Présidence
La commission entend M. François Villeroy de Galhau, gouverneur, sur le rapport annuel de la Banque de France.
Nous recevons François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France. Monsieur le gouverneur, au mois de mars, la Banque de France a publié son rapport annuel 2018. Vous l'avez complété par votre traditionnelle lettre au Président de la République et aux Présidents des deux Assemblées, qui procède de façon synthétique à un tour d'horizon de la situation économique.
Comme le 18 juillet dernier, voici tout juste un an, votre audition constitue un temps fort des relations entre la commission des finances et la Banque de France. Je souhaite saluer, à cette occasion, la très bonne collaboration entre ces deux entités. Nous organisons très régulièrement, en collaboration avec vous et avec l'INSEE, des rendez-vous au cours desquels nous parlons d'économie. On ne peut plus parler de finances publiques sans parler d'économie, sans essayer d'appréhender plus avant leurs éléments sous-jacents au travers de l'économie. Nous avons notamment organisé début juin un colloque de très grande qualité, qui a réuni 400 personnes, autour notamment de Jean Tirole et de Stefanie Stantcheva, avec l'OCDE et l'OFCE, sur les mobilités sociales et les inégalités territoriales. Merci de ce partenariat.
Je vous cède la parole pour présenter le rapport annuel de la Banque de France pour l'année 2018.
Je vous remercie de me recevoir pour ce qui est devenu une rencontre traditionnelle mais à mes yeux essentielle, me permettant de rendre compte à la représentation nationale. Merci aussi de ce que vous avez dit sur ce contact renforcé qui s'est établi autour de vos réunions « Au coeur de l'économie », auxquelles participe Olivier Garnier, notre chef économiste.
En introduction, permettez-moi un mot d'actualité pour me réjouir de l'accord franco-allemand et européen intervenu à Bruxelles hier et féliciter en particulier Christine Lagarde. Elle devrait être, après Jean-Claude Trichet et Mario Draghi, une grande présidente de la BCE et elle pourra compter sur tout mon soutien au sein du Conseil des gouverneurs pour garantir notre bien commun qu'est l'euro, lequel a d'ailleurs été cette année le thème de notre lettre au Président de la République.
Avant de répondre à vos questions, je souhaiterais, dans ce propos introductif, évoquer deux équilibres, l'un économique, entre un environnement international fragile et une croissance française relativement résiliente, l'autre monétaire et financier, entre une politique monétaire qui doit rester active et une stabilité financière à préserver.
Je commence par l'équilibre économique. La croissance du PIB en volume devrait cette année sensiblement ralentir dans la zone euro à 1,2 %, après 1,8 % l'an dernier : le premier responsable en est la montée des tensions protectionnistes. En plus d'être inefficaces pour réduire le déficit commercial américain – qui a été amplifié par la relance budgétaire et fiscale à l'oeuvre en Amérique depuis le début de l'année 2018 –, ces mesures protectionnistes nuisent à la confiance des entreprises, à leur investissement et donc à la croissance, y compris américaine. L'OCDE estime que les mesures tarifaires déjà en vigueur, décidées entre début 2018 et mai 2019, pourraient réduire d'environ 0,4 % le PIB américain et de 0,6 % le PIB chinois à horizon 2021. Par ailleurs, une étude américaine récente estime à 800 dollars par an le coût moyen pour un ménage américain des mesures tarifaires contre la Chine. L'incertitude économique, amplifiée par l'imprévisibilité politique, est aujourd'hui le premier ennemi de la croissance.
La croissance française n'est évidemment pas à l'abri de ces vents contraires : selon notre dernière prévision, la croissance du PIB français devrait décélérer par rapport à 2018, où elle s'élevait à 1,7 %, pour atteindre 1,3 % en 2019 puis 1,4 % en 2020 et 2021. Le premier puis le deuxième trimestre voient une modération de la croissance. Mais elle résiste mieux que la moyenne européenne ; elle devrait être cette année deux fois supérieure à celle de l'Allemagne – ce qui n'était pas arrivé depuis très longtemps – et quatre fois supérieure à celle de l'Italie. La résilience de notre économie serait soutenue par la bonne tenue de la demande intérieure, qui compense le ralentissement des exportations.
En 2019, le pouvoir d'achat par habitant devrait progresser de 2,1 % en moyenne, – chaque Français reste bien sûr sensible à sa situation spécifique – soit la plus forte augmentation depuis 2007. Cette hausse est due pour les deux tiers à l'évolution favorable des salaires et de l'emploi – j'y reviendrai – mais elle tient aussi pour un tiers aux mesures d'urgence adoptées en décembre, lors de la crise des gilets jaunes. L'accélération de la consommation des ménages se matérialise cependant plus lentement, avec 1,1 % attendu cette année, car le taux d'épargne progresse, quant à lui, significativement. Cette adaptation progressive du niveau de consommation des ménages est un phénomène normal et temporaire. L'amélioration continue de l'indicateur de confiance des ménages conforte notre hypothèse d'accélération progressive de la consommation.
Je voudrais compléter cette analyse par un souhait et une interrogation.
Le souhait, qui n'est pas nouveau, est que nous arrivions enfin à stabiliser les dépenses publiques en volume en France. Selon les chiffres mêmes du dernier document d'orientation budgétaire, nous serions encore à 0,5 % de croissance cette année – et même davantage sur les dépenses primaires hors intérêts de la dette que nous prévoyons en baisse – et nous resterions en niveau à 54 % de dépenses publiques par rapport au PIB, soit dix points de PIB de plus que nos voisins de la zone euro, qui ont pourtant un modèle social comparable. Rien n'est ici facile, mais cette exception française est dans la durée un vrai handicap, parce que nous ne pourrons pas faire baisser à la fois la dette nettement sous 100 % du PIB et les impôts sans stabiliser les dépenses publiques et parce que des transferts et des services publics plus efficaces – j'y crois profondément – doivent redevenir un atout pour la compétitivité française. Nous reparlerons du rapport annuel de la Banque de France, mais notre institution semble être un exemple intéressant puisqu'elle réduit ses coûts tout en augmentant ses services et en maintenant sa présence dans les territoires. En outre, elle est activement engagée en faveur de l'inclusion bancaire.
L'interrogation, positive, porte sur les créations d'emploi en France : la performance des trois dernières années a été remarquable : 740 000 créations nettes d'emplois en 2016-2018. Celle de 2019 nous surprend encore positivement : depuis décembre, nous avons révisé un peu à la baisse notre prévision de croissance mais nettement à la hausse celle sur les créations moyennes d'emplois, de 118 000 à environ 150 000. L'INSEE s'attend même à beaucoup plus compte tenu de l'excellent premier trimestre. J'entends comme vous les chefs d'entreprise – à commencer par les PME – exprimer partout leurs difficultés de recrutement. Face à un chômage structurel qui reste beaucoup trop élevé, sans doute au-dessus de 8 %, je suis convaincu comme vous de l'absolue priorité à l'apprentissage et à la formation professionnelle. Reste que la croissance de l'emploi surprend. Une hypothèse – à formuler avec prudence – est que le CICE, sa transformation en baisse de charges et les réformes du marché du travail sont à l'oeuvre. La continuité et la prévisibilité en la matière sont en tout cas souhaitables.
J'en viens à mon deuxième point, concernant la nécessité, face à ces incertitudes, de maintenir une politique monétaire active, tout en veillant à la stabilité financière. Dans ce contexte économique, l'inflation reste basse, estimée à 1,2 % pour la zone euro et 1,4 % pour la France en juin, plus faible encore si on regarde les prix hors pétrole et produits alimentaires. Notre politique monétaire va donc rester accommodante, en soutien à l'économie : il ne doit y avoir aucun doute ni sur notre détermination à agir, ni sur nos moyens pour agir.
Sur notre détermination, la question revient parfois : on voit bien le problème d'une inflation trop élevée, mais quel est celui de n'être qu'à 1 % d'inflation ? Est-ce si important d'atteindre l'objectif proche de 2 % à moyen terme ? Oui, pour trois raisons au moins.
D'abord, une inflation trop faible ne nous donnerait pas une marge de sécurité et d'action suffisante face au piège létal de la déflation ou à sa variante douce de la « japonisation ».
Ensuite, une inflation légèrement positive facilite les nécessaires ajustements de prix et de salaires relatifs, a fortiori entre les différents pays dans le cas de la zone euro, car il n'est pas question de baisser les salaires nominaux.
