Virginie Cassand et moi-même nous exprimerons au nom de la Coordination de collectifs AESH de France (CCAF) qui regroupe actuellement cinq collectifs d'accompagnants : Corse, Île-de-France, Loi de 2005, 59-62 et Alpes-Maritimes.
Nous saluons la mise en place de cette commission d'enquête parlementaire que nous avions réclamée l'année dernière et nous espérons qu'elle mettra en perspective toutes les problématiques des différents acteurs dans l'école inclusive. Car depuis plus d'un an, cette question a agité les débats. La littérature et les travaux n'ont pas manqué : quatre rapports – un du député Taquet, un du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), un de la Cour des comptes et un de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l'Inspection générale de l'Éducation nationale (IGEN) –, deux propositions de loi – l'une pas débattue et l'autre vidée de son sens – et une pseudo-concertation mal menée par le secrétariat d'État de Mme Cluzel, sans enseignant, sans consistance et sur le seul sujet imposé par le ministère de l'Éducation nationale. Alors que le ministre annonçait que cette concertation ferait l'objet d'un rendu de conclusions courant mars, le même jour, en l'occurrence le 11 février, il choisissait d'imposer ses propres conclusions dans l'urgence et sans étude d'impact, par l'amendement 1058 à son projet de loi pour une école de la confiance – projet de loi qui ne comportait, jusqu'à la dernière minute, aucune référence à l'école inclusive.
Voilà pour la forme. Pour le fond, au terme de deux années d'exercice, le ministère n'envisage toujours pas la réduction de l'usage des contractuels et les annonces faites ne sont pas des innovations. Les 60 heures de formation existent depuis 2005 et deux contrats à durée déterminée (CDD) de trois ans font toujours six années de période d'essai ! Quant à l'augmentation de la rémunération, il n'en est toujours pas question. Le ministère n'invente donc rien et, pire, va accroître les difficultés d'exercice de notre mission : d'une part, par le transfert de la rédaction du projet personnalisé de scolarisation (PPS) des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) aux équipes éducatives ; d'autre part, par la mise en place des pôles inclusifs d'accompagnement localisé (PIAL). Avec cette invention technocratique, l'Éducation nationale envisage désormais l'école inclusive uniquement sous l'angle comptable de la rentabilité de ses agents, en décidant de mutualiser massivement l'accompagnement des élèves en situation de handicap. Ainsi, sous le joug de la contrainte du ministère du Budget et en se substituant à celui de la Santé, le ministère de l'Éducation nationale décrète unilatéralement que la mutualisation devient la règle et l'individualisation l'exception. Le payeur devient le prescripteur et le malade son propre médecin. Parce que c'est son projet, le ministère a choisi de répondre à l'augmentation annuelle prévue de 14 % d'élèves notifiés par un effectif constant de 80 000 accompagnants et pas plus d'ici 2021.
Malgré ces choix, nous persistons et nous vous présenterons aujourd'hui nos propositions afin d'améliorer nos conditions de vie professionnelle, selon deux axes : une déprécarisation institutionnelle et une déprécarisation fonctionnelle. Puis nous conclurons sur les dispositions introduites dans le projet de loi pour une école de la confiance.
J'en viens au premier axe, pour une déprécarisation institutionnelle, c'est-à-dire le cadre dans lequel nous exerçons. Nous développerons ici deux points : le statut et la formation. D'abord, un petit résumé de la situation actuelle de notre cadre d'exercice : 2 ans ou 9 mois de contrat unique d'insertion (CUI), puis six ans de CDD renouvelable tous les ans et, au bout, peut-être un contrat à durée indéterminée (CDI) ; des temps partiels imposés, avec des quotités horaires variables selon les départements au sein d'une même académie ; une rémunération moyenne de 650 euros net par mois ; aucune formation initiale et continue ; pas de possibilité de portabilité du contrat d'une académie à l'autre ; pas d'assurance chômage. Bref, tous les ingrédients d'une précarité bien robuste.
Le ministère est toujours dans une logique d'emplois contractuels et temporaires. Or depuis 2005, la réalité du terrain démontre bien que la fonction d'accompagnant est devenue permanente. Elle le sera d'autant plus au vu des prévisions d'un nombre croissant d'élèves en situation de handicap – pour rappel, + 14 %.
