En principe, une telle rencontre est l'occasion d'un bilan, mais je note que vous envisagez la suite de la législature jusqu'au terme de celle-ci. Il me sera difficile de m'engager sur la totalité des points que vous avez évoqués, mais je pourrai toujours vous livrer l'état de la réflexion du Gouvernement, et nous pourrons ensuite revenir devant vous en fonction de l'avancement de nos travaux.
Permettez-moi, tout d'abord, de dresser le bilan des deux années écoulées.
Ce gouvernement est donc aux responsabilités depuis deux ans et j'ai moi-même l'honneur d'être ministre de l'Intérieur depuis neuf mois, avec M. le secrétaire d'État Laurent Nunez à mes côtés – mais aujourd'hui en déplacement en Provence.
C'est un moment approprié pour faire un bilan de l'action du Gouvernement au sujet des protections – je préfère cette expression à celle de sécurités, le champ de compétences du ministère comportant aussi des questions de citoyenneté et de sécurité civile. Nous savons de quelle actualité sont les enjeux de la gestion des incendies. Hier, dans trois départements de l'ancienne région Languedoc-Roussillon, ce sont quatorze feux qui ont été combattus par vingt avions, qui ont volé 130 heures ; cela montre l'importance d'une sécurité civile que l'on oublie trop souvent. J'ai eu l'honneur, vendredi dernier, d'être présent au baptême du premier avion Dash livré, qui a défilé le 14 juillet au-dessus des Champs-Élysées, le premier d'une série de six. Nous mesurons l'importance de nos soldats du feu aériens, qui mènent un combat dans des territoires aujourd'hui trop secs et venteux.
Le premier défi auquel est confronté le ministère, c'est le défi des moyens – en particulier ceux de nos forces de police et de gendarmerie.
La période 2007-2012 a été marquée, chacun le conserve à l'esprit, par la suppression de 12 519 postes de policiers et de gendarmes. Cela a laissé des traces, même si la précédente majorité a essayé d'y remédier à partir de 2015, avec un plan de recrutement, mouvement que le Gouvernement, en lien avec la majorité actuelle, a amplifié. Dès le début du mandat, et conformément aux engagements pris par le candidat devenu Président de la République, le Gouvernement a entamé une montée en puissance du ministère de l'Intérieur et de nos forces de l'ordre. Notre but est clair : mettre derrière nous l'inconséquence de certains et rendre à nos policiers et nos gendarmes les moyens d'agir.
Le budget 2018 a été la première illustration significative de cet engagement du Président de la République, avec une augmentation nette des crédits de la mission « Sécurités », de 1,5 % par rapport à 2017 ; cela représente tout de même 206 millions d'euros. Cette augmentation fut encore accentuée en loi de finances pour l'année 2019, avec une croissance de 344 millions d'euros des crédits, soit une hausse de 2,6 %.
Parallèlement, nous avons lancé le recrutement de 10 000 policiers et gendarmes ; 2 000 postes ont été créés, comme prévu, en 2018, et 2 500 le sont cette année – je parle bien de créations nettes d'emplois, pas simplement de recrutements pour compenser les départs à la retraite, bien plus nombreux.
Pour ces forces de l'ordre, il fallait aussi des équipements à la hauteur. C'était l'une des carences du plan de 2015, qui n'avait pas lié recrutements et équipements. Aujourd'hui, des équipements sont systématiquement votés en crédits budgétaires et cela se traduit concrètement. Des protections nouvelles, des tablettes NEO, des caméras-piétons ont été livrées. Si je ne dois vous donner qu'un exemple, ce sera celui des 6 000 véhicules neufs commandés en 2018 et des 5 800 véhicules programmés et budgétés en 2019. C'est le double des achats de 2012, pourtant déjà supérieurs à ceux des années antérieures.
Les moyens supplémentaires sont importants – et le rôle du Parlement est aussi d'en contrôler l'usage et la bonne affectation –, mais, ce qui compte, c'est le cap, que je définis ainsi : forger la sécurité du XXIe siècle, une sécurité adaptée aux nouveaux usages comme aux menaces persistantes.
Parmi les menaces figure, évidemment, la menace terroriste, que vous avez évoquée, madame la présidente. Depuis 2015, personne n'a baissé les bras. Le Gouvernement s'est emparé de la question dès le début de la législature. La loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme a amélioré le suivi des individus dangereux et les capacités d'enquêtes, elle permet également de fermer les lieux de cultes qui se transformeraient en incubateurs de haine. Notre vigilance est permanente.
