Mardi 7 mai 2019
L'audition débute à seize heures trente.
Présidence de Mme Jacqueline Dubois, présidente de la commission d'enquête
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La commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la République, quatorze ans après la loi du 11 février 2005, procède à l'audition de Mme Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des enseignements du second degré – Fédération syndicale unitaire (SNES-FSU), et de M. Jérôme Motard, responsable du groupe Inclusion scolaire–ASH.
Notre commission poursuit ses travaux en recevant des représentants du Syndicat national des enseignements du second degré – Fédération syndicale unitaire (SNES-FSU). Madame Sipahimalani, secrétaire générale adjointe, monsieur Motard, responsable du groupe Inclusion scolaire ASH, je vous souhaite la bienvenue. Il était important pour la conduite de nos travaux sur l'inclusion scolaire des élèves en situation de handicap de recueillir le point de vue des représentants du SNES-FSU qui, au vu des résultats des élections professionnelles de l'automne 2018, est le syndicat le plus représentatif du second degré, puisqu'il est majoritaire aussi bien dans les collèges que dans les lycées généraux et technologiques. Vous nous avez transmis des documents qui prouvent que votre syndicat a longuement travaillé ce sujet. Je vous en remercie.
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Mme Valérie Sipahimalani et M. Jérôme Motard prêtent successivement serment.
Il est effectivement important pour nous d'avoir le regard de votre organisation syndicale et des enseignants que vous représentez sur l'école inclusive et, surtout, les conditions de mise en oeuvre de la loi de 2005. Celle-ci a fait consensus au moment où elle a été adoptée, mais l'accès concret aux droits pose de grandes difficultés, d'abord pour les enfants et les familles ; il entraîne aussi une forme de violence pour les intervenants que sont les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) et les enseignants.
Votre audition s'inscrit dans une série dense qui vise à permettre à notre commission d'enquête d'établir un diagnostic partagé, clair et irréfutable, et d'être une force de proposition. La question des données statistiques est posée et peut-être pourrez-vous nous aider à y répondre. Il s'agit aussi de réfléchir à la façon d'améliorer la mise en oeuvre de cette loi et, le cas échéant, d'en rédiger un « acte II ».
Notre champ de réflexion concerne l'inclusion des enfants en situation de handicap de la maternelle jusqu'à l'université, en passant par la formation professionnelle et, évidemment, le second degré. C'est sur ce dernier point que nous attendons votre contribution aujourd'hui, en complément de l'éclairage apporté par vos collègues du SNUipp et du SNESUP. Je souhaite que cette contribution ne soit ni lisse, ni feutrée, sans tabou et la plus franche possible. L'enjeu est, pour nous, de faire avancer cette juste et belle cause de l'inclusion des enfants en situation de handicap.
Comme vous avez pu le constater dans les documents que nous vous avons transmis, le SNES-FSU est très attaché à la scolarisation de l'ensemble des élèves à besoins éducatifs particuliers. Si nous avions un reproche à faire à l'ordre du jour de cette commission, ce serait son entrée par le seul handicap alors que, pour nous, les élèves à besoins éducatifs particuliers sont aussi les élèves allophones, les élèves en prison, les élèves en situation de d'apprentissage difficile, grave et durable, ou encore les élèves qui, conformément à l'entrée par les besoins qui est celle de la loi, présentent les mêmes besoins que les élèves en situation de handicap mais ne sont souvent pas traités.
Pour nous, la scolarisation des élèves doit se faire dans la classe ordinaire, mais elle a aussi toute sa place dans les dispositifs qui ont été mis en place historiquement en France : instituts médico-éducatifs (IME), instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques (ITEP), unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS), etc. Or en tant que personnels du second degré, nous avons le sentiment que l'institution écoute beaucoup les parents et les associations – à juste titre – mais qu'elle suit vis-à-vis des personnels une logique plus comptable que d'accompagnement dans les difficultés quotidiennes du métier.
Dans cette courte présentation, je souhaite attirer votre attention sur le fait qu'à l'Éducation nationale, on entend parler de « formation des personnels ». Celle-ci considère donc que si les enseignants sont en difficulté pour la scolarisation en classe ordinaire des élèves en situation de handicap, c'est parce qu'ils ne sont pas formés. En cela, elle ne considère pas du tout d'autres questions comme celles des effectifs ou de la diversité des prises en charge à mettre en place dans la classe. Pourtant, quand vous avez dans votre classe de 30 élèves, en inclusion pour tout ou partie, des élèves issus d'une ULIS et présentant des difficultés différentes, vous devez mettre en place un panel de situations pédagogiques qui met en difficulté même un enseignant bien formé. Le sujet de la formation, si important soit-il, n'est donc pas le seul à considérer.
La principale difficulté de la classe ordinaire vient de l'ensemble des dilemmes professionnels. Comment gérer les situations extrêmement hétérogènes d'élèves qui peuvent être en situation de handicap, accompagnés ou pas d'un AESH ? Comment gérer les élèves qui n'ont pas de notification de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) mais dont les besoins ne sont guère différents et qui ont un plan d'accompagnement personnalisé (PAP), un guide d'évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-Sco) ou un programme personnalisé de réussite éducative (PPRE) ? La classe ordinaire devient extrêmement difficile à gérer au quotidien, de même qu'il est difficile de faire progresser l'ensemble des élèves.
Nous observons la volonté de l'Éducation nationale et du ministère de la santé de faire basculer à peu près 80 % des élèves actuellement en unité d'enseignement dans les établissements scolaires, avec une inclusion partielle ou entière dans la classe ordinaire. Cela nous pose problème dans la mesure où nous considérons que ce n'est pas possible sans un certain volume de moyens afférents. Or les remontées venant de plusieurs établissements dans lesquels une telle inclusion d'unités d'enseignement se met en place montrent qu'elle ne se passe pas très bien parce que les moyens disparaissent et s'évaporent assez vite.
