a besoin de personnels et d'accompagnants formés – j'insiste sur ce point –, reconnus et bien traités, parce qu'ils doivent accomplir une mission que nous jugeons tous extrêmement importante. Or, alors que nombreux ont été les combats en faveur des AESH cette année, cette catégorie professionnelle reste encore ultra malmenée. Pour nous, c'est une troisième forme d'incohérence.