Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mercredi 3 juillet 2019 à 16h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau :

Merci beaucoup pour toutes ces questions.

La croissance potentielle, comme vous l'avez relevé, monsieur le président, est supérieure aux calculs correspondants. Même produites par les économistes de la Banque de France, les estimations de la croissance potentielle ne sont pas totalement convergentes. En revanche, nous sommes d'accord sur le fait d'augmenter le potentiel de croissance de l'économie.

Sur la question des taux bas et de l'existence de seuils d'endettement, je ne donnerai pas de seuil chiffré au delà duquel l'endettement des entreprises ou des ménages par rapport au PIB deviendrait dangereux, car je ne crois pas à un tel seuil. Ce qui est préoccupant aujourd'hui en France, ou en tout cas ce qui appelle notre vigilance, c'est que notre tendance est très différente de celle des autres pays de la zone euro : l'endettement privé moyen a reculé dans la zone euro depuis 2014, certains pourraient dire malgré ou même à cause de cette politique monétaire car elle a favorisé le retour de la croissance, même si elle ne suffit pas. À l'inverse, l'endettement privé a significativement augmenté en France, avec le même niveau de taux d'intérêt puisque la politique monétaire est la même partout. La croissance des crédits bancaires est deux fois plus élevée en France que dans la moyenne de la zone euro. C'est cette tendance qu'il faut que nous regardions et ce sont ces différences entre pays qui justifient que les politiques macroprudentielles et les coussins contracycliques soient de compétence nationale, alors que la politique monétaire est évidemment partagée pour la zone euro.

Vous avez ensuite parlé des monnaies virtuelles et je vais répondre un peu plus longuement puisque nombre des députés sont revenus de façon très naturelle sur cette question. Vous m'avez invité, Monsieur le président, à parler sans langue de bois, ce qui, je l'avoue, m'a alerté car j'espère ne pas être trop coutumier de cet art devant votre commission. Je vais néanmoins essayer de répondre le plus directement possible.

Il y aura peut-être d'autres projets comme celui de Facebook mais parlons du libra par commodité. C'est un projet qui suscite aujourd'hui énormément d'interrogations. Le projet étant international, il appelait une réponse aussi internationale que possible. Le jour même où le projet a été annoncé, comme vous l'avez sans doute vu, la France présidente du G7 a décidé de créer une task force confiée à Benoît Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne et, surtout, spécialiste des paiements puisqu'il préside le Comité international des paiements à Bâle. Bruno Le Maire et moi-même avons signé une lettre de mission et des représentants des sept banques centrales seront présents, y compris de celle des États-Unis, ainsi qu'un certain nombre d'organisations internationales (le FMI, la Banque des règlements internationaux…). Ce groupe s'est mis en place, il fera un premier point au G7 ministériel de Chantilly les 17 et 18 juillet et travaillera jusqu'à l'automne en interrogeant assez fortement les promoteurs du projet et en essayant d'apporter le maximum de réponses.

Je ne valide pas à ce stade le terme de monnaie. Le mot anglais qui est utilisé est stable coin, ce qui veut dire jeton stable. Je vous rejoins tout à fait sur le fait qu'en tout cas il s'agit de quelque chose de différent du bitcoin. Le bitcoin est clairement un actif spéculatif ; le libra peut relever de la même catégorie juridique telle que vous l'avez votée dans la loi Pacte mais il n'a à l'évidence pas la même définition économique.

Il me semble que la question centrale est de savoir à quoi il sert. De ce qu'on croit comprendre aujourd'hui, il peut y avoir trois degrés d'ambition.

Le premier, qui apparaît le plus évident, c'est comme moyen de paiement, notamment comme moyen de paiement transfrontière. Nous devons d'ailleurs reconnaître qu'il y a des progrès possibles en la matière. Je vais prendre un exemple assez évident : les revenus transférés par les travailleurs immigrés des économies avancées vers leur pays d'origine sont souvent soumis à des frais de paiement transfrontières aujourd'hui très élevés. Supposons que le projet soit dirigé vers cette finalité. Cela pose déjà des questions réglementaires extrêmement significatives. Je vais en citer deux : la première, que beaucoup d'entre vous ont citée, est l'anti-blanchiment. Il est hors de question que le projet ne se soumette pas à des réglementations françaises, européennes et internationales qui sont très fortes en la matière. Nous fêtons cette année les trente ans du groupe d'action financière (GAFI) qui a une origine française. Je pense qu'aucun pays avancé n'acceptera que les réglementations anti-blanchiment ne soient pas respectées. Au passage, c'est un sujet complexe si les détenteurs de libra sont anonymes. L'autre question que j'évoque est la sécurité opérationnelle de ces transactions. Comment est-on protégé en termes de cybersécurité ? Comment fonctionnent les blockchains, innovation très prometteuse mais à petite échelle ? La question de la protection des données, qui dépasse le régulateur financier, se pose aussi.