Une autre alerte nous remonte concernant la vie scolaire et nos collègues conseillers principaux d'éducation. Quand nous avons dans nos classes des élèves avec notification MDPH – ou parfois pas, d'ailleurs, parce que les démarches sont en cours – et des comportements inappropriés, ceux-ci doivent être pris en charge de temps à autre par l'auxiliaire de vie scolaire, lequel n'est pas formé ou ne dispose pas du temps nécessaire pour gérer de manière continue et suivie l'ensemble de ces élèves.
Un autre point concerne les AESH et, dans le cas de la loi pour une école de la confiance, la mise en place des pôles inclusifs d'accompagnement spécialisés (PIAL), anticipée depuis la rentrée. Ces PIAL ont été mis en place de manière expérimentale sur tout le territoire, alors que l'on nous avait annoncé qu'ils seraient évalués. Ils ont été gravés dans le marbre de la loi avant même leur première année d'existence. Ils nous posent un certain nombre de problèmes du fait de la manière dont sont gérés les AESH et des liens que peuvent avoir nos collègues AESH avec l'ensemble des équipes dans les classes, quand leur emploi du temps devient variable à cause de la mise en place des PIAL.
En résumé, il faut absolument que l'ensemble des enfants qui sont pour nous des « élèves en situation de handicap » bénéficient d'une scolarisation. Tous les enfants sont capables de réussir. Nous sommes tout à fait d'accord avec le préambule de la loi de 2013 pour la refondation de l'école de la République. En revanche, il nous semble que les moyens nécessaires ne sont pas donnés, tant en termes d'effectifs des classes qu'en termes de structures et de dispositifs et en termes de formation. Il faut aussi travailler la question des AESH.
Pour compléter les propos de ma collègue, je précise que nous sommes confrontés à des logiques sans cohérence. Le combat pour la scolarisation des élèves en situation de handicap, c'est-à-dire le combat pour la désinstitutionnalisation – qui est un très noble combat – a été brandi en étendard sans que nous ne trouvions une cohérence dans l'application des textes et sans que les moyens nécessaires ne soient dégagés.
Je m'explique : les élèves en situation de handicap ont cette particularité qu'ils relèvent de deux ministères. En ce sens, ils font un peu exception. Cela signifie qu'assurer le suivi de leur parcours nécessite de mobiliser une série d'acteurs. Or en multipliant les acteurs, on multiplie les difficultés. Valérie Sipahimalani a rappelé tout à l'heure qu'autour des élèves en situation de handicap était déployé un arsenal technique : des textes et un projet personnalisé de scolarisation (PPS) qui doit normalement être élaboré par les MDPH ; mais dans les faits, nous n'avons jamais ces PPS. Très souvent, en effet, ils n'existent pas, alors qu'il s'agit d'un document opposable de par la loi de 2005. Le cas échéant, une pression est mise sur les enseignants pour appliquer un texte fantôme à la place duquel on brandit un GEVA-Sco. Cet outil est très intéressant et même indispensable, mais ce n'est pas le PPS. Voilà un exemple des difficultés auxquelles sont confrontés les enseignants du fait du manque de cohérence qui peut entourer la scolarisation de ces élèves fragiles et à profil particulier.
Pour nous, enseignants, le sujet des dilemmes professionnels est très fort. Les risques psychosociaux (RPS) sont en train de se développer, pas uniquement en lien avec la scolarisation des enfants handicapés, bien évidemment, mais en partie quand même. Dans notre institution, en effet, nous avons parfois l'impression qu'il n'y a pas de cohérence entre le combat pour l'inclusion et ce que j'appellerais les vieilles logiques – les programmes, les examens – défendues par les cadres intermédiaires comme par les corps d'inspection.
En outre, il existe une carence au regard de la formation. Même si Valérie Sipahimalani a eu raison de rappeler que celle-ci ne sera pas la seule clé pour rendre l'inclusion de tous les élèves possible et heureuse, elle en est néanmoins une condition nécessaire. Cette formation, nous la réclamons à cor et à cri mais nous peinons à l'obtenir. Ou alors, il nous est de plus en plus souvent proposé le recours à des outils de type plateforme en ligne. Ils peuvent être bien faits, la question n'est pas là, mais ils sont chronophages. Cela signifie que les enseignants doivent se former de manière totalement autonome et sur leur temps libre, ce qui leur ajoute de la pression et une surcharge de travail alors qu'ils sont particulièrement fatigués en ce moment. Qui plus est, les journées de formation académique obligatoire sont rares et ne concernent jamais les problématiques de l'inclusion. Dans l'académie où j'exerce, une journée de formation obligatoire a été organisée il y a un mois sur le bilan de la réforme du collège. Mais à aucun moment n'a été abordée la question de la scolarisation des élèves en situation de handicap, qui a pourtant donné lieu à une grande concertation à l'échelle nationale fin 2018 et à la naissance du plan pour l'école inclusive en juillet dernier sous le chapeau du ministère de l'Éducation nationale et du secrétariat d'État aux personnes handicapées. C'est un autre exemple de manque de cohérence.
Je considère que les AESH sont aussi le symbole d'une grande incohérence. Ils sont nés de la prise de conscience que si l'on veut inclure les enfants en situation de handicap à l'école, on a besoin de personnels et d'accompagnants formés – j'insiste sur ce point –, reconnus et bien traités, parce qu'ils doivent accomplir une mission que nous jugeons tous extrêmement importante. Or, alors que nombreux ont été les combats en faveur des AESH cette année, cette catégorie professionnelle reste encore ultra malmenée. Pour nous, c'est une troisième forme d'incohérence.
Concernant le champ de la commission d'enquête, je revendique le fait qu'il n'est pas exhaustif. Pour que la mise en place d'une commission d'enquête soit recevable, il faut délimiter son domaine d'intervention. En l'occurrence, si nous avons retenu le champ de l'inclusion des enfants en situation de handicap, c'est parce que j'ai considéré qu'existait une difficulté objective à mettre en oeuvre la loi de 2005. Le Défenseur des droits a d'ailleurs corroboré ce sentiment.
