Mardi 16 juillet 2019
La séance est ouverte à dix-huit heures quinze.
Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, présidente
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La commission des affaires sociales entend, en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, de M. Thierry Breton, dont le renouvellement en tant que directeur général de l'Institut national du cancer (INCa) est envisagé.
Nous recevons M. Thierry Breton, directeur général de l'Institut national du cancer, l'INCa, auquel je souhaite la bienvenue au nom de tous les commissaires des affaires sociales.
Par courrier en date du 24 juin dernier, M. le premier ministre, en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, a demandé à M. le président de l'Assemblée nationale de bien vouloir inviter notre commission à procéder à l'audition de M. Breton, dont le renouvellement est proposé aux fonctions de directeur général de l'INCa. En effet, l'INCa fait partie des neuf instances dont le président et le directeur général sont auditionnés par le Parlement avant leur nomination.
Je rappelle que l'INCa est l'agence sanitaire et scientifique de l'État chargée de coordonner les actions de lutte contre le cancer, créée par la loi de santé publique du 9 août 2004. Il est placé sous la tutelle conjointe du ministère de la solidarité et de la santé et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il est constitué sous la forme d'un groupement d'intérêt public qui associe l'État, les grandes associations de lutte contre le cancer, les caisses d'assurance maladie, les organismes de recherche et les fédérations hospitalières.
Je vous rappelle qu'en vertu de l'article L. 1415-4 du code de la santé publique, le directeur général de l'INCa est nommé par décret pour une durée de cinq ans. La commission vous avait déjà auditionné à ce titre le 23 juillet 2014 et plus récemment, le 19 septembre dernier, nous vous avions reçu avec le professeur Norbert Ifrah, président du conseil d'administration. Depuis cette audition, le Parlement a adopté la loi du 8 mars 2019 visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques, par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels, le droit à l'oubli issu d'une proposition de notre collègue Nathalie Elimas. Enfin, je précise que votre curriculum vitæ nous a été transmis et que conformément à l'usage, il a été communiqué à l'ensemble des commissaires, la semaine dernière.
Madame la présidente, merci pour votre accueil. Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie d'abord du temps que vous allez me consacrer pour écouter les quelques mots que je vais prononcer devant vous sur les politiques de lutte contre le cancer, dans le cadre de mon éventuel renouvellement en tant que directeur général de l'INCa. Je suis honoré d'être devant vous et de vous faire cette présentation.
Quelques mots, au préalable, pour camper un peu le décor.
Vous connaissez sans doute déjà ces chiffres, mais il est important d'avoir à l'esprit à quel point les cancers sont un poids important dans notre société, au niveau mondial, mais bien sûr au niveau français. Je rappelle simplement que nous avons estimé en 2018 qu'il y a eu 382 000 nouveaux cas de cancer et 157 000 décès. Aujourd'hui, ce sont près de quatre millions de personnes qui ont eu ou qui vivent avec un cancer. C'est donc peu de chose de dire que si nous n'avons pas nous-mêmes été concernés, nous connaissons des proches qui ont pu être touchés par la maladie. Cette maladie a donc un retentissement très important dans notre société.
Elle reste la maladie la plus redoutée : 96 % des Français la classent dans les maladies les plus redoutées, ce qui est significatif de l'attention et du fait qu'elle nous concerne collectivement.
Madame la présidente, vous avez dit quelques mots sur l'INCa que je compléterai pour vous rappeler que nos missions ont été définies par la loi, comme vous l'avez dit et récemment enrichies – merci de votre confiance.
Notre mission première est d'être des experts sur l'ensemble des champs qui concernent le cancer : la prévention, la recherche, les recommandations aux professionnels de santé, les bonnes pratiques, l'information du grand public, l'organisation des dépistages. Nous sommes les experts de ces questions-là, pour cette maladie, avec deux objectifs : d'une part, d'éclairer les politiques de lutte contre le cancer et l'ensemble des décideurs qui concourent et qui contribuent à apporter des réponses à nos concitoyens et, d'autre part, d'apporter à nos concitoyens autant que faire se peut, un service qui soit adapté à leurs besoins.
Je le dis avec d'autant plus d'attention que c'est pour nous un engagement qui est important, c'est une chose à laquelle je suis très vigilant. Une agence nationale est une agence nationale. Bien sûr, elle a un rôle de coordination, de fédération des acteurs, elle doit faire émerger des initiatives, de nouveaux objectifs mais elle doit aussi rendre un service de proximité, si ce n'est géographique, elle doit répondre aux besoins des concitoyens et c'est un point important pour nous et pour moi en particulier.