Deuxième niveau : une intention affichée peut être d'offrir des services bancaires, de dépôt, de crédit ou de produits de placement. Les choses sont extraordinairement claires. Si c'était le cas, le projet ne pourrait être accepté dans aucune juridiction, y compris l'Union européenne, sans une licence bancaire et le respect de toutes les réglementations associées.

Un troisième niveau, un peu plus prométhéen, auquel nombre d'entre vous ont fait allusion, est l'idée de créer une monnaie mondiale privée. Cela pose des questions démocratiques et politiques, que vous avez soulevées. Cela peut poser un certain nombre de questions économiques et techniques fortes sur la politique monétaire. C'est probablement la partie la moins précise du projet et c'est pour cela que l'utilisation de l'expression monnaie mondiale me paraît devoir être évitée.

Selon sa définition traditionnelle, on reconnaît à la monnaie, depuis l'origine, trois attributs : c'est un moyen de paiement, c'est une unité de compte qui permet à tous d'exprimer les prix dans une monnaie reconnue, c'est une réserve de valeur. Le moyen de paiement que serait une monnaie privée de ce type soulèverait des vraies questions. L'euro a pouvoir libératoire, les paiements en euros sont obligatoirement acceptés entre deux parties, alors que dans le cas d'une monnaie privée ce ne pourrait être que volontaire. En termes d'unité de compte et de réserve de valeur, on ne voit pas bien la supériorité d'une monnaie privée, en tout cas dans les économies avancées et dans la zone euro, qui a effectivement la chance d'avoir une très bonne monnaie.

Toutes ces questions devront être regardées d'extrêmement près. Il n'est pas question que le projet commence s'il n'y a pas de réponse satisfaisante à ces questions et, en fonction de cela, de respect de l'ensemble des réglementations nécessaires.

Monsieur le rapporteur général, vous avez dit que l'environnement de taux bas a conduit à une forte augmentation de l'endettement. Je crois que cet enchaînement mécanique n'est pas acquis du tout. En zone euro, on observe partout des taux bas, qui soutiennent l'économie, mais l'évolution du crédit est assez différente selon les pays. On pourrait se demander pourquoi cette évolution est nettement plus forte en France que dans la moyenne de la zone euro. Les nouvelles sont en partie positives – le système bancaire a globalement fait son travail – mais nous avons peut-être de temps en temps une préférence pour la dette et une insuffisance des fonds propres, sur lesquelles il faut s'interroger.

Mais le coeur de votre question consiste à exprimer une crainte : ce fameux coussin contracyclique a-t-il ralenti le crédit ? Cette crainte avait été exprimée à l'avance par les banques. Nous avions dit que ce ne serait pas son effet et je crois que ce qui s'est passé depuis le montre très clairement. L'objectif du coussin contracyclique n'est pas de ralentir le crédit maintenant mais d'éviter un retournement du cycle de crédit lorsqu'il y a un retournement de la conjoncture. On a observé dans le passé que, quand le crédit aux PME est facile et qu'arrive un retournement économique ou financier, les besoins de provisions et donc de capital des banques augmentent brusquement et leur seule façon de faire face à ces besoins est de couper les crédits nouveaux. L'objectif du coussin contracyclique est précisément d'éviter cela. Pour utiliser une expression moins technique, ce sont des réserves qui pourront être utilisées au moment du retournement de cycle.

Vous avez ensuite posé la question de la contribution de la Banque de France à l'environnement. Comme cette question a été reprise par beaucoup de parlementaires, permettez-moi, là aussi, d'être un peu long.

C'est pour nous une préoccupation très importante. Plusieurs d'entre vous – notamment Madame El Haïry – ont salué l'action de la Banque de France et je les en remercie. Depuis fin 2017, le sommet One Planet à Paris, à l'initiative du Président de la République, a lancé ce qu'on a nommé le NGFS, le réseau pour verdir le système financier, très explicite sur son ambition.