Vous dites – et je partage ce point de vue – que les difficultés rencontrées par les enseignants – parfois même leur mal-être ou la violence que peut représenter pour un enseignant l'échec de la prise en charge d'un enfant en situation de handicap – ne relèvent pas seulement de la formation, mais aussi d'autres paramètres, notamment celui des effectifs. Quelles sont les propositions de votre syndicat pour la « règle à calcul » de la dotation horaire globale (DHG) dans le second degré – la question se posant aussi pour le premier degré ?
La question de la formation des intervenants, AESH comme enseignants, est également posée. Quel regard portez-vous en ce domaine ? Que faudrait-il faire pour améliorer la formation initiale et la formation continue des enseignants que vous représentez ?
Enfin, depuis le début, notre commission d'enquête peine à obtenir des éléments objectifs, chiffrés et incontestables, y compris de la part du ministère. Mais je ne désespère pas qu'on en obtienne. Hier, nous étions en Seine-Maritime et nous avons obtenu pour la première fois des informations chiffrées pour un certain nombre de paramètres. Concernant la souffrance au travail et la saisine des comités d'hygiène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT), quand ils existent encore, disposez-vous d'indications et d'éléments statistiques sur le sentiment des enseignants qui accueillent des enfants en situation de handicap de ne pas arriver à mettre en oeuvre une pédagogie différenciée et, au bout du compte, de ne pas arriver à faire face ? Le mal-être est-il une vision de l'esprit ou une réalité ?
Disposez-vous de temps pour travailler collectivement, lorsque vous accueillez un élève en situation de handicap, pour que l'équipe de professeurs chargée de cet élève puisse réfléchir à une manière de faire ? Je sais que, pour les sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), un temps est prévu chaque semaine. Est-ce aussi le cas, ou envisagez-vous que ce le soit, pour les autres professeurs ?
Vous avez parlé du PPS. Cet acte écrit est indispensable. Pourriez-vous être plus précis quant aux difficultés de sa mise en oeuvre ? Par ailleurs, quelles sont les notions de formation qui permettraient de vous accompagner dans leur élaboration au travers des MDPH ?
Avez-vous connaissance de différences territoriales entre les académies ou les départements ? Des zones sont-elles moins bien accompagnées que d'autres en raison de politiques locales différentes ?
J'ai été enseignante durant treize ans dans un collège avec des élèves en inclusion. Je vous rejoins tout à fait sur le fait qu'outre les enfants en situation de handicap, d'autres enfants ont des besoins particuliers et qu'il faut bien saisir le sujet sous cet angle.
Pouvez-vous développer la connaissance que vous avez de l'expérimentation concernant les PIAL ?
Tout d'abord, en tant qu'enseignante, je ne connais pas le handicap de mes élèves. Je peux avoir un élève dont je sais qu'il a une notification MDPH, mais je ne suis pas tenue de savoir ce qu'il a. Seule sa famille peut éventuellement me le dire. La seule information dont je dispose est que tel élève a tels besoins éducatifs particuliers. C'est ainsi que j'entre dans un travail pédagogique avec lui et que nous travaillons dans l'établissement scolaire. Nous n'avons pas à connaître la nature du handicap de nos élèves. C'est la raison pour laquelle nous considérons que l'on doit entrer dans le sujet via les besoins éducatifs particuliers et non le handicap.
Avoir des élèves à besoins éducatifs particuliers dans une classe est la routine. Ils sont partout, quel que soit le territoire ! C'est la routine du métier. Dans une classe, vous avez toujours, statistiquement, quelques élèves à besoins éducatifs particuliers, même si je n'ai pas de chiffres précis et je n'en aurai pas d'autres que ceux de l'Association de défense et d'entraide des personnes handicapées (ADEP).
En matière d'effectifs, dans la mesure où les élèves à besoins éducatifs particuliers sont la routine du métier, nous considérons qu'une classe ne devrait pas compter plus de 24 élèves en collège et 30 en lycée – et probablement moins pour l'éducation prioritaire. C'est notre demande. Car considérer qu'un élève à besoins éducatifs particuliers est un bonus qui permet de réduire le nombre d'élèves dans une classe n'est pas, à mes yeux, un positionnement très respectueux de l'élève en question. Pourquoi occuperait-il plus de place qu'un autre ? C'est une démarche intellectuelle compliquée. De toute façon, comme il y a systématiquement des élèves à besoins éducatifs particuliers dans chaque classe, il faut en tenir compte de manière générale, sans poser la question pour telle ou telle classe.
Nous avons une demande supplémentaire concernant les élèves inscrits au collège et au lycée : quand ils sont inscrits dans la classe ordinaire, ils devraient être comptés dans ses effectifs. Or actuellement, ce n'est pas le cas. Je pense à une collègue à Clermont-Ferrand, qui a parfois 35 élèves dans sa classe en comptant les élèves allophones et les élèves sourds en inclusion. Inclure ces élèves est très bien, sur le papier. Mais en pratique, c'est extrêmement difficile à gérer. Aussi demandons-nous la double comptabilisation des élèves, dans la classe ordinaire et dans le dispositif ou la structure. Voilà pour ce qui est de votre « règle à calcul ».
Les formations initiale et continue doivent elles aussi être abordées par le prisme des besoins éducatifs particuliers. C'est vraiment compliqué. Selon les élèves, par exemple, vous devez utiliser différentes tailles de police, ne pas recourir aux figures géométriques ou prévoir du temps majoré. Et nous n'avons pas encore parlé de la question de l'évaluation et des examens. Un travail de longue haleine est nécessaire pour former l'ensemble des personnels – pas seulement les enseignants – à la façon d'aborder un élève qui présente un syndrome de troubles autistiques ou un élève dyspraxique et de faire au mieux, pour eux mais aussi pour l'ensemble de la classe.
Vous dites que vous ne connaissez pas le handicap de l'enfant et que vous « entrez » par les besoins particuliers. Comment évaluez-vous ces besoins ? Est-ce par le GEVA-Sco, ou par le PPS – que vous n'avez pas ?