Enfin, chacune des autres grandes économies – à commencer par les États-Unis – se tient fermement à cette cible d'inflation de 2 %. Cette convergence d'objectifs contribue à un relatif alignement et à une prévisibilité des taux de change. Pour autant, nous devons être attentifs aux indications des diverses mesures de prix constatés et d'anticipation d'inflation, pas toujours cohérentes.
Sur les moyens, nous ne sommes en rien à court de munitions sur ce que j'ai souvent appelé notre quatuor d'instruments possibles : le niveau des taux courts, avec au besoin des mesures d'atténuation de leurs effets négatifs pour les banques, comme dans les autres pays ; notre forward guidance sur la trajectoire future des taux d'intérêt ; le volume détenu au titre des obligations longues achetées, ce qu'on appelle le QE – ce volume est aujourd'hui très significatif, à près de 2 600 milliards d'euros – ; les mesures de liquidité favorables pour le financement de l'économie à travers les banques, dont le TLTRO III décidé lors de notre réunion de juin. Il n'y a pas de doute que les mesures déjà prises soutiennent l'inflation et la croissance – les estimations convergent autour de + 0,4 % par an pour l'une et l'autre depuis 2016 – et par là l'emploi.
Pour conclure, je voudrais d'autant plus souligner deux précautions. Première précaution : la politique monétaire est efficace mais elle ne peut pas tout. Attention à la tentation du remède miracle ou de la baguette magique ! La politique monétaire ne lève pas l'incertitude créée par le protectionnisme et ne remplace ni les réformes de long terme indispensables ni des politiques budgétaires adaptées. Deuxième précaution : plus longtemps nous devons maintenir une politique monétaire accommodante, plus attentivement nous devons veiller à ses possibles effets dérivés sur la stabilité financière, et sur la solidité des acteurs. L'environnement de taux d'intérêt très bas constitue bien sûr une opportunité pour la distribution de crédits aux entreprises et aux ménages et a contribué à amortir la crise et à soutenir la reprise. L'évolution des crédits en France est deux fois plus rapide aujourd'hui que dans la zone euro, avec une croissance de 6,3 % pour les crédits aux particuliers et de 6,8 % pour ceux aux entreprises. Le secteur bancaire français fait globalement son travail et le renforcement du capital des banques, en application des exigences de Bâle 3, n'a en rien entamé la capacité de crédit, contrairement à certaines craintes annoncées. J'invite au passage à la prudence sur les premiers chiffres d'augmentation de capital publiés hier par l'Autorité bancaire européenne. Mais il y a là aussi matière à vigilance. L'endettement du secteur privé atteint en France 132 % du PIB fin 2018 contre 119 % en moyenne dans la zone euro. Ce taux augmente en France alors qu'il a reculé en zone euro, où il atteignait 125 % à fin 2014. Dans ces circonstances, l'augmentation du coussin de capital bancaire contracyclique (CCyB) en France telle que nous l'avons aujourd'hui décidé à 0,5 % était nécessaire. Nous devons être attentifs à la forte croissance du crédit immobilier et à l'endettement alourdi des ménages. En anticipant l'accroissement des risques, voire le retournement du cycle, cette politique macroprudentielle doit permettre de maintenir une politique monétaire accommodante aussi longtemps que possible.
Je serai maintenant heureux de répondre à vos questions.
Monsieur le gouverneur, cette croissance modérée que vous évoquez est néanmoins supérieure au potentiel de croissance du pays, me semble–t–il, ce qui pose question sur nos capacités structurelles : une inflation faible, des taux bas, un niveau élevé de l'endettement… Vous dites beaucoup de choses et, en même temps, vous êtes confiant dans la stabilité et la solidité du pays.
Concernant les taux bas, par rapport au niveau élevé de l'endettement, considérez-vous qu'il existe des seuils reflétant la capacité d'un pays à résister à sa dette dans l'environnement économique qui est le sien ? Y-a-t-il une théorie économique sur le sujet ? Les banquiers centraux ont-ils une opinion ?
Concernant les monnaies virtuelles, de nouvelles initiatives ont vu le jour, lesquelles sont assez différentes des initiatives précédentes. On n'est plus sur le bitcoin, qui apparaît plutôt comme un instrument de spéculation, mais sur une monnaie avec une réserve monétaire ou en tout cas une contrepartie composée d'un panier de monnaies facilitant les échanges économiques – on ignore à quel niveau et comment. Cela commence à ressembler un peu à une monnaie fondée sur un actif financier, qui serait plus solide, échappant évidemment à la vigilance, au contrôle et à la supervision des banques centrales. Que pensez-vous de cela ? Et ce sans être trop langue de bois : on peut considérer que c'est bien d'être moderne, d'engager le train de la modernité mais on peut aussi penser que certains veulent échapper aux règles qui font qu'une vie en commun est possible et que les États peuvent continuer à exister avec une souveraineté qui soit également une souveraineté économique.
Merci Monsieur le gouverneur pour ces propos et ce rendez-vous à la fois coutumier et plus qu'utile qui, en outre, apporte un regard un peu différent. Nous avons entendu ce matin les avis du Premier président de la Cour des comptes sur le débat d'orientation des finances publiques. Vous nous apportez un éclairage différent du sien sur un certain nombre de sujets, même si tout cela peut converger. Si vous le permettez, je souhaiterais aborder deux sujets.
L'environnement de taux très bas a conduit à une nette augmentation du niveau d'endettement privé des ménages comme des entreprises. Vous avez nommé l'accroissement de ce matelas de fonds propres des banques en utilisant un joli mot dont j'ignorais l'existence jusqu'à présent : le coussin contracyclique. Ce coussin ne devrait-il pas aboutir à un ralentissement de l'octroi de prêts ? Ce signal donné par le Haut Conseil de stabilité financière n'est-il pas orthogonal à la politique de la BCE dans un contexte de croissance ralentie ?
Concernant les politiques liées à l'environnement, quel doit être selon vous le rôle de la Banque de France dans la mobilisation de la finance en faveur d'une économie bas carbone ? Pensez-vous que l'intégration financière du risque climatique puisse en premier lieu être porteuse de déstabilisation des marchés ? Comment élaborer au niveau européen une norme commune d'évaluation en la matière ? Ce sera peut-être l'un des objets importants sur lequel devront travailler à la fois la nouvelle présidente de la BCE et les institutions européennes plus largement.
Merci, Monsieur le gouverneur, pour cet exposé très clair. J'avais deux questions, l'une plutôt rétrospective et l'autre prospective.
J'aurais aimé avoir votre regard sur un certain nombre d'expériences qui se développent depuis une dizaine d'années en France sur les monnaies locales. Peuvent-elles selon vous être un outil de développement économique et citoyen ? Ont-elles un avenir ?
Deuxième question plus prospective : la Banque de France étant à l'origine de la fabrication des espèces que nous avons dans nos poches, l'idée d'une « France sans cash » est-elle une perspective que vous jugez réaliste, sinon souhaitable ? Si oui, à quel horizon ? Un certain nombre d'arguments jouent en faveur de cette hypothèse, comme le fait que maintenant, même pour des sommes très limitées, on puisse payer par carte bancaire ou le fait que cela puisse nous aider dans la lutte contre le travail au noir ou contre la fraude. D'autres pays européens sont plus en avance que nous sur ces questions et le poids des cultures locales joue lui aussi.
Merci, Monsieur le gouverneur, de cette présentation synthétique. Vous avez commencé par parler de l'environnement international fragile, notamment en pointant du doigt la montée des tensions protectionnistes. Comment mesurez-vous l'impact et l'effet des tensions protectionnistes sur une économie ? Quels sont vos indicateurs ?
Au niveau de la croissance française, vous parlez de décélération du PIB, même s'il se maintient bien car il va passer d'une croissance de 1,7 % à 1,3 %. Le paradoxe, vous l'avez dit, est que le pouvoir d'achat devrait connaître une progression d'environ 2,2 % alors que dans le même temps la consommation ne va progresser que de 1,1%. On comprend bien que c'est le système de l'épargne. Notre économie peut-elle être résiliente durablement ? Ce n'est pas l'amélioration de nos exportations qui fait que notre économie est florissante ; elle ne tient que grâce à la consommation intérieure. Si on reste sur cette consommation à 1,1 % avec une inflation à 1,3 %, on observe déjà un décalage, d'autant plus que le pouvoir d'achat s'est amélioré. Comment expliquez-vous cela ? Peut-on lier cela au niveau des taux courts ?
Concernant Bâle 3, vous avez l'air de dire que ces accords n'ont pas eu de conséquences réelles sur le système bancaire français. Est-ce que le projet de monnaie libra, par exemple, aura des conséquences sur celui-ci ?