Je relève au passage ce qui peut être un motif modeste de fierté collective et nationale : nous sommes partis à huit superviseurs et banques centrales et nous sommes arrivés, même si le point d'arrivée n'est pas encore définitif, à quarante superviseurs et banques centrales. J'étais à Bâle le week-end dernier et la dernière marque d'intérêt que nous avons reçue vient de l'Indonésie, qui n'est pas un pays mineur. Cinq ou six organisations internationales y participent, dont le FMI. Aujourd'hui, c'est une coalition de volontaires. Il manque évidemment un grand pays, que je ne citerai pas, mais il y a le Canada, le Mexique et d'autres pays des cinq continents. Cela témoigne d'une énergie, d'une volonté d'avancer qui se traduit par des vraies recommandations.

Le premier rapport opérationnel du NGFS a été publié lors d'une conférence que nous avons tenue à la Banque de France à Paris au mois d'avril dernier. Je pense que le leadership français en la matière est incontesté et c'est vraiment extrêmement prometteur. Je relève d'ailleurs qu'a eu lieu hier à Bercy une réunion sur la finance verte.

Pour aborder rapidement le contenu, les deux volets sont la stabilité financière et la supervision des banques et des assurances, d'une part, et la politique monétaire, d'autre part.

La première préoccupation est la stabilité financière et la surveillance des banques et des assurances, en ayant à l'esprit le fait que le risque climatique fait désormais partie du risque financier à long terme. Une banque exposée à ce qu'on appelle des actifs bruns est exposée au risque de transition : ses actifs qui, aujourd'hui, dégagent telle rentabilité économique et ont telle valeur en garantie peuvent en avoir beaucoup moins dans cinq ou dix ans. C'est le principal risque. Il est donc très important que cette banque s'organise pour mesurer ce risque de transition et qu'elle le publie. Je vous renvoie à cet égard au rapport très intéressant que l'ACPR a publié au mois d'avril dernier sur les banques et les assurances et le risque climatique, qui montre un progrès sensible de la gouvernance de ces risques climatiques, même s'il devra être confirmé.

Sur la politique monétaire, j'invite tous ceux d'entre vous qui sont intéressés par le sujet à regarder la revue de stabilité financière que nous avons publiée au mois de juin, revue annuelle à laquelle nous avons donné ce thème : comment contribuons-nous au verdissement du système financier ? Deux actions prioritaires me paraissent aller nettement au delà du fait de cibler les actifs verts ou d'exclure les actifs bruns.

La première action consiste à intégrer dans nos modèles économiques et dans nos prévisions l'effet du changement climatique. C'est nouveau, ce n'est pas facile mais cela nous paraît indispensable. De façon économique, cela peut avoir un effet stagflationniste, c'est-à-dire augmenter le niveau des prix et ralentir l'activité. Nous devons l'intégrer d'autant plus que les effets économiques de court terme que nous observons aujourd'hui englobent déjà des effets du changement climatique. Deux exemples européens peuvent être cités. Le récent ralentissement allemand était dû en partie au bas niveau du Rhin l'été dernier, qui a empêché les péniches de transporter les matières premières industrielles. De façon sans doute plus durable, les changements actuellement à l'oeuvre dans l'industrie automobile européenne sont liés aux nouvelles normes écologiques. Ce n'est pas du tout quelque chose que nous faisons simplement pour des raisons de conviction ou de responsabilité sociétale des entreprises mais quelque chose qui est au coeur de la prévision économique. Il faut que nous travaillions pour associer les scénarios climatiques et les scénarios économiques dans une perspective de plus long terme.

La seconde action concerne les liquidités que prête la Banque centrale au système financier en échange de garanties, de ce que l'on désigne par le terme collatéral. La solidité financière de ces garanties est évaluée. Il faut de plus en plus que nous intégrions dans l'évaluation de la solidité de ces garanties le risque climatique.

Monsieur Le Vigoureux, sur les monnaies locales, une liberté existe, mais en dessous d'un certain seuil, qui doit s'élever à un million d'euros. Au-dessus, il faut une autorisation de l'ACPR. Il se trouve que toutes les monnaies locales en France sont en dessous de ce seuil et il me semble qu'elles fonctionnent plutôt bien. C'est peut-être davantage un élément de lien social et territorial que de développement économique proprement dit. Certaines théories avancent qu'on augmente la vitesse de circulation de monnaie ; je les envisagerai peut-être avec un peu de prudence.