Nous sommes bien heureux quand nous disposons du PPS ou du GEVA-Sco ! Dans la plupart des cas, ces documents sont « égarés » quelque part. C'est mon expérience personnelle, partagée par de nombreux collègues. La plupart des collègues ne connaissent même pas l'existence de ces documents. Nous faisons notre travail de formation syndicale, mais l'institution ne fait pas toujours le sien.
Quand un élève a déjà été scolarisé un an dans l'établissement, les informations passent généralement par l'équipe, les collègues, le professeur principal ou les parents lors des réunions parents-professeurs. Le moment difficile est l'accueil en classe de 6e ou de 2de. Parfois, nous mettons un certain temps avant de découvrir que tel élève a des besoins éducatifs particuliers et devrait bénéficier de tel ou tel accompagnement en classe. Le plus souvent, cela se passe lors des réunions avec les enseignants. Certes, des dizaines d'ULIS sont ouvertes chaque année. Le coordonnateur ou la coordonnatrice de l'ULIS indique aux collègues comment prendre en charge les élèves concernés. Mais pour les élèves en inclusion individuelle, c'est plus compliqué et cela doit être fait au cas par cas.
Aujourd'hui, 20 % des élèves ont des besoins éducatifs particuliers à un moment ou à un autre de leur scolarité. Tous les collègues ressentent une difficulté professionnelle pour leur prise en charge : nous nous demandons si nous avons bien fait les choses ou si nous n'avons pas accru les difficultés de l'élève au lieu de l'aider ; nous nous demandons si un élève a vraiment sa place toute la semaine dans notre établissement, quand on voit qu'il est en souffrance, qu'il fatigue, qu'il a besoin de décompresser ou que le PPS ne le permet pas. Finalement, pourquoi les alertes aux CHSCT ne sont-elles pas plus nombreuses ? Au SNES, nous y voyons deux raisons. La première est qu'un certain nombre de collègues ne connaissent pas l'existence du registre santé-sécurité au travail ; ils ne font donc pas d'alerte parce qu'ils ne savent pas qu'ils peuvent en faire. La seconde raison est la pudeur des enseignants à dire leurs difficultés, leurs interrogations et leur sentiment de culpabilité, puisque, quand nous sommes en difficulté avec un élève à besoins éducatifs particuliers, on nous explique qu'il suffirait que nous nous formions. Globalement, la réponse institutionnelle est « allez sur telle plateforme », « demandez tel stage »… Il est difficile d'admettre que l'on est en difficulté. Je pense qu'il existe dans la profession un certain renoncement à interpeller une institution dont tout un chacun connaît les mérites en matière de gestion des ressources humaines.
Ces dernières années, la FSU a conduit une enquête qui a mis en lumière ces problèmes. Dans nos classes, nous avons aussi des élèves dont les difficultés sont silencieuses. Ils ne posent pas les mêmes problèmes que ceux dont les difficultés entraînent parfois un dysfonctionnement lourd de la classe : certains crient en classe, d'autres ne peuvent pas rester sans bouger, d'autres encore pourraient se mettre en danger ou mettre leurs camarades en danger lors d'une expérimentation en travaux pratiques. Nous avons fait part de ces risques psychosociaux auxquels sont exposés nos collègues. Ce travail a été pris en compte par le CHSCT ministériel et a conduit à l'élaboration d'un guide dont vous avez les références dans la note que nous vous avons envoyée. Il s'agit d'un guide sur les enfants qui présentent des difficultés de comportement en classe. Mais outre ces difficultés comportementales, qui sont les plus visibles, nombre d'élèves ont des difficultés silencieuses. C'est par exemple le cas d'un élève dyspraxique : quand vous travaillez sur un tableau, sur une image, vous le mettez en difficulté sans pour autant que cela ait des répercussions sur toute la classe. Ces difficultés silencieuses ne peuvent pas toujours être prises en compte quand l'effectif de la classe est très important. Elles font peser un risque psychosocial à bas bruit, sur lequel nous n'alerterons pas nécessairement l'institution.
Vous posiez ensuite la question du temps disponible pour travailler collectivement sur ces questions. L'Éducation nationale reconnaît plus de 42 heures par semaine pour le travail des enseignants en dehors des temps de congés des élèves durant lesquels nous sommes réputés préparer des cours et corriger des copies. Mais durant ces périodes, les établissements sont fermés et il ne nous est donc pas possible de nous réunir pour discuter de nos élèves. Nous manquons donc de temps pour le travail collectif. Au SNES, nous portons une demande de réduction du temps de travail. Nous l'avons obtenue pour les établissements du réseau d'éducation prioritaire renforcée (REP+). Ce temps récupéré, ou cette pondération, fonctionne bien dans les établissements. Il permet aux collègues de disposer de plus d'une heure de réunion hebdomadaire dans un service de 18 heures. Là où ces réunions et l'établissement de leur ordre du jour sont laissés à l'initiative des personnels, ceux-ci s'en déclarent très satisfaits. Il nous faut du temps pour travailler collectivement. Il nous faut parfois aussi du temps pour travailler avec les parents. Être parent d'un élève en situation de handicap est difficile et pour nous, le travail avec les parents peut être assez compliqué. Nous avons donc, là aussi, besoin de prendre le temps de discuter. Les professeurs principaux doivent participer aux équipes de suivi de la scolarisation (ESS), ce qui peut prendre du temps encore.
Jérôme Motard et moi-même sortons d'une réunion au ministère. Nous avons appris qu'une circulaire sur l'école inclusive et l'inclusion des élèves en situation de handicap qui sortira pour la rentrée prochaine demande que le professeur principal reçoive l'ensemble des parents des élèves en situation de handicap de sa classe durant le premier mois suivant la rentrée. Nous avons exposé au ministère que ce sera vraiment difficile à mettre en oeuvre. Le temps nous étant compté, il est difficile de rencontrer tous les parents pendant le premier mois de rentrée. En outre, nous n'avons pas que des élèves en situation de handicap dans nos classes. Nous avons aussi des élèves qui se trouvent dans une situation sociale difficile. L'accent est mis sur les élèves en situation de handicap, mais quand nous gérons une classe, nous gérons aussi les 30 autres élèves.