En conclusion, même s'il y a une bonne tenue de notre système bancaire aujourd'hui, cela signifie-t-il pour autant qu'une bonne politique monétaire peut complètement se substituer à des réformes structurelles ? C'est ce que je crois avoir compris mais j'aimerais avoir votre confirmation, Monsieur le gouverneur.
La Banque de France s'était saisie de la question du risque climatique en lançant, avec le One Planet Summit, un réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier. Où en sommes-nous aujourd'hui ? La gestion du risque climatique relève-t-elle pleinement du second objectif ? Peut-on dire que le risque climatique est aujourd'hui une source de risque financier et l'assumer tel quel ? À ce titre, ma question rejoint celle du rapporteur général.
D'autre part, la réforme du collatéral peut-elle être vue comme un des leviers efficaces qui permettrait d'intégrer le risque climatique dans les valeurs d'actifs ? Convient-il d'évaluer efficacement les actifs en distinguant les actifs verts, qui ne sont pas encore très bien identifiés ? Pourriez-vous revenir brièvement sur cette réforme du collatéral ainsi que sur la question des évaluations des actifs verts ?
Merci Monsieur le gouverneur pour cette présentation. Le rôle de la Banque de France dans la transition énergétique et dans la lutte contre le réchauffement climatique est réel et bienvenu, notamment dans le cadre du NGFS (Network for Greening the Financial System) qui, je l'espère, permettra à terme d'atteindre les objectifs fixés par l'Accord de Paris. Il existe toutefois, me semble-t-il, une contradiction entre votre action, qui vise à faire prendre conscience des facteurs climatiques aux acteurs de marché, et la trop faible prise en compte de ceux-ci dans votre propre politique monétaire. En effet, le portefeuille de la Banque de France contient à peu près 32 milliards d'obligations d'entreprises liées aux secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Comme toute banque centrale, la Banque de France applique le principe de neutralité du marché. Cependant je voudrais connaître la valeur juridique de cette doctrine de neutralité. Plus encore, ne faudrait-il pas faire du verdissement du secteur financier une priorité plus importante et plus pressante au moyen du rachat en priorité de la dette des entreprises les moins polluantes ? Si je conçois que l'objectif premier de la Banque de France et des banques centrales est la stabilité des prix et la préservation de la confiance dans la monnaie, il me semble que nous gagnerions à clarifier les objectifs secondaires des banques centrales et donc de la Banque de France et, dans ce cadre, à mettre tout en haut de la liste de ses objectifs secondaires la lutte contre le réchauffement climatique.
Mon deuxième point a été évoqué par Monsieur le président ; il s'agit de la fameuse monnaie virtuelle lancée par Facebook, dite libra. Ce projet est certes innovant mais il fait naître certaines craintes, notamment pour la stabilité du système financier, et il ne s'agit pas là d'une monnaie marginale comme peut l'être le Bitcoin. Vous avez affirmé, Monsieur le gouverneur, dans une interview dans L'Obs le 25 juin dernier, que cette monnaie devra respecter les règles des banques centrales. Mais est-ce suffisant ? Cette nouvelle monnaie virtuelle sera très certainement adossée à un panier de devises et totalement convertible. Toutefois, en cas de conversion massive en euros ou en dollars, Facebook disposera-t-il des liquidités nécessaires pour y faire face ? J'en doute. L'intervention des banques centrales deviendra une nécessité une fois de plus.
Battre monnaie est un élément structurant de la souveraineté nationale. Alors que les GAFA érodent de plus en plus cette dernière par leur poids économique et le fait qu'ils échappent aux normes étatiques et internationales, faudrait-il les laisser prendre encore plus d'importance, au risque d'admettre, face à eux, l'effacement des États ? Faudrait-il en outre, au cas où ils n'auraient pas les liquidités suffisantes, qu'il revienne aux banques centrales d'en assumer les conséquences ? Ainsi, pouvez-vous nous expliquer en quoi les règles posées par la Banque de France constituent un cadre normatif suffisant pour écarter les risques induits par cette monnaie virtuelle ?
Dernière question : ne faudrait-il pas aller encore plus loin, à savoir que la Banque de France prenne position pour s'opposer au lancement du libra, comme l'ont fait certaines voix comme celles d'Elizabeth Warren et de Margrethe Vestager pour démanteler les GAFA ?
J'ai cinq questions pour Monsieur le gouverneur.
À votre avis, la hausse d'un point du taux d'épargne des ménages que vos économistes – comme ceux d'ailleurs de l'INSEE et d'autres instituts – envisagent est-elle durable ?
Je lis toujours avec intérêt vos comptes financiers et j'ai une question à vous poser sur les incidences de la future réforme des retraites sur votre bilan. Dans votre bilan, des réserves à hauteur de 12,5 milliards couvrent 90 % du besoin, qui s'élève à 13,7 milliards. Il ne manque qu'1,2 milliard et vous abondez chaque année ces réserves de façon à arriver à l'équilibre. Que vont devenir ces réserves avec la réforme ? Est-il envisagé de vous les prélever ?
La monnaie virtuelle se développe. Lorsqu'on vous a posé la question, vous étiez extrêmement prudent, voire hostile à cela, mais ne faudrait-il pas en tirer des conséquences, c'est-à-dire augmenter vos compétences et demander des compétences à la Banque centrale européenne pour fixer des règles sur ces monnaies virtuelles à défaut de les interdire ? Ne pensez-vous pas que ceci va déstabiliser le système monétaire ?
Quel est pour vous le sens d'une situation où les taux d'intérêt sont négatifs ?
Partagez-vous le sentiment d'un certain nombre de vos prédécesseurs – Jean-Claude Trichet en particulier, mais aussi d'autres banquiers et grands responsables des institutions financières internationales – qui pensent que le surendettement généralisé, qui progresse d'année en année, va aboutir à une nouvelle crise financière grave ? Si c'est le cas, que faut-il faire pour éviter cette nouvelle crise financière ?
Monsieur le gouverneur, je regrette un peu que votre introduction ait plus un rapport avec la défense de la politique du Gouvernement – le ministre aurait pu faire la même chose – qu'avec le bilan même de la Banque de France. Je ne vais pas m'attarder sur mes remarques sur cette politique, que j'ai déjà soumises au ministre.
Au niveau des baisses d'effectifs, comment la Banque de France va-t-elle continuer à assurer ses missions de service public, comme le tri des billets, le traitement du surendettement, le dispositif de droit au compte et plus généralement le contrôle des banques et des assurances, avec moins de personnel ? Ne trouvez-vous pas contradictoire de se féliciter d'employer moins de personnes tout en déplorant le taux de chômage en France ?
Ma deuxième question concerne le libra. Un débat a déjà lieu en ce moment sur la question de la haine sur Internet. On voit bien que Facebook a une puissance importante en termes de traitement et de protection des données personnelles. J'ai vu que vous demandiez des garanties sur un certain nombre d'obligations comme la réglementation anti-blanchiment d'argent ou la protection des données personnelles. Je voudrais savoir si Facebook, selon vous, pourrait fournir ce type de garanties alors même que son traitement des données des utilisateurs fait régulièrement scandale et que ses intérêts sont ceux d'une entreprise privée. Vous comprendrez que je suis férocement opposé à cette monnaie virtuelle.
Concernant le surendettement, vous vous félicitez en citant la diminution du nombre de situations de surendettement. Les chiffres que vous donnez ne concernent pourtant pas le nombre de Français et Françaises surendettés mais seulement le nombre de dossiers soumis à vos commissions, qui aurait baissé de 9,5 %. Cette baisse étendue à la diminution des renouvellements de dépôts de dossiers ne devrait-elle pas au contraire vous inquiéter ? N'est-ce pas une baisse d'accès des usagers à vos services ? En quoi pouvez-vous garantir que les personnes qui auraient anciennement pu bénéficier d'un rétablissement personnel grâce à un nouveau dépôt de dossier obtiennent désormais tous un rétablissement dès leur premier dépôt de dossier ?
En matière d'inclusion bancaire, vous vous félicitez d'initiatives prises en 2017 ayant permis d'augmenter le nombre de bénéficiaires, qui malgré tout n'atteint pas le seuil de 10 % des personnes éligibles. Comment faire appliquer concrètement les engagements pris par les banques ? Disposez-vous de données plus récentes sur l'application de ces engagements et l'évolution réelle du nombre de bénéficiaires ? Considérez-vous l'objectif de 30 % de bénéficiaires à la fin de l'année satisfaisant ?