Vous avez posé la question de la « France sans cash ». Je crois qu'elle est centrale. Vous avez demandé si c'était réaliste et souhaitable. Je vais le dire très clairement, en tant que gouverneur de la banque centrale de notre pays : ce n'est ni souhaitable ni réaliste. La Banque de France n'abandonnera jamais les espèces car elles représentent un élément central de la liberté de choix de nos concitoyens et de leur confiance dans la monnaie. Nos concitoyens doivent pouvoir choisir entre le paiement en espèces, par carte, en monnaie électronique et par mobile. Notre rôle est de garantir l'égale qualité, sécurité, disponibilité et accessibilité de ces différents moyens de paiement. Je présenterai la semaine prochaine les conclusions de l'observatoire de la sécurité des moyens de paiement.

Ce sont nos concitoyens qui choisissent l'évolution de la part de ces différents instruments et ce que nous voyons, qui peut alimenter le titre un peu exagéré de la « France sans cash », n'est pas une disparition mais une érosion des paiements en espèces. En 2016, environ deux tiers des transactions réalisées en France l'étaient en espèces, ce qui nous situe très au-dessus des pays nordiques et en particulier de la Suède – qu'on cite toujours mais qui est plutôt une exception – et en dessous de l'Allemagne ou des pays du sud de l'Europe. Depuis 2016, cette part s'est significativement érodée, notamment à cause du développement du paiement sans contact auquel vous avez fait allusion. Mais même avec une utilisation moindre du cash, nous devons être là pour en assurer la production et la distribution de façon fiable ; nous devons d'ailleurs mener une réflexion avec les acteurs de la filière que sont aussi les transporteurs de fonds et les banques en vue d'une adaptation à l'érosion des paiements en espèces, avec une rationalité économique mais sans jamais diminuer la qualité, la sécurité et l'accessibilité que j'évoquais. C'est pour nous un élément central de notre mission.

Madame Dalloz, vous avez demandé comment on pouvait mesurer l'effet du protectionnisme. Vous avez raison, il n'existe pas de photo instantanée. Les économistes utilisent pour cela un autre terme de jargon, le contrefactuel, c'est-à-dire ce qui se serait passé s'il n'y avait pas eu. Les estimations sont toutefois très convergentes. Je vais citer l'exemple du Brexit, sans doute l'effet le plus proche de nous et sur lequel nous avons maintenant trois ans de recul. L'effet le moins souvent mentionné du protectionnisme, mais sans doute le plus négatif et en tout cas le plus immédiat, est le recul de la confiance, notamment de la part des entrepreneurs, et donc la baisse de l'investissement. Pour l'économie britannique, alors même qu'il n'y a toujours pas de tarif – étant donné qu'aujourd'hui la Grande-Bretagne est encore dans le marché unique – le niveau d'investissement des entreprises trois ans après le Brexit est de 20 % inférieur à celui qu'il aurait été avec la continuation de nos tendances. C'est très sensible et on estime que cela a un effet négatif sur le niveau de croissance de l'ordre de 2 %.

Concernant la question que vous avez posée sur le décalage entre le pouvoir d'achat et la consommation, vous avez évidemment raison sur les chiffres que je vous avais rappelés. Je précise juste que quand on parle d'augmentation de la consommation de 1,1 %, c'est bien une augmentation de la consommation en volume, après inflation. Le fait qu'elle soit inférieure à 1,3 % n'est donc pas significatif.

La baisse du taux d'épargne est, nous semble-t-il, un phénomène temporaire. Le taux d'épargne est toujours difficile à prévoir. Je vous renvoie à la note de conjoncture détaillée que nous venons de publier au mois de juin pour vous donner les chiffres sur la croissance de la consommation, un moteur central de la croissance : 1,1 % en 2019, 1,7 % en 2020 et 1,5 % en 2021, ce qui correspond au fait que petit à petit, l'épargne est consommée. Elle monte brutalement avant de revenir ensuite vers la moyenne de long terme.

