Je suis heureuse d'être avec vous et vous remercie pour vos travaux. Votre commission d'enquête nous aidera à éclairer davantage encore la politique dont le ministre de l'éducation nationale et moi-même avons la responsabilité et enrichira les propositions relatives au grand service public de l'école inclusive que nous bâtissons. Ce service intègre la formation professionnelle et l'enseignement supérieur, sous l'autorité du ministre, ainsi que l'enseignement agricole, que l'on oublie souvent et qui une autre voie de formation pour les jeunes en situation de handicap.
Ma collègue Frédérique Vidal s'est engagée à ce que le service public de l'école inclusive se prolonge dans tous les établissements d'enseignement supérieur, en tenant compte, bien sûr, de leurs spécificités. À cette fin, la commission académique d'accès aux études supérieures prend en compte le handicap dans le cadre de Parcoursup ; chaque université est dotée d'un schéma directeur « inclusif » ; la participation à la vie étudiante est renforcée avec le déploiement, à terme, de 2 000 volontaires de service civique – et je puis vous assurer que c'est un accompagnement de qualité. Enfin, nous avons signé avec la Conférence des grandes écoles et avec la Conférence des présidents d'université des plans d'action exemplaires allant jusqu'à la préparation de l'entrée des étudiants dans la vie active.
La loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005 a marqué une étape déterminante dans la politique nationale : le nombre d'élèves et d'étudiants scolarisés dans les murs des établissements a indéniablement augmenté. Néanmoins, je partage les conclusions du rapport de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de votre Assemblée après qu'elle a examiné la proposition de résolution tendant à la création de votre commission d'enquête : il nous faut dorénavant réussir le saut qualitatif et pouvoir observer, mesurer et évaluer notre politique. C'est le constat que Jean-Michel Blanquer et moi-même avons fait le 18 juillet 2018 en annonçant le plan d'action et la concertation « Ensemble pour l'école inclusive ». Ce saut qualitatif doit concerner toute la chaîne, depuis l'accueil de la petite enfance : les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), l'accès aux droits, à la compensation, à la scolarisation, à la formation, à l'enseignement supérieur, à l'emploi bien sûr, et même au logement. C'est le sens de la politique conduite depuis deux ans.
Depuis la loi de 2005, on s'est beaucoup concentré, à juste titre, sur les mesures de compensation individuelles ou collectives et sur le déploiement des MDPH – ces guichets uniques sont victimes de leur succès, avec 4,5 millions de demandes en 2018 et des délais d'instruction beaucoup trop longs, excédant bien souvent les quatre mois fixés par la loi. De ce fait, même si des progrès ont été réalisés, l'accent n'a pas été suffisamment mis sur le volet « accessibilité » de la loi, qui comprenait la scolarisation et l'accès aux études supérieures. On a fait de la présence des accompagnants la condition de la scolarisation des élèves, ce qui contredit le principe régissant leur mise en oeuvre et celui de l'accessibilité universelle. L'acte II de la politique de scolarisation des élèves en situation de handicap que vous appelez de vos voeux, monsieur le rapporteur, doit être celui de l'adaptation de notre organisation sociale et de l'environnement scolaire et médico-social aux besoins éducatifs particuliers de tous les élèves en situation de handicap. Ce n'est pas l'inclusion au sens ancien d'intégration qui est visée, mais la pleine scolarisation de ces élèves et étudiants. Au-delà de la question des accompagnants, notre politique inclusive doit permettre de simplifier la vie des familles et des professionnels, d'outiller les enseignants et les établissements scolaires par la formation et l'appui médico-social et, bien sûr, de diversifier les modes de scolarisation pour permettre le juste étayage.
Ce n'est pas toujours su, mais la décision d'intégrer les auxiliaires de vie scolaire comme contractuels de l'Éducation nationale est antérieure à la date de la rentrée 2003, et leur fort déploiement sous forme d'emplois aidés est postérieur aux lois Borloo de 2005, sous le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin. Leur nombre a, depuis lors, été multiplié par six, mais une constante demeure : le contrat à durée déterminée (CDD) de court terme à temps partiel concernait 98 % d'entre eux en 2017. Si un premier pas vers la professionnalisation a été réalisé en 2013 sous le gouvernement de M. Jean-Marc Ayrault, avec la création du statut d'accompagnant d'élève en situation de handicap (AESH), il a fallu attendre les années 2017 et 2018 et la décision d'accélérer l'indispensable transformation des emplois aidés en AESH pour que les AESH deviennent majoritaires. La rentrée 2019 marque la fin du recrutement en emplois aidés avec une avance de deux ans sur le calendrier prévu. De CDD d'un an renouvelables six à huit fois, nous passons à un CDD de trois ans renouvelable une fois, selon le droit commun de la fonction publique pour les contractuels que sont tous les AESH, avec une cédéisation possible.
