Intervention de Thierry Breton

Réunion du mardi 16 juillet 2019 à 18h15
Commission des affaires sociales

Thierry Breton, directeur général de l'Institut national du cancer :

Le travail que nous faisons sur la cancérologie pédiatrique est un sujet important, difficile et délicat. Le cancer en soi est déjà une nouvelle douloureuse, elle l'est encore plus pour ces familles-là, lorsqu'il touche leurs enfants. J'ai beaucoup de considération pour la douleur de ces familles.

Comment nous organisons-nous ? À l'issue de vos discussions parlementaires et sur décision de la ministre de la recherche, 5 millions d'euros ont été octroyés. La gestion en a été confiée à l'INCa. Budgétairement, nous avons pris le parti de la demande qui nous a été faite et qui est tout à fait dans notre état d'esprit de travailler étroitement avec les associations, sur la définition des priorités que nous devions suivre, pour la bonne utilisation de cet argent.

On utilisera cet argent de la manière la plus utile possible mais il faut qu'on puisse le faire en réponse aux besoins des familles : c'est donc avec les associations que cela se passe. Nous avons identifié les quelques actions citées tout à l'heure autour de la structuration de l'effort de recherche, de l'information des familles, et d'une approche par l'analyse et le partage des données pour une plus grande connaissance, une meilleure détection et une meilleure compréhension de la survenue de la maladie.

Plusieurs d'entre vous ont cité l'appel à projets sur les inégalités portant sur le handicap et je vous en remercie. Ce n'est non pas une innovation mais une volonté et un changement de façon de travailler que nous avons engagés avec cet appel à projets. Notre ambition est de faire en sorte que l'ensemble des personnes qui sont touchées par des inégalités, en commençant cette année par les personnes qui ont un handicap, puissent accéder, dans les mêmes conditions que les autres, via des adaptations bien sûr, à l'ensemble des services de santé. Nous avons déjà travaillé sur les questions de dépistage. Nous travaillons aussi sur les questions de prévention. Notre point est extrêmement pratique. Nous n'avons pas d'a priori sur les points qu'il nous faut traiter si ce n'est cet objectif de faire en sorte que comme tout un chacun, ils puissent accéder aux mêmes services. Nous n'avons pas d'a priori sur les types de solutions que nous avons trouvées. La démarche dans laquelle nous nous engageons est une démarche qui s'apparente plutôt à de la recherche interventionnelle. Notre idée est d'identifier des solutions qui ont été construites sur le terrain, d'en mesurer la transférabilité et ensuite de les déployer au niveau général. Nous devons plutôt partir des acteurs de terrain et de leur approche, car ils sont au plus près des besoins et ont parfois apporté des réponses pertinentes pour qu'au niveau national, on les évalue et qu'on les déploie ensuite.

C'est une autre façon de faire sur le handicap ; ce sera notre façon de faire sur les inégalités. Nous pensons que nous prenons collectivement la priorité des inégalités de trop haut ; nous regardons les sujets de manière trop générale. Dorénavant, notre méthode sera donc de s'attaquer aux problèmes rencontrés par des groupes de population – les handicapés, les populations précaires, les détenus – pour apporter des solutions avec les acteurs qui sont autour de ces personnes-là.

Sur l'accompagnement du parcours et la place du médecin généraliste dans l'orientation, on considère que la question se pose chez le médecin généraliste et qu'elle se pose évidemment aussi dans l'établissement, l'orientation et la capacité à identifier les « soins de support » dont peut avoir besoin le patient sont un point extrêmement important. C'est une des vocations de l'INCa ; ce n'est pas uniquement pour faire joli, c'est parce que nous croyons que cela participe du processus de rétablissement et que c'est important.

Sur la dimension psychologique, on met plus de choses que des troubles très marqués ou des pathologies psychiatriques. Je ne suis pas psychiatre mais on y met aussi un accompagnement qui peut relever de l'épisode dépressif. Dans ce cadre-là, nous travaillons, à la demande de la ministre de la santé, sur un parcours modélisant qui va concerner dans un premier temps les femmes après une chirurgie d'un cancer du sein pour essayer de voir dans quelle mesure on peut proposer un parcours qui soit composé, que ce soit à l'établissement ou en ville, de la dimension thérapeutique bien sûr, mais aussi d'un accompagnement psychologique proposé, détecté, « diagnostiqué », orienté et solvabilisé.

C'est une question sur laquelle nous travaillons, et qui pourrait servir de modèle. Dans ce parcours, nous avons un sujet autour de l'activité physique adaptée, qui est un point extrêmement important, en termes de prévention primaire. On sait que le rôle de la pratique physique adaptée en population générale, pour nous tous, est très salutaire ; c'est un facteur protecteur de la survenue des cancers. On sait aussi que c'est un enjeu important en prévention tertiaire car il accroît la survie et l'efficacité des traitements. Nous avons travaillé dans ce parcours sur la prise en compte de l'activité physique adaptée. Nous essayons aussi d'apporter notre expertise pour pouvoir définir qui doit prescrire et dispenser une activité physique adaptée. Ensuite, il y a un sujet, comme vous le savez, d'organisation et de solvabilité.