Enfin, il peut y avoir des différences territoriales. Nous les constatons surtout sur la structure SEGPA et l'inclusion des élèves de 6e de SEGPA dans la classe ordinaire. Le problème – qui peut aussi se poser pour certains élèves en situation de handicap – est que la classe ordinaire est un bon lieu de socialisation, mais sans doute pas suffisant. Nous avons des ambitions. Nous considérons que la scolarisation va au-delà de la vie collective. Il est important que tous les élèves profitent de ces moments de vie collective, mais, pour progresser dans les apprentissages, il faut parfois mettre en place des dispositifs ou des structures particuliers. Actuellement, la classe ordinaire n'est pas le lieu d'apprentissage adéquat pour l'ensemble de nos élèves – en tout cas, pas avec les effectifs dont nous disposons. C'est la raison pour laquelle nous pensons que l'on ne peut pas considérer que la scolarisation soit réussie quand la socialisation est réussie. Mais, souvent, certains s'en satisfont.
Je vais répondre aux questions dans l'ordre dans lequel elles ont été énoncées, en apportant d'abord un petit complément sur la formation. Vous savez que depuis peu, il existe un certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques de l'éducation inclusive (CAPPEI) et des modules d'initiative nationale pour l'accueil des élèves en situation de handicap (MIN-ASH). Nous sommes favorables à ces deux outils. Mais un constat s'impose, que nous relayons au ministère dès que nous le pouvons : celui de la difficulté, pour les enseignants du second degré, à passer le CAPPEI. Pourtant, le nombre d'élèves à besoins éducatifs particuliers, notamment en situation de handicap, s'est multiplié et accueillir un tel élève dans nos classes est devenu notre lot quotidien. Nous considérons donc que tous les enseignants devraient avoir un CAPPEI dans leur bagage. Je pousse un peu la logique jusqu'à la caricature, mais c'est pour dire que l'accès à ce certificat est laborieux alors qu'il devrait au contraire être extrêmement ouvert et que le départ de nos collègues dans ces formations devrait être plus qu'encouragé.
En ce qui concerne les MIN-ASH, la gestion du calendrier a été désastreuse l'an dernier. En effet, le dépôt des candidatures à ces formations n'a été ouvert qu'en toute fin d'année scolaire, vers le 25 juin si ma mémoire est bonne, avec une remontée définitive au ministère le 14 septembre. Autant dire que les enseignants du second degré sont totalement passés à côté, d'autant plus que très souvent, les rectorats ou les directions des services départementaux de l'éducation nationale (DSDEN) ne communiquent pas sur l'existence de ces formations. Donc l'offre existe, et elle est intéressante : les formations sont pilotées par l'Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INSHEA) ; elles sont exigeantes et de qualité. Encore faut-il que les collègues sachent qu'elles existent et qu'on leur laisse y avoir accès. Mais l'an dernier, les recteurs pouvaient s'opposer à des départs en formation.
Pour répondre à votre question sur les PPS et leurs difficultés de mise en oeuvre, ainsi que sur les formations peuvent recevoir les enseignants, je répondrai de manière lapidaire : je pense clairement que les enseignants n'ont aucune formation sur ces textes. Et je pense d'ailleurs qu'il en est de même pour tous les personnels de la communauté éducative.
Pour avoir travaillé la question, nous pouvons affirmer que les enseignants sont perdus dans le découpage entre PPS, PAI, PPRE et PAP. Ils sont totalement perdus. Les textes sont clairs, mais restent très allusifs et laissent de côté nombre de questions pratiques. Je pense, par exemple, à la circulaire de 2016 qui récapitule le parcours d'un élève en situation de handicap.
Par ailleurs, je l'ai déjà dit mais je le répète, il est rare qu'un élève en situation de handicap dispose réellement d'un PPS. Je sais que c'est la loi, mais je vous assure, pour animer des stages et pour avoir discuté avec de nombreux collègues, que si les parents omettent de demander par écrit dans leur projet de vie, au moment de constituer leur dossier MDPH, qu'un PPS distinct du GEVA-Sco soit rédigé, le PPS n'existe pas. Les enseignants se retrouvent alors avec un GEVA-Sco et la plupart du temps, ils ne savent pas vraiment ce que c'est. Ils n'en entendent parler qu'au moment où interviennent les équipes de suivi de la scolarisation, qu'ils ont du mal à comprendre – c'est aussi le cas du chef d'établissement. Très peu de travail de pédagogie est fait pour expliquer tout ce bagage, tout cet armement institutionnel autour du handicap, qui participe du droit à compensation. Ces outils sont extrêmement précieux pour les élèves et les enfants. Mais, en tant qu'enseignants, nous ne sommes pas formés à leur utilisation. Notre hiérarchie est souvent aussi démunie que nous. Qui plus – et c'est là du ressort d'un ministère autre que l'Éducation nationale –, les PPS ne sont pas rédigés.
Cela me permet de rebondir sur la question des différences territoriales. Il en existe évidemment entre les départements, pour la simple et bonne raison que toutes les MDPH n'appliquent pas tout à fait les mêmes politiques et n'ont donc pas le même fonctionnement. Or dans la mesure où elles sont des acteurs clés de la scolarisation des élèves en situation de handicap, puisqu'elles rédigent les notifications, cette scolarisation diffère nécessairement d'un département à l'autre. Une harmonisation et une clarification sont donc nécessaires. Il faut aussi que les parents soient beaucoup mieux informés sur leurs droits. Pour les enseignants en tout cas, c'est un réel enjeu. Les outils, à commencer par l'ESS, sont très importants dans l'année d'un élève en situation de handicap. Les ESS peuvent se réunir une ou deux fois par an, pour évaluer la mise en oeuvre mais aussi la pertinence du GEVA-Sco. Parfois, celui-ci devient partiellement caduc ou mériterait d'être réécrit. Ces rendez-vous sont précieux, mais ils sont souvent ratés par manque d'information et de connaissance des acteurs, notamment les enseignants.