Il me paraît également important de souligner la volonté du Président de la République de renforcer le renseignement et d'affirmer – petite révolution d'une grande efficacité – le rôle de chef de file de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) dans la lutte contre le terrorisme. Rappelons aussi la création que vous avez votée, mesdames et messieurs les députés, de 1 900 postes dans le renseignement avant la fin du mandat.
En amont, nous menons une lutte renforcée contre la radicalisation, en lui consacrant 29 millions d'euros par an et en améliorant notre partenariat avec les maires.
Notre vigilance est totale. La propagande de Daech continue à susurrer la haine. Ne croyons pas que le risque est derrière nous : il demeure présent. Certes, il est devenu moins exogène et plus endogène qu'au cours des années précédentes, mais, l'attentat de Lyon nous l'a rappelé, le terrorisme peut encore frapper. Il est donc hors de question de baisser la garde et nos moyens sont pleinement mobilisés.
Nous nous sommes saisis également de la question de la sécurité de tous les jours pour les Français. Nous avons lancé, au mois de février 2018, la police de sécurité du quotidien, dont je résumerai ainsi l'objet : une sécurité sur mesure et une sécurité du lien. Le sur-mesure, c'est affirmer qu'il faut bâtir une sécurité qui s'adapte à chaque territoire et chaque type de criminalité. C'est laisser des marges de manoeuvre au terrain, c'est bâtir des stratégies locales de sécurité adaptée. Quant au lien, c'est le lien avec les habitants, c'est permettre aux policiers et aux gendarmes de renouer pleinement avec l'essence de leur engagement : le terrain, le contact avec les populations. C'est aussi le lien avec tous les acteurs de la sécurité. Je pense évidemment aux polices municipales – j'ai réuni, mardi dernier, avec son président Christian Estrosi, la commission nationale des polices municipales – et aux acteurs privés, dont le rôle est réel. Plus largement encore, je pense aux bailleurs sociaux, aux services sociaux, à la justice, à l'éducation nationale, aux associations de quartier, nos associations culturelles et sportives, avec lesquelles nous devons renforcer des partenariats, bâtir des liens réels et solides – ce que vos collègues Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot appellent le « continuum de sécurité ».
Depuis un an et demi, cette police de sécurité du quotidien se met en place. Les initiatives sont multiples et diverses. Chacun de mes déplacements dans les territoires me permet de constater cette capacité d'adaptation et d'invention, qui est essentielle. Il faut sortir de la logique selon laquelle il faudrait toujours plus d'effectifs et viser à des réponses adaptées, par exemple avec des modifications d'horaires et de modes de transports. Il faut aller au contact des difficultés mais aussi au contact des gens, dans tous les moments de la vie, pas simplement les moments de difficulté.
La police de sécurité du quotidien, enfin, c'est un outil de reconquête républicaine. Ce sont, évidemment, des effectifs où il en faut, là où la République est parfois concurrencée par les trafics ou la radicalisation – car, appelons un chat un chat, c'est ce qui se passe effectivement dans certains quartiers. C'est la raison pour laquelle mon prédécesseur avait identifié quinze quartiers de reconquête républicaine (QRR) l'année dernière. Des premiers résultats sont constatés, nous voulons les amplifier, en déterminant trente-deux QRR supplémentaires, moyennant une accélération du processus, l'objectif étant de parvenir à soixante quartiers au terme de la législature. Du sur-mesure, de la proximité, des moyens localisés sur le territoire… Lorsque l'on augmente de 10 à 30 les effectifs de police sur le terrain, cela se voit ; dans tous les quartiers où j'ai eu l'occasion d'aller, les élus, de toutes sensibilités politiques, sont les premiers à le souligner.
Ensuite, pour protéger les Français face aux menaces de demain, j'ai fixé des priorités : la lutte contre les stupéfiants et la lutte contre toutes les violences.
Les trafics de stupéfiants sont un mal de la décennie. Ils continuent à augmenter, à se diversifier. Ils représentent entre 3,2 et 3,9 milliards d'euros de chiffre d'affaires, mais ils irriguent aussi toutes les autres formes de délinquance. Ils peuvent briser des familles et détourner durablement des jeunes de la société française où ils ont leur place.