Christine Lagarde prendra la tête de la Banque centrale européenne à compter de novembre prochain. Concrètement, pour la politique monétaire de la BCE, qu'est-ce que cela pourrait changer ? À quelles inflexions et à quelle continuité peut-on s'attendre ?
Le libra a été largement abordé. Quel est votre regard sur ces annonces ? Selon vous, est-ce, à terme, un concurrent potentiel de l'euro ? Quels enjeux présente-t-il en termes de souveraineté monétaire et comment le superviseur compte-t-il agir, notamment pour lutter contre d'éventuelles pratiques de blanchiment, d'évasion fiscale ou de financement d'activités occultes ?
À juste titre, la protection de l'environnement et la transition écologique font partie des attentes fortes de nos concitoyens. Que fait la Banque centrale européenne pour prendre en compte ces urgences qui s'imposent à nous, pour que ces activités ne viennent pas financer in fine des activités polluantes extractives rétrogrades sur le plan environnemental et pour appuyer les activités vertueuses respectueuses de l'environnement et des hommes ? Nous en sommes convaincus, les banques centrales ont un rôle majeur à jouer dans le financement de la transition écologique. Quels outils avez-vous mis en place pour aller dans ce sens ?
Un autre point d'actualité abordé est la question des taux d'intérêt bas, fortement présente dans le débat public, notamment au sein de cette commission. Compte tenu de la faiblesse des taux d'intérêts, faut-il en profiter pour s'endetter davantage et investir là où il y a des besoins ? L'ancien économiste du FMI Olivier Blanchard l'affirme, tandis que la Cour des comptes y est particulièrement réticente. Qu'en pensez-vous ? Selon la Banque de France, qui fait des prévisions économiques de qualité, quel est l'horizon de ces taux bas ? Un an, cinq ans ou dix ans ?
Concernant la question du surendettement, la Banque de France joue bien entendu un rôle central dans le traitement de ces situations. Or, comme l'ont bien montré les associations mobilisées dans ce domaine et comme nous le voyons dans nos permanences, les frais bancaires ont un effet dévastateur sur le surendettement de certains foyers. Ainsi, une banque prélève en moyenne 34 euros par an de frais pour incidents de paiement sur l'ensemble de sa clientèle mais pour les foyers en grande difficulté ce montant atteint 296 euros. Ajoutez à cela les factures diverses et variées et vous enfermez les plus fragiles dans la spirale de l'endettement. Ces frais bancaires doivent être encadrés à défaut d'être bannis. Quelles initiatives prenez-vous sur ce point ?
Merci beaucoup pour toutes ces questions.
La croissance potentielle, comme vous l'avez relevé, monsieur le président, est supérieure aux calculs correspondants. Même produites par les économistes de la Banque de France, les estimations de la croissance potentielle ne sont pas totalement convergentes. En revanche, nous sommes d'accord sur le fait d'augmenter le potentiel de croissance de l'économie.
Sur la question des taux bas et de l'existence de seuils d'endettement, je ne donnerai pas de seuil chiffré au delà duquel l'endettement des entreprises ou des ménages par rapport au PIB deviendrait dangereux, car je ne crois pas à un tel seuil. Ce qui est préoccupant aujourd'hui en France, ou en tout cas ce qui appelle notre vigilance, c'est que notre tendance est très différente de celle des autres pays de la zone euro : l'endettement privé moyen a reculé dans la zone euro depuis 2014, certains pourraient dire malgré ou même à cause de cette politique monétaire car elle a favorisé le retour de la croissance, même si elle ne suffit pas. À l'inverse, l'endettement privé a significativement augmenté en France, avec le même niveau de taux d'intérêt puisque la politique monétaire est la même partout. La croissance des crédits bancaires est deux fois plus élevée en France que dans la moyenne de la zone euro. C'est cette tendance qu'il faut que nous regardions et ce sont ces différences entre pays qui justifient que les politiques macroprudentielles et les coussins contracycliques soient de compétence nationale, alors que la politique monétaire est évidemment partagée pour la zone euro.
Vous avez ensuite parlé des monnaies virtuelles et je vais répondre un peu plus longuement puisque nombre des députés sont revenus de façon très naturelle sur cette question. Vous m'avez invité, Monsieur le président, à parler sans langue de bois, ce qui, je l'avoue, m'a alerté car j'espère ne pas être trop coutumier de cet art devant votre commission. Je vais néanmoins essayer de répondre le plus directement possible.
Il y aura peut-être d'autres projets comme celui de Facebook mais parlons du libra par commodité. C'est un projet qui suscite aujourd'hui énormément d'interrogations. Le projet étant international, il appelait une réponse aussi internationale que possible. Le jour même où le projet a été annoncé, comme vous l'avez sans doute vu, la France présidente du G7 a décidé de créer une task force confiée à Benoît Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne et, surtout, spécialiste des paiements puisqu'il préside le Comité international des paiements à Bâle. Bruno Le Maire et moi-même avons signé une lettre de mission et des représentants des sept banques centrales seront présents, y compris de celle des États-Unis, ainsi qu'un certain nombre d'organisations internationales (le FMI, la Banque des règlements internationaux…). Ce groupe s'est mis en place, il fera un premier point au G7 ministériel de Chantilly les 17 et 18 juillet et travaillera jusqu'à l'automne en interrogeant assez fortement les promoteurs du projet et en essayant d'apporter le maximum de réponses.
Je ne valide pas à ce stade le terme de monnaie. Le mot anglais qui est utilisé est stable coin, ce qui veut dire jeton stable. Je vous rejoins tout à fait sur le fait qu'en tout cas il s'agit de quelque chose de différent du bitcoin. Le bitcoin est clairement un actif spéculatif ; le libra peut relever de la même catégorie juridique telle que vous l'avez votée dans la loi Pacte mais il n'a à l'évidence pas la même définition économique.
Il me semble que la question centrale est de savoir à quoi il sert. De ce qu'on croit comprendre aujourd'hui, il peut y avoir trois degrés d'ambition.
Le premier, qui apparaît le plus évident, c'est comme moyen de paiement, notamment comme moyen de paiement transfrontière. Nous devons d'ailleurs reconnaître qu'il y a des progrès possibles en la matière. Je vais prendre un exemple assez évident : les revenus transférés par les travailleurs immigrés des économies avancées vers leur pays d'origine sont souvent soumis à des frais de paiement transfrontières aujourd'hui très élevés. Supposons que le projet soit dirigé vers cette finalité. Cela pose déjà des questions réglementaires extrêmement significatives. Je vais en citer deux : la première, que beaucoup d'entre vous ont citée, est l'anti-blanchiment. Il est hors de question que le projet ne se soumette pas à des réglementations françaises, européennes et internationales qui sont très fortes en la matière. Nous fêtons cette année les trente ans du groupe d'action financière (GAFI) qui a une origine française. Je pense qu'aucun pays avancé n'acceptera que les réglementations anti-blanchiment ne soient pas respectées. Au passage, c'est un sujet complexe si les détenteurs de libra sont anonymes. L'autre question que j'évoque est la sécurité opérationnelle de ces transactions. Comment est-on protégé en termes de cybersécurité ? Comment fonctionnent les blockchains, innovation très prometteuse mais à petite échelle ? La question de la protection des données, qui dépasse le régulateur financier, se pose aussi.
Deuxième niveau : une intention affichée peut être d'offrir des services bancaires, de dépôt, de crédit ou de produits de placement. Les choses sont extraordinairement claires. Si c'était le cas, le projet ne pourrait être accepté dans aucune juridiction, y compris l'Union européenne, sans une licence bancaire et le respect de toutes les réglementations associées.
Un troisième niveau, un peu plus prométhéen, auquel nombre d'entre vous ont fait allusion, est l'idée de créer une monnaie mondiale privée. Cela pose des questions démocratiques et politiques, que vous avez soulevées. Cela peut poser un certain nombre de questions économiques et techniques fortes sur la politique monétaire. C'est probablement la partie la moins précise du projet et c'est pour cela que l'utilisation de l'expression monnaie mondiale me paraît devoir être évitée.
Selon sa définition traditionnelle, on reconnaît à la monnaie, depuis l'origine, trois attributs : c'est un moyen de paiement, c'est une unité de compte qui permet à tous d'exprimer les prix dans une monnaie reconnue, c'est une réserve de valeur. Le moyen de paiement que serait une monnaie privée de ce type soulèverait des vraies questions. L'euro a pouvoir libératoire, les paiements en euros sont obligatoirement acceptés entre deux parties, alors que dans le cas d'une monnaie privée ce ne pourrait être que volontaire. En termes d'unité de compte et de réserve de valeur, on ne voit pas bien la supériorité d'une monnaie privée, en tout cas dans les économies avancées et dans la zone euro, qui a effectivement la chance d'avoir une très bonne monnaie.