Avant de voir ce que pourraient être les perspectives que je me proposerai volontiers de mettre en oeuvre aux côtés du président, le professeur Norbert Ifrah, que vous connaissez et de l'ensemble des collaborateurs de l'Institut, quelques mots pour vous dire où nous en sommes. Plutôt que de parler de moi, je vais plutôt parler, si vous le voulez bien, des politiques de lutte contre le cancer, pour voir ce qui, aujourd'hui, est digne d'une forme de satisfaction, avec toute l'humilité et la modestie qu'il convient d'avoir au regard des situations douloureuses auxquelles sont confrontés les patients et leurs familles.
Ces dernières années, ce n'est pas une nouveauté mais il faut quand même le rappeler, il y a eu beaucoup d'innovations, de progrès dans les thérapeutiques, sources d'un espoir nouveau ou en tout cas renforcé. Des progrès dans le champ du médicament, avec l'arrivée des immunothérapies qui sont plus efficaces, qui permettent d'avoir des traitements plus ciblés, plus personnalisés, correspondant mieux à la situation médicale et biologique du patient. Dernièrement, les CAR-T, peut-être en avez-vous entendu parler, sont une nouvelle technique qui permet, en réactivant la réponse immunitaire, d'apporter une réponse efficace. La radiothérapie a aussi évolué, elle est plus efficace et moins délabrante. La radiothérapie de conformation à modulation d'intensité est une technique qui est déjà à l'oeuvre dans le territoire et qui apporte des réponses meilleures à nos concitoyens. La chirurgie aussi a progressé, elle est plus efficace et plus rapide, elle est moins délabrante et plus conservatrice, elle est plus importante qu'auparavant en part ambulatoire.
On a, en matière de prise en charge et des thérapeutiques, des progressions et des progrès qui sont importants et vont dans le sens d'une plus grande efficacité, d'une plus grande efficience et de quelque chose qui concourt à améliorer la qualité de vie de nos citoyens.
L'un des points importants de l'INCa, et c'est une de ses raisons d'être, est de considérer que le patient n'est pas uniquement un patient et un malade. C'est aussi une personne, un individu qui a des besoins économiques, sociaux et psychologiques. Nous cherchons donc à développer une approche globale. Cela fait un peu technocratique mais c'est la réalité. On considère le point de vue du patient pour savoir ce qu'on peut lui apporter comme réponse. De ce point de vue, on a enregistré aussi quelques progrès. Je voudrais signaler le droit à l'oubli, qui permet à des candidats emprunteurs ayant été malades dans des délais pouvant aller au maximum à dix ans, cinq ans pour les enfants et moins de dix ans pour une douzaine de pathologies cancéreuses, d'accéder à des conditions d'emprunt de droit commun et de pouvoir faire un projet immobilier comme tout un chacun, de retrouver une vie normale et de s'y projeter comme tout le monde.
Je signale le sujet du cancer et de l'emploi, même si les progrès sont modestes. Nous faisons une étude qui s'appelle La vie après le cancer. Cinq ans après un diagnostic, on estime qu'un malade sur cinq a perdu son emploi. Il y a donc des pertes de revenus, mais pas uniquement. Il y a aussi une dimension personnelle et professionnelle qui est importante et qui concourt, nous y croyons, au projet de rétablissement du patient. On a commencé à mobiliser les entreprises sur cette question-là. C'est une question difficile car la maladie reste malgré tout encore un peu tabou, difficile à appréhender en entreprise. Nous avons pris le parti, en créant un club des entreprises, de mobiliser des entreprises et de les aider du point de vue de l'Institut, de leur offrir des outils pour aborder ces questions-là, qui sont difficiles. Aujourd'hui, nous avons une quarantaine d'entreprises qui se sont engagées à nos côtés.
Regarder l'évolution et les progrès c'est évidemment regarder les progrès thérapeutiques. Je ne ferai pas la liste de toutes les évolutions des taux de survie nets à cinq ans. Ce taux mesure l'effet de la maladie cancer. En à peu près quinze ans, on est passé pour le cancer du sein d'un taux de survie net à cinq ans de 80 % à 87 %, pour le colorectal de 54 % à 63 %, pour les leucémies concernant les enfants de 81 % à 87 %. Je n'égrène pas par localisation. Nous n'avons pas de chiffre général, cela n'aurait pas de sens en réalité. C'est pour vous dire que tout ce champ d'innovations, toute la progression de la prise en charge se traduisent, et c'est pour cela que l'on travaille, par une amélioration de la survie de nos concitoyens.
Si je regarde du côté du plan cancer 3, qui arrive bientôt à échéance, 2019 étant sa dernière année d'exécution, nous avons réalisé 83 % de nos jalons. Nous n'irons sans doute pas au terme et nous ne réaliserons pas 100 % du plan. Ce n'est pas tout à fait surprenant, il y aura encore du travail derrière. Nous avons une exécution budgétaire qui est à peu près conforme à ce que prévoyait le Président de la République en 2014, puisqu'il avait annoncé à peu près 1,5 milliard sur ce troisième plan – nous sommes en train de consolider les chiffres mais nous serons probablement un peu en dessous.