Entre 2000 et 2017, le nombre de trafics constatés par les forces de sécurité intérieure a plus que doublé et les méthodes des dealers se sont adaptées à vitesse grand V. Je ne veux pas vous donner trop de chiffres, mais nous sommes passés de 4 500 trafics et 7 600 mis en cause en 2000 à 10 600 trafics et 14 600 mis en cause en 2017. Il faut donc nous organiser mieux pour frapper fort, pour démanteler les réseaux des pieds à la tête.
C'est pourquoi, comme l'a évoqué le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, je dévoilerai bientôt, avec Nicole Belloubet et Gérald Darmanin, un « plan stup » articulé autour de trois priorités.
La première est de réorganiser les services de lutte antidrogue pour plus de coordination et d'efficacité, car il est insupportable que tous les acteurs, alors qu'ils font un travail formidable, oeuvrent « en silo », ne se parlent pas. Le premier enjeu était de rassembler au sein du ministère de l'Intérieur les acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants ; cela n'a pas été simple, mais c'est fait. Le deuxième enjeu, c'est de considérer que tous les acteurs ont une responsabilité et peuvent contribuer à une enquête globale, rompant avec notre tropisme antérieur. Il fallait saisir du volume, faire du chiffre, ce qui, selon moi, n'a pas d'intérêt. Certes, c'est spectaculaire, mais ce n'est pas forcément efficace ; c'est la filière dans sa globalité qu'il faut frapper. C'est la raison pour laquelle, sous l'autorité des procureurs, les enquêtes doivent associer l'ensemble des acteurs : douaniers, policiers, gendarmes, services de Bercy – nous devons travailler sur le front financier. Il n'est pas normal que 10 % des saisies seulement soient liées au trafic de stupéfiants. On sait bien que les montants n'ont pas de rapport. Il faut frapper au portefeuille, il faut que Bercy – le ministère de l'économie et des finances, Tracfin et d'autres acteurs – ait toute sa place dans le dispositif. Voilà pour la coordination et l'efficacité.
La deuxième priorité est de mener des actions plus ciblées et plus fortes dans les territoires les plus touchés. De grandes plateformes métropolitaines organisaient le trafic. Aujourd'hui, il est présent dans des villes intermédiaires, avec des fonctions spécifiques, et dans les petites communes, avec les dealers. Il faut vraiment travailler sur les différents niveaux territoriaux, de la cage d'escalier à l'international. Cela implique de changer notre façon de procéder.
La troisième priorité est de traduire en justice plus efficacement ceux qui vivent des trafics de drogues, en recourant à toute la panoplie des sanctions, y compris les saisies immobilières et les saisies financières.
Ensuite, je veux mettre l'accent sur la lutte contre les violences.
Il y a, évidemment, les violences organisées, qui traumatisent des quartiers entiers, comme les règlements de comptes ou les rixes ultraviolentes entre bandes rivales – l'automne dernier, deux mineurs ont perdu la vie, dans le nord-est de Paris. Il y a aussi des violences qui n'ont même plus une once de fondement. Je refuse qu'en France on puisse être « passé à tabac » pour un regard ; or c'est ce qui arrive. Il nous faut donc agir. Il n'est pas nécessaire de dramatiser ni d'hystériser, il faut simplement se battre. Ces constats nous ont amenés, dès le mois d'octobre dernier, à réactualiser le plan de lutte contre les bandes. Nous allons continuer à mener une lutte contre les bandes, et établir un plan d'action, comme l'a annoncé le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, contre toutes les violences gratuites. La doctrine a déjà changé, et porte ses fruits. Nous sommes passés d'une observation des bandes, dans le cadre d'un plan élaboré en 2010, à une observation individuelle de celles et ceux qui les composent. L'objectif est un surcroît d'efficacité. Ainsi, il a été procédé à dix-sept interpellations à la suite des bagarres survenues le jour de l'inauguration de la Fête des loges, à Saint-Germain-en-Laye,
Enfin, il y a ces violences inacceptables, révoltantes, à l'encontre des femmes, en particulier les violences au sein des couples. Beaucoup a déjà été fait : plus d'un millier de policiers ont été spécialement formés et chaque groupement de gendarmerie dispose d'une brigade de protection des familles. Nous avons développé des dispositifs d'accompagnement pour les victimes et formé policiers et gendarmes pour préparer leur accueil. Nous avons lancé un plan de recrutement, notamment, de psychologues. Nous devons cependant aller encore plus loin. Certes, le nombre de femmes mortes sous les coups de leur mari a pu baisser au cours des dernières années, mais il reste beaucoup trop élevé. Un « Grenelle des violences conjugales » sera donc organisé, sous l'autorité du Premier ministre, au mois de septembre, avec des objectifs clairs et évidents. La parole doit se libérer ; c'est fait, mais cela ne suffit pas. Les victimes doivent être mieux prises en charge et séparées de leurs agresseurs. Les responsables doivent être traduits devant la justice.