J'en viens aux PIAL, qui ont été la grande nouveauté de cette année. Nous les avons vus surgir un peu de nulle part – à tel point que, pour être honnête, il a fallu plusieurs mois à nombre de nos collègues pour réaliser qu'ils faisaient partie d'un PIAL. Il serait intéressant de savoir si tous les enseignants qui appartiennent à un établissement qui est un PIAL en ont conscience. Je ne suis pas sûr que tel soit le cas ! La façon dont les PIAL sont arrivés nous a totalement déconcertés, puisqu'ils étaient étiquetés comme « expérimentation » alors qu'en fait ils faisaient suite à une expérimentation menée dans deux départements du Sud l'année précédente, et qu'ils ont été généralisés à tout le territoire sans aucun texte réglementaire les encadrant. Ils faisaient donc un peu figure d'ovni !
Ensuite, nous avons assez vite compris qu'ils étaient avant tout un mode de gestion des moyens humains que sont les AESH. À nos yeux, en effet, le PIAL est une rationalisation de ressources humaines. Honnêtement – c'est le sentiment de la plupart des enseignants avec qui nous en discutons –, le PIAL ne fait pas sens au regard de la scolarité d'un élève en situation de handicap ou du métier d'enseignant. Nous ne voyons pas quel est son apport. Nous pensons que c'est une nouvelle manière de gérer le moyen humain AESH.
Non seulement le PIAL a soulevé beaucoup de questions et d'inquiétudes chez les parents qui nous en ont parlé : ils ont eu très peur qu'il ne remette en cause le caractère sacré – j'emploie ce mot sans ironie – de la notification MDPH. Et il n'y avait aucun texte réglementaire pour les rassurer, ou à combattre si cet outil remettait effectivement en cause la distinction entre l'organisme prescripteur, la MDPH, et l'organisme « payeur », l'Éducation nationale. Mais nous avons aussi eu des remontées d'AESH considérant que cet outil pouvait déstructurer ou désorganiser leur service. En effet, l'AESH n'est plus nécessairement lié à un élève mais peut, selon les besoins du moment, être réaffecté à une autre mission – certes en rapport avec son métier, mais au risque de rompre la continuité ou la cohérence de service.
En résumé, actuellement, nous identifions mal l'apport pédagogique du PIAL pour les enseignants. Il est plus qu'incertain – ou douteux – qu'il aide les AESH à accomplir leur mission. Enfin, nous avons cru comprendre qu'il faisait extrêmement peur à un certain nombre de parents et d'associations d'enfants en situation de handicap.
L'objectif du PIAL, pour ce que j'en sais, est avant tout de répondre aux besoins des élèves, pas à ceux des enseignants ou des AESH. Il s'agit aussi d'avoir des pôles et des équipes stabilisés. Mais il est vrai que nous n'avons pas encore de texte très détaillé sur ce sujet.
C'est ainsi que c'est vendu par le Gouvernement. La généralisation du PIAL vous est tombée sur la tête, mais elle est aussi tombée sur celle des parlementaires par la voie d'un amendement gouvernemental et sans retour d'expérience sur les expérimentations actuelles. Cela a été dénoncé par plusieurs groupes.
J'ai testé un amendement, pour voir si le PIAL déposséderait la MDPH de son droit de notification, et il a été clairement rejeté.
Connaissez-vous des établissements qui ont utilisé l'outil Qualinclus ? Qu'en disent-ils ? Connaissez-vous d'ailleurs cet outil, assez récent, d'évaluation collective de la qualité de la scolarisation des élèves en situation de handicap ?
Je laisserai mon collègue répondre sur Qualinclus, que nous connaissons.
Je voudrais juste ajouter un mot concernant les PIAL. Certes, il s'agit de répondre aux besoins des élèves. Mais cet outil met les élèves en concurrence les uns avec les autres. C'est cela, qui nous pose problème. Si un AESH suit un élève mais si l'on estime qu'un autre élève est prioritaire, on déplace l'AESH au titre du PIAL. C'est ce qui nous choque. Si les moyens nécessaires sont donnés, ce type de situation ne se produira peut-être plus. Mais si les élèves sont hiérarchisés au titre du PIAL, cela nous pose problème. En particulier pour les élèves à syndrome autistique qui ont besoin d'un suivi particulier et qui nouent une relation forte avec leur AESH. Je décris ce que nous avons constaté sur le terrain : avec le PIAL, l'AESH va là où la demande est la plus forte et ce, pour toutes sortes de raisons. Il n'est alors plus répondu aux besoins de l'élève.
Vous avez raison de considérer que c'est un problème. Mais en principe, un enfant autiste a une notification individuelle à laquelle on ne peut pas toucher.
Ce n'est pas ainsi que cela se passe avec le PIAL.
Nous avons indiqué au ministère que l'on ne devrait pas parler d'expérimentation quand il s'agit en fait d'une préfiguration. Malheureusement, c'est une spécialité du ministère de l'Éducation nationale : on dit qu'on expérimente et qu'on évaluera, mais en fait on préfigure et on généralise. C'est le cas pour les PIAL.
Évidemment, nous ne parlons pas des trains qui arrivent à l'heure. En l'occurrence, pour un certain nombre de PIAL, nous avons observé des dysfonctionnements importants dans l'accompagnement des enfants. Sans compter que nos collègues AESH sont mis en difficulté et placés dans une situation extrêmement délicate. Comme vous le savez, ce sont des personnels précaires, payés au lance-pierre et fragiles. Ils n'osent donc jamais dire non.
Je précise, pour ceux qui n'étaient pas à Dieppe hier, que le représentant du directeur académique des services de l'Éducation nationale (DASEN) en Seine-Maritime a indiqué que l'accompagnement collectif devenait la règle et que l'accompagnement individuel devenait l'exception. Voilà qui prolongera nos débats lorsque nous établirons les conclusions de la commission d'enquête !