On ne peut pas, pour terminer ce petit bilan, ne pas dire un petit mot sur l'Institut. Nous avons fait ces dernières années, moi-même, le président Ifrah, la présidente Buzyn, mes prédécesseurs et les précédents présidents, un travail très important pour constituer une agence qui, je le dis personnellement avec modestie mais quand même avec conviction, a su prouver son efficacité. Elle a d'ailleurs été soulignée à l'occasion de plusieurs rapports parlementaires. Elle a su prouver et démontrer une valeur ajoutée dans le paysage des agences que vous connaissez avec un ministère et des acteurs territoriaux que sont les agences régionales de santé. Elle a su montrer qu'elle était capable de rendre un service, qu'aujourd'hui ou hier, tout le monde ne rendait pas à nos différentes communautés, nos différents publics : la population générale quand on est en prévention, quand il s'agit de dépistage, les médecins lorsqu'il s'agit de recommandations de bonnes pratiques, les chercheurs lorsqu'il s'agit de financer la recherche.
Je voudrais saluer ici tous les collaborateurs de cette agence qui sont très mobilisés, très concernés et très impliqués autour de nos questions. C'est un sujet difficile, mais qui nous implique tous très fortement. C'est une agence qui est donc dynamique, qui va de l'avant, et qui a, je crois, même s'il y a encore des progrès à faire, démontré sa valeur.
En termes de gestion, je signale simplement qu'après quelques années de déséquilibre financier, nous sommes revenus à l'équilibre financier structurel, que nous avons renforcé nos dispositifs de production d'expertise et d'indépendance de l'expertise, efforts qui ont été soulignés, à la fois par notre déontologue et par la Commission nationale de déontologie et des alertes en santé publique, et que nous avons contribué, comme d'autres, à la réduction de la dépense publique et aux efforts de réduction de nos emplois, qui, durant mon mandat, s'élèvent à peu près à 15 suppressions de postes. Nous étions 187 à la création de l'agence, nous sommes aujourd'hui 150.
Après ce tableau qui vise à nous dire qu'il y a matière à avoir espoir, des espoirs qui sont les nôtres pour les patients, il faut que l'on regarde lucidement ce que sont les points un peu aveugles, les points noirs de notre situation. Quelques chiffres permettent d'abord de montrer que le poids du cancer dans la société française ne va pas réduire. Malheureusement, pour des raisons qui sont des raisons de survenue de la maladie, d'évolution démographique, l'incidence croît fortement. Elle a crû de 65 % pour les hommes depuis 1990 et de 93 % pour les femmes. Cette progression est due à une évolution démographique, car c'est une maladie qui est liée au vieillissement, mais elle est également due à une augmentation des facteurs de risque du cancer, ce qui constitue un signal d'inquiétude très fort. On observe quand même une augmentation beaucoup plus importante de la part des facteurs de risque dans la survenue des cancers des femmes. 45 % de cette incidence est due à une augmentation du facteur de risque. Vous retrouvez là la question de la consommation de tabac mais pas uniquement. La mortalité a aussi crû de 6 % pour les hommes et de 26 % pour les femmes.
Cette maladie reste redoutée, car quand bien même les espoirs sont plus importants, quand bien même le taux de survie s'améliore pour la plupart des cancers, cela reste un moment de douleur profonde, de douleur physique, cela reste un moment de détresse, cela peut être un moment de dépression. Cette maladie a un impact psychologique très fort et en réalité, la plupart du temps, quelle que soit la gravité, c'est un impact assimilable à une rupture véritablement biographique, c'est-à-dire un changement fort et un moment très délicat qui s'opèrent. Avec la guérison, on espère la possibilité d'engager une nouvelle étape de sa vie.
Le parcours reste difficile. Il l'est dans le moment de l'information liée au diagnostic, dans l'articulation entre ville et hôpital. Je répète des choses que vous connaissez bien. Il est difficile aussi de prendre en compte, malgré les efforts qui sont faits, l'ensemble des dimensions des patients.
Malheureusement, cette maladie croît en nombre, malgré les efforts et elle ne se réduit pas dans son impact puisqu'on observe qu'environ deux tiers des patients ont des séquelles cinq ans après le diagnostic – douleurs, fatigue. Nous avons du travail sur cette question-là car le fardeau ne va pas s'alléger. L'impact reste très fort.
Par ailleurs, certains cancers sont très mal guéris. Je ne vais pas vous donner les taux de survie mais je prends quelques cancers dont le taux de survie net à cinq ans est inférieur à 20 % : cancer du pancréas, cancer du poumon, cancer du sein triple négatif, glioblastome du tronc cérébral chez l'enfant. Quelques cancers ont de très mauvais pronostics et ne suivent pas le rythme d'évolution générale que nous pouvons observer sur l'ensemble des localisations.