Il nous apparaît donc très opportun que le Gouvernement opère maintenant un plan de titularisation des accompagnants en recourant à la loi Sauvadet. Ce plan, avec la création d'un corps d'accompagnants de catégorie B au sein du ministère, sera pour nous la base d'une véritable mission de service public de l'école inclusive. Rappelons que ce passage au statut de la fonction publique était une promesse de campagne du candidat Macron et qu'elle figure toujours sur son site de campagne.
Dans le cadre de ce statut, voici nos propositions : l'application d'une grille indiciaire débutant à l'indice 400 ; une uniformisation nationale de la gestion administrative et financière des accompagnants pour en finir avec les disparités de traitement, de contrat et de salaire entre les différents départements et académies ; l'obligation faite aux académies d'informer l'accompagnant du cadre dans lequel il exerce, ainsi que de ses droits et devoirs ; la prise en charge des frais de transport sur tout le territoire ; l'abrogation du temps incomplet et l'application du temps complet aligné sur le temps d'enseignement obligatoire en fonction du niveau scolaire de l'élève ; la prise en compte des heures invisibles inhérentes à la bonne pratique du métier d'AESH ; l'extension aux AESH des primes REP et REP+.
Ces dispositions, en attendant la création de véritables statut et corps, seraient d'ores et déjà applicables, tout comme le serait la recommandation de la Cour des comptes que nos effectifs apparaissent enfin clairement dans les documents budgétaires en vue de l'examen du projet de loi de finances (PLF) en créant un véritable cadre d'emploi spécifique aux AESH et non plus hors titre II, exprimé en équivalent temps plein (ETP).
J'en viens à la formation. C'est évidemment un point essentiel. Nous ne saurions prétendre à la création d'un statut et d'un corps sans une formation conséquente préalable à l'exercice de notre métier, et sur le fondement essentiel dorénavant d'une coformation enseignants-accompagnants. Nous pensons que cette formation pourrait passer par la mise en place du concours d'accès au corps. Nous avons donc réfléchi à un concours externe et un processus interne, calqués sur le mode de recrutement des professeurs des écoles (CRPE).
Un concours externe « bac + 2 » permettrait d'accéder à une année de formation en alternance dans les ESPE, avec des modules communs avec les enseignants. À l'issue de cette année, un mémoire écrit serait défendu devant un jury, suivi d'une inspection sur le terrain au terme de laquelle l'accompagnant serait titularisé dans l'académie où il a passé le concours et diplômé d'une licence d'accompagnant éducatif.
En interne, la titularisation des personnels qui sont déjà en poste aujourd'hui serait possible après deux ans d'activité. Comme pour une validation des acquis de l'expérience (VAE), l'accompagnant rédigerait un mémoire, sous tutorat d'un enseignant en ESPE, qu'il défendrait devant un jury, avant de faire l'objet d'une inspection sur le terrain.
Tant que tout cela n'est pas mis en place, nous souhaitons que le ministère dispense au moins une formation qualifiante en ESPE avant la prise de poste, afin d'éviter aux agents de se décourager et, par la suite, de démissionner – ce qui a pour conséquence un nombre important de ruptures d'accompagnement.
De plus, dans le respect du droit à la formation continue prévu par la loi de 1983, il serait souhaitable que des formations nous soient enfin proposées tout au long de la carrière, selon le handicap rencontré ou le souhait de l'accompagnant qui voudrait se spécialiser. L'ouverture du catalogue des formations à destination des enseignants serait un premier pas. Nous pouvions penser que le ministère, dans ses engagements pour la rentrée 2019, nous offrirait cette opportunité de coformation. Malheureusement, il n'en est toujours rien dans sa dernière circulaire. Les 138 modules de formation proposés pour la rentrée prochaine sont soit pour les accompagnants, soit pour les enseignants. Et parmi eux, seuls neuf sont à destination des accompagnants.
Cette formation continue nous paraît être des plus importantes dans une perspective de progression de carrière : nous pourrions évoluer comme AESH référent, coordinateur, conseiller pédagogique AESH, et accéder éventuellement au grade d'inspecteur de l'Éducation nationale AESH (IEN-AESH).
Vous l'aurez compris : un vrai statut et une réelle formation, voilà pour nous des conditions essentielles pour remplir l'objectif – fixé par le ministre lui-même – de création d'un véritable service public de l'inclusion au sein de son ministère.