Intervention de Valérie Sipahimalani

Réunion du mardi 7 mai 2019 à 16h30
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du SNES-FSU :

Nous sommes bien heureux quand nous disposons du PPS ou du GEVA-Sco ! Dans la plupart des cas, ces documents sont « égarés » quelque part. C'est mon expérience personnelle, partagée par de nombreux collègues. La plupart des collègues ne connaissent même pas l'existence de ces documents. Nous faisons notre travail de formation syndicale, mais l'institution ne fait pas toujours le sien.

Quand un élève a déjà été scolarisé un an dans l'établissement, les informations passent généralement par l'équipe, les collègues, le professeur principal ou les parents lors des réunions parents-professeurs. Le moment difficile est l'accueil en classe de 6e ou de 2de. Parfois, nous mettons un certain temps avant de découvrir que tel élève a des besoins éducatifs particuliers et devrait bénéficier de tel ou tel accompagnement en classe. Le plus souvent, cela se passe lors des réunions avec les enseignants. Certes, des dizaines d'ULIS sont ouvertes chaque année. Le coordonnateur ou la coordonnatrice de l'ULIS indique aux collègues comment prendre en charge les élèves concernés. Mais pour les élèves en inclusion individuelle, c'est plus compliqué et cela doit être fait au cas par cas.

Aujourd'hui, 20 % des élèves ont des besoins éducatifs particuliers à un moment ou à un autre de leur scolarité. Tous les collègues ressentent une difficulté professionnelle pour leur prise en charge : nous nous demandons si nous avons bien fait les choses ou si nous n'avons pas accru les difficultés de l'élève au lieu de l'aider ; nous nous demandons si un élève a vraiment sa place toute la semaine dans notre établissement, quand on voit qu'il est en souffrance, qu'il fatigue, qu'il a besoin de décompresser ou que le PPS ne le permet pas. Finalement, pourquoi les alertes aux CHSCT ne sont-elles pas plus nombreuses ? Au SNES, nous y voyons deux raisons. La première est qu'un certain nombre de collègues ne connaissent pas l'existence du registre santé-sécurité au travail ; ils ne font donc pas d'alerte parce qu'ils ne savent pas qu'ils peuvent en faire. La seconde raison est la pudeur des enseignants à dire leurs difficultés, leurs interrogations et leur sentiment de culpabilité, puisque, quand nous sommes en difficulté avec un élève à besoins éducatifs particuliers, on nous explique qu'il suffirait que nous nous formions. Globalement, la réponse institutionnelle est « allez sur telle plateforme », « demandez tel stage »… Il est difficile d'admettre que l'on est en difficulté. Je pense qu'il existe dans la profession un certain renoncement à interpeller une institution dont tout un chacun connaît les mérites en matière de gestion des ressources humaines.

Ces dernières années, la FSU a conduit une enquête qui a mis en lumière ces problèmes. Dans nos classes, nous avons aussi des élèves dont les difficultés sont silencieuses. Ils ne posent pas les mêmes problèmes que ceux dont les difficultés entraînent parfois un dysfonctionnement lourd de la classe : certains crient en classe, d'autres ne peuvent pas rester sans bouger, d'autres encore pourraient se mettre en danger ou mettre leurs camarades en danger lors d'une expérimentation en travaux pratiques. Nous avons fait part de ces risques psychosociaux auxquels sont exposés nos collègues. Ce travail a été pris en compte par le CHSCT ministériel et a conduit à l'élaboration d'un guide dont vous avez les références dans la note que nous vous avons envoyée. Il s'agit d'un guide sur les enfants qui présentent des difficultés de comportement en classe. Mais outre ces difficultés comportementales, qui sont les plus visibles, nombre d'élèves ont des difficultés silencieuses. C'est par exemple le cas d'un élève dyspraxique : quand vous travaillez sur un tableau, sur une image, vous le mettez en difficulté sans pour autant que cela ait des répercussions sur toute la classe. Ces difficultés silencieuses ne peuvent pas toujours être prises en compte quand l'effectif de la classe est très important. Elles font peser un risque psychosocial à bas bruit, sur lequel nous n'alerterons pas nécessairement l'institution.

Vous posiez ensuite la question du temps disponible pour travailler collectivement sur ces questions. L'Éducation nationale reconnaît plus de 42 heures par semaine pour le travail des enseignants en dehors des temps de congés des élèves durant lesquels nous sommes réputés préparer des cours et corriger des copies. Mais durant ces périodes, les établissements sont fermés et il ne nous est donc pas possible de nous réunir pour discuter de nos élèves. Nous manquons donc de temps pour le travail collectif. Au SNES, nous portons une demande de réduction du temps de travail. Nous l'avons obtenue pour les établissements du réseau d'éducation prioritaire renforcée (REP+). Ce temps récupéré, ou cette pondération, fonctionne bien dans les établissements. Il permet aux collègues de disposer de plus d'une heure de réunion hebdomadaire dans un service de 18 heures. Là où ces réunions et l'établissement de leur ordre du jour sont laissés à l'initiative des personnels, ceux-ci s'en déclarent très satisfaits. Il nous faut du temps pour travailler collectivement. Il nous faut parfois aussi du temps pour travailler avec les parents. Être parent d'un élève en situation de handicap est difficile et pour nous, le travail avec les parents peut être assez compliqué. Nous avons donc, là aussi, besoin de prendre le temps de discuter. Les professeurs principaux doivent participer aux équipes de suivi de la scolarisation (ESS), ce qui peut prendre du temps encore.

Jérôme Motard et moi-même sortons d'une réunion au ministère. Nous avons appris qu'une circulaire sur l'école inclusive et l'inclusion des élèves en situation de handicap qui sortira pour la rentrée prochaine demande que le professeur principal reçoive l'ensemble des parents des élèves en situation de handicap de sa classe durant le premier mois suivant la rentrée. Nous avons exposé au ministère que ce sera vraiment difficile à mettre en oeuvre. Le temps nous étant compté, il est difficile de rencontrer tous les parents pendant le premier mois de rentrée. En outre, nous n'avons pas que des élèves en situation de handicap dans nos classes. Nous avons aussi des élèves qui se trouvent dans une situation sociale difficile. L'accent est mis sur les élèves en situation de handicap, mais quand nous gérons une classe, nous gérons aussi les 30 autres élèves.

Enfin, il peut y avoir des différences territoriales. Nous les constatons surtout sur la structure SEGPA et l'inclusion des élèves de 6e de SEGPA dans la classe ordinaire. Le problème – qui peut aussi se poser pour certains élèves en situation de handicap – est que la classe ordinaire est un bon lieu de socialisation, mais sans doute pas suffisant. Nous avons des ambitions. Nous considérons que la scolarisation va au-delà de la vie collective. Il est important que tous les élèves profitent de ces moments de vie collective, mais, pour progresser dans les apprentissages, il faut parfois mettre en place des dispositifs ou des structures particuliers. Actuellement, la classe ordinaire n'est pas le lieu d'apprentissage adéquat pour l'ensemble de nos élèves – en tout cas, pas avec les effectifs dont nous disposons. C'est la raison pour laquelle nous pensons que l'on ne peut pas considérer que la scolarisation soit réussie quand la socialisation est réussie. Mais, souvent, certains s'en satisfont.

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