En liaison avec le CNCPH, nous avons procédé pendant presque sept mois à une grande concertation ascendante qui a rassemblé 150 participants au cours de trente réunions, permettant 90 heures d'échanges. Je rappelle les décisions et les travaux réalisés en deux ans : à la rentrée 2017, sanctuarisation du budget des accompagnants ; en décembre 2017, lancement du plan de transformation profonde du système éducatif et médico-social ; en avril 2018, remise des quarante-six propositions du CNCPH, saisi dans le cadre du plan de transformation ; en mai 2018, rapport inter-inspections sur « l'évaluation des besoins en aide humaine des élèves en situation de handicap » ; en juillet 2018, annonce des concertations et décret portant modification des conditions de recrutement des accompagnants ; en octobre 2018, colloque international « Ensemble ! Regard international sur l'éducation inclusive », avec nos amis québécois, pour rendre compte du tour d'Europe des politiques inclusives ; d'octobre 2018 à février 2019, concertation ; de février à juin 2019, chapitre « école inclusive » enrichi par les parlementaires dans le projet de loi pour une école de la confiance ; en juin 2019, annonce des mesures instituant le service public de l'école inclusive.
Cette concertation s'est aussi enrichie des remontées du grand débat et des débats parlementaires très riches en cette matière depuis la rentrée : les travaux de la commission des affaires culturelles et de l'éducation et du groupe d'études sur l'autisme de l'Assemblée nationale, dont je salue la qualité ; les travaux parlementaires sur le projet de loi pour une école de la confiance ; votre engagement, monsieur le rapporteur, pour résoudre les difficultés de vos administrés – vingt dossiers que vous nous avez transmis en copie cachée et pour lesquels mon conseiller est intervenu auprès du ministère de l'Éducation nationale, de la MDPH et de l'agence régionale de santé (ARS). Parce que cette politique est coconstruite, il faut faire intervenir tous les acteurs.
Vous avez reçu déjà mon collègue Jean-Michel Blanquer – bientôt Mme Frédérique Vidal –, ainsi que Mme Virginie Magnant, directrice de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Je centrerai donc mon propos sur l'appui médico-social, crucial.
En premier lieu, nous simplifions la vie des familles. Jusqu'à présent, les parents étaient tenus de faire la preuve du handicap de leur enfant tous les ans, même si le handicap était définitif. D'autre part, les délais des MDPH restent indéniablement beaucoup trop longs ; je l'ai constaté cette semaine encore, lors de trois déplacements au cours desquels j'ai reçu des familles. Enfin, la charge administrative qui pèse sur les équipes des MDPH ne leur permet pas de consacrer suffisamment de temps à l'accompagnement des parents.
Ces constats expliquent les mesures prises : l'attribution jusqu'à l'âge de 20 ans de l'allocation d'éducation d'un enfant handicapé (AEEH), et l'allongement des durées de notification jusqu'à cinq ans pour l'attribution du matériel pédagogique adapté (MPA) et par cycle de scolaire pour les projets personnalisés de scolarisation (PPS). Ainsi les familles ne devront-elles plus refaire un dossier tous les ans, et les jeunes handicapés à plus de 80 % devenus adultes se verront désormais attribuer des droits à vie. Nous allons ainsi renforcer la confiance entre l'école, l'administration et les familles.
Nous voulons aussi simplifier la mise en oeuvre du PPS pour garantir le pilotage serein de la politique de scolarisation et le parcours scolaire de l'enfant. J'ai confié à la CNSA, en liaison avec les associations, la mise au point du livret de parcours inclusif et une réflexion sur le PPS de demain.
Vous avez raison, monsieur le rapporteur, nous devons disposer de statistiques fiables pour être sûrs que notre politique est la bonne. Cela passe d'abord par le système d'information commun à l'ensemble des MDPH. En 2005, pour tenir compte de l'autonomie des départements, la liberté de choix du système informatique leur avait été laissée ; il en est résulté une disparité qui nous a fait perdre dix ans. Il y a trois ans, la décision a été prise d'un système d'information commun, trois éditeurs de logiciels couvrant l'ensemble des MDPH. La CNSA a fait un travail de dentelière sur le référentiel métier et, quand j'ai pris mes fonctions, j'ai souhaité accélérer la mise en oeuvre de ce projet en investissant 25 millions d'euros supplémentaires pour aider les départements à améliorer leurs systèmes d'information respectifs, de manière qu'à la fin de l'année 2020 nous disposions enfin du système d'information commun qui permettra le pilotage au plus près des besoins et des notifications.
