– Je voudrais revenir sur le sujet de l'inquiétude, qui, effectivement, est stratégique dans une politique médicale ou de santé publique qui consiste à vacciner un grand nombre d'individus.
Il faut bien avoir en tête qu'en médecine et en sciences existe la notion de rapport bénéfices-risques. Et dans le cas des vaccins, les scientifiques et les médecins observent que peu de produits de santé peuvent se targuer d'un aussi bon rapport bénéfices-risques. En effet, toute intervention médicale comporte un risque – y compris pour la personne qui vaccine : elle peut se blesser avec la seringue, si l'on veut envisager toutes les éventualités. Mais ce qui est important, c'est d'estimer ou d'évaluer ce rapport bénéfices-risques et de vérifier qu'il est extrêmement favorable, c'est le cas de la vaccination.
Il n'empêche que de nombreuses personnes, ainsi que des médecins, ont des inquiétudes. Il me semble important de ne pas rester sur le statu quo actuel et d'utiliser ces inquiétudes pour dynamiser la recherche. La recherche en vaccinologie doit contribuer à améliorer les vaccins, notamment leur efficacité, et à diminuer les risques potentiels, tout cela concourant à améliorer la confiance des concitoyens et des professionnels dans la vaccination.
La vaccination actuellement vise à administrer à une personne saine un produit qui mime une première rencontre avec un agent infectieux, sans entraîner d'infection. C'est-à-dire, si l'on fait un peu d'immunologie, faire passer une personne d'une réponse immunitaire dite primaire à une réponse immunitaire dite secondaire.
La réponse primaire correspond au type de réponse du système immunitaire lorsqu'il n'a encore jamais rencontré l'agent infectieux ; c'est une réponse d'efficacité moyenne, nécessitant un certain temps de latence après la rencontre de l'agent infectieux. La réponse secondaire est le type de réponse immunitaire observé lorsque le système immunitaire a déjà rencontré l'agent infectieux ; cette réponse est plus efficace et plus rapide, ce qui apporte une protection à la personne vaccinée vis-à-vis d'un agent pathogène.
Un aspect important dans la réponse immunitaire secondaire tient à l'effet mémoire. Lorsque l'on administre un vaccin à un individu, on lui permet de déployer une réponse extrêmement efficace en cas de rencontre du pathogène, et ce, sur le long terme, par l'induction d'une mémoire immunologique. Se pose alors le problème de la variabilité de la durée de cette mémoire en fonction des individus et des germes.
Par ailleurs, la tendance en vaccinologie est d'administrer un antigène seul, c'est-à-dire, pour l'expliquer simplement, un extrait du germe. Le plus souvent, l'antigène est synthétique. Il est préféré au germe entier atténué ou tué – une bactérie ou un virus – qui, dans de très rares cas, à la suite de son administration, pouvait recouvrer ses propriétés pathogènes. Injecter un antigène permet de s'affranchir de ce risque.
Il faut bien noter que les petites manifestations telles que la fièvre ou les douleurs articulaires observées à la suite d'une vaccination ne sont pas dues à la maladie contre laquelle le vaccin protège, mais à la stimulation du système immunitaire et à la réponse immunitaire qui s'en suit. Ces manifestations peuvent être soulagées par la simple prise de paracétamol.
Toutefois, dans le cas de l'administration d'un antigène seul, le peptide synthétique injecté n'induit pas toujours de réponse immunitaire efficace ; c'est pourquoi on utilise des adjuvants. La combinaison d'un adjuvant avec un antigène permet de stimuler la réponse immunitaire et de diriger cette réponse contre l'antigène inoculé. L'objectif étant de faire passer l'individu à une réponse immunitaire secondaire spécifique d'un agent pathogène d'emblée, si celui-ci était rencontré.
La question de l'existence de cas où le vaccin peut déclencher des maladies et notamment des maladies auto-immunes, a été posée. Une hypothèse est que, lorsque la réponse immunitaire est déclenchée, celle-ci ne soit pas spécifique de l'antigène – le peptide vaccinal – mais qu'elle se dirige contre un constituant du soi, c'est-à-dire un élément contre lequel le système immunitaire n'est pas censé se retourner – c'est la définition de la maladie auto-immune.
C'est donc un défi, pour la vaccination mais aussi pour l'immunothérapie, qui est de plus en plus utilisée pour le traitement de cancers et qui induit aussi artificiellement une réponse immunitaire, d'induire une réponse spécifique, contre un antigène et pas contre un constituant du soi.
Il y a eu des cas rapportés dans la littérature où des vaccins ont été responsables d'une réaction auto-immune ayant entraîné une maladie. Cela a été le cas pour un vaccin contre le virus H1N1, pour lequel ont été observés chez certains patients des épisodes de narcolepsie. Il faut bien noter que la narcolepsie n'est pas une maladie auto-immune, mais dans ces cas, il a néanmoins été montré que les symptômes avaient une origine auto-immune.
En revanche, les suspicions de scléroses en plaques dans le cas du vaccin contre l'hépatite B, pour lesquelles il y a eu des procès, n'ont jamais été avérées.
Il existe également une défiance liée aux adjuvants, concernant particulièrement ceux à base de sels d'aluminium. En France, certains chercheurs ont montré que l'accumulation de sels d'aluminium dans les tissus et, notamment au niveau des macrophages – cellules du système immunitaire – pouvait induire des manifestations neuromusculaires ou neurologiques. Ces travaux n'ont cependant pas été repris par d'autres scientifiques, alors qu'en sciences de la vie, il est considéré qu'un travail doit être répliqué pour être complètement validé.
