Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mercredi 3 juillet 2019 à 16h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau :

Je vous remercie de me recevoir pour ce qui est devenu une rencontre traditionnelle mais à mes yeux essentielle, me permettant de rendre compte à la représentation nationale. Merci aussi de ce que vous avez dit sur ce contact renforcé qui s'est établi autour de vos réunions « Au coeur de l'économie », auxquelles participe Olivier Garnier, notre chef économiste.

En introduction, permettez-moi un mot d'actualité pour me réjouir de l'accord franco-allemand et européen intervenu à Bruxelles hier et féliciter en particulier Christine Lagarde. Elle devrait être, après Jean-Claude Trichet et Mario Draghi, une grande présidente de la BCE et elle pourra compter sur tout mon soutien au sein du Conseil des gouverneurs pour garantir notre bien commun qu'est l'euro, lequel a d'ailleurs été cette année le thème de notre lettre au Président de la République.

Avant de répondre à vos questions, je souhaiterais, dans ce propos introductif, évoquer deux équilibres, l'un économique, entre un environnement international fragile et une croissance française relativement résiliente, l'autre monétaire et financier, entre une politique monétaire qui doit rester active et une stabilité financière à préserver.

Je commence par l'équilibre économique. La croissance du PIB en volume devrait cette année sensiblement ralentir dans la zone euro à 1,2 %, après 1,8 % l'an dernier : le premier responsable en est la montée des tensions protectionnistes. En plus d'être inefficaces pour réduire le déficit commercial américain – qui a été amplifié par la relance budgétaire et fiscale à l'oeuvre en Amérique depuis le début de l'année 2018 –, ces mesures protectionnistes nuisent à la confiance des entreprises, à leur investissement et donc à la croissance, y compris américaine. L'OCDE estime que les mesures tarifaires déjà en vigueur, décidées entre début 2018 et mai 2019, pourraient réduire d'environ 0,4 % le PIB américain et de 0,6 % le PIB chinois à horizon 2021. Par ailleurs, une étude américaine récente estime à 800 dollars par an le coût moyen pour un ménage américain des mesures tarifaires contre la Chine. L'incertitude économique, amplifiée par l'imprévisibilité politique, est aujourd'hui le premier ennemi de la croissance.

La croissance française n'est évidemment pas à l'abri de ces vents contraires : selon notre dernière prévision, la croissance du PIB français devrait décélérer par rapport à 2018, où elle s'élevait à 1,7 %, pour atteindre 1,3 % en 2019 puis 1,4 % en 2020 et 2021. Le premier puis le deuxième trimestre voient une modération de la croissance. Mais elle résiste mieux que la moyenne européenne ; elle devrait être cette année deux fois supérieure à celle de l'Allemagne – ce qui n'était pas arrivé depuis très longtemps – et quatre fois supérieure à celle de l'Italie. La résilience de notre économie serait soutenue par la bonne tenue de la demande intérieure, qui compense le ralentissement des exportations.

En 2019, le pouvoir d'achat par habitant devrait progresser de 2,1 % en moyenne, – chaque Français reste bien sûr sensible à sa situation spécifique – soit la plus forte augmentation depuis 2007. Cette hausse est due pour les deux tiers à l'évolution favorable des salaires et de l'emploi – j'y reviendrai – mais elle tient aussi pour un tiers aux mesures d'urgence adoptées en décembre, lors de la crise des gilets jaunes. L'accélération de la consommation des ménages se matérialise cependant plus lentement, avec 1,1 % attendu cette année, car le taux d'épargne progresse, quant à lui, significativement. Cette adaptation progressive du niveau de consommation des ménages est un phénomène normal et temporaire. L'amélioration continue de l'indicateur de confiance des ménages conforte notre hypothèse d'accélération progressive de la consommation.

Je voudrais compléter cette analyse par un souhait et une interrogation.

Le souhait, qui n'est pas nouveau, est que nous arrivions enfin à stabiliser les dépenses publiques en volume en France. Selon les chiffres mêmes du dernier document d'orientation budgétaire, nous serions encore à 0,5 % de croissance cette année – et même davantage sur les dépenses primaires hors intérêts de la dette que nous prévoyons en baisse – et nous resterions en niveau à 54 % de dépenses publiques par rapport au PIB, soit dix points de PIB de plus que nos voisins de la zone euro, qui ont pourtant un modèle social comparable. Rien n'est ici facile, mais cette exception française est dans la durée un vrai handicap, parce que nous ne pourrons pas faire baisser à la fois la dette nettement sous 100 % du PIB et les impôts sans stabiliser les dépenses publiques et parce que des transferts et des services publics plus efficaces – j'y crois profondément – doivent redevenir un atout pour la compétitivité française. Nous reparlerons du rapport annuel de la Banque de France, mais notre institution semble être un exemple intéressant puisqu'elle réduit ses coûts tout en augmentant ses services et en maintenant sa présence dans les territoires. En outre, elle est activement engagée en faveur de l'inclusion bancaire.