Nous modernisons le fonctionnement des MDPH et nous facilitons la transmission d'informations aux établissements médico-sociaux, aux caisses d'allocations familiales, à Pôle emploi, pour qu'enfin, grâce à l'automatisation des notifications, la personne handicapée ou sa famille n'ait plus à répéter sans cesse la même chose, que ses démarches et sa vie soient simplifiées. Nous sommes sur la bonne voie mais il faudra encore attendre une petite année au moins.
J'en viens aux notifications d'accompagnants et au rôle respectif des MDPH et des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL). Je le redis ici haut et fort : rien n'est changé pour les parents, c'est toujours la MDPH qui évaluera les besoins des enfants. La grande différence tient à ce que si l'enfant a besoin d'un accompagnement soutenu et continu, un accompagnant lui sera notifié avec un quota horaire ; sinon, c'est un accompagnement mutualisé qui sera notifié pour les trois fonctions que sont l'aide à la vie quotidienne, l'aide à l'apprentissage et l'aide à l'interaction avec les pairs. Je souhaite rassurer les parents de la manière la plus ferme : nous ne revenons nullement sur le principe de l'évaluation par la MDPH ; les PIAL sont l'instrument d'organisation et de coordination des moyens. Nous l'avons explicité dans les circulaires complémentaires que Jean-Michel Blanquer et moi-même avons envoyées aux recteurs et aux directeurs généraux des ARS après les avoir réunis pour la première fois en même temps, pour tenir le même discours à l'Éducation nationale et au secteur médico-social.
Qu'il s'agisse de l'évaluation, de la réception des familles, de la manière de notifier et d'accompagner, les disparités d'une MDPH à l'autre sont incontestables. L'enjeu est donc aussi de limiter ces fortes inégalités de traitement territoriales.
Pour réussir le saut qualitatif attendu, nous modifions également l'approche de la scolarisation des enfants en situation de handicap en permettant l'intervention des professionnels du handicap dans les écoles. La coopération se fera avec le secteur médico-social mais aussi avec les intervenants exerçant en libéral, sous convention. Cette évolution me conduit à souligner à nouveau l'importance du PPS qui, en mentionnant la nécessité de ces interventions complémentaires, permet à l'élève une scolarisation sereine dans le respect des compétences de chacun.
À partir de la rentrée 2019, nous créons donc les conditions d'un dialogue effectif et d'une interaction opérationnelle entre les autorités académiques – enseignement agricole compris – et le secteur médico-social, du niveau régional à l'établissement scolaire. Un « référent scolarisation » sera nommé dans chaque direction territoriale des ARS, en miroir de l'inspection académique. Nous associons les MDPH et les collectivités territoriales à la planification des dispositifs d'adaptation scolaire, dans le cadre d'un groupe technique départemental rénové dans sa composition et ses missions pour penser ensemble l'école de demain tant au niveau architectural que pour ce qui est des moyens humains. Nous créons des équipes mobiles d'intervention en appui des établissements scolaires pour mieux prendre en compte les besoins éducatifs particuliers ou les situations de crise et prévenir ainsi les ruptures scolaires. Nous modifions la loi pour permettre aux professionnels du handicap de travailler avec les enseignants et les établissements scolaires et renforcer les PIAL par un volet médico-social – des expérimentations vont avoir lieu et je vous ai apporté les circulaires envoyées aux ARS à ce sujet.
Nous visons la création de plateaux techniques dans les établissements scolaires comme il en existe au lycée Les Bourdonnières à Nantes ; des dispositifs médicoéducatifs d'appui aux établissements scolaires comme il y en a en Eure-et-Loir ; des classes d'autorégulation comme on en trouve en Charente et en Corrèze ; des établissements scolaires inclusifs tels l'école Anatole-France qui nous a accueillis, Jean-Michel Blanquer et moi-même, et le collège Jules-Renard de Laval que j'ai visité avec Jean-Michel Blanquer et le Président de la République l'année dernière. Le renforcement du volet médico-social au sein des unités d'enseignement est donc déjà une réalité : avant-hier encore, je visitais à Toulouse et à Albi des établissements d'enseignement gérés par l'Association de gestion d'établissements et services pour personnes en situation de handicap (AGAPEI).