Pour trancher ce débat, l'institut Cochrane va travailler de façon rétrospective, par le biais de méta-analyses, pour évaluer si des cas pathologiques peuvent être formellement liés à l'accumulation de sels d'aluminium. Pour information, on retrouve des sels d'aluminium dans d'autres produits, plus courants, comme les déodorants. Il ne s'agit là pas d'injection en l'espèce, mais il existe aussi d'autres produits, à l'instar de ceux utilisés dans les immunothérapies à base d'allergènes, qui sont injectés et qui, sur le long terme, constituent une source d'aluminium bien plus importante.
Je voudrais revenir sur la notion de protection : d'une part, la protection individuelle qu'offre la vaccination, d'autre part, la protection collective. Lorsque l'on vaccine quelqu'un, on le protège ; ce faisant, comme on l'aura empêché de contracter la maladie, on protège aussi son entourage. C'est en ce sens que l'on parle de « couverture vaccinale ». Si la couverture vaccinale est suffisante, elle empêche l'agent infectieux de se répandre dans la population, mais ce n'était pas le cas pour plusieurs vaccins, notamment celui contre la rougeole. On calcule qu'il faut une couverture vaccinale de 97 % dans le cas de la rougeole, alors que la couverture vaccinale en 2017 ne s'élevait qu'à 80 %, pour les enfants ayant eu le rappel.
Il ne faut pas oublier que la rougeole est une maladie potentiellement mortelle, et que, régulièrement, des gens en meurent. C'est donc un problème de santé publique, et le fait de rendre le vaccin obligatoire vise à obtenir une couverture vaccinale suffisante.
De même, le fait de différencier entre statut recommandé, d'une part, et obligatoire, d'autre part, laisse penser que certains vaccins sont moins importants que d'autres, comme si les maladies qu'ils entraînent étaient moins graves, ce qui est faux.
Il importe maintenant de réaliser un suivi des mesures prises pour évaluer leurs effets réels.
Depuis un an et demi, les résultats sont positifs : la couverture vaccinale est remontée pour le ROR (rougeole, oreillons, rubéole), pour le vaccin contre l'hépatite B également (+ 8 points).
Ce qui montre bien que le débat et la polémique ont finalement abouti à un résultat favorable. Le fait de partager de l'information sur ce thème a été très important. Il faut aussi remarquer qu'il n'y a pas eu, depuis cette mesure, d'augmentation des effets indésirables.
Il existe toutefois, si je puis dire, des « trous dans la raquette » de la vaccination. La grippe notamment n'est qu'un vaccin annuel, car les tentatives pour produire un vaccin universel qui pourrait protéger contre toutes les souches ont pour l'instant échoué et cela fait toujours l'objet de travaux de recherche. Des vaccins spécifiques sont donc produits, tous les ans, correspondant aux quatre souches présumées circulantes.
Un autre point est le fait que la grippe est une maladie grave à deux âges de la vie : chez les jeunes enfants et chez les personnes âgées. De plus, chez ces dernières – les seules pour lesquelles le vaccin est remboursé en France – l'efficacité en termes de protection vaccinale n'est pas très bonne, alors que ce sont elles qui sont le plus à risque. Se pose donc la question de savoir s'il faut également vacciner les enfants contre la grippe ou vivement recommander leur vaccination, ainsi que le personnel soignant de façon obligatoire. Pour les personnels soignants, l'aspect protection collective est effectivement à prendre en compte de façon primordiale puisqu'ils sont en contact avec des personnes dont la santé est fragile.
Je voudrais insister sur un autre point : le vaccin contre le papillomavirus est peu utilisé, alors que celui-ci est responsable de cancers du col de l'utérus, une pathologie fréquente, qu'on peut certes dépister, mais qui, tout de même, est grave. Le vaccin est maintenant remboursé par la Sécurité sociale, mais seulement pour les filles, alors que le virus est porté également par les garçons, qui peuvent le transmettre. Il faut aussi savoir que les garçons peuvent développer des cancers dus à ces souches de papillomavirus (HPV 18 et HP 16) ; c'est pourquoi nous préconisons la vaccination pour les garçons également, ainsi que son remboursement par la Sécurité sociale.
On note par ailleurs que la recherche n'a toujours pas abouti pour certains vaccins, comme ceux attendus contre le paludisme et contre le VIH.
Je voudrais terminer sur un point qui me paraît très important : la personnalisation de la vaccination. Lors de l'administration d'un peptide vaccinal, ce peptide est reconnu grâce aux cellules présentatrices de l'antigène, portant les récepteurs d'histocompatibilité, qui présentent l'antigène aux lymphocytes. Les récepteurs d'histocompatibilité sont encodés génétiquement (gènes HLA), et diffèrent d'une personne à l'autre. Lors du choix du peptide vaccinal, sa compatibilité avec toute la diversité des récepteurs d'histocompatibilité doit être vérifiée. Il faut aussi veiller à ce que la diversité génétique, notamment des habitants des pays en voie de développement – là où il y a le plus grand nombre d'individus atteints par des maladies infectieuses – soit dûment prise en compte dans l'élaboration des vaccins.
L'universalité des vaccins constitue un premier défi, la durée de la mémoire en est un autre. Je disais tout à l'heure que cette durée était variable d'un individu à l'autre et d'un pathogène à l'autre. Le fait que, après la grippe pandémique dite grippe espagnole en 1918-1920, des personnes soient restées protégées des virus grippaux pendant 80 ans après, tandis que d'autres ne le sont restées qu'une dizaine d'années, en constitue une bonne illustration, et cette différence doit être prise en compte. La baisse de l'immunité est d'ailleurs un des facteurs qui expliquent la résurgence de la rougeole.