Enfin, quand je parle de sécurité des Français, je parle, bien sûr, de maintenir l'ordre républicain. Nous venons de traverser, vous le savez, une crise d'une très rare intensité. N'ayons cependant pas la mémoire courte. Je relisais, il y a quelques heures, pour préparer une réunion, la lettre que le candidat Emmanuel Macron avait envoyée aux policiers de France pendant la campagne pour l'élection présidentielle. Elle commençait par ces mots : « Nous venons de traverser, vous le savez mieux que quiconque, une crise d'une rare intensité. » Je m'aperçois que j'emploie les mêmes mots devant vous, mesdames, messieurs les députés, car, depuis une dizaine d'années, les atteintes à l'ordre public s'expriment sous une forme plus radicale. Que l'on songe au sommet de l'Organisation du Traité de l'Atlantique nord (OTAN) de Strasbourg, aux manifestations contre la loi dite El Khomri, au moment desquelles près de 200 parlementaires de la majorité avaient été victimes de différentes formes d'agression… On parle des gilets jaunes, mais des précédents restent en tête, comme certains 1er mai, ou de grands événements sportifs émaillés de violences de rue, devenues trop banales et face auxquelles nous devons nous préparer, agir, nous mobiliser.
Nous avons changé notre doctrine au mois de décembre dernier, changement amplifié, notamment, par une loi que vous avez adoptée à la suite des événements du mois de mars. Nos forces sont désormais plus mobiles, plus autonomes, plus réactives. Elles obéissent à une consigne claire : stopper immédiatement les violences et en interpeller sur-le-champ les auteurs.
Ce que je retiens de cette période, c'est que jamais la violence n'a été aussi forte, même si elle s'est banalisée au fil du temps, et jamais les institutions aussi menacées. Nous n'avions pas connu cela, des personnes, des parlementaires menacés. Les violences et les menaces se sont aggravées, les institutions ont été visées. Chacun se souvient de l'incendie de la préfecture du Puy-en-Velay, lors duquel les pompiers ont été empêchés d'intervenir, alors même que des agents de la préfecture s'y trouvaient encore. Et ce n'est malheureusement qu'un exemple parmi de nombreux autres. Tout à l'heure, en conversation téléphonique avec le préfet de l'Aude pour évoquer la lutte contre les feux qui se sont déclarés, j'avais à l'esprit ce qui s'est passé tant à la préfecture de Carcassonne qu'à la sous-préfecture de Narbonne.
En tout cas, celles et ceux qui voulaient faire tomber les institutions, celles et ceux qui voulaient faire tomber la République ont pu constater, depuis le mois de novembre dernier, que leurs efforts étaient vains. Nos forces de l'ordre ont tenu bon et, je n'ai pas peur de le dire, c'est grâce à elles que la République n'a pas plié. Je le dis avec une certaine solennité. Cela a pu échapper à certains incendiaires verbaux, et trop souvent verbeux, mais une chose est sûre : nos forces de l'ordre ont été là, et la République n'a pas plié.
Ce mouvement est une preuve supplémentaire de la nécessité d'une réponse adaptée. C'est la raison pour laquelle, après une gestion « à chaud » de la crise, nous avons lancé une révision du schéma national du maintien de l'ordre. Nous devons revoir nos méthodes de gestion, y compris la gestion du matériel. Par exemple, les engins lanceurs d'eau sont très présents en Allemagne, peu en France. Cela fait partie des questions ouvertes, et nos choix devront se traduire dans le budget que j'aurai l'honneur de vous présenter dans quelques semaines.
Cette réflexion sur le schéma national d'ordre public a été lancée et progresse bien. Vous avez, madame la présidente, désigné un parlementaire pour siéger au cours d'une journée de travaux qui y sont consacrés. Je pense qu'il serait bon, le moment venu, que je puisse, avec Laurent Nunez, venir vous présenter ce schéma.