Toutes ces questions devront être regardées d'extrêmement près. Il n'est pas question que le projet commence s'il n'y a pas de réponse satisfaisante à ces questions et, en fonction de cela, de respect de l'ensemble des réglementations nécessaires.
Monsieur le rapporteur général, vous avez dit que l'environnement de taux bas a conduit à une forte augmentation de l'endettement. Je crois que cet enchaînement mécanique n'est pas acquis du tout. En zone euro, on observe partout des taux bas, qui soutiennent l'économie, mais l'évolution du crédit est assez différente selon les pays. On pourrait se demander pourquoi cette évolution est nettement plus forte en France que dans la moyenne de la zone euro. Les nouvelles sont en partie positives – le système bancaire a globalement fait son travail – mais nous avons peut-être de temps en temps une préférence pour la dette et une insuffisance des fonds propres, sur lesquelles il faut s'interroger.
Mais le coeur de votre question consiste à exprimer une crainte : ce fameux coussin contracyclique a-t-il ralenti le crédit ? Cette crainte avait été exprimée à l'avance par les banques. Nous avions dit que ce ne serait pas son effet et je crois que ce qui s'est passé depuis le montre très clairement. L'objectif du coussin contracyclique n'est pas de ralentir le crédit maintenant mais d'éviter un retournement du cycle de crédit lorsqu'il y a un retournement de la conjoncture. On a observé dans le passé que, quand le crédit aux PME est facile et qu'arrive un retournement économique ou financier, les besoins de provisions et donc de capital des banques augmentent brusquement et leur seule façon de faire face à ces besoins est de couper les crédits nouveaux. L'objectif du coussin contracyclique est précisément d'éviter cela. Pour utiliser une expression moins technique, ce sont des réserves qui pourront être utilisées au moment du retournement de cycle.
Vous avez ensuite posé la question de la contribution de la Banque de France à l'environnement. Comme cette question a été reprise par beaucoup de parlementaires, permettez-moi, là aussi, d'être un peu long.
C'est pour nous une préoccupation très importante. Plusieurs d'entre vous – notamment Madame El Haïry – ont salué l'action de la Banque de France et je les en remercie. Depuis fin 2017, le sommet One Planet à Paris, à l'initiative du Président de la République, a lancé ce qu'on a nommé le NGFS, le réseau pour verdir le système financier, très explicite sur son ambition.
Je relève au passage ce qui peut être un motif modeste de fierté collective et nationale : nous sommes partis à huit superviseurs et banques centrales et nous sommes arrivés, même si le point d'arrivée n'est pas encore définitif, à quarante superviseurs et banques centrales. J'étais à Bâle le week-end dernier et la dernière marque d'intérêt que nous avons reçue vient de l'Indonésie, qui n'est pas un pays mineur. Cinq ou six organisations internationales y participent, dont le FMI. Aujourd'hui, c'est une coalition de volontaires. Il manque évidemment un grand pays, que je ne citerai pas, mais il y a le Canada, le Mexique et d'autres pays des cinq continents. Cela témoigne d'une énergie, d'une volonté d'avancer qui se traduit par des vraies recommandations.
Le premier rapport opérationnel du NGFS a été publié lors d'une conférence que nous avons tenue à la Banque de France à Paris au mois d'avril dernier. Je pense que le leadership français en la matière est incontesté et c'est vraiment extrêmement prometteur. Je relève d'ailleurs qu'a eu lieu hier à Bercy une réunion sur la finance verte.
Pour aborder rapidement le contenu, les deux volets sont la stabilité financière et la supervision des banques et des assurances, d'une part, et la politique monétaire, d'autre part.
La première préoccupation est la stabilité financière et la surveillance des banques et des assurances, en ayant à l'esprit le fait que le risque climatique fait désormais partie du risque financier à long terme. Une banque exposée à ce qu'on appelle des actifs bruns est exposée au risque de transition : ses actifs qui, aujourd'hui, dégagent telle rentabilité économique et ont telle valeur en garantie peuvent en avoir beaucoup moins dans cinq ou dix ans. C'est le principal risque. Il est donc très important que cette banque s'organise pour mesurer ce risque de transition et qu'elle le publie. Je vous renvoie à cet égard au rapport très intéressant que l'ACPR a publié au mois d'avril dernier sur les banques et les assurances et le risque climatique, qui montre un progrès sensible de la gouvernance de ces risques climatiques, même s'il devra être confirmé.
Sur la politique monétaire, j'invite tous ceux d'entre vous qui sont intéressés par le sujet à regarder la revue de stabilité financière que nous avons publiée au mois de juin, revue annuelle à laquelle nous avons donné ce thème : comment contribuons-nous au verdissement du système financier ? Deux actions prioritaires me paraissent aller nettement au delà du fait de cibler les actifs verts ou d'exclure les actifs bruns.
La première action consiste à intégrer dans nos modèles économiques et dans nos prévisions l'effet du changement climatique. C'est nouveau, ce n'est pas facile mais cela nous paraît indispensable. De façon économique, cela peut avoir un effet stagflationniste, c'est-à-dire augmenter le niveau des prix et ralentir l'activité. Nous devons l'intégrer d'autant plus que les effets économiques de court terme que nous observons aujourd'hui englobent déjà des effets du changement climatique. Deux exemples européens peuvent être cités. Le récent ralentissement allemand était dû en partie au bas niveau du Rhin l'été dernier, qui a empêché les péniches de transporter les matières premières industrielles. De façon sans doute plus durable, les changements actuellement à l'oeuvre dans l'industrie automobile européenne sont liés aux nouvelles normes écologiques. Ce n'est pas du tout quelque chose que nous faisons simplement pour des raisons de conviction ou de responsabilité sociétale des entreprises mais quelque chose qui est au coeur de la prévision économique. Il faut que nous travaillions pour associer les scénarios climatiques et les scénarios économiques dans une perspective de plus long terme.
La seconde action concerne les liquidités que prête la Banque centrale au système financier en échange de garanties, de ce que l'on désigne par le terme collatéral. La solidité financière de ces garanties est évaluée. Il faut de plus en plus que nous intégrions dans l'évaluation de la solidité de ces garanties le risque climatique.
Monsieur Le Vigoureux, sur les monnaies locales, une liberté existe, mais en dessous d'un certain seuil, qui doit s'élever à un million d'euros. Au-dessus, il faut une autorisation de l'ACPR. Il se trouve que toutes les monnaies locales en France sont en dessous de ce seuil et il me semble qu'elles fonctionnent plutôt bien. C'est peut-être davantage un élément de lien social et territorial que de développement économique proprement dit. Certaines théories avancent qu'on augmente la vitesse de circulation de monnaie ; je les envisagerai peut-être avec un peu de prudence.
Vous avez posé la question de la « France sans cash ». Je crois qu'elle est centrale. Vous avez demandé si c'était réaliste et souhaitable. Je vais le dire très clairement, en tant que gouverneur de la banque centrale de notre pays : ce n'est ni souhaitable ni réaliste. La Banque de France n'abandonnera jamais les espèces car elles représentent un élément central de la liberté de choix de nos concitoyens et de leur confiance dans la monnaie. Nos concitoyens doivent pouvoir choisir entre le paiement en espèces, par carte, en monnaie électronique et par mobile. Notre rôle est de garantir l'égale qualité, sécurité, disponibilité et accessibilité de ces différents moyens de paiement. Je présenterai la semaine prochaine les conclusions de l'observatoire de la sécurité des moyens de paiement.
Ce sont nos concitoyens qui choisissent l'évolution de la part de ces différents instruments et ce que nous voyons, qui peut alimenter le titre un peu exagéré de la « France sans cash », n'est pas une disparition mais une érosion des paiements en espèces. En 2016, environ deux tiers des transactions réalisées en France l'étaient en espèces, ce qui nous situe très au-dessus des pays nordiques et en particulier de la Suède – qu'on cite toujours mais qui est plutôt une exception – et en dessous de l'Allemagne ou des pays du sud de l'Europe. Depuis 2016, cette part s'est significativement érodée, notamment à cause du développement du paiement sans contact auquel vous avez fait allusion. Mais même avec une utilisation moindre du cash, nous devons être là pour en assurer la production et la distribution de façon fiable ; nous devons d'ailleurs mener une réflexion avec les acteurs de la filière que sont aussi les transporteurs de fonds et les banques en vue d'une adaptation à l'érosion des paiements en espèces, avec une rationalité économique mais sans jamais diminuer la qualité, la sécurité et l'accessibilité que j'évoquais. C'est pour nous un élément central de notre mission.
