Intervention de Christophe Castaner

Réunion du mardi 16 juillet 2019 à 16h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur :

Monsieur Houbron, s'agissant des violences faites aux femmes, j'approuve totalement vos propos, et je veux profiter de votre question pour rappeler les chiffres. Nous ne parlons pas de quelques cas isolés, puisque 149 personnes sont décédées en 2018 sous les coups de leur partenaire. Elles étaient 151 en 2017 et 157 en 2016. La tendance est donc à la baisse, mais la situation reste inacceptable : 149 personnes, ce sont 149 personnes de trop. Les femmes sont très majoritaires, puisqu'elles sont 121, mais on compte aussi 28 hommes.

On entend trop souvent des femmes raconter que, lorsqu'elles sont allées frapper à la porte d'un commissariat ou d'une gendarmerie, elles n'ont pas été suffisamment écoutées et protégées. Ce manque d'écoute est parfois responsable d'une mort violente et, même lorsque ce n'est pas le cas, il est inacceptable. La semaine dernière, je me suis exprimé sur cette question devant les préfets et j'ai invité Mme Marlène Schiappa à s'exprimer, elle aussi. Dans mon discours, qui était aussi une feuille de route, j'ai demandé aux préfets de faire savoir sur tout le territoire qu'il n'était pas acceptable qu'une personne qui a le courage de s'adresser à la gendarmerie ou à la police ne soit pas écoutée.

Nous avons formé des gens, mis en place des correspondants départementaux d'aide aux victimes, des correspondants locaux et des référents violences conjugales, qui sont présents dans les commissariats, au nombre de 174. Dans la gendarmerie nationale, nous avons nommé 100 officiers adjoints chargés de la prévention, qui sont aussi les correspondants départementaux de ce combat. Au total, nous avons maillé le territoire de 1 740 gendarmes qui sont en charge, dans chaque communauté de brigade, d'assurer le bon accueil, la bonne instruction, la bonne alerte.

Il faut aussi que ces gendarmes soient appuyés et qu'ils puissent proposer un accompagnement aux personnes qui viennent les trouver. Actuellement, 261 travailleurs sociaux interviennent en commissariat et en gendarmerie. Par ailleurs, 73 psychologues sont recrutés ou en cours de recrutement, qui tiennent des permanences et font le tour des différents sites pour sensibiliser les forces de sécurité intérieure et pour intervenir en cas de besoin. Des permanents d'association interviennent également.

Vous m'avez interrogé sur le portail de signalement des violences sexuelles et sexistes, que nous avons installé, le 27 novembre 2018, avec Nicole Belloubet et Marlène Schiappa. Il est tenu par des policiers et des gendarmes et il a déjà donné lieu à 3 400 échanges. Pour ceux qui ne connaissent pas ce système, il s'agit d'un chat : vous communiquez avec un interlocuteur, sans forcément savoir qui il est, et sans qu'il sache forcément qui vous êtes. Cet échange n'aboutit pas nécessairement au dépôt d'une plainte, mais la mission des policiers et des gendarmes est d'accompagner la personne qui s'adresse à eux vers la bonne décision et, en cas de violence, le dépôt de plainte doit être systématique, car la violence n'est pas acceptable.

Une enquête de gendarmerie ou de police peut aussi être lancée, qu'il y ait ou non une plainte. Les 3 400 entretiens que j'ai évoqués ont conduit à un millier d'échanges et de discussions. Il faut aller encore plus loin dans la sensibilisation. La mobilisation citoyenne sur ces sujets contribue aussi à la prise de conscience : c'est un warning pour tous les policiers et tous les gendarmes. Les victimes doivent recevoir un accompagnement différencié, en fonction de leur profil, des violences qu'elles ont subies et de la situation dans laquelle elles se trouvent. C'est une question très difficile, qui nécessite une formation spécifique, et nous y travaillons activement. La loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a déjà permis d'aggraver 391 condamnations. On a beaucoup parlé de l'introduction de la contravention et du procès-verbal, mais des condamnations pour violences conjugales en présence de mineurs ont également été aggravées, grâce à la loi que vous avez votée.