Je veux aussi parler des conditions de travail, et des moyens nécessaires pour qu'elles soient bonnes. Le ministère de l'Intérieur doit relever de nombreux défis humains et structurels. Je pense aux enjeux d'organisation, aux heures supplémentaires, au temps de travail, à la fidélisation dans les missions et dans les régions ; rien ne serait plus dangereux que de traiter ces questions avec des solutions toutes faites et qui n'auraient pas fait l'objet d'une concertation. C'est pourquoi j'ai pris mes responsabilités et, avec Laurent Nunez, nous menons un dialogue riche avec les organisations syndicales mais aussi avec les représentants des gendarmes, qui, sous des statuts différents, sont aussi des acteurs de ce dialogue social que nous devons organiser.
Quand je parle de question humaine, je veux dire aussi un mot de la question des suicides parmi les forces de l'ordre. Chaque suicide est un drame collectif, un échec collectif. Le suicide est une question qui nous tient tous à coeur, qui me tient tout particulièrement à coeur. J'ai eu l'occasion de m'exprimer sur ce sujet dès ma première rencontre avec les gendarmes, lors des voeux de début d'année. J'ai annoncé l'ouverture de ce chantier important, et, au mois d'avril dernier, des mesures supplémentaires telles la création d'un numéro de téléphone disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et une vaste campagne de formation et de sensibilisation. J'ai annoncé aussi, et installé le 29 avril, une nouvelle entité : la cellule alerte prévention suicide. Son rôle n'est pas de répondre au téléphone, il est d'animer le ministère pour que, partout, on parle de la prévention du suicide. Ses membres se projettent sur les territoires, travaillent sur la question de la formation des agents, ils incarnent une pression constante de l'autorité – la mienne – pour que ce sujet ne soit jamais mis de côté.
Mesdames, messieurs les députés, tous ces défis que je viens d'évoquer montrent une menace aux mille visages et aux mille évolutions, dont nous pourrions parler pendant des heures. Nous devons y parer.
C'est parce que nous avons besoin d'un état de la menace et d'une capacité d'anticipation forte que nous allons bâtir, dès cet été, un Livre blanc de la sécurité intérieure. Il visera à poser les bonnes questions : demain, quels moyens pour quelles menaces ? Les réponses sont nettement plus compliquées que les questions… Après cette analyse en profondeur, nous pourrons construire une nouvelle loi de programmation de la sécurité intérieure définissant des orientations et les moyens adaptés. Ce texte aura pour but de graver dans le marbre de la loi la montée en puissance du ministère, dans les objectifs et les moyens financiers, et les nouveaux dispositifs nécessaires pour la protection de tous les Français. Je rappelle que les crédits du ministère ont augmenté de 1 milliard d'euros sur les deux exercices précédents, un effort qu'il faudra maintenir, je le sais, pour le budget 2020 – mais nous en reparlerons.
J'aimerais dire un mot de la sécurité routière, car nous avons agi fortement dans ce domaine ; chacun l'a évidemment en tête. Le 9 janvier 2018, à l'occasion du comité interministériel de la sécurité routière, le Premier ministre avait dévoilé dix-huit mesures pour sauver plus de vies sur la route – j'insiste sur leur nombre. Beaucoup d'entre elles sont déjà appliquées, d'autres le seront une fois le projet de loi d'orientation des mobilités promulgué. Certaines évolueront aussi à la suite de cette promulgation.
Je ne me lancerai pas dans un catalogue de ces mesures. Notre stratégie est simple : travailler en commun, accentuer notre effort pour la prévention et l'éducation, notamment des plus jeunes, et mieux sanctionner les comportements dangereux, en particulier l'alcool et le téléphone au volant.
Chacun songe à la limitation de la vitesse à 80 kilomètres-heure sur certaines routes. Si l'on considère ce qui s'est passé sur nos routes ces cinq dernières années, cette mesure a permis de sauver 206 vies. On peut toujours contester ces chiffres, mais alors on peut contester tous les chiffres. Pour ma part, je fais confiance à ceux qui établissent ces statistiques. Ce sont des professionnels de la route, qui n'ont qu'une ambition : non pas faire des coups de communication ni des déclarations à l'emporte-pièce, mais faire un état des lieux de l'efficacité d'un dispositif. Ce nombre de 206 vies sauvées est loin d'être négligeable. Et, sans cette vague inacceptable de dégradations et de destruction des radars, il aurait été supérieur.
