(Interprétation en langue des signes française.) Bonjour, je suis Laëtitia Appourchaux, mère de deux enfants sourds de treize et dix ans. Je suis moi-même sourde ainsi que mon mari, nous sommes donc sourds tous les quatre. Nous sommes une famille ouverte, la langue des signes est ma langue maternelle, et pour moi l'oral est une langue étrangère, et nous fonctionnons de cette façon.
Au départ, j'étais contente que ma fille soit acceptée en inclusion dans l'école du quartier. Elle est locutrice de la langue des signes. Il y a quand même de gros problèmes de pédagogie, car la logique visuelle et cognitive d'un enfant sourd n'est pas celle d'un entendant, et ça rend les choses très compliquées. Ma fille n'était pas du tout imprégnée des codes spécifiques aux enfants sourds. Elle n'avait pas de vocabulaire, n'acquérait pas grand-chose, avait des difficultés d'expression ; j'ai donc dû lui donner tout ça. Et je me disais : je suis sa mère, ce n'est peut-être pas mon rôle. En tout cas, elle s'est retrouvée en échec.
Je dois préciser que, même si la langue des signes est ma langue, nous utilisons ponctuellement l'oralisme, car je n'ai rien contre, mais j'étais quand même obligée d'expliquer un certain nombre de choses, il fallait l'emmener à l'orthophonie, nous n'avions plus de vie de famille, de temps d'échange avec nos filles, etc. car tout était très, très compliqué. J'étais obligée de pallier toutes ses lacunes scolaires en fin de journée pour lui permettre de rattraper son retard.
Donc, l'inclusion, oui, sans doute, mais en partenariat avec un institut spécialisé, une structure spécialisée, qui permette à l'enfant d'avoir tous les supports dont il a besoin, notamment au niveau de la surdité, des codes sociaux, des identifications, des références identitaires et autres. Des professionnels intervenaient régulièrement dans l'école de ma fille, avec une pédagogie adaptée, essentiellement visuelle, qui lui permettait de progresser à son rythme. Et là, j'ai vu ma fille s'épanouir et rattraper son retard.
Chaque famille a sa liberté de choix, mais il ne faut pas croire que le simple fait de mettre un interprète dans la classe va changer les choses. Il faut une pédagogie, il faut des professionnels eux-mêmes sourds, il faut que l'enfant soit en interaction avec ses pairs comme avec professeurs, car lorsque ma fille n'avait pas ce soutien de professionnels spécialisés, elle était comme un légume au fond de la classe, elle ne comprenait rien. Elle n'arrivait pas à progresser au niveau de la trace écrite, car le français est très compliqué à apprendre pour une personne sourde.
C'est grâce à ce partenariat avec un institut spécialisé que j'ai vu ma fille s'épanouir et progresser. Il y avait des orthophonistes, donc nous n'avions plus besoin de l'emmener chez l'orthophoniste, etc. C'est grâce à cela que nous avons pu retrouver une vie familiale normale.
Attention : je n'ai rien contre l'inclusion, mais je suis pour une inclusion sous conditions, c'est-à-dire avec une pédagogie adaptée au handicap – et je peux certifier qu'il y a des professionnels, notamment pour la surdité, qui sont qualifiés pour cela. Je ne peux pas accepter de voir certains enfants sourds qui ont un retard scolaire énorme, irrattrapable. Donc, inclusion, oui, mais avec une pédagogie adaptée et des professionnels adaptés. Je ne suis pas vraiment persuadée, par exemple, de l'apport des AVS ou des AESH : je ne pense pas que soixante heures de formation de base, même au niveau de la langue des signes, suffisent pour s'adapter à l'enfant dont on a la charge. On court le risque de voir le niveau des enfants sourds s'abaisser de plus en plus, jusqu'à être en décalage complet par rapport à celui des entendants. Bien sûr, les niveaux sont disparates aussi chez les enfants entendants, mais il faut absolument veiller à ne pas perdre en route les enfants sourds. J'ai une certaine expérience dans mon métier : j'ai vu nombre d'enfants en inclusion ou en intégration revenir en établissement spécialisé parce qu'ils n'arrivaient pas à s'épanouir ; il a fallu rattraper les choses.
Les contraintes budgétaires posent aussi problème : être en intégration sans interprète et être obligé de lire sur les lèvres toute la journée est une maltraitance, une souffrance, qui peut parfois provoquer des dépressions infantiles. Or, on peut dire tout ce que l'on veut : il est essentiel de permettre à nos enfants de progresser et d'évoluer dans un monde où ils puissent s'épanouir. On parle beaucoup d'inclusion, mais les professeurs ne sont pas tous formés et n'ont pas le bagage nécessaire. Surtout, il faut laisser aux parents la liberté de choisir, pour leur enfant, entre l'inclusion et un institut spécialisé. Je suis prête à participer à des réunions si les membres de cette commission ont besoin de débattre ou d'échanger sur ce sujet.