Intervention de Sophie Cluzel

Réunion du mercredi 19 juin 2019 à 16h20
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées :

Ces nombreuses questions montrent que vous êtes de fins connaisseurs de tous les rouages de la scolarisation. Dans notre vision de l'école inclusive, la place des parents est centrale. Aussi ai-je le projet de monter un réseau de groupes de parents experts, en valorisant le réseau d'expertise parentale qui existe déjà, de façon informelle, sur les réseaux sociaux. Le groupe « Focus parents » qui a travaillé sur la concertation et que j'ai reçu récemment pourrait guider les autres parents au plus près, en appui de la MDPH. Déjà, à la Maison landaise des personnes handicapées, les associations de parents tiennent une permanence ouverte. À Toulouse, où des parents se sentaient extrêmement isolés – l'isolement social est un fait indéniable –, la directrice de la MDPH a décidé de constituer des groupes de libre parole pour permettre l'échange de bonnes adresses et surtout permettre aux parents ne plus se sentir seuls. Pour redevenir un parent d'élève « tout court », un parent d'enfant handicapé a besoin de l'appui de ses pairs, de parents experts qui expliqueront quelles sont les solutions possibles.

Comme vous l'avez dit très justement, les parents ont souvent le sentiment que leur enfant n'entre pas dans la bonne case – cela été dit très nettement lors de l'inauguration de la maison de répit. C'est tout l'enjeu de la transformation des établissements médico-sociaux : pouvoir offrir une palette de solutions et en finir avec les agréments par type de handicap puisque l'état de santé des enfants ne correspond plus forcément à des agréments qui ont été donnés il y a quinze ou vingt ans et que les associations gestionnaires ont trouvé d'autres aménagements. Des prestations qui, aujourd'hui, ne sont pas servies dans l'établissement pourraient l'être ; c'est l'esprit qui sous-tend les pôles de compétences et de prestations externalisées (PCPE). Souvent, c'est le militantisme des parents qui permet de trouver des solutions. Il nous faut pouvoir les accompagner, les rassurer et prendre le relais financièrement ; les PCPE sont une manière de le faire. Hier encore, à Lyon, une association qui compte des éducateurs spécialisés dans l'autisme m'a dit s'épuiser à trouver des financements. Il faut admettre que les solutions possibles sont désormais protéiformes car elles répondent à des besoins de plus en plus complexes : passer au droit commun accompagné conduit à repenser les pratiques de travail.

Les disparités territoriales sont réelles et posent problème. La coopération des acteurs est le maître mot pour éviter à la fois les trous dans la raquette et la superposition des financements. Les établissements tels que le collège-lycée Elie-Vignal ont été des établissements expérimentaux il y a longtemps déjà. Il faut pouvoir accompagner ces dispositifs qui participent de la richesse de nos territoires.

La mission des enseignants référents de scolarisation de l'Éducation nationale est d'accompagner le parcours scolaire, de suivre la progression de l'enfant, de suivre la famille et de faire le lien entre la MDPH et l'établissement scolaire. Leur rôle diffère de celui du coordonnateur de parcours, tourné vers les parents sans solution, dont j'ai parlé précédemment. Il est exact que dans certains territoires, la charge des enseignants référents de scolarisation est beaucoup trop lourde. Le renforcement des ressources des PIAL, avec l'appui du médico-social, allégera cette charge, mais le ministre de l'Éducation nationale vous répondrait mieux que je ne puis le faire à propos de l'évolution du nombre de dossiers qui leur sont affectés.

Le règlement des établissements scolaires doit fixer les modalités de l'intervention des professionnels de santé à l'école. À mon sens, le secret professionnel n'est plus de mise : il doit céder au secret partagé par les équipes éducatives, les équipes de scolarisation et les équipes pluridisciplinaires. Mais le maître mot, c'est l'accord du parent, qui rend tout possible : c'est à lui de dire qu'il veut que l'orthophoniste travaille avec l'enseignant ou que l'accompagnant assiste à la rééducation. C'est pourquoi le PPS est indispensable, et pourquoi ce doit être un document détaillant les modalités pratiques de la mise en oeuvre du projet.

Cela étant, je vous l'ai dit, des grains de sable font buter les beaux projets : des directeurs d'école expliquent ainsi qu'ils n'ont plus de gardien pour ouvrir la porte quand un professionnel sonne. C'est pourquoi j'insiste sur l'architecture et le design des établissements d'enseignement de demain : il faut imaginer des systèmes d'ouverture des locaux ainsi conçus que les professionnels conventionnés pourront entrer et sortir seuls de l'établissement.

Que des professionnels viennent appuyer l'école dans le dépistage précoce des troubles, c'est l'enjeu des équipes mobiles d'appui que nous allons mettre en place avec les ARS ; elles ne se substitueront ni aux soignants, ni aux éducateurs, mais assisteront la communauté éducative pour enclencher cette dynamique.

Notre stratégie nationale relative à l'autisme inclut les troubles de l'attention dans les troubles du neurodéveloppement en vue d'une intervention précoce. Ils concernent 5 % de la génération considérée et supposent des adaptations pédagogiques indispensables, dont l'enseignant trouvera des exemples dans la ressource d'appui numérique, avec l'appui éventuel des équipes mobiles et des PIAL renforcés.