Néanmoins, nous avons été sensibles à la demande de modulation de cette mesure sur le territoire et, comme vous, mesdames, messieurs les députés, nous avons décidé de ne pas remettre en cause une disposition d'initiative sénatoriale qui permettra, après différentes études, aux présidents des collectivités locales compétentes de remonter la limitation de vitesse sur certaines voies. Ils en assumeront toute la responsabilité.
Nous consacrons désormais un budget exceptionnel à la sécurité civile, à la hauteur des risques et des besoins, un budget qui nous permet notamment des livraisons de matériel importantes. J'évoquai notamment le Dash, intervenu pour la première fois hier. Ce sont six avions Dash qui permettront une montée en puissance dans la lutte contre le feu. Le Dash est le couteau suisse en la matière. Sa capacité de projection est essentielle pour préparer l'avenir : si la zone de feu est aujourd'hui le sud de la France, ce sera, en 2030, toute la France au sud de la Loire. Il nous faut donc des avions dotés d'une capacité de projection. C'est le cas du Dash, qui vole à 760 kilomètres-heure, et peut déverser du produit retardant sur une surface de 100 mètres de large sur 700 mètres de long. Or, vous le savez, une intervention au cours des dix premières minutes d'un incendie permet de le neutraliser. C'est donc à ce moment-là qu'il faut intervenir. Ces six Dash représentent un effort financier important de 380 millions d'euros, que vous avez autorisé et que nous poursuivrons. Un Dash sera livré au début de l'année prochaine, et un autre au cours de cette même année. Leur fabrication par le prestataire auquel nous les avons commandés, au Canada, a déjà commencé. Je pense que c'est aussi la meilleure façon de montrer notre soutien aux collectivités locales, à tous ces acteurs qui façonnent les paysages et qui détestent ce qui se passe aujourd'hui. Je vous rappelle qu'à cette date, la superficie brûlée depuis le début de l'année est très nettement supérieure à la totalité de la superficie brûlée au cours de toute l'année dernière, durant laquelle les feux de forêt ont été moindres : cette année, ce sont 3 300 hectares qui ont déjà brûlé.
La question de l'immigration est coeur des priorités de ce gouvernement depuis dix-huit mois, au coeur des priorités de Laurent Nunez et moi-même.
Cela se traduit par une augmentation très nette des crédits consacrés à la mission « Immigration, asile et intégration », qui, représentaient, pour l'année 2018, 1,383 milliard d'euros, en augmentation de 26 % par rapport à 2017, augmentation confirmée en loi de finances initiale 2019, avec, cette fois, une hausse de près de 25 %, soit 311 millions d'euros supplémentaires. Il importe de l'avoir à l'esprit avant de débattre de la qualité de l'accueil, de la qualité de l'intégration ou d'autres sujets.
Les enjeux financiers sont donc considérables mais paradoxaux compte tenu de la situation en Europe : alors que le phénomène de migration diminue très fortement partout sur le continent, et avec lui le nombre de réfugiés et de demandes de protection, il augmente en France. Cet élément mérite aussi d'être intégré. Les engagements financiers extrêmement lourds qu'il implique pourraient être mobilisés pour la sécurité civile, la police ou la gendarmerie, compte tenu des trois premiers points que j'ai abordés.
C'est un choix politique que nous faisons, mais que nous subissons lorsque les demandes de protection sont en très forte augmentation, alors même qu'elles ne sont pas forcément organisées comme peuvent l'être les relocalisations. Ces dernières emportent systématiquement notre choix, par exemple pour les bateaux qui accostent en Europe. Peu m'importent les commentaires politiques que l'on entend à ce propos : la France répond systématiquement présente, aide les autres pays, notamment Malte, à accueillir des demandeurs d'asile et les relocalise. Quand nous le décidons, nous savons répondre de façon généreuse ; c'est la générosité que nous devons à ceux que nous protégeons. Toutefois, nous devons garder en tête que ceux qui utilisent le chemin de la demande d'asile et de la protection alors même qu'ils savent ne pas y avoir droit commettent un détournement de fait, contre lequel il faut lutter.