Madame Dalloz, vous avez demandé comment on pouvait mesurer l'effet du protectionnisme. Vous avez raison, il n'existe pas de photo instantanée. Les économistes utilisent pour cela un autre terme de jargon, le contrefactuel, c'est-à-dire ce qui se serait passé s'il n'y avait pas eu. Les estimations sont toutefois très convergentes. Je vais citer l'exemple du Brexit, sans doute l'effet le plus proche de nous et sur lequel nous avons maintenant trois ans de recul. L'effet le moins souvent mentionné du protectionnisme, mais sans doute le plus négatif et en tout cas le plus immédiat, est le recul de la confiance, notamment de la part des entrepreneurs, et donc la baisse de l'investissement. Pour l'économie britannique, alors même qu'il n'y a toujours pas de tarif – étant donné qu'aujourd'hui la Grande-Bretagne est encore dans le marché unique – le niveau d'investissement des entreprises trois ans après le Brexit est de 20 % inférieur à celui qu'il aurait été avec la continuation de nos tendances. C'est très sensible et on estime que cela a un effet négatif sur le niveau de croissance de l'ordre de 2 %.
Concernant la question que vous avez posée sur le décalage entre le pouvoir d'achat et la consommation, vous avez évidemment raison sur les chiffres que je vous avais rappelés. Je précise juste que quand on parle d'augmentation de la consommation de 1,1 %, c'est bien une augmentation de la consommation en volume, après inflation. Le fait qu'elle soit inférieure à 1,3 % n'est donc pas significatif.
La baisse du taux d'épargne est, nous semble-t-il, un phénomène temporaire. Le taux d'épargne est toujours difficile à prévoir. Je vous renvoie à la note de conjoncture détaillée que nous venons de publier au mois de juin pour vous donner les chiffres sur la croissance de la consommation, un moteur central de la croissance : 1,1 % en 2019, 1,7 % en 2020 et 1,5 % en 2021, ce qui correspond au fait que petit à petit, l'épargne est consommée. Elle monte brutalement avant de revenir ensuite vers la moyenne de long terme.
À propos de Bâle 3, nous sommes tout à fait attachés à une transposition que j'ai appelée équitable et raisonnable pour le système bancaire français. J'ai invité à la prudence sur les chiffres de l'Autorité bancaire européenne ; à nos yeux, la transposition de Bâle 3, qui reste à négocier dans le cadre européen – on produit des chiffres alors qu'on ne connaît pas encore exactement les règles –, ne doit se traduire pour aucune banque française par une augmentation de capital dédié et doit être compatible, pour chaque banque française, avec la mise en réserve normale de résultats telle que nous l'avons observée ces dernières années. Je suis totalement d'accord avec vous lorsque vous rappelez qu'une bonne politique monétaire ne peut pas se substituer aux réformes structurelles.
Je pense avoir déjà répondu à la question de Madame El Haïry sur les actifs verts.
Madame Pires Beaune, j'espère aussi vous avoir répondu, mais nous pourrons y revenir si vous le souhaitez. J'espère que vous n'avez pas lu dans mon interview que vous citiez une quelconque complaisance vis-à-vis du projet de libra. Ces questions sont extrêmement sérieuses et il vaut beaucoup mieux les traiter de façon globale, c'est-à-dire à la fois regarder l'ensemble des questions et les regarder pour l'ensemble des pays. Les dirigeants politiques aux États-Unis ont émis un certain nombre de propositions contre les GAFA, mais cela va au delà de ma modeste compétence monétaire.
Sur les questions de Monsieur de Courson sur la hausse du taux d'épargne, je crois avoir répondu : elle est temporaire. Quant à la future réforme des retraites, je dirais que la l'information et la décision sont plutôt dans votre camp. Ce qui est très important pour nous, c'est la réforme du régime des retraites de la Banque de France lancée par mon prédécesseur en 2007, qui a conduit à une couverture à 100 % des engagements. Les règles sont extrêmement proches de celles de la fonction publique, sans avantage particulier associé au régime de la Banque de France. Les agents de la Banque de France ont fait un effort considérable pour moderniser l'institution. Si je peux formuler un souhait, c'est qu'ils aient droit à ce que ce régime de retraite, qui a été réformé, qui est financièrement équilibré et qui ne comporte pas de privilège indu, puisse être préservé, quelle qu'en soit la forme.
Sur le sens économique de taux d'intérêt négatifs, quand les premiers taux négatifs sont apparus – ce n'était alors pas en zone euro mais plutôt dans d'autres pays européens –, ils paraissaient aller quelque peu contre l'intuition. Nous observons depuis qu'ils ont un certain nombre de vertus économiques et recréent notamment une incitation à prêter, y compris car des taux courts très bas se transmettent de proche en proche aux taux longs qui comptent pour l'investissement des entreprises ou pour l'immobilier des ménages et qu'ils sont gérables, avec un certain nombre de mesures d'accompagnement pour les systèmes bancaires concernés. C'est une arme utile face à une situation d'inflation trop basse et de menace de déflation, qui s'est aujourd'hui heureusement éloignée grâce à l'utilisation des armes non conventionnelles. Il faut pouvoir l'utiliser tant que nécessaire avec les mesures d'accompagnement que j'évoquais.
Sur le risque de nouvelles crises financières, je n'ai pas le sentiment que Jean-Claude Trichet l'ait dit avec cette netteté. En tout cas, nous sommes très vigilants par rapport à l'évolution de l'endettement. Bien sûr, la politique monétaire est très favorable à la croissance et à l'emploi et peut avoir des effets dérivés que nous devons surveiller, mais un point très positif est le renforcement de la solidité du système bancaire. Le niveau de capital des banques françaises – les fonds propres durs – mesuré en proportion de leurs engagements pondérés a plus que doublé, passant de 5 à 6 % avant la crise à plus de 13 % aujourd'hui. Grâce à Bâle 3, les banques à l'échelle française, européenne et internationale sont beaucoup plus solides. Les risques existent – si je vous disais un jour le contraire, je manquerais à mon premier devoir – mais je crois que le système bancaire est plus solide.
Monsieur Coquerel, je ne vais pas revenir sur la question de principe sur la défense de la politique du Gouvernement. Je tiens beaucoup à l'indépendance de la banque centrale. Il m'a semblé que dans mon propos initial, tel ou tel paragraphe n'était pas une défense inconditionnelle.
Sur la gestion de la Banque de France, vous avez posé une question légitime : comment conciliez-vous la baisse des effectifs et le maintien des missions ? On peut même parler d'une augmentation des missions, si vous me le permettez. Nous avons des correspondants TPE que nous n'avions pas, nous avons beaucoup développé les technologies, la finance verte et la mission d'éducation économique et financière. Nous nous sommes beaucoup engagés sur la question des frais bancaires. Nous nous sommes mieux organisés. Depuis trois ans, les effectifs de la Banque de France ont diminué de 16 %, et ses dépenses de 11 % en euros courants. Permettez-moi de le dire avec un peu de fierté, au nom des 10 000 hommes et femmes de la Banque de France : je ne connais pas énormément d'institutions publiques ayant réalisé une performance de ce type et nous comptons, de façon raisonnable, continuer à assurer nos missions de la façon la plus efficace possible.
Sur le surendettement, vous avez émis l'hypothèse d'une baisse d'accès des usagers à nos guichets. Je ne le crois pas, mais si vous avez des indications en ce sens, j'y serai extrêmement attentif. Nous avons développé l'accès par Internet, par téléphone. Je précise que nous n'obligerons jamais un surendetté à déposer son dossier par Internet sans avoir la possibilité de le déposer physiquement. Nous maintenons l'ensemble des points de contact et c'est une vraie stratégie multicanaux et non pas une stratégie où on décide de fermer les guichets pour imposer d'aller sur Internet, ce qui créerait une fracture digitale.
Vous me permettrez d'être un peu plus long sur l'inclusion bancaire car c'est aussi une question que Monsieur Dufrègne a posée. Cela a été une très grande priorité de notre part face à un sentiment d'urgence et d'inégalité que nous ressentions. Deux engagements ont été obtenus des banques.
Le premier vaut pour l'ensemble des clients fragiles, soit plus de 3 millions. Au mois de décembre dernier, a été décidé un plafonnement à 25 euros par mois des frais bancaires. Pour faire respecter cet engagement, qui devait s'appliquer à compter du 1er février, nous avons initié des contrôles de l'ACPR sur pièces et sur place et mobilisé, dans tous les départements, l'Observatoire de l'inclusion bancaire (OIB) et les associations.