Je voulais vous interroger sur les aménagements liés aux examens. La réforme du baccalauréat, donc j'ai cru comprendre qu'elle renforçait la place du contrôle continu, peut-elle poser une problématique particulière sur les aménagements d'examens pour les jeunes en situation de handicap ?
Je voudrais revenir sur deux points. Vous dites que vous ne connaissez pas le handicap de vos élèves, mais il y a bien des ESS. J'ai été directrice d'une école élémentaire. Il était alors obligatoire de se réunir au moins une fois par an, et il était conseillé de le faire deux fois par an. Je connais moins ce qui se passe dans le second degré, mais ma fille est AESH. Elle suit des collégiens et m'indique qu'il y a des ESS. Ce dispositif est-il obligatoire ou pas ?
En ce qui concerne le PIAL, vous avez dit « on déplace » les AESH de tel élève à tel élève : qui est ce « on » ? S'il y a des notifications, elles devraient être suivies et ce que vous décrivez ne devrait pas être possible.
Les ESS existent, en effet, mais posent deux problèmes en pratique. D'une part, elles n'interviennent pas forcément au moment opportun. Il y a dans l'année scolaire des moments où il pourrait être intéressant de faire un bilan. Mais, la plupart du temps, les ESS sont planifiées quand c'est possible. D'autre part, les ESS ravivent la question des réunions imposées aux enseignants. Il va de soi que l'ESS est un moment fondamental, qu'il ne faut pas boycotter. Mais il faut aussi réfléchir à la façon d'organiser ce temps de travail supplémentaire, qui ne relève pas à part entière de notre activité.
La circulaire indique qu'il est souhaitable que les ESS soient planifiées hors du temps d'enseignement. On comprend bien pourquoi ! Généralement, seul le professeur principal est présent, pour des raisons d'organisation de service et pour ne pas multiplier les classes sans enseignant à certains créneaux horaires. Les ESS rencontrent donc des difficultés logistiques. Il faut aussi que la date et l'horaire conviennent à la famille. Il faut aussi que les enseignants référents puissent venir.
À cet égard, je tiens à souligner le manque d'enseignants référents. Le nombre de dossiers par enseignant référent est trop important. Je sais qu'il existe aussi des inégalités territoriales sur ce plan. Dans mon département, la Corrèze, les nombres sont effrayants et confinent à l'absurde. Il y a, en effet, plus d'une centaine de dossiers par enseignant référent.
Vous conviendrez que c'est absurde !
Par ailleurs, pour répondre à votre autre question, nous connaissons bien le fascicule Qualinclus pour l'avoir beaucoup lu. Je ne vous cache pas qu'il n'emporte pas du tout notre adhésion. Son mérite est d'être cohérent avec ce qu'il promet : il propose des fiches pour que les équipes pédagogiques puissent s'approprier la question de l'inclusion et essayer de réfléchir à leurs pratiques : ce qui pourrait être fait, ce qui pourrait être amélioré. Dans cette optique, la roue de Deming – qui n'est pas le dispositif le plus récent en matière de sciences de l'éducation – a été recyclée avec des anglicismes à tout va pour construire un outil prétendument pratique à destination des équipes.
Mais, d'une part, l'appropriation de cet outil est chronophage. Les questions sont ardues, et même si le guide fait un effort d'explication, les explications y sont disséminées et il s'agit de sujets de spécialistes. Sans compter que la colonne « agir » est elle-même une succession de questions : c'est pousser le goût de la concertation assez loin, en soulevant des questionnements au lieu de proposer des actions concrètes ! C'est un outil d'une lourdeur incroyable qui sera placé sur les épaules des équipes pédagogiques – outil qui ne propose pas de solution, qui plus est. On demandera donc aux équipes d'être capables d'inventer des solutions en relevant l'un des plus grands défis pédagogiques qui soit : permettre à des enfants en situation de handicap d'avoir la scolarité la plus « normale » possible. Ces questions font l'objet de travaux de recherche de la part d'universitaires brillants dont c'est le métier à plein temps. Pour nous, Qualinclus est un faux outil, que l'on ne peut pas s'approprier. Je ne vois pas comment les équipes pourront l'utiliser et je crains qu'il ne serve de faire-valoir dans certains établissements. Tout comme la multiplication des plateformes de formation en ligne, c'est une fausse bonne idée, qui ajoute du travail quand les enseignants réclament à cor et à cri qu'on facilite leur travail. Et pour cause : l'accompagnement des élèves en situation de handicap requiert un important travail de préparation, intéressant et nécessaire, certes, mais qui modifie l'exercice professionnel y compris lorsque les enseignants ne sont pas devant les élèves. On ne prépare pas un cours de la même façon quand on a trois élèves à besoins éducatifs particuliers. S'y ajoutent la fatigue physique et la pénibilité du suivi.
Les enseignants ne vont donc pas passer leur dimanche à réfléchir à Qualinclus alors que les établissements ne sont pas capables de leur dégager du temps de concertation. Ce point n'est pas nouveau : lors de la réforme du collège et des EPI, notamment, nous revendiquions de dégager du temps pour permettre aux enseignants de travailler en équipe. Ici aussi il y a une incohérence : on fixe une exigence, mais on ne donne pas aux personnels les moyens d'y répondre. C'est un motif de souffrance au travail. Pour être heureux au travail, il faut avoir l'impression de bien faire son activité. C'est le b.a-ba. Donc, non, Qualinclus n'a pas notre adhésion.
Des textes sont en discussion sur les aménagements d'examens, notamment dans le cadre du du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Je vous avoue que nous les attendons avec impatience. Ce sujet est un puits sans fond. Il soulève de nombreux problèmes, de logistique, de mise en oeuvre mais aussi de déontologie et d'éthique – qu'est-ce que l'égalité des chances ? – ou de pertinence des aménagements. Je prends pour exemple la fausse bonne idée du tiers-temps : pour certains, évidemment, c'est une condition sine qua non pour composer ; mais pour d'autres, cela crée des semaines absolument abominables si l'on considère le nombre cumulé des heures ajoutées par rapport aux autres élèves. On a donc, paradoxalement, ajouté du temps de fatigue à des personnes pour qui, souvent, le handicap est déjà synonyme de fatigabilité supplémentaire. Il y a donc, là encore, une incohérence. Le tiers-temps est nécessairement une mauvaise solution puisqu'elle met en difficulté ceux-là mêmes qu'elle est censée aider.