J'en viens, monsieur Reda, à votre question sur le trafic de stupéfiants. Celui-ci constitue effectivement la première économie criminelle de la France. Il représente 24 milliards de chiffre d'affaires en Europe et on estime que son volume est compris entre 3,1 et 3,9 milliards d'euros en France. Dans certaines cages d'escalier, il peut représenter 50 000 euros par jour, avec toutes les conséquences que l'on connaît.

Entre 2006 et 2016, le nombre global de patients traités pour des pathologies liées au cannabis a augmenté de 76 % dans notre pays, et le nombre de consommateurs de cocaïne a bondi de 160 %. Au moment d'aborder la question de la dépénalisation ou de la légalisation, il faut avoir ces chiffres en tête. Il me semble d'ailleurs qu'une réunion a lieu en ce moment même, dans la salle voisine, sur cette question.

Je me suis déjà exprimé sur ce sujet et je veux rappeler ma position. Il m'est arrivé, notamment en analysant la situation de Marseille à l'occasion des élections régionales, de penser que la dépénalisation était un moyen de mettre un terme aux trafics souterrains qui pourrissent les quartiers. Mais je crois désormais que ce n'est pas la bonne solution. Dans les quartiers, aujourd'hui, on ne vend pas que du cannabis, mais toutes sortes de drogues. Dans certaines cages d'escalier, un panneau indique le prix des différents types de cannabis, mais aussi celui de la cocaïne, de l'héroïne et d'autres substances chimiques. Vendre le cannabis en pharmacie ne réglerait pas ce problème. Par ailleurs, le taux de tétrahydrocannabinol (THC) présent dans le cannabis est passé, en vingt ans, de 6 ou 7 % à 29 %. Si l'on décide demain de dépénaliser le cannabis, il faut avoir à l'esprit que l'on vendra du cannabis avec un taux de THC à 7 %, ce qui ne correspond pas à l'usage actuel.

Cela étant, le débat que vous avez ouvert est légitime. Une chose est sûre, c'est que nous avons l'une des législations les plus dures – et non la plus dure, comme cela a pu être dit –, mais qu'elle n'empêche pas l'augmentation de la consommation de stupéfiants, et de ses dégâts. Nous devons donc débattre de cette question. La position du Gouvernement consiste à appliquer la loi que vous avez votée, qui figurait dans le programme d'Emmanuel Macron et qui prévoit une amende forfaitaire délictuelle. La loi a été votée il y a peu de temps et nous sommes en train de travailler avec la garde des Sceaux à rendre cette amende opérationnelle. Nous serons prêts à l'automne.

Permettez-moi aussi de vous donner mon opinion très personnelle. Il faut faire attention sur un point : on banalise l'usage du cannabis en considérant que ce n'est peut-être pas très grave en fin de compte. Or tout le monde sait, et il faut agir de manière responsable, que les dégâts peuvent être majeurs pour les moins de vingt-cinq ans : cela peut handicaper une vie entière.

En ce qui concerne Annemasse, je ne vais pas pouvoir entrer dans les détails et j'espère que vous m'en excuserez. Il y a aussi un problème de fidélisation dans ce territoire, même s'il est différent de celui que M. Peu a évoqué. Il s'agit d'une zone frontalière, où les prix immobiliers sont extrêmement élevés, ce qui explique en partie le problème. Le coût de la vie et la concurrence du marché du travail genevois, y compris pour les questions de sécurité, font que nous n'arrivons pas à pourvoir un certain nombre de postes – ils sont ouverts, il ne s'agit pas de mesures d'économies.

Si le classement en QRR signifie des effectifs supplémentaires – et j'ai bien noté votre demande –, notre objectif est d'arriver à remonter les effectifs partout où il le faut. C'est bien le sens des 10 000 recrutements. Je ne peux que confirmer ce que vous avez dit à propos d'Annemasse. Notre objectif est d'arriver à une stabilité en 2019, ce qui représente déjà un grand pas en soi. Je compléterai peut-être ma réponse par écrit.

