Intervention de Sophie Cluzel

Réunion du mercredi 19 juin 2019 à 16h20
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées :

Je serai franche : je suis gênée d'entendre dire « c'est une classe de 23 élèves et, en plus, un élève handicapé ». Les élèves handicapés font partie des 24 élèves de la classe ; on doit cesser de les considérer comment venant « en plus ». Dire : « Ma classe est pleine, je ne le prends pas » n'est plus de mise. Ces enfants sont dans le groupe scolaire depuis la petite section de maternelle, ils ont un parcours scolaire ; on ne peut plus dire : « C'est compliqué de les prendre en plus » alors qu'ils font partie de l'ensemble des enfants scolarisés à l'école, au collège et au lycée. Cela doit être réaffirmé haut et fort.

Pour autant, nous ne devons pas nous voiler la face : s'il y a des besoins d'adaptation, il faut y répondre, ce qui peut signifier que l'enseignant doit être appuyé par des adaptations pédagogiques. C'est pourquoi nous mettons en place des « enseignants ressources » spécialisés ; de pair à pair, il est plus facile d'aider à mettre en place une pédagogie adaptée. Ils seront cent, soit un par département, à raison de cinquante cette année et de cinquante l'an prochain. D'autre part, la plateforme de ressources numériques Cap vers l'école inclusive pourra aussi outiller l'enseignant en quête de ressources pédagogiques utiles à la scolarisation de tous les élèves. En 2019, les familles ne veulent plus entendre que leur enfant en situation de handicap vient « en plus ». Nous devons donc nous adapter collectivement pour réussir leur scolarisation.

La disparité entre les MDPH est indéniable ; elle l'est aussi entre les PIAL. Aussi l'Éducation nationale a-t-elle décidé de déployer les PIAL renforcés en partant des territoires, si bien que leur cahier des charges sera certainement révisé au cours des mois qui viennent en fonction de la culture de chaque territoire. J'ai visité avec Jean-Michel Blanquer le PIAL inter-niveaux de Garges-lès-Gonesse, où un coordonnateur conjugue les PIAL de niveau scolaire. C'est une manière de faire ; tout dépend de l'étendue du territoire, et l'on peut aussi choisir une plus grande proximité. L'intelligence collective, la connaissance du territoire qu'ont les recteurs et les inspecteurs d'académie, appuyés par les référents de scolarisation des ARS, doivent nous permettre de réussir. Nous devons définir un cadre laissant aux collectivités la souplesse d'agir au plus près des écoles, des collèges et des lycées.

La maison de répit de la métropole lyonnaise est, je l'espère, la première du déploiement possible d'une par région. Cette maison n'est pas que de répit : elle dispose d'une équipe mobile d'évaluation qui se déplace à domicile pour mesurer les difficultés, apprécier l'ergonomie et évaluer comment l'on peut remobiliser les aidants. Le séjour de répit est proposé aux enfants et aux adultes, aux aidants et aux aidés, seuls ou ensemble, dans une grande souplesse. Il y a un « bon de tirage » de trente jours par an et la qualité des locaux est extraordinaire. Il s'agit d'un partenariat public-privé, un investissement que l'on analyse pour pouvoir le modéliser. J'en appelle à toutes les bonnes volontés qui ont envie de se lancer dans le déploiement de maisons de répit, qui sont de très beaux outils.

Dans le même temps, nous devons en effet travailler à l'accompagnement des aidants. Pour beaucoup, les familles avec lesquelles je me suis entretenue lors de l'inauguration de la maison de répit sont encore à la maison, sans solution ou avec des solutions très partielles, difficiles à mettre en oeuvre. Nous voulons pouvoir accompagner ces aidants ; des expériences ont déjà lieu avec des « assistants de projet de vie » qui aident les familles à assembler des solutions. Il faut y travailler avec les associations gestionnaires du secteur médico-social, penser différemment les solutions et accompagner les parcours ; on ne peut délivrer une notification à la famille en se limitant à lui dire d'aller voir tel établissement ou tel service. L'enjeu, considérable, est de s'assurer que les solutions données dans la notification, qui peuvent être multiples, sont suivies d'effet. C'est ce que les parents me disent quand je tiens des permanences dans les MDPH : « J'ai reçu une notification pour trois établissements, je n'y arrive pas, je ne comprends pas, c'est trop compliqué ». Il nous faut, en collaboration avec les associations de familles et les opérateurs gestionnaires, faire émerger le nouveau métier de coordonnateur de parcours, d'assembleur, d'assistant de projet de vie. C'est indispensable si nous voulons réussir la mise en route des processus nouveaux que sont le sur-mesure et le temps partagé.

Pour répondre plus complètement à votre question au sujet des aidants, il nous faut effectivement travailler sur l'arrêt de travail, la baisse du temps de travail, la reprise du travail, la qualification validée de l'indéniable expertise qu'ils ont acquise. On peut aussi envisager une bonification leur permettant de suivre une formation différente. Nous devons aussi favoriser leur accès à la santé, car les aidants doivent se préserver. La maison de répit de la métropole lyonnaise offre d'ailleurs la possibilité de faire du yoga et de la sophrologie aux aidants comme aux aidés ; tout est pensé en route pour remettre le « couple aidant-aidé ».