À propos de Bâle 3, nous sommes tout à fait attachés à une transposition que j'ai appelée équitable et raisonnable pour le système bancaire français. J'ai invité à la prudence sur les chiffres de l'Autorité bancaire européenne ; à nos yeux, la transposition de Bâle 3, qui reste à négocier dans le cadre européen – on produit des chiffres alors qu'on ne connaît pas encore exactement les règles –, ne doit se traduire pour aucune banque française par une augmentation de capital dédié et doit être compatible, pour chaque banque française, avec la mise en réserve normale de résultats telle que nous l'avons observée ces dernières années. Je suis totalement d'accord avec vous lorsque vous rappelez qu'une bonne politique monétaire ne peut pas se substituer aux réformes structurelles.

Je pense avoir déjà répondu à la question de Madame El Haïry sur les actifs verts.

Madame Pires Beaune, j'espère aussi vous avoir répondu, mais nous pourrons y revenir si vous le souhaitez. J'espère que vous n'avez pas lu dans mon interview que vous citiez une quelconque complaisance vis-à-vis du projet de libra. Ces questions sont extrêmement sérieuses et il vaut beaucoup mieux les traiter de façon globale, c'est-à-dire à la fois regarder l'ensemble des questions et les regarder pour l'ensemble des pays. Les dirigeants politiques aux États-Unis ont émis un certain nombre de propositions contre les GAFA, mais cela va au delà de ma modeste compétence monétaire.

Sur les questions de Monsieur de Courson sur la hausse du taux d'épargne, je crois avoir répondu : elle est temporaire. Quant à la future réforme des retraites, je dirais que la l'information et la décision sont plutôt dans votre camp. Ce qui est très important pour nous, c'est la réforme du régime des retraites de la Banque de France lancée par mon prédécesseur en 2007, qui a conduit à une couverture à 100 % des engagements. Les règles sont extrêmement proches de celles de la fonction publique, sans avantage particulier associé au régime de la Banque de France. Les agents de la Banque de France ont fait un effort considérable pour moderniser l'institution. Si je peux formuler un souhait, c'est qu'ils aient droit à ce que ce régime de retraite, qui a été réformé, qui est financièrement équilibré et qui ne comporte pas de privilège indu, puisse être préservé, quelle qu'en soit la forme.

Sur le sens économique de taux d'intérêt négatifs, quand les premiers taux négatifs sont apparus – ce n'était alors pas en zone euro mais plutôt dans d'autres pays européens –, ils paraissaient aller quelque peu contre l'intuition. Nous observons depuis qu'ils ont un certain nombre de vertus économiques et recréent notamment une incitation à prêter, y compris car des taux courts très bas se transmettent de proche en proche aux taux longs qui comptent pour l'investissement des entreprises ou pour l'immobilier des ménages et qu'ils sont gérables, avec un certain nombre de mesures d'accompagnement pour les systèmes bancaires concernés. C'est une arme utile face à une situation d'inflation trop basse et de menace de déflation, qui s'est aujourd'hui heureusement éloignée grâce à l'utilisation des armes non conventionnelles. Il faut pouvoir l'utiliser tant que nécessaire avec les mesures d'accompagnement que j'évoquais.

Sur le risque de nouvelles crises financières, je n'ai pas le sentiment que Jean-Claude Trichet l'ait dit avec cette netteté. En tout cas, nous sommes très vigilants par rapport à l'évolution de l'endettement. Bien sûr, la politique monétaire est très favorable à la croissance et à l'emploi et peut avoir des effets dérivés que nous devons surveiller, mais un point très positif est le renforcement de la solidité du système bancaire. Le niveau de capital des banques françaises – les fonds propres durs – mesuré en proportion de leurs engagements pondérés a plus que doublé, passant de 5 à 6 % avant la crise à plus de 13 % aujourd'hui. Grâce à Bâle 3, les banques à l'échelle française, européenne et internationale sont beaucoup plus solides. Les risques existent – si je vous disais un jour le contraire, je manquerais à mon premier devoir – mais je crois que le système bancaire est plus solide.

Monsieur Coquerel, je ne vais pas revenir sur la question de principe sur la défense de la politique du Gouvernement. Je tiens beaucoup à l'indépendance de la banque centrale. Il m'a semblé que dans mon propos initial, tel ou tel paragraphe n'était pas une défense inconditionnelle.