En ce qui concerne la prime que vous avez évoquée, je voudrais rappeler que les discussions salariales que nous avons eues vont conduire à une augmentation moyenne allant de 120 à 150 euros nets par mois au début de l'année prochaine pour le corps d'encadrement et d'application (CEA), c'est-à-dire pour l'essentiel de la police que l'on côtoie au quotidien, ce qui est significatif. J'entends le Pr Éric Ciotti décerner, ou pas, des bons points au ministre ; les organisations syndicales, en tout cas, trouvent qu'on les a plutôt bien défendues sur ce sujet. Elles le disent d'ailleurs, y compris en public. Cela ne suffit pas dans certains territoires, notamment quand ils sont en concurrence avec d'autres. L'accord concernant le CEA et les sous-officiers chez les gendarmes s'applique sur l'ensemble du territoire national, sans discrimination géographique. Le déséquilibre existera donc encore. Là aussi, j'apporterai quelques précisions complémentaires.

M. Euzet m'a interrogé sur les renforts estivaux en CRS. La tendance est orientée à la baisse – depuis 2008, je crois. Ils ont diminué de moitié. Cette année, j'ai choisi de les stabiliser au même niveau que l'année dernière, mais il y a un problème de gestion de l'ordre public qui se pose. Je ne peux pas mobiliser vendredi un grand nombre de personnes sur les Champs-Élysées et dans de nombreuses villes de province – nous allons le faire, mais je ne vais pas donner de chiffres – tout en déployant trop de forces ailleurs. Le G7 de Biarritz va en mobiliser, et nous avons d'autres sollicitations ponctuelles. Il faut arriver à jongler entre les impératifs. Nous avons fait le choix que le même nombre de CRS soit sur le terrain cette année, mais il y aura des variations, avec des rappels à certains moments. Je sais qu'il y a soixante-quinze postes de secours dans votre département : ils sont gérés grâce aux pompiers et aux CRS. Il est essentiel que ce soit le cas et que nous soyons attentifs à ce sujet. Nous avons déjà eu l'occasion d'échanger sur cette question.

Vous avez aussi posé, plus généralement, la question du renforcement des moyens de sécurité en période touristique dans des territoires dont la population peut varier de 1 à 10, voire davantage – c'est-à-dire les stations de ski l'hiver et d'autres territoires à très fort potentiel touristique l'été. Je suis allé à Arcachon, il y a une quinzaine de jours, pour présenter notre dispositif : 4 000 policiers et gendarmes viennent en renfort dans ces territoires et nous ouvrons ponctuellement des centres de secours et de sécurité. C'est extrêmement difficile en matière de gestion. On pourrait imaginer, par exemple, de transférer à la Baule un agent affecté à Plougastel-Daoulas le reste de l'année – mais c'est aussi une ville touristique, et on va plutôt laisser cet agent là où il est. C'est un exercice qui est difficile, je le répète, mais nous mobilisons 4 000 policiers et gendarmes l'été. Nous avons pris une initiative inédite qui consiste à décaler les sorties d'école et les prises de fonctions. S'il y a un trou dans certains commissariats, c'est aussi parce que j'ai fait le choix que les agents sortant d'école puissent aller dans des zones à fort potentiel touristique, où il existe des risques, pour renforcer les effectifs. C'est une expérimentation dont nous allons analyser les résultats. Ce n'est pas inintéressant : j'ai rencontré des jeunes très motivés lors de mes déplacements.

Je voudrais évoquer un sujet dont on parle peu, même si vous l'avez abordé, qui est celui des noyades. Avec la canicule, nous avons un été très spectaculaire en la matière. Il n'y a pas une journée sans plusieurs noyades impliquant des enfants mais aussi des adultes qui subissent un choc hydrothermique : on en a recensé 135 cette année – et le chiffre n'est peut-être pas tout à fait actualisé – contre 98 en 2018. La prévention et les appels à la vigilance au sujet des risques d'hydrocution sont absolument indispensables. Nous sommes un peu écoutés, mais je pense que cela pourrait aussi être relayé par les parlementaires, notamment dans la presse quotidienne régionale (PQR).

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