Je laisserai ma collègue répondre à la question de l'impact sur le baccalauréat.
La question de l'évaluation est un vrai dilemme de métier, très compliqué. Lors des réunions parents-professeurs, nombre de parents d'élèves à besoins éducatifs particuliers nous demandent s'il serait possible de faire un effort pour l'évaluation de leur enfant. Mais que veut dire faire un effort pour l'évaluation ? Est-ce à dire qu'un élève à besoins éducatifs particuliers doit avoir un diplôme au rabais parce qu'on lui en aura « offert » une partie ? Nous ne le pensons pas. Il faut trouver un moyen pour que ces diplômes aient la même qualité. Le temps majoré – terme qui a remplacé « tiers temps » – est parfois une solution, mais les élèves auxquels on donne un temps majoré sont souvent les élèves les plus fatigables. Nombre d'entre eux ne l'utilisent pas.
Une piste consisterait à supprimer certains exercices ; mais comment enlever un exercice dans une dissertation de philosophie ? Ce n'est tout simplement pas possible !
On peut aussi nous demander de reformuler les consignes. C'est un acte technique très compliqué qui impose d'expliquer les consignes différemment, ce qui conduit parfois à fournir la réponse au sujet, notamment au collège.
Le besoin de formation est ici réel. Comment établir des modalités qui permettent d'évaluer la qualité des apprentissages de l'élève tout en tenant compte de ses besoins éducatifs et donc de son incapacité – par exemple pour un élève dyspraxique – à comprendre une figure géométrique ? Faut-il prévoir un programme de mathématiques sans géométrie pour certains élèves ? Nous touchons là à des questions de déontologie quasiment philosophiques. Je n'ai pas la réponse, et je ne suis pas certaine que le ministère l'ait non plus.
Par ailleurs, les consignes reçues dans les PPS et les GEVA-Sco sont parfois inapplicables. Dans le cadre de la réforme du lycée, on nous a promis que les exercices seraient conçus de manière à tenir compte des besoins éducatifs particuliers. Nous le faisons déjà pour le temps majoré : un nombre croissant d'élèves bénéficient du temps majoré et sont donc dans des salles à part, ce qui peut poser des problèmes lorsqu'ils ont un secrétariat, souvent bruyant et qui doit pouvoir être isolé. La nécessité de trouver plusieurs salles peut mettre en difficulté l'organisation du bac.
Il en ira de même avec la réforme du baccalauréat, au sujet de laquelle je ne sais pas quoi vous dire puisque même les élèves sans besoins éducatifs particuliers ne pourront plus passer le même jour l'épreuve de sciences économiques et sociales (SES) et celle de sciences du vivant et de la terre (SVT). En effet, certains auront pu choisir à la fois l'option de SES et celle de SVT. Or les épreuves du baccalauréat ont déjà été étalées pour tenir compte des tiers-temps – de fait, à une époque, il pouvait y avoir jusqu'à huit heures de composition dans la journée ; ce n'est plus le cas, pour tenir compte des tiers-temps. C'est la raison pour laquelle les épreuves se tiennent sur huit jours, de mémoire. La réforme ne simplifiera probablement pas les choses, alors que la gestion des établissements est déjà compliquée. À ce sujet, nous n'avons encore de directive précise sur le rôle de l'AESH le jour de l'examen. Est-ce lui qui accompagnera l'élève ? Certains collègues AESH sont très protecteurs avec les élèves qu'ils suivent. Accompagner l'élève sans faire à sa place est tout un art, qui requiert une réflexion et une formation.
Vous demandiez qui déplace les AESH dans les PIAL. Dans le premier degré, c'est l'inspecteur de l'Éducation nationale chargé de l'adaptation scolaire et de la scolarisation des élèves handicapés (IEN-ASH). Dans le second degré, c'est le chef d'établissement. Quand c'est de l'inter-degré, les deux doivent se coordonner. Dans certaines académies, c'est encore différent : à Paris, certains pôles regroupent plusieurs arrondissements. L'absence de formation précise des personnes qui dirigent les PIAL et l'absence de texte de cadrage ont conduit à des aberrations : dans certains établissements, on ne regarde plus si l'élève a droit à un AESH mutualisé ou individuel et on mutualise les AESH avec les AESH collectifs de l'ULIS – ce qui peut faire un pôle important d'AESH gérés en fonction des besoins, ce qui conduit à établir des priorités entre les élèves. C'est là que les difficultés commencent. Or les AESH ayant des ordres de mission, ils sont soumis à la même réglementation que tout fonctionnaire ou contractuel avec ordre de mission.
Nous arrivons au terme de ce rendez-vous. Je tiens à vous remercier pour vos explications, qui sont souvent techniques, mais qui montrent que vous connaissez très bien le sujet. En tout cas, vous savez très bien su expliquer les difficultés que vous rencontrez sur le terrain. J'aurais aimé que l'on aborde aussi ce qui fonctionne bien, mais le temps nous est compté.
Merci pour la qualité de votre contribution et pour celle des documents que vous nous avez transmis au préalable. J'imagine qu'ils nourriront la réflexion de l'ensemble des membres de la commission d'enquête.
L'audition s'achève à dix-sept heures trente.
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Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 7 mai 2019 à 16 heures 30
Présents. – Mme Géraldine Bannier, Mme Blandine Brocard, Mme Béatrice Descamps, Mme Marianne Dubois, M. Olivier Gaillard, M. Sébastien Jumel, Mme Cécile Rilhac, Mme Sabine Rubin
Excusés. – M. Bertrand Bouyx, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel