Intervention de Virginie Cassand

Réunion du mardi 7 mai 2019 à 17h30
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Virginie Cassand, membre du Collectif AESH Loi de 2005 :

Le deuxième axe, celui de la déprécarisation fonctionnelle des accompagnants, pourrait passer par la mise en place d'un vade-mecum et la généralisation du modèle parisien de gestion des accompagnants.

Concernant le vade-mecum, la situation actuelle est la suivante : communication quasi inexistante avec les assistants d'éducation (ASEN), eux-mêmes submergés et manquant de moyens ; idem pour les enseignants référents ; aucune aide dans et sur la pratique professionnelle ; aucun recours en cas de tension avec l'enseignant ou la direction ; aucune formation et information sur les handicaps rencontrés et les modalités relatives à l'élève comme les équipes de suivi sur la scolarisation (ESS), les PPS ou les guides d'évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-Sco).

Afin de remédier à tout cela, nous proposons un vade-mecum qui s'articulerait autour des points suivants : un accueil institutionnel avec présentation des accompagnants à tous les personnels de l'établissement et l'inscription dans l'organigramme de l'établissement ou de l'école ; la mise à disposition d'éléments fonctionnels pour la bonne réalisation de la mission de l'accompagnant, comme une place de parking, les clefs des salles de l'établissement, un casier dans la salle des professeurs, une chaise d'adulte en maternelle ; la mise à disposition d'outils de communication avec accès à la messagerie Intranet dans l'établissement et l'inclusion des accompagnants dans les échanges électroniques concernant l'élève accompagné et la vie de l'établissement ; une rencontre obligatoire avant le début de l'accompagnement entre la direction, l'enseignant ou le professeur principal, l'élève, les parents et l'accompagnant ; la mise à disposition systématique à destination des accompagnants du document de mise en oeuvre du PPS consignant les besoins de l'élève en termes d'accompagnement ; la mise en place d'un projet pédagogique autour de l'élève, ce qui suppose un travail collaboratif entre enseignants et accompagnant, des propositions de modalités d'accompagnement attendues par l'enseignant, la prévision d'un temps de bilan périodique pour ajuster l'accompagnement, entendre les remarques de l'accompagnant et souligner les améliorations attendues ; l'organisation d'une réunion, si les besoins de l'élève le nécessitent, en dehors de l'ESS, avec des professionnels extérieurs et les parents ; la convocation systématique de l'accompagnant aux ESS sur son temps de travail ; idem pour les classes et dans les conseils de classe – tout cela pour que la parole de l'accompagnant soit entendue ; l'association de l'accompagnant au projet de l'établissement ainsi que la mise en place d'un atelier d'analyse de situation professionnelle tout au long de la carrière. Enfin, en cas de changement, prévoir l'organisation d'une période de passation entre l'ancien et le nouvel accompagnant afin de procéder aux transmissions, notamment celle des aménagements spécifiques à l'élève pour éviter une rupture dans l'accompagnement.

Ce vade-mecum perfectible entrerait parfaitement dans le cadre du service public de l'école inclusive proposé par le ministre et contribuerait ainsi à l'intégration de l'accompagnant dans l'équipe éducative.

Outre le vade-mecum, s'inspirer du modèle parisien de gestion des accompagnants contribuerait à leur déprécarisation fonctionnelle. Il faut savoir que quelle que soit la nature du contrat, la proximité contractuelle entre un agent et un établissement payeur peut renforcer la précarité de l'agent dans l'exercice de ses fonctions, notamment si les rapports professionnels entre les deux parties ne sont pas harmonieux– ce qui peut être très préjudiciable pour l'accompagnant lorsque les attestations de compétences nécessaires au renouvellement du contrat doivent être remplies par le chef d'établissement.

Cette pression contraint l'agent à obéir à des injonctions qui débordent de ses missions comme prendre en charge une classe parce que l'enseignant est malade, accompagner une classe en sortie alors que l'élève accompagné n'est pas dans cette classe, faire des photocopies pour l'ensemble pédagogique sans rapport avec les aménagements de l'élève accompagné, etc. Afin de conserver leur emploi, les accompagnants n'ont pas la force de s'opposer à ces injonctions.