Accès aux soins, accès à la santé, formation, reconnaissance de l'expertise : ce sont autant de sujets sur lesquels nous devons nous pencher ensemble, mais je ne sais s'il faut aller jusqu'à créer un statut. Ce n'est pas enfermer l'aidant dans un statut qui m'importe, mais trouver des solutions lui permettant de sortir de son statut d'aidant de fait. J'ai rencontré une jeune fille de 19 ans qui accompagnait son père, victime d'un accident vasculaire cérébral ; la vie de cette jeune fille lui est volée. Lundi prochain aura lieu le premier congrès des jeunes aidants. Nous devons aider ces 50 000 jeunes gens, parmi lesquels des étudiants parfois obligés de mettre leurs études entre parenthèses, à sortir de leur rôle d'aidant, en trouvant des solutions d'accompagnement. Il nous faut donc définir une politique complète tenant compte de tous ces sujets, y compris une bonification pour la retraite quand la situation a pour conséquence des trous dans leur vie professionnelle.

En 2015, la France comptait 500 unités d'enseignement externalisées (UEE) et 116 UEMA et UEEA, soit 616 unités d'enseignement tous types de handicap confondus. Cela représente plus de 5 400 élèves, dont 800 en UEEA ; quelque 9 000 élèves sont en temps partagé entre médico-social et école. La structuration ARS-Éducation nationale nous donnera une vision beaucoup plus fine de toutes les conventions qui doivent encore être signées pour accélérer l'externalisation. Le temps partagé est une voie très intéressante, les familles nous le disent, mais des grains de sable grippent le système. Il faut notamment déterminer à qui revient la responsabilité des transports : est-on, dans ce cas, dans le droit commun, ou dans le droit spécifique du transport des élèves handicapés ? Peut-on envisager – en tout cas dans les zones urbaines – le recours aux transports en commun, avec un accompagnant ? Une réflexion visant à faciliter le temps partagé par l'autonomie accompagnée dans les transports est engagée avec les associations et les départements, qui ont souvent conservé la responsabilité des transports scolaires d'enfants handicapés alors que la région a autorité sur les transports scolaires – on peut d'ailleurs s'interroger sur cette particularité.

Environ 30 % des effectifs du médico-social sont dans les murs de l'école, à temps plein ou à temps partagé. La conjonction avec le médico-social existe donc déjà, et je tiens à rassurer les familles, tout comme les établissements médico-sociaux : il n'est aucunement question de les fermer, mais bien de les ouvrir. Les unités d'enseignement autisme ne sont pas concevables sans la coopération du médico-social sortant de ses murs pour aller dans l'école. La démarche est exactement le même que pour l'emploi accompagné : l'ouverture vers le milieu ordinaire grâce à l'expertise du médico-social. C'est le choix de vie des parents qui compte avant tout, mais pour sécuriser les parcours il faut ouvrir la palette des possibles et montrer que l'accompagnement vers l'école, l'accompagnement dans les transports et, pour les plus grands, l'accompagnement dans le logement, sont possibles grâce à l'appui du médico-social. La conception des choses et la manière de faire changent, mais le dispositif intégré des instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques (DITEP) fonctionne déjà ainsi ; il serait intéressant de le généraliser au sein de l'école, ce qui sécuriserait la fluidité des parcours partagés en permettant des allers-retours. Le DITEP évite aux familles de devoir repasser devant la MDPH : ce sont le médico-social et l'école qui travaillent sur le projet. La sérénité des parents passe par un PPS solide qui, en expliquant précisément le processus d'aller et retour entre médico-social et école, permet la scolarisation.

Voilà qui m'amène aux PPS, et je dirai crûment que pour l'instant, toutes les MDPH ne suivent pas le dispositif législatif prévu, qu'il faut simplifier. Le regard pluridisciplinaire doit rester à la MDPH, mais il faut améliorer la réactivité et pour cela définir les modalités d'adaptation pédagogique avant même que le PPS soit achevé, pour qu'elles s'appliquent dès que l'enfant est dans l'école. C'est le principe qui fonde le grand service public de l'école inclusive que nous bâtissons, fort des PIAL et de leurs ressources médico-sociales. Pour répondre à tous les besoins éducatifs particuliers, il nous faut simplifier les allers-retours entre les acteurs, parvenir d'abord à ce que le PPS s'impose puis à ce qu'il soit partagé par tous, ce qui permettra toutes les adaptations préconisées. L'allongement des notifications sur la durée des cycles scolaires sera un grand gain de temps pour les équipes pluridisciplinaires des MDPH, qui pourront ainsi se consacrer davantage à leur rôle d'assembleur et d'accompagnement des notifications au lieu de devoir procéder à des évaluations incessantes bien que redondantes. Chacun y gagnera.

Vous avez évoqué l'inquiétude des instituts nationaux de jeunes sourds (INJS). J'ai reçu en avril les organisations syndicales et les familles et j'ai donné mission à M. Jean-Yves Hocquet d'accompagner ces instituts dans la révision de leur projet d'établissement. Je prône l'inclusion dans les deux sens. Il faut déterminer comment ces institutions, qui ont de très beaux plateaux techniques, peuvent servir aussi leur environnement, et vice-versa. Chaque établissement y travaille dans le cadre de son projet pédagogique, pour permettre la scolarisation en temps partagé, dans les deux sens. J'ai participé hier, à l'Université Lumière Lyon 2, à la remise des Trophées Lumière pour l'entreprise inclusive créés à l'initiative de M. Charles Gardou ; nous avons remis un trophée à un ESAT qui a accueilli une entreprise en son sein. La complémentarité, la porosité des demandes, l'apport de chacun : c'est ainsi, en coopération, que se construit la société inclusive.

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