L'interrogation, positive, porte sur les créations d'emploi en France : la performance des trois dernières années a été remarquable : 740 000 créations nettes d'emplois en 2016-2018. Celle de 2019 nous surprend encore positivement : depuis décembre, nous avons révisé un peu à la baisse notre prévision de croissance mais nettement à la hausse celle sur les créations moyennes d'emplois, de 118 000 à environ 150 000. L'INSEE s'attend même à beaucoup plus compte tenu de l'excellent premier trimestre. J'entends comme vous les chefs d'entreprise – à commencer par les PME – exprimer partout leurs difficultés de recrutement. Face à un chômage structurel qui reste beaucoup trop élevé, sans doute au-dessus de 8 %, je suis convaincu comme vous de l'absolue priorité à l'apprentissage et à la formation professionnelle. Reste que la croissance de l'emploi surprend. Une hypothèse – à formuler avec prudence – est que le CICE, sa transformation en baisse de charges et les réformes du marché du travail sont à l'oeuvre. La continuité et la prévisibilité en la matière sont en tout cas souhaitables.

J'en viens à mon deuxième point, concernant la nécessité, face à ces incertitudes, de maintenir une politique monétaire active, tout en veillant à la stabilité financière. Dans ce contexte économique, l'inflation reste basse, estimée à 1,2 % pour la zone euro et 1,4 % pour la France en juin, plus faible encore si on regarde les prix hors pétrole et produits alimentaires. Notre politique monétaire va donc rester accommodante, en soutien à l'économie : il ne doit y avoir aucun doute ni sur notre détermination à agir, ni sur nos moyens pour agir.

Sur notre détermination, la question revient parfois : on voit bien le problème d'une inflation trop élevée, mais quel est celui de n'être qu'à 1 % d'inflation ? Est-ce si important d'atteindre l'objectif proche de 2 % à moyen terme ? Oui, pour trois raisons au moins.

D'abord, une inflation trop faible ne nous donnerait pas une marge de sécurité et d'action suffisante face au piège létal de la déflation ou à sa variante douce de la « japonisation ».

Ensuite, une inflation légèrement positive facilite les nécessaires ajustements de prix et de salaires relatifs, a fortiori entre les différents pays dans le cas de la zone euro, car il n'est pas question de baisser les salaires nominaux.

Enfin, chacune des autres grandes économies – à commencer par les États-Unis – se tient fermement à cette cible d'inflation de 2 %. Cette convergence d'objectifs contribue à un relatif alignement et à une prévisibilité des taux de change. Pour autant, nous devons être attentifs aux indications des diverses mesures de prix constatés et d'anticipation d'inflation, pas toujours cohérentes.

Sur les moyens, nous ne sommes en rien à court de munitions sur ce que j'ai souvent appelé notre quatuor d'instruments possibles : le niveau des taux courts, avec au besoin des mesures d'atténuation de leurs effets négatifs pour les banques, comme dans les autres pays ; notre forward guidance sur la trajectoire future des taux d'intérêt ; le volume détenu au titre des obligations longues achetées, ce qu'on appelle le QE – ce volume est aujourd'hui très significatif, à près de 2 600 milliards d'euros – ; les mesures de liquidité favorables pour le financement de l'économie à travers les banques, dont le TLTRO III décidé lors de notre réunion de juin. Il n'y a pas de doute que les mesures déjà prises soutiennent l'inflation et la croissance – les estimations convergent autour de + 0,4 % par an pour l'une et l'autre depuis 2016 – et par là l'emploi.

Pour conclure, je voudrais d'autant plus souligner deux précautions. Première précaution : la politique monétaire est efficace mais elle ne peut pas tout. Attention à la tentation du remède miracle ou de la baguette magique ! La politique monétaire ne lève pas l'incertitude créée par le protectionnisme et ne remplace ni les réformes de long terme indispensables ni des politiques budgétaires adaptées. Deuxième précaution : plus longtemps nous devons maintenir une politique monétaire accommodante, plus attentivement nous devons veiller à ses possibles effets dérivés sur la stabilité financière, et sur la solidité des acteurs. L'environnement de taux d'intérêt très bas constitue bien sûr une opportunité pour la distribution de crédits aux entreprises et aux ménages et a contribué à amortir la crise et à soutenir la reprise. L'évolution des crédits en France est deux fois plus rapide aujourd'hui que dans la zone euro, avec une croissance de 6,3 % pour les crédits aux particuliers et de 6,8 % pour ceux aux entreprises. Le secteur bancaire français fait globalement son travail et le renforcement du capital des banques, en application des exigences de Bâle 3, n'a en rien entamé la capacité de crédit, contrairement à certaines craintes annoncées. J'invite au passage à la prudence sur les premiers chiffres d'augmentation de capital publiés hier par l'Autorité bancaire européenne. Mais il y a là aussi matière à vigilance. L'endettement du secteur privé atteint en France 132 % du PIB fin 2018 contre 119 % en moyenne dans la zone euro. Ce taux augmente en France alors qu'il a reculé en zone euro, où il atteignait 125 % à fin 2014. Dans ces circonstances, l'augmentation du coussin de capital bancaire contracyclique (CCyB) en France telle que nous l'avons aujourd'hui décidé à 0,5 % était nécessaire. Nous devons être attentifs à la forte croissance du crédit immobilier et à l'endettement alourdi des ménages. En anticipant l'accroissement des risques, voire le retournement du cycle, cette politique macroprudentielle doit permettre de maintenir une politique monétaire accommodante aussi longtemps que possible.

Je serai maintenant heureux de répondre à vos questions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.