Les PIAL renforcés, justement, vont faire l'objet d'une expérimentation par département avant d'être développés en 2020 avec un cahier des charges précisé. Les choses seraient beaucoup plus simples si le médico-social était organisé comme l'Éducation nationale, avec une structure administrative unique par académie, mais ce n'est pas le cas : sur un même territoire, il peut y avoir de dix à vingt associations gestionnaires, certes sous la tutelle de l'ARS, mais souvent organisées par agrément, par type de handicap. Nous devons donc trouver un acteur polyvalent, ou qui accepte de faire appel à des tiers quand il n'a pas la réponse pour certains types de handicap. Les ARS vont travailler avec les associations gestionnaires à cette architecture nouvelle. L'année 2019 sera une année d'expérimentation, ce qui nous permettra, en janvier 2020, d'élaborer puis de diffuser un cahier des charges affiné. En réalité, il existe déjà des exemples de PIAL renforcé, tel le lycée Les Bourdonnières de Nantes déjà mentionné ; cela montre que nous savons faire, une fois trouvée l'association gestionnaire idoine. Le dispositif, expérimental dans un premier temps, montera en puissance de façon certainement hétérogène puisque les organisations territoriales sont diverses.

Aujourd'hui, dans l'enseignement secondaire, 3 % seulement des contrats d'accompagnant sont à temps plein ; l'objectif du ministre est de parvenir à 30 % grâce à l'organisation en PIAL. Il souhaite que les accompagnants travaillant dans le second degré deviennent des accompagnants ressources, ayant des temps fléchés sur les formations et la préparation des adaptations. Pour les accompagnants des élèves de l'enseignement élémentaire, nous devons réfléchir à la question du second employeur pour permettre aux enfants qui ont un besoin d'un accompagnement soutenu et continu d'accéder à la cantine, aux centres de loisirs, aux voyages, etc.

Actuellement, vingt pôles d'enseignement des jeunes sourds (PEJS) sont en activité. Le ministère de l'Éducation nationale veut les déployer et une réunion est organisée le 2 juillet prochain avec les associations concernées pour définir comment mailler le territoire avec tous les dispositifs existants.

Les différences de gestion des MDPH et les inégalités de traitement qu'elles entraînent sont un sujet de préoccupation majeur. Aujourd'hui, le délai de réponse, pour un enfant, peut varier de six mois selon les MDPH considérées – et plus encore pour les adultes. Il est donc indispensable d'accompagner les MDPH pour qu'elles améliorent de façon homogène leur qualification en système d'information, et c'est pourquoi, je vous l'ai dit, j'ai demandé à la CNSA, dès mon entrée en fonction, de faire du système d'information des MDPH une priorité. Mais il faut aussi former les agents pour qu'une culture commune se crée et que les équipes pluridisciplinaires montent ensemble en qualification. On a déjà demandé aux MDPH de s'adapter à de très nombreux textes différents ; maintenant, il faut parvenir à une réponse homogène. Surtout, il faut supprimer les frontières entre départements. Il n'est plus concevable que, parce que vous habitez une certaine commune, vous ne puissiez avoir accès à un établissement médico-social situé près de chez vous mais dans le département voisin. Cette assignation à résidence contrevient à l'utile péréquation des moyens de l'aide sociale entre départements que rien, dans les textes, n'empêche. Pour les enfants, les deux sujets de blocage majeurs sont effectivement les frontières départementales et les frais de transport. C'est un problème de péréquation entre départements puisque la politique relative aux personnes handicapées est partagée entre l'État et les départements.

Le dédoublement des classes profite aux élèves handicapés, c'est indéniable. Cela dit, ils font partie des effectifs ! Lors de l'élaboration de la loi de 2005, les parents avaient réclamé – ce qui était politiquement incorrect – que l'on dise qu'un enfant handicapé « vaut » deux ou trois enfants non handicapés ; ce fut l'un des freins à la scolarisation des enfants handicapés – dont nous savons tous qu'il faut plus de temps pour les enseigner. Faire passer les contrats des AESH à 35 heures dans l'enseignement secondaire est une façon de reconnaître que l'accompagnement réussi repose aussi sur tout un temps « périphérique » d'adaptations, de réunions, d'échanges avec les parents et les professionnels. M. Blanquer pense que l'organisation des PIAL permettra d'offrir un contrat à temps complet à 30 % des AESH du second degré, ce qui marquerait la reconnaissance, absente pour l'instant, de leur valeur ajoutée.

Pour ce qui est de la coopération avec le secteur médico-social, il est très compliqué pour les enseignants que d'autres adultes viennent travailler dans leur classe. C'est dire toute l'importance des formations conjointes – AESH-enseignants, équipes médico-sociales-AESH, etc. – qui se mettent en place. Nous l'avons constaté au PIAL inter-niveaux de Garges-lès-Gonesse, et cela dit l'importance de ces structures.

Je suppose que le ministre de l'Éducation nationale a répondu à vos questions portant sur la professionnalisation et je n'aborderai pas le sujet des statuts administratifs. Je puis dire, en revanche, que la professionnalisation des accompagnants exprime la reconnaissance, demandée depuis plus de vingt ans par ces contractuels, de leur appartenance à la communauté de l'Éducation nationale – cela se traduit, par exemple, par une adresse électronique. Certes, il faudra attendre encore six ans la cédéisation, mais c'est là le droit commun de la fonction publique.

Chacun en est conscient – le ministre en premier lieu : dans une ULIS, on ne peut confier plus de douze élèves à un auxiliaire de vie scolaire collectif (AVS-co) ; au-delà, on met l'ULIS en péril. Nous devons donc nous donner les moyens de réussir car dans la nouvelle stratégie de scolarisation, charger les ULIS n'a plus de sens ; le renforcement du maillage du territoire en ULIS vise précisément à augmenter l'offre. Cela étant, une difficulté peut naître des indéniables problèmes de recrutement des enseignants dans certains territoires.

Les textes existent, Je pense que nous réussirons cette école inclusive, en respectant l'ensemble et la richesse de tous les dispositifs de scolarisation, tout en donnant aux groupes scolaires, aux collèges et aux inspecteurs d'académie la faculté d'organiser au plus près la gestion des accompagnants. C'est tout l'enjeu des PIAL.

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