Pour oeuvrer à la déprécarisation fonctionnelle des accompagnants, il nous semble donc pertinent de s'inspirer de la mission académique à la scolarisation des élèves en situation de handicap de Paris (MASESH). Son service recruteur, la coordination des AESH, est divisé en cinq pôles de coordination. À la tête de chaque pôle, une coordinatrice est aidée dans son travail par une administratrice et deux ou trois accompagnants dits tuteurs ou tutrices – bien que ce terme soit inapproprié puisque nos collègues ne sont pas de mauvaises plantes à redresser. Le terme de référent ou référente serait plus adéquat. Les tuteurs ou tutrices ont une décharge de 13 heures d'accompagnement pour exercer leur tutorat, soit 3 demi-journées au cours desquelles ils peuvent soit recevoir leurs collègues du pôle pour les écouter et les conseiller, soit prendre des rendez-vous téléphoniques pour faire de même, soit les visiter dans leur établissement pour les aider dans leur positionnement professionnel. En cas de tension sur le terrain, ils jouent un rôle de médiateur entre les enseignants, les directions et les collègues accompagnants : ils recueillent l'avis de chaque partie, puis adressent un rapport à la coordinatrice qui pourra, si une situation de souffrance est reconnue, opérer un changement d'affectation. Attention ! L'intérêt de l'élève restant prioritaire et aucun changement d'affectation ne se fait sans qu'un autre accompagnant n'ait été affecté auprès de lui, afin de ne pas interrompre l'accompagnement. Les tuteurs ou tutrices sont également une interface entre les professeurs ressources et les enseignants, entre les accompagnants et l'organisme de formation.

Pour les accompagnants, les pôles sont des espaces de parole où elles peuvent, où ils ou elles peuvent venir s'épancher, retrouver de l'assurance, recueillir des conseils professionnels auprès des coordinatrices et des tutrices. Les coordinatrices sont également amenées à faire des rappels à la loi aux directions afin que les accompagnants puissent accomplir correctement leur mission et que le droit des élèves soit respecté, s'agissant notamment de la répartition des quotités horaire d'accompagnement.

Il faut que chacun connaisse sa place. Sur un plan hiérarchique, les accompagnants dépendent de l'inspecteur académique pour l'adaptation et la scolarisation des élèves en situation de handicap (IEN-ASH) via les coordinatrices. Sur un plan organisationnel et pédagogique, ils sont sous l'autorité du chef d'établissement et des enseignants. Le principe des pôles, qui reste à améliorer avec des accompagnants référents, pourrait être transposé dans toutes les académies. Avec la fonction d'accompagnant référent, l'Éducation nationale aurait l'opportunité de nous offrir une première perspective de carrière, en instaurant une promotion en interne avec un salaire conséquent.

Au vu de ce qui vient d'être exposé et si le Gouvernement veut tenir ses promesses, il est impératif de sécuriser les conditions de travail des accompagnants pour faire cesser les abandons de poste. Pour ce faire, il faut que dans chaque académie le rectorat soit le seul employeur et que la gestion des accompagnants reste confiée à des pôles de coordination, qui sont un dispositif plus cohérent que le PIAL pour la mise en place de l'école inclusive. Ces dispositions – rectorat employeur, pôle de coordination, professeur ressource, accompagnant référent –, ajoutées à la prise en compte des voeux et de l'ancienneté en cas de changement d'académie, concourraient à la déprécarisation fonctionnelle des accompagnants en permettant un ancrage durable de ces personnels au sein de l'Éducation nationale.

Pour conclure, en présentant au Sénat son projet de loi sur l'école de la confiance, le ministre de l'Éducation nationale a annoncé « une double révolution » pour l'école inclusive. De quelle révolution nous parle-t-on ? Pour l'obtention d'un CDI, rien de nouveau : six fois un ou deux fois trois, cela fait toujours six années de période d'essai. Quant à l'arme révolutionnaire du ministre, le PIAL, mis en place à la rentrée 2018 officieusement et hors de tout cadre juridique, il ne fera que dégrader encore nos mauvaises conditions de travail : la mutualisation devenant le principe et l'individualisation l'exception, les accompagnements seront de plus en plus perlés et le suivi des élèves de plus en plus aléatoire, puisqu'au lieu d'accompagner deux ou trois élèves, nous en accompagnerons cinq ou six, sans augmentation de quotité horaire ni de salaire. Il n'y a pas lieu ici de parler de double révolution.

Qui plus est, c'est avec une certaine indécence que lors de cette audition au Sénat, le ministre a allégué le fait que les accompagnants peuvent se considérer comme mal payés. Nous voudrions tout simplement lui dire que cela n'est pas un ressenti, mais bien un fait : nous sommes mal payés.

Enfin le néologisme « service public de l'école inclusive » ne suffira pas à rendre celle-ci effective et efficiente. Le verbe ne fait pas l'action. La véritable révolution viendra peut-être du fait que l'instauration d'un service public de l'école inclusive s'appuiera d'abord sur la création d'un corps d'accompagnants détenteurs d'un vrai statut au sein de la fonction publique d'État et d'une grille indiciaire décente.

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les parlementaires, nous vous remercions de votre écoute et nous espérons que nos propositions seront entendues non seulement dans le cas de cette commission, mais également dans l'hémicycle lors de l'examen final du projet de loi sur l'école de la confiance.

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