Sur la gestion de la Banque de France, vous avez posé une question légitime : comment conciliez-vous la baisse des effectifs et le maintien des missions ? On peut même parler d'une augmentation des missions, si vous me le permettez. Nous avons des correspondants TPE que nous n'avions pas, nous avons beaucoup développé les technologies, la finance verte et la mission d'éducation économique et financière. Nous nous sommes beaucoup engagés sur la question des frais bancaires. Nous nous sommes mieux organisés. Depuis trois ans, les effectifs de la Banque de France ont diminué de 16 %, et ses dépenses de 11 % en euros courants. Permettez-moi de le dire avec un peu de fierté, au nom des 10 000 hommes et femmes de la Banque de France : je ne connais pas énormément d'institutions publiques ayant réalisé une performance de ce type et nous comptons, de façon raisonnable, continuer à assurer nos missions de la façon la plus efficace possible.

Sur le surendettement, vous avez émis l'hypothèse d'une baisse d'accès des usagers à nos guichets. Je ne le crois pas, mais si vous avez des indications en ce sens, j'y serai extrêmement attentif. Nous avons développé l'accès par Internet, par téléphone. Je précise que nous n'obligerons jamais un surendetté à déposer son dossier par Internet sans avoir la possibilité de le déposer physiquement. Nous maintenons l'ensemble des points de contact et c'est une vraie stratégie multicanaux et non pas une stratégie où on décide de fermer les guichets pour imposer d'aller sur Internet, ce qui créerait une fracture digitale.

Vous me permettrez d'être un peu plus long sur l'inclusion bancaire car c'est aussi une question que Monsieur Dufrègne a posée. Cela a été une très grande priorité de notre part face à un sentiment d'urgence et d'inégalité que nous ressentions. Deux engagements ont été obtenus des banques.

Le premier vaut pour l'ensemble des clients fragiles, soit plus de 3 millions. Au mois de décembre dernier, a été décidé un plafonnement à 25 euros par mois des frais bancaires. Pour faire respecter cet engagement, qui devait s'appliquer à compter du 1er février, nous avons initié des contrôles de l'ACPR sur pièces et sur place et mobilisé, dans tous les départements, l'Observatoire de l'inclusion bancaire (OIB) et les associations.

Nous avons constaté ensemble, au vu de ces contrôles et lors de la réunion avec l'OIB, que l'engagement était globalement bien appliqué depuis le 1er février, ce qui est un vrai progrès. Il le fallait. Le niveau moyen des frais bancaires annuels payés par les clients fragiles pour l'ensemble des banques était de 320 euros en 2017, ce qui était beaucoup trop. On est descendu à 300 euros en 2018, ce qui est encore trop. Les 25 euros par mois, qui étaient la moyenne en 2018, sont devenus le plafond en 2019. J'espère que nous allons voir une baisse très sensible pour les clients fragiles en 2019. Nous sommes en tout cas totalement mobilisés.

Le deuxième engagement pour ces clients fragiles – Monsieur Coquerel y faisait allusion – est la diffusion de ce qu'on appelle l'offre spécifique. C'est une offre simplifiée que toutes les banques, aux termes de la loi que vous avez votée en 2013, doivent proposer à leurs clients fragiles. La diffusion de cette offre était insuffisante. Elle est actuellement de l'ordre de 10 % et nous avons là aussi demandé un plafond de 20 euros par mois et 200 euros par an, donc en dessous du plafond global, ainsi qu'une augmentation de 30 % du nombre de bénéficiaires d'ici fin 2019. Les premières tendances vont dans le bon sens avec plus de 400 000 offres spécifiques à la fin du premier trimestre. Nous suivons cela de très près et nous partageons totalement votre préoccupation. Je salue quand même le travail de mobilisation réalisé par les réseaux bancaires en la matière.

Reste le débat entre Olivier Blanchard et la Cour des comptes. Je crois simplement qu'il y a un sujet de qualité de la dépense. Je ne suis pas du tout contre la dépense publique en soi. L'endettement peut avoir du sens s'il permet de financer des investissements et des dépenses qui augmentent la croissance future. Je relève simplement ce qui était le coeur de mon propos : dès lors que la France est à 54 % de dépenses publiques alors que nos voisins européens sont à 44 %, cet écart montre quand même que, globalement, il faut que nous regagnions de l'efficacité au niveau de la dépense publique et des services publics.

Si vous me permettez cette dernière phrase – je le dis comme un passionné du service public –, dans notre génie national il y a le service public. Sans remonter aux Capétiens, depuis les débuts de la Ve République, les services publics sont un atout français. Ils doivent être performants et au service du reste de la Nation et je crois que c'est possible. C'est ce qui m'anime à la Banque de France.

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