Nous avons constaté ensemble, au vu de ces contrôles et lors de la réunion avec l'OIB, que l'engagement était globalement bien appliqué depuis le 1er février, ce qui est un vrai progrès. Il le fallait. Le niveau moyen des frais bancaires annuels payés par les clients fragiles pour l'ensemble des banques était de 320 euros en 2017, ce qui était beaucoup trop. On est descendu à 300 euros en 2018, ce qui est encore trop. Les 25 euros par mois, qui étaient la moyenne en 2018, sont devenus le plafond en 2019. J'espère que nous allons voir une baisse très sensible pour les clients fragiles en 2019. Nous sommes en tout cas totalement mobilisés.
Le deuxième engagement pour ces clients fragiles – Monsieur Coquerel y faisait allusion – est la diffusion de ce qu'on appelle l'offre spécifique. C'est une offre simplifiée que toutes les banques, aux termes de la loi que vous avez votée en 2013, doivent proposer à leurs clients fragiles. La diffusion de cette offre était insuffisante. Elle est actuellement de l'ordre de 10 % et nous avons là aussi demandé un plafond de 20 euros par mois et 200 euros par an, donc en dessous du plafond global, ainsi qu'une augmentation de 30 % du nombre de bénéficiaires d'ici fin 2019. Les premières tendances vont dans le bon sens avec plus de 400 000 offres spécifiques à la fin du premier trimestre. Nous suivons cela de très près et nous partageons totalement votre préoccupation. Je salue quand même le travail de mobilisation réalisé par les réseaux bancaires en la matière.
Reste le débat entre Olivier Blanchard et la Cour des comptes. Je crois simplement qu'il y a un sujet de qualité de la dépense. Je ne suis pas du tout contre la dépense publique en soi. L'endettement peut avoir du sens s'il permet de financer des investissements et des dépenses qui augmentent la croissance future. Je relève simplement ce qui était le coeur de mon propos : dès lors que la France est à 54 % de dépenses publiques alors que nos voisins européens sont à 44 %, cet écart montre quand même que, globalement, il faut que nous regagnions de l'efficacité au niveau de la dépense publique et des services publics.
Si vous me permettez cette dernière phrase – je le dis comme un passionné du service public –, dans notre génie national il y a le service public. Sans remonter aux Capétiens, depuis les débuts de la Ve République, les services publics sont un atout français. Ils doivent être performants et au service du reste de la Nation et je crois que c'est possible. C'est ce qui m'anime à la Banque de France.
Le niveau élevé de l'endettement dépend du niveau élevé de la dépense et de notre capacité à y répondre sur le long terme. Il n'y a pas de grands économistes et de grands comptables avec une vision très positive d'un côté et une vision très négative de l'autre.
Monsieur le gouverneur, permettez-moi de revenir sur le niveau d'endettement privé par rapport à nos partenaires européens. À l'heure où notre dette publique stagne, la dette privée continue d'augmenter en France comme vous l'avez indiqué. À titre d'exemple, l'endettement des sociétés non financières est deux fois plus élevé en France qu'en Allemagne. Alors qu'il a continué de progresser en France de 20 % au cours de ces dix dernières années, il a légèrement baissé en Allemagne de 3 %. Comment expliquer la tendance à l'accroissement de l'endettement privé en France alors que la tendance chez nos principaux partenaires européens semble être à l'allègement sur la dernière décennie ? Cette tendance est-elle la conséquence d'investissements plus importants de la part des sociétés françaises ou résulte-t-elle de leur manque de compétitivité ? Pour les particuliers, est-ce la conséquence d'une recrudescence de l'investissement dans leur logement ou de crédits à court terme nécessaires pour boucler les fins de mois, voire la mise en réserve de leurs économies, comme vous semblez nous l'avoir indiqué dans votre présentation ?
Dernière question, concernant les exploitations agricoles françaises : la Banque de France connaît-elle leur niveau d'endettement ? Si oui, cet endettement suit-il la tendance des autres entreprises françaises ? Enfin, comment se situe-t-il par rapport aux exploitations agricoles européennes ?
Merci, Monsieur le gouverneur, pour l'ensemble des éléments et des réponses que vous nous avez apportés. Vous avez évoqué les nouvelles missions que développait la Banque de France ; j'aimerais que vous nous parliez de la médiation du crédit. L'année passée, vous nous aviez indiqué qu'une médiation nationale avait été ou devait être mise en place. Qu'en est-il ? Pouvez-vous nous donner des éléments sur la manière dont cela se passe sur les territoires ?
J'ai quelques questions au sujet de l'inclusion bancaire. Vous avez fait état de la mise en oeuvre satisfaisante de l'accord obtenu le 11 décembre dernier par les banques. Il faut effectivement saluer cette mise en oeuvre très rapide, en l'espace de deux mois. Un certain nombre de zones d'incertitude demeurent néanmoins dans cet accord car, au fond, les critères qui déterminent le fait d'être classé comme fragile peuvent varier d'une banque à l'autre. Cela pose un problème d'équité entre les individus et une question en termes de remontée d'informations et de transparence concernant le nombre de personnes classées comme fragiles financièrement. Considérez-vous qu'aujourd'hui, il faudrait que nous aboutissions à une harmonisation ? Quelles propositions pourriez-vous faire pour essayer de lever ce biais ?
La charte adoptée par l'Association française des établissements de crédit et des entreprises d'investissement (AFECEI) est l'objet par lequel les banques s'engagent à protéger un certain nombre de clients fragiles. Ne considérez-vous pas que cette charte devrait être révisée pour tenir compte désormais de cet outil puissant que constitue le plafonnement afin de protéger ces populations à fragilité financière ?
Enfin, vous l'avez évoqué, l'offre spécifique est un progrès si 400 000 personnes sont couvertes aujourd'hui. On peut tout de même se demander s'il n'y a pas un risque de vampirisation, sachant que désormais, avec un plafonnement à 25 euros, l'écart entre 20 et 25 euros de plafonnement est susceptible de rendre l'offre spécifique moins attractive. Par conséquent, seriez-vous prêt à engager une réflexion sur un accroissement du contenu de l'offre spécifique ? En matière de paiement, notamment, nous avons vu qu'un certain nombre de limites s'imposaient à celles et ceux qui pouvaient prétendre à l'offre spécifique.
Ma question rejoint celle de mon collègue Éric Coquerel sur la gestion des ressources humaines de votre institution. Je souhaiterais avoir quelques précisions car, depuis votre lancement d'un grand plan de restructuration en 2012, les effectifs sont passés de 16 500 en 2002 à 12 000 actuellement et vous prévoyez 9 800 agents en 2020. Quelle incidence cela peut-il avoir sur le traitement des dossiers, notamment de ceux relatifs au surendettement ? Nous avons préconisé, dans le cadre de la mission sur l'inclusion bancaire, des relations humaines beaucoup plus fortes dans le cas de ces personnes fragiles et nous nous demandons comment cela va être mis en place. Le maillage de notre territoire étant en jeu, je souhaiterais savoir si vous prévoyez des fermetures d'agences. Quel est le climat social dans l'entreprise ? Nous avons entendu dire qu'il y avait un peu de stress, de burn-out. Est-ce vrai ou non ?
Vous avez mentionné une hausse de 1,1 % de la consommation. Quelle part de cette hausse est-elle absorbée par la consommation de produits importés ? En effet, cela n'a pas du tout la même incidence sur l'économie.
Dans votre propos liminaire, vous avez parlé du chômage et salué à cet égard la politique gouvernementale en matière de formation puis, quand il s'est agi de parler de la baisse du taux de chômage, vous avez été plus prudent en indiquant que cela pourrait venir du CICE, de la transformation du CICE en allègements de charges. Je vais prendre le problème à l'envers, Monsieur le gouverneur. Si ce n'est par les mesures gouvernementales d'allègements de charges et d'aménagement des règles d'indemnisation des ruptures de contrats de travail, par les mesures de pouvoir d'achat – je pense ici à la suppression de la taxe d'habitation ou à l'augmentation de la prime d'activité – et bien sûr par les mesures de formation, comment expliquez-vous cette baisse du chômage ?