Je finirai sur un dernier point négatif, avec cette petite nuance sur le tableau et les progrès. Malheureusement, les facteurs de risque restent très importants. Lorsque l'on dit que 40 % des cancers sont évitables – c'est un chiffre qui est établi pour notre compte par le Centre international de recherche contre le cancer –, cela veut dire que, même si ce n'est pas tout à fait exact, nous pourrions éviter 160 000 nouveaux cas de cancer tous les ans. Les facteurs de risques sont le tabac (68 000 nouveaux cas de cancer et 45 000 décès) et l'alcool (28 000 nouveaux cas de cancer et 16 000 décès). Il y a parfois des choses que l'on connaît moins bien : le cancer du sein ce sont 8 000 cas de cancers liés à l'alcool ou encore le surpoids, avec 18 000 nouveaux cas par an.
Tout cela pour vous dire que dans ce paysage où les innovations sont extrêmement importantes, où les espoirs sont forts, il reste beaucoup de choses à faire et que nous souhaitons, à l'INCa, avec le professeur Ifrah, dans le cadre de la loi du 8 mars 2019, réfléchir et voir quelles doivent être nos orientations stratégiques pour demain.
La question est relativement simple, même si les réponses sont nombreuses : comment demain, pouvons-nous améliorer la santé de nos concitoyens ? C'est la seule mission de l'INCa et de l'ensemble de ses partenaires, c'est cette question-là qui doit guider notre travail, c'est cette question qui guide notre réflexion et nos propositions. Comment améliorer la santé de nos concitoyens, comment apporter des réponses à des gens qui sont dans la souffrance, à des familles qui sont dans la difficulté, à des professionnels de santé qui peuvent l'être aussi ? Comment apporter des réponses à des chercheurs qui veulent pouvoir s'engager dans des travaux plus compliqués ?
C'est l'ensemble de ces questions qui vont concourir à améliorer la santé de nos concitoyens. Il ne faut pas se contenter de mettre en place des outils, des travaux, des dispositifs, des choses qui permettent d'accompagner les patients. Aujourd'hui, on considère que c'est fait, et on va donc penser à autre chose pour les prochaines années. La première des choses que nous avons à faire et la première responsabilité de l'INCa, c'est de faire vivre tout ce qui a été mis en place par les trois plans cancer : les dispositifs, les outils, les réponses que nous essayons d'apporter avec ces trois plans aux patients sont très importantes. Certains sont très concrets comme le parcours, le dispositif d'avance, certains sont plutôt sur la recherche. Il faut prendre garde à continuer d'améliorer ces outils, continuer d'améliorer la prise en charge, continuer d'améliorer le service rendu à nos concitoyens dans une logique d'amélioration continue de la qualité pour continuer d'accompagner au mieux et de mieux en mieux les patients d'aujourd'hui. Ce que nous proposons pour la suite sera plutôt pour les patients de demain.
Ce qui nous anime et ce qui est une priorité partagée avec le président Ifrah, c'est une impulsion publique supplémentaire. Nous la proposons de manière un peu différente de ce qui a été fait jusqu'à présent. Il nous semble que dorénavant, après une phase de mobilisation générale qui a sans doute été nécessaire, il nous faut sérier et attaquer des objectifs, des défis plus réduits en nombre plus réduit, plus importants et sur lesquels on sait que, si nous ne mettons pas des forces supplémentaires collectivement – il ne s'agit pas que de l'INCA –, aucune avancée ne sera enregistrée. C'est sur ce défi que nous proposons, avec le professeur Ifrah, de travailler dans les prochaines années dans le cadre de la préparation de la stratégie décennale dont vous voulez nous confier la coordination.
La prévention d'abord, je le disais tout à l'heure : 40 % des cancers sont évitables, 160 000 nouveaux cas de cancer pourraient être évités tous les ans, c'est considérable. C'est notre première priorité : on ne va pas se mettre dans un monde idéal, mais imaginez ce que serait l'impact d'une politique de prévention dont l'efficacité serait de 100 %. Cela n'existe pas évidemment, mais c'est une ambition première dans notre action et notre stratégie depuis de nombreuses années déjà, que nous souhaitons renforcer.