Nous ne négligeons pas pour autant les élèves scolarisés dans les établissements médico-sociaux ou qui ont besoin d'un appui médico-social très soutenu à l'école. Ainsi, 106 000 enfants et jeunes âgés de moins de 20 ans en situation de handicap sont inscrits dans les établissements médico-sociaux – dont 6 000 au titre de l'amendement dit « Creton », pour lesquels il nous faudra trouver des solutions. Quelque 73 500 enfants sont d'âge scolaire ; 45 000 sont scolarisés en unités d'enseignement internes, 18 500 dans un établissement scolaire, souvent proche – en scolarité partagée, unité d'enseignement élémentaire ou autre dispositif – et 11 000 sont peu ou pas scolarisés, c'est-à-dire moins de neuf heures par semaine. L'ouverture, d'ici 2021, de 1 400 places en établissement médico-social, est programmée.
Notre objectif, à terme, est que tous les élèves puissent avoir un temps de scolarisation adaptée, où qu'ils soient, selon leur projet ou celui de leur famille. Pour cela, nous doublons les unités d'enseignement dans les murs de l'école ; nous faisons participer les parents à la communauté éducative ; nous développons les unités d'enseignement dans les établissements médico-sociaux – cela figure dans le programme des travaux que conduiront conjointement l'Éducation nationale et les ARS.
Nous pouvons aussi changer la donne grâce à l'intervention précoce. Le plan « maternelle » et la stratégie « autisme » au sein des troubles du neurodéveloppement visent à rendre cet objectif atteignable. Nous voulons tripler les unités d'enseignement maternelle autisme (UEMA) pour atteindre le nombre de 300 en 2022, avec un maillage fin du territoire. Nous créons 45 unités d'enseignement élémentaire autisme (UEEA) en complément du développement des unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) et des classes d'autorégulation. Nous intervenons aussi en amont de l'école avec le bonus inclusif en crèche. J'ajoute que l'abaissement à trois ans de l'âge de l'instruction obligatoire sera un vrai levier d'accélération de la scolarisation des petits en situation de handicap. Vous le savez, beaucoup se joue avant six ans ; l'étayage précoce prévient les sur-handicaps et permet de remettre l'enfant en apprentissage.
Nous souhaitons donc une différenciation pédagogique en classe, pour laquelle nous pouvons actionner des dispositifs variés. Tous les parents que je rencontre me le disent : ils veulent que leur enfant handicapé entre à l'école de la République et y trouve les réponses les mieux adaptées à sa situation, en fonction de ses besoins particuliers en matière éducative. Ce n'est pas parce que tous les apprentissages ne peuvent se faire dans la classe d'âge de l'élève que nous abandonnons la logique inclusive en dehors de ces temps. Nous devons à tous les enfants l'étayage juste, adapté à leurs besoins, pour qu'ils puissent progresser là où ils se trouvent.
Le 4 juin dernier, Jean-Michel Blanquer et moi-même avons réuni les élus locaux pour associer les collectivités territoriales à cette nouvelle donne. Ce qui fait capoter l'école inclusive, ce sont des grains de sable et, indéniablement, le besoin de locaux ; aussi devons-nous travailler en amont avec les communes. Elles ont été déjà très sollicitées pour les dédoublements de classe ; pour autant, il faut penser l'école inclusive avec des salles de rééducation et inventer des salles évolutives. Nous devons donc accompagner les collectivités locales. La proposition de créer un groupe d'architecture de l'école inclusive de demain avec des élus locaux est très intéressante ; si vous, parlementaires, voulez y participer, vous contribuerez à anticiper les besoins.
Nous allons construire, pour la rentrée 2020, un dispositif « clés en main » pour les communes, permettant aux AESH qui travaillent dans le premier degré de bénéficier à terme d'un temps de service complet. La semaine étant de vingt-quatre heures à l'école primaire, les contrats proposés aux AESH ne peuvent être des contrats à temps plein. Pour autant, certains enfants ont besoin d'un accompagnement soutenu et continu qui concerne aussi l'accès à la cantine et les activités périscolaires et extra-scolaires. Nous devons donc organiser « le deuxième temps employeur », ce qui est trop compliqué pour les petites communes. Un groupe de travail s'est attelé à cette tâche avec des fédérations d'associations qui, souvent, portent déjà le deuxième temps employeur.
Je rappelle enfin que les communes peuvent s'appuyer sur la mesure « Fonds publics et territoires » des caisses d'allocations familiales (CAF), dont le budget a été augmenté de 60 % pour la période 2018-2022 ; quelque 100 millions d'euros sont ainsi consacrés au développement d'une politique inclusive d'accès aux activités périscolaires et extra-scolaires, avec des pôles de ressources et des renforts d'équipe si besoin est.
Telle est notre ambition en faveur de l'école inclusive de demain et tels sont les moyens, le processus et le chemin que nous avons choisis pour y arriver.