Contre l'immigration irrégulière, nous devons mener le combat sur tous les fronts. Nous le faisons, d'abord, contre les filières de passeurs. En 2018, 321 de ces filières ont été démantelées, ce qui représente une augmentation significative par rapport à 2017. Près d'un millier de personnes ont été déférées et frappées de peines généralement significatives.
Ensuite, nous assumons une politique d'éloignement ferme et efficace. Cette politique fait débat, elle peut être critiquée : c'est le propre du débat politique. La loi relative à l'asile et à l'immigration a permis de raccourcir les délais d'instruction des demandes d'asile et d'allonger la durée maximale possible de la rétention, afin de rendre effective la mise en oeuvre des décisions d'éloignement. À cet égard, nous devons améliorer encore tant la rapidité de l'instruction que l'efficacité des décisions d'éloignement. Dans le même temps, les moyens consacrés aux éloignements ont été renforcés, avec 480 places supplémentaires dans les centres de rétention administrative (CRA) entre 2018 et 2020, et 2,6 millions d'euros de plus entre cette année et l'année prochaine affectés à la réfection des CRA, car ces derniers font l'objet de nombreuses dégradations, qu'il faut réparer. Quand une personne n'a pas le droit de rester en France, la placer dans un CRA est la meilleure façon d'assurer sa reconduite à la frontière ou son retour dans son pays.
Les effets de ces mesures sont visibles : en 2018, elles ont permis une augmentation du nombre d'éloignements de 13,6 % et une hausse de 10 % de celui des éloignements forcés. Au total, entre ces éloignements, les départs volontaires et les départs spontanés, ce sont plus de 30 000 étrangers en situation irrégulière qui ont quitté le territoire national en 2018, soit une augmentation de 22 % par rapport à 2016.
Toutefois, comme je vous le disais, la France doit être exemplaire aussi en matière d'intégration. Nous avons renforcé le parcours civique, doublé le nombre d'heures d'enseignement de français et, cette année, augmenté de près de 50 % les crédits du ministère pour l'intégration. Nous avons aussi fortement augmenté les capacités d'accueil pour les demandeurs d'asile. Le parc est passé, depuis 2015, de 50 000 à 100 000 places. Autrement dit, il a doublé. Chacun doit avoir en tête cette réalité physique et budgétaire.
Le débat sur notre politique migratoire appartient à tous. C'est donc une bonne chose qu'un débat spécifique sur cette question se tienne à l'Assemblée nationale, fin septembre, la date exacte restant à arrêter. Il est important que nous avancions sur le sujet. Je me tiendrai à la disposition des parlementaires, et de la commission des Lois en particulier, pour le préparer. Je prendrai également l'initiative de réunir, s'ils le souhaitent, tous les présidents de groupe des deux chambres pour étudier avec eux la meilleure façon d'éviter de tomber dans certaines caricatures que le sujet est de nature à susciter.
Relever le défi des migrations nécessite de mener une campagne commune à l'échelle des États européens. C'est la raison pour laquelle je suis pleinement investi auprès de nos partenaires pour remettre à plat le système Schengen, conformément aux engagements du Président de la République. J'ouvrirai le débat sur cette question avec mes partenaires et collègues ministres de l'Intérieur européens dès demain soir, à Helsinki, pour que nous allions vite. Nous voulons à la fois plus de solidarité et des règles communes en matière d'asile, ce qui n'est pas le cas à présent : il y a de véritables anomalies d'un pays à l'autre en Europe. Nous voulons une gouvernance rénovée, un Conseil européen de l'asile et de l'immigration et une montée en puissance de FRONTEX plus rapide que celle qui a été envisagée.
J'en termine en évoquant la nouvelle organisation territoriale de l'État et une nouvelle étape dans la décentralisation, que le Président de la République a souhaitées, comme vous le savez. Le Premier ministre commence à mettre en oeuvre ces orientations, notamment en ce qui concerne l'organisation territoriale de l'État. Notre objectif est simple : assurer un meilleur service public aux citoyens et une meilleure présence de l'État partout sur le territoire. Notre méthode l'est tout autant : conforter l'échelon départemental, alors que, il y a quelques années, c'est l'échelon régional qui était monté en puissance, sous l'autorité de Bernard Cazeneuve. Nous revenons en arrière aujourd'hui, car l'approche départementale permet une proximité que nous n'avons plus. Nous entendons aussi conforter le rôle des préfets comme « assembliers » de l'ensemble des missions interministérielles, de manière à avoir un interlocuteur unique, notamment pour les élus.