Mon point de vue et ce que je souhaite faire avec l'INCa, c'est changer de braquet et passer à une autre façon de faire de la prévention. C'est d'abord s'engager dans une stratégie de long terme. Il nous faut durablement renforcer l'intensité de nos actions de prévention et nous engager dans une stratégie de long terme qui soit répétée car malheureusement aujourd'hui tous les acteurs de santé et les agences de santé ont du mal à se faire entendre de nos concitoyens, malgré les efforts qui sont faits. Nous devons nous engager à renforcer nos moyens et à le faire de la manière la plus intelligente possible. C'est dans la répétition que nous croyons pouvoir engranger des résultats. Il faut le faire en prévoyant ce que j'appelle un écosystème – c'est un peu impropre mais c'est pour vous faire comprendre que ce ne sera pas qu'une action de communication. Nous devons avoir un ensemble de dispositifs qui vont faire que les changements de comportement sont possibles. Dans les dispositifs et ce qu'il nous faut faire vis-à-vis de nos concitoyens : redonner le sens, pourquoi dit-on qu'il faut consommer moins d'alcool, pourquoi dit-on qu'il faut consommer moins de tabac ? On pense que c'est relativement bien su de la population mais quand on regarde les baromètres, on se rend compte qu'il y a une confusion très forte sur les niveaux de risque. Ces questions sont mal connues et il faut les rappeler. On n'informe pas nos concitoyens de l'intérêt de l'arrêt de la consommation de tabac. 47 000 décès sont liés à la consommation de tabac en France, ce sont donc autant de vies gâchées et autant de pertes au niveau collectif.
Nous devons mener cette stratégie de prévention avec des interventions de proximité. Il y a l'opération « Mois sans tabac » conduite par Santé publique France. Il faut que nous ayons à l'esprit que la communication et l'intervention de proximité doivent s'appuyer sur la communication. Il faut qu'on accompagne nos concitoyens sur ces questions-là. Il faut aussi mettre un troisième pilier sur cette stratégie en mobilisant autant que faire se peut, malgré toutes les difficultés qu'il peut y avoir, l'ensemble des leviers réglementaires, fiscaux ou économiques, sur ces questions, car on sait que c'est une dimension qui compte.
Pour vous donner un seul exemple, je considère que la sécurité routière, dans son organisation, est un exemple. On avait 12 000 décès par an dus à des accidents de la route dans les années 1970, on en a 4 000 aujourd'hui – c'est toujours une grosse mobilisation. Je pense que c'est l'impact et l'efficacité des politiques publiques. C'est aussi un impact sur le long terme et des changements de comportements qui sont intervenus, c'est le fruit de la communication, c'est le fruit des dispositifs mis en place en matière de contrôles, d'amendes, de contraventions, de sécurité sur les routes. C'est aussi le fruit d'un travail fait avec les constructeurs sur la sécurité et la vitesse. C'est un point important.
C'est donc un ensemble qui nous permettra d'avancer, ensemble qui doit s'inscrire dans une stratégie de long terme.
Sur le dépistage du cancer du sein, nous avons fait un effort important. La participation est aujourd'hui d'environ 60 % sur le dépistage organisé. Il y a 58 000 nouveaux cas de cancer du sein par an ; nous avons fait un effort extrêmement important pour retisser un lien de confiance avec les femmes. Cet effort passe par un plan de modernisation du programme de dépistage et par une information complètement remaniée pour la rendre plus accessible et plus complète. Notre ambition est de donner à chacune une information qui lui permette de décider en conscience, de savoir si elle participe ou pas au programme de dépistage. C'est une information experte, fondée scientifiquement, qui fait le point sur les bénéfices et les limites du dépistage du cancer du sein, mais qui réaffirme aussi, comme le font la plupart des pays occidentaux, que la participation au programme de dépistage de 50 à 74 ans est une recommandation dont le bénéfice est net.
Sur le sujet du cancer colorectal, nous sommes malheureusement confrontés à une situation d'échec. La participation est d'environ 30 %. C'est pourtant un cancer qui est très bien soigné et qui, lorsque le dépistage est fait, est guéri neuf fois sur dix. Le test de dépistage et les traitements que nous pouvons proposer ensuite sont très efficaces. La participation est trop faible, elle est liée à des problèmes d'organisation. À titre de comparaison avec la sécurité routière, où on avait 12 000 morts dans les années 1970, le cancer colorectal représente 16 000 en 2018. C'est un sujet de mobilisation. Notre objectif est de lever des freins organisationnels. Le fait de mettre à disposition de nos concitoyens un kit de dépistage est un enjeu majeur. Mon objectif est aussi de faire en sorte que chez nos concitoyens, la participation à ce programme de dépistage soit une routine, que cela s'insère dans les moeurs, car ce dépistage est efficace et il protège.
S'agissant de la prostate, il n'y a pas de dépistage organisé sur le sujet. Il y a une façon de détecter qui pose un certain nombre de questions, notamment sur le dosage du PSA. Je crois que nous devons, comme nous l'avons fait avec les femmes, retourner vers les hommes pour organiser et mettre à disposition une information qui leur permette d'être très au clair sur les bénéfices et les limites du dépistage par PSA dans les cancers de la prostate. Ce sont 50 000 nouveaux cas de cancer tous les ans.