En tout cas, ces deux items font partie de la demande que la ministre de la santé nous a adressée pour travailler sur ces aspects et modéliser un parcours intégrant ces deux dimensions.

L'initiative des Entreprises contre le cancer paraît très intéressante et nous les rencontrerons volontiers. Le reste à charge est évidemment un sujet important. Nous avons pour projet de cartographier le reste à charge, après les complémentaires. Nous essayons de travailler avec certaines mutuelles sur cette question-là. Pour vous rappeler simplement que le reste à charge a été réduit, puisque sur un certain nombre d'actes, notamment en chirurgie mammaire reconstructrice, la prise en charge a été améliorée. Effectivement, il y a encore un reste à charge, dans le parcours complet, dans le parcours de santé et après le passage en établissement, qui est important et sur lequel nous travaillons avec l'assurance maladie mais aussi avec les mutuelles pour mieux le cartographier et le mesurer. Nous avons des actions avec certaines mutuelles, avec la Fédération des mutuelles de France, sur ces questions.

Sur le numérique, je ne vais pas faire le grand prophète au titre de mon expérience déjà très ancienne en matière d'informatique – je ne suis pas sûr d'être très à jour. Effectivement, c'est un chantier extrêmement important, sur lequel j'ai un regard attentif.

Il y a différents sujets. Il y a celui de la transformation numérique du service. On a aujourd'hui la possibilité de mettre en place des solutions qui répondent à des besoins de nos concitoyens patients ou de nos concitoyens d'une manière générale. Je pense en particulier sur la logique de parcours. Ce sur quoi nous nous engageons à l'INCa, c'est pour l'instant plus une méthode qu'un objet très particulier, c'est de considérer que, même si l'on a quelques bonnes idées autour de la table à partager collectivement, on a besoin de savoir quelles sont les difficultés que rencontrent les gens. On les connaît, pour certaines d'entre elles, mais pas toujours, ou en tout cas, on ne sait pas bien identifier quelle pourrait être la réponse la plus adaptée. Nous allons mettre en place à l'automne ce qui s'appelle un living lab. Le living lab est autour de la transformation numérique du service, c'est l'idée de mettre dans un même endroit au même moment, des patients qui expriment un besoin, des autorités comme l'NCa qui ont une vision générale, des start-up de l'informatique et autres concepteurs qui vont pouvoir, dans l'expression du besoin, essayer d'apporter une réponse et ensuite déboucher sur des outils concrets. Dans le domaine du numérique, nous devons déboucher sur des outils concrets et apporter un service enrichi, qui dépasse ce que le service public sait faire habituellement – distribuer des droits, de l'argent. Il faut qu'on distribue des modalités d'accompagnement et de facilitation. Je crois donc que le parcours est un enjeu de demain.

Il y a le sujet de l'intelligence artificielle, dont on voit le développement. On entend parfois des discours très prometteurs et presque miraculeux. L'intelligence artificielle pose une question technique – savoir ce qu'elle peut produire ; elle pose une question méthodologique – qui est capable d'interpréter ces données ? Il y a des spécialistes de l'informatique mais il y a aussi des médecins, des cliniciens. Ce ne sont pas les informaticiens qui ont le sens des données. En tout cas, le potentiel est très fort : les implications sont nettes sur l'imagerie médicale, elles seront demain sur le dépistage dans la lecture des mammographies, elles sont dans l'exploitation de nos bases de données qui sont extrêmement riches à l'INCa et elles sont dans l'aide au diagnostic en posant une question d'éthique fondamentale qui est de savoir, dans la décision et dans la discussion, quelle est la position relative du médecin et de son assistance intelligence artificielle.

Nous sommes vraiment très soucieux de voir quels sont les progrès qui peuvent être apportés par l'intelligence artificielle. Le potentiel est énorme. Il y a quelques points de vigilance qu'il faut avoir à l'esprit. Pour l'instant, nous voudrions concrétiser des projets pour voir quels pourraient être ces apports là et pourquoi et comment on pourrait en tirer quelque chose au service des patients.

Dans nos relations avec la HAS et l'ensemble des organisations et des agences sanitaires et de recherche, nous avons une coordination très simple. Elle est organisée déjà au sein de l'INCa, parce que nous sommes en charge de la stratégie décennale, de l'accord de mission et de sa mise en oeuvre. Nous avons des relations très étroites et très constructives avec l'ensemble des acteurs, construites et formalisées dans des accords-cadres que nous actualisons régulièrement et qui nous permettent d'avancer conjointement dans l'intelligence collective la plus importante possible et dans le respect des compétences de chacun.

Je finirai sur la question de la déclaration des maladies professionnelles. Nous avons travaillé avec le syndicat de la médecine du travail sur une fiche de déclaration qui peut aider les médecins du travail à poser le diagnostic et à faire en sorte que les cas justifiés soient identifiés et reconnus comme affection de longue durée au tableau 30 des tableaux des maladies professionnelles. C'est un sujet très important pour nous mais assez éloigné dans l'organisation et le déploiement. C'est vrai que ce n'est pas une approche et une sensibilisation que nous arrivons à faire passer facilement au sein des services de médecine du travail : non pas qu'il y ait un désintérêt, mais les outils sont plus longs à diffuser que ce que l'on peut observer dans notre sphère plus naturelle qui est la santé publique.

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