Monsieur le gouverneur, je souhaite vous interroger sur l'organisation interne de la Banque de France. Même si je salue vos efforts sur les dépenses de fonctionnement, leur baisse est quand même en grande partie due à la baisse de la masse salariale du fait des départs à la retraite. Conformément au rapport de la Cour des comptes de 2018, avez-vous mis en place un schéma de pilotage des nouveaux recrutements dans le but de contenir la masse salariale ? Avez-vous aussi pensé un plan pour la réduction des dépenses sociales, dont l'importance était relevée avec des avantages en particulier sur les jours de congé, la gestion du parc locatif et les pratiques de réfection de ce parc ?
Concernant la question de M. Pellois sur la manière dont s'explique l'endettement plus fort en France qu'ailleurs, un facteur positif est que l'investissement des entreprises est plutôt plus fort en France qu'ailleurs. Certaines utilisations de l'endettement peuvent être moins souhaitables que d'autres sur le plan économique. L'endettement peut permettre de compenser une situation financière plus difficile comme la baisse du taux de marge certaines années ou des entreprises plus en difficulté ; il peut servir à financer des projets d'acquisitions, qui ne sont pas néfastes en soi mais qui ne sont pas forcément de l'investissement en France. Je pense que les entreprises françaises ont une insuffisance de fonds propres et financent par de la dette en contrepartie. Ce n'est d'ailleurs pas tout à fait spécifique à la France: quand on compare l'économie européenne à l'économie américaine, il n'y a pas assez de fonds propres.
Pour les ménages, l'essentiel de l'évolution porte sur le crédit immobilier. Sa croissance a soutenu le secteur immobilier et a permis à beaucoup de ménages, y compris des jeunes, d'acquérir leur logement, mais nous sommes attentifs à ce qu'une proportion trop élevée de ménages ne se retrouve pas en limite de taux d'effort. Le taux d'effort est la charge de la dette par rapport aux revenus. Aujourd'hui, ce taux d'effort, malgré les taux bas, a l'air d'être supérieur ou égal à 35 % chez un quart des ménages et il faut surveiller cela.
Je n'ai pas de statistiques spécifiques sur l'endettement des exploitations agricoles, mais nous regarderons cela.
Madame Louwagie, le regroupement de la médiation nationale avec les médiations locales sous l'égide de la Banque de France, l'an dernier, a été un progrès et a contribué à un service plus intégré. Le médiateur national est Frédéric Visnovsky. Le nombre de dossiers présentés à la médiation a continué à baisser en 2018, ce qui est plutôt une bonne nouvelle, qui traduit le fait que, globalement, les entreprises françaises ont accès au crédit auprès des banques. Si vous avez l'impression que la médiation connaît un petit déficit de notoriété et que certains dossiers qui devraient arriver n'arrivent pas, nous sommes à votre entière disposition.
Monsieur Chassaing, je me permets de saluer le travail sur l'inclusion bancaire que vous venez de finaliser. Dans notre esprit, les engagements de plafonnement qui ont été pris sont des engagements durables et ne concernent pas la seule année 2019.
Sur la variation des critères entre les banques, un certain nombre de critères sont prévus par la loi, par exemple en ce qui concerne les incidents de paiement. Personnellement, je ne retiendrai pas l'idée d'harmoniser les critères de revenus. Si une banque a plutôt une clientèle « haut de gamme », prévoir une définition généreuse des clients fragiles ne la gêne pas beaucoup. À l'inverse, si une autre banque a une vocation sociale beaucoup plus marquée, elle peut avoir des critères de définition des clients fragiles apparemment plus stricts mais avoir beaucoup plus de clients dans cette situation. En revanche, la surveillance de ces critères est très importante. Nous regardons banque par banque comment elles appliquent leurs critères et combien de clients fragiles elles accueillent en fonction de ces critères. Il nous est arrivé de faire remarquer à certaines banques quelques incohérences. Sur l'ensemble de la profession bancaire, nous avons souhaité une réunion exceptionnelle supplémentaire de l'Observatoire de l'inclusion bancaire au mois d'octobre pour voir comment améliorer encore la détection précoce des clients fragiles. Néanmoins, je n'irai pas jusqu'à l'harmonisation car je crains qu'elle crée, par rapport à votre préoccupation d'équité – que je partage –, un effet contraire.
Sur la charte AFECEI, il faudra voir si elle doit être adaptée. Évidemment, les textes doivent être en cohérence avec les engagements pris.
Enfin, j'ai décrit tout à l'heure les deux engagements des banques en faveur de l'inclusion bancaire en sens inverse de l'ordre chronologique : des engagements ont d'abord été pris sur l'offre spécifique et ensuite est arrivé l'engagement très puissant à 25 euros sur l'ensemble des clients fragiles. Tant mieux, si j'ose dire, même si ce second engagement a un peu diminué l'attrait relatif de l'offre spécifique. Il faut sans doute placer sous observation ce développement de l'offre spécifique. Pour l'instant, les tendances sont assez favorables. Le contenu de l'offre spécifique a été défini par la loi bancaire de 2013 et il faudrait déjà que les banques l'appliquent bien. On pourrait élargir l'offre, s'il le fallait, mais l'offre spécifique est justement conçue pour réduire la probabilité d'incidents de paiement avec un nombre limité de chèques, des cartes à autorisation systématique… Il ne faudrait pas recréer la même probabilité d'incidents de paiement, ce qui serait évidemment contraire à l'objectif recherché. Pour l'instant, l'enjeu est l'application de la loi telle qu'elle existe.
Monsieur Bricout, la Banque de France représente aujourd'hui environ 10 000 hommes et femmes. La question d'éventuelles fermetures d'agences – nous disons de succursales – est très importante. Monsieur Lauzzana a évoqué la Cour des comptes. J'ai eu un désaccord avec la Cour des comptes. Dans son rapport, qui est public, elle s'interrogeait sur la pérennité du réseau départemental. La Banque de France restera durablement à Lens. Nous ne fermerons pas les succursales dans les départements, pour des raisons de présence auprès des surendettés, qu'il est très important de pouvoir accueillir, de présence auprès des PME. Je ne crois pas à une espèce de vue rationnelle consistant à établir des grandes plateformes régionales ou, pire encore, une grande plate-forme dématérialisée. La présence sur le terrain compte ; à nous ensuite de nous organiser pour avoir un service public efficace et pour dégager des gains de productivité au fur et à mesure des départs en retraite.
Le climat social est toujours difficile à mesurer. Je ne prétends pas que ce soit simple pour les hommes et les femmes de la Banque de France, c'est exigeant et nous essayons d'accompagner au maximum les agents dans l'effort de formation pour ceux qui doivent être en mobilité. Tout le monde a sa place dans cette transformation. Je vous cite un signe qui me paraît positif : nous venons de conclure un accord d'intéressement signé par l'ensemble des organisations syndicales.
Concernant la consommation de produits importés, je n'ai pas de raison de penser qu'elle soit cette année très différente des années antérieures. Elle en représente environ 25 à 30 %. J'en profite pour dire qu'il nous semble que le pouvoir d'achat est distribué avec une certaine équité à l'ensemble des catégories de Français, compte tenu notamment du fait que les mesures « gilets jaunes » étaient ciblées sur ceux qui avaient les niveaux de salaire les plus bas à travers la prime d'activité.
Quant à savoir si la baisse du chômage s'explique uniquement par les mesures gouvernementales, permettez-moi, Monsieur Dirx, de revendiquer mon indépendance. Je crois que la croissance, heureusement, s'accompagne de créations d'emplois et que les entreprises font des efforts. J'ai cité le CICE. La continuité des mesures gouvernementales, y compris par rapport à 2016 ou avant, y a contribué. Maintenir la continuité en la matière est extrêmement important : un chef d'entreprise qui décide d'embaucher veut savoir ce qui l'attend.
Je pense avoir répondu largement à la question de Monsieur Lauzzana, sur la Banque de France. Nous disposons effectivement d'un schéma de pilotage des nouveaux recrutements. Nous en avions annoncé au moins 1 000 pour 2016-2020 et nous en ferons davantage, tout en respectant notre cible d'effectifs. Nous avons par ailleurs réduit les dépenses sociales, là aussi dans le cadre d'un accord signé avec les organisations syndicales, ce qui a réduit sensiblement le nombre de nos instances et les moyens des organisations syndicales.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 3 juillet 2019 à 16 heures 30
Présents. - M. Jean-Louis Bricout, Mme Émilie Cariou, M. Philippe Chassaing, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Benjamin Dirx, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Sarah El Haïry, M. Joël Giraud, M. Alexandre Holroyd, M. Michel Lauzzana, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Véronique Louwagie, M. Hervé Pellois, M. Benoit Potterie, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Damien Abad, M. Jean-Louis Bourlanges, M. M'jid El Guerrab, M. Daniel Labaronne, M. Jean-Paul Mattei
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