Deuxième sujet : les séquelles. Je le disais tout à l'heure, ce sont près de deux tiers des patients qui, cinq ans après le diagnostic du cancer, souffrent de séquelles physiques et psychologiques ; trois personnes sur quatre souffrent de douleurs cinq ans après. Notre ambition est de réduire l'impact de ces séquelles. Cela passe par la désescalade thérapeutique pour engager des traitements moins lourds, pour repérer les séquelles plus tôt afin de les réduire. On a par exemple le cas du repérage de l'insuffisance rénale qui peut survenir au cours de la maladie ; repérée tôt, elle peut être guérie. Cela passe aussi par l'organisation du suivi et du parcours. Je pense en particulier au suivi à long terme des enfants, dont les séquelles doivent être repérées, identifiées, atténuées bien sûr, tout au long de leur vie. Cela passe par une nouvelle mobilisation sur les questions d'emploi. Je crois qu'il faut qu'on approfondisse ce sujet et la mobilisation des entreprises sur ces questions-là. Il est certain que du point de vue de l'INCa, nous n'arriverons à rien sans une mobilisation des entreprises pour accompagner ces salariés.
Le troisième axe qui me paraît extrêmement important, c'est de s'attaquer à ces cancers de mauvais pronostic que j'évoquais tout à l'heure, ceux dont on guérit très mal et pour lesquels, malheureusement, nous n'avons que très peu de réponses aujourd'hui à apporter aux patients. Les rythmes de progrès thérapeutiques sont très lents. Ce sont des situations très difficiles et des cancers très douloureux.
Nous avons besoin d'un effort de recherche accru mais cela ne dépend pas que de moyens financiers. C'est aussi une façon de penser la recherche qui doit évoluer. Il faut repenser notre effort, il faut penser différemment de ce que l'on peut faire sur les autres cancers, nous avons besoin de plus de moyens sur ces questions-là. Il faut structurer la recherche sur ces questions, ce sont des sujets qui sont extrêmement difficiles dans lesquels les équipes de recherche ne s'engagent pas beaucoup, parce que c'est risqué, parce que c'est difficile d'obtenir des résultats. Il faut penser l'accompagnement de ces équipes, il faut inciter ces équipes à venir les accompagner de manière bienveillante, pour qu'elles puissent progresser, rester durablement et que nous puissions obtenir des progrès thérapeutiques dans la prise en charge des cancers. Je crois que nous devons aussi penser les essais cliniques d'une autre façon pour ces cancers-là, car la modalité classique d'organisation des essais cliniques est relativement lente. Il faut qu'on ait des essais cliniques plus fluides, plus rapides, qui portent sur des groupes de malades moins importants et qui nous permettent d'aller plus vite dans la consolidation des connaissances pour apporter toujours plus vite des réponses à nos concitoyens qui malheureusement sont touchés par cette maladie.
Voilà ce que je voulais vous dire, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés : quelques éléments de fond sur la politique de lutte contre le cancer, pour resituer un paysage, redire ce qu'est l'INCa. Si j'ai l'honneur d'être renouvelé dans ce mandat, vous pouvez compter sur moi et sur ma détermination et ma conviction entières pour faire tout ce qu'il est possible de faire à hauteur d'hommes et de femmes, pour faire progresser et améliorer la santé de nos concitoyens.
Nous sommes une agence moderne, c'est comme cela que je la considère. C'est une agence agile, elle est active, elle est entreprenante, elle est innovante – elle va essayer de l'être plus – et elle est constituée d'hommes et de femmes qui sont vraiment très impliqués et très mobilisés sur ces questions. La mobilisation doit être collective. L'ampleur des sujets que j'ai décrits vous donne à voir l'importance de la tâche qui nous attend. Dans cette mobilisation collective, votre commission et votre assemblée y ont un rôle important. Je considère qu'il nous faudra de l'audace, de la force, de l'esprit d'innovation et il nous faudra aussi certainement des moyens pour réaliser nos ambitions au service de l'ensemble des Français, des patients et des familles.
Merci monsieur le directeur général pour cette belle plaidoirie en faveur de l'INCa, au-delà de vous-même.
Si le cancer demeure la première cause de mortalité en France, le risque d'en décéder a diminué, notamment grâce aux progrès thérapeutiques et aux diagnostics plus précoces malgré l'inégalité territoriale. La recherche, objet d'une politique volontariste qui doit être soutenue, a permis des progrès conséquents avec des traitements plus efficaces et plus adaptés. Les démarches de prévention individuelle et collective permettent de dépister chaque année des milliers de cancers et d'éviter des traitements lourds et des souffrances. Nous avons voté l'année dernière en ce sens la gratuité du dépistage des cancers du sein et du col de l'utérus pour toutes les femmes de 25 ans. Il faut encore s'attacher à informer les citoyens sur la nécessité impérieuse de la prévention. Aujourd'hui, plus d'une personne sur deux guérit d'un cancer, au point que l'Organisation mondiale de la santé la classe parmi les maladies chroniques. Nous nous devons donc d'accompagner le malade psychologiquement, physiquement et socialement dans sa reconstruction. L'année dernière, l'INCa a publié les résultats d'une enquête réalisée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) sur la vie cinq ans après un diagnostic de cancer. Il en résulte que plus d'un quart des personnes ont connu une diminution des revenus. L'étude présente les profils les plus vulnérables sur les marchés du travail. Il s'agit de femmes, de travailleurs indépendants, de non-diplômés qui vivent souvent seuls. Cinq ans plus tard, un cancer a toujours un impact négatif sur leur vie professionnelle. La détérioration de leur situation au travail est souvent marquée par une accélération de sortie dans l'emploi. Parmi les personnes en activité au moment du diagnostic, une sur cinq ne travaille pas cinq ans après. Le taux de retour à l'emploi est proche de zéro. 33 % de la population française est en situation de précarité ; après un cancer, c'est 66 %. Ces chiffres sont intolérables.
Monsieur le directeur général, dans le cadre des missions de l'INCa, j'adhère totalement à votre stratégie d'envisager les parcours de vie du patient dans le long terme. J'ai entendu que vous avez pris en compte la question de la précarité de l'emploi depuis la parution de ces résultats. Aussi, si un quatrième plan cancer était envisagé, cette question de la précarité de l'emploi constituerait-elle une de vos priorités ?
Monsieur le directeur général, merci de votre exposé. Le cancer est une pathologie qui nous concerne tous, directement ou indirectement, et je souhaite féliciter l'INCa pour toutes les actions conduites de lutte contre le cancer, leur mise en oeuvre et leur suivi. Mieux prévenir les cancers, diagnostiquer plus tôt, garantir l'accès à des soins de qualité pour tous dans le respect du principe d'équité et rendre plus accessibles innovation et progrès, apporter une information adaptée aux populations, aux patients et aux professionnels, rechercher des moyens plus efficaces pour prévenir, diagnostiquer et traiter sont des enjeux majeurs. L'INCa a pour ambition de jouer un rôle d'accélérateur de progrès en apportant une vision intégrée des dimensions sanitaire et scientifique, sociale et économique, ceci bien évidemment au service des personnes malades, de leurs proches, des usagers du système de santé, de la population générale, des professionnels de santé et des chercheurs.
Vous l'avez évoqué, beaucoup d'innovations, de progrès dans les thérapeutiques sont intervenus et sont source d'espoir nouveau. Vous avez noté un taux de survie à cinq ans augmenté pour une majorité de cancers et nous ne pouvons que nous en réjouir. Nous avons également conscience qu'il y a un certain nombre de cancers qui sont associés à une chance de survie plus restreinte.
Avec l'avènement des techniques de génotypage et de séquençage haut débit, il est aujourd'hui possible d'identifier les altérations somatiques caractéristiques d'une tumeur. Ces connaissances ont un impact grandissant sur le diagnostic, la prévention et le traitement des maladies. Ainsi, l'étude des altérations génétiques des cellules tumorales doit permettre le développement de nouveaux outils diagnostiques et l'identification de nouvelles stratégies thérapeutiques. Un test ADN pour détecter les gènes porteurs de cancer et autres maladies est désormais disponible et accessible à tous au Royaume-Uni. Sa commercialisation ne pose pas de problème particulier. Il n'est pas présenté comme un test de diagnostic génétique et de ce fait, il échappe au contrôle de l'Agence nationale de contrôle du médicament. En France, l'hypothèse de la commercialisation d'un tel test paraît peu réaliste. En effet, le dépistage génétique est strictement encadré selon le code civil qui dispose que l'étude génétique (les caractéristiques d'une personne) ne peut être entreprise qu'à des fins médicales ou de recherche scientifique. L'information du génome peut permettre de mieux traiter certaines pathologies, mais aussi d'éviter qu'elles apparaissent. Le cancer en fait bien évidemment partie. J'aimerais connaître la position de l'INCa sur cette médecine génomique.
Monsieur le directeur général, merci pour les éclairages que vous venez de nous apporter et pour votre action au service de l'INCa, organisme dont les missions me tiennent particulièrement à coeur.
Permettez-moi d'avoir aujourd'hui une pensée pour Élise, neuf ans, qui s'est éteinte ce matin après six ans de combat contre la maladie. Vous avez parlé d'innovation, vous avez parlé de progrès source d'espoir. Vous avez aussi parlé d'efforts de la recherche et de défis à relever. En voilà un qu'il nous faudra relever tous ensemble, celui de pouvoir enfin soigner ces cancers pédiatriques incurables.
J'aurais deux questions à vous poser. Tout d'abord, comme vous le savez, la loi visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques dont j'ai eu l'honneur d'être rapporteure a été promulguée en mars dernier. Son article premier prévoit que l'INCa propose une stratégie décennale de lutte contre le cancer, définissant notamment les axes de la recherche en cancérologie et l'affectation des crédits dédiés spécifiquement à la recherche en cancérologie pédiatrique. Vous avez mis en place des groupes de travail mensuel avec les associations de familles pour définir les objectifs de dépenses et suivre l'utilisation des crédits. Pouvez-vous, sur ce point, faire un point d'étape sur vos travaux aujourd'hui ?
Ma seconde question porte sur l'action de l'INCa en faveur spécifiquement de la prévention des cancers pédiatriques. En effet, alors que les causes des cancers des adultes sont plutôt assez souvent connues, identifiées en tout cas, on ne sait toujours pas pourquoi les enfants tombent malades. Il serait par exemple essentiel de proposer systématiquement aux familles d'enfants diagnostiqués de participer à une étude épidémiologique, à travers un questionnaire ou un prélèvement biologique, par exemple. À l'heure actuelle, ce type d'étude ne serait proposé qu'à deux familles sur dix, alors qu'une recherche des causes pour chaque patient pourrait permettre de repérer les facteurs de risque au cas par cas, de sensibiliser les familles, d'améliorer la détection précoce et in fine, de réduire le nombre d'enfants diagnostiqués. Quelles sont vos propositions en la matière ?
Merci de votre présence devant notre commission cet après-midi et de votre exposé qui rend bien compte de l'action décisive de l'INCa dans la lutte contre le cancer.
On estime que 40 % des cancers seraient liés à notre mode de vie, à notre environnement. Je pense en particulier au papillomavirus : des voix s'élèvent pour ajouter la vaccination HPV dans le calendrier vaccinal obligatoire, quel est votre avis à ce sujet ?
Je rejoins ma collègue Nathalie Elimas concernant le cancer des enfants. À l'automne dernier, notre assemblée avait acté la nécessité d'aller plus loin dans la lutte contre le cancer des enfants, d'abord par l'adoption d'un amendement au projet de loi de finances visant à consacrer 5 millions d'euros supplémentaires par an à la recherche puis en votant de manière unanime la proposition de loi portée par notre collègue ici présente. Pourriez-vous nous en faire un bilan d'étape et nous préciser les progrès réalisés en ce sens ?
En Polynésie française, le gouvernement se dit favorable à la création d'un Institut polynésien du cancer, associant recherche et enseignement, qui serait une référence dans le Pacifique. Il s'agit d'un projet ambitieux, en partenariat avec le gouvernement français, visant à permettre un suivi plus performant de la maladie. Aujourd'hui, trop de nos concitoyens polynésiens doivent se rendre en France ou en Nouvelle-Zélande pour y être soignés. L'Institut polynésien du cancer serait aussi un pôle d'attractivité pour la recherche grâce au laboratoire mutualisé d'anatomo-cytopathologie de l'Institut Louis-Malardé et du centre hospitalier de Polynésie française. Enfin, un tel projet participerait de la dynamisation de l'enseignement et de la cancérologie en lien avec l'université de Polynésie française. In fine, il s'agit de faire de la Polynésie française un pôle au rayonnement régional dans le Pacifique, en matière de lutte contre le cancer. Monsieur le directeur général, quelle pourrait être l'action de l'INCa pour que la création de cet institut soit une réussite ?
Je m'associe aux questions posées par mes collègues sur les progrès espérés concernant les cancers pédiatriques.
Je voudrais vous interroger sur les moyens à déployer concernant les transformations de nos modes de vie, de travail et de production, de consommation pour limiter la survenue de cancers. Nous savons qu'il y a beaucoup à faire et c'est lié à la deuxième préoccupation qui est la mienne, celle de la recherche des causes. Quels sont les outils que vous envisagez de déployer pour savoir quelles sont les sources des cancers, lorsque c'est possible de le savoir ? Je prends l'exemple de la récente étude publiée par l'agence régionale de santé la semaine dernière dans les Bouches-du-Rhône, avec des résultats sur les cancers de la vessie, notamment des résultats assez contrastés. Je voudrais savoir si vous avez un avis sur les résultats de cette enquête.
Je voudrais également vous interroger sur la mise en place sans doute nécessaire de registres des cancers couvrant le territoire national. Nous en sommes très loin aujourd'hui, du retard a été pris. Très récemment, dans mon territoire, un registre a été mis en place mais trop de temps a été perdu pour cela.
Il y a par ailleurs des besoins croissants en termes de praticiens, avec le développement d'un certain nombre de traitements ambulatoires pour les cancers et médicamenteux. Comment votre institut peut-il contribuer à la formation des praticiens dont nous avons besoin ?
Je voudrais enfin vous interroger sur le prix des médicaments pour soigner le cancer, sur la nécessité sans doute de mieux identifier la part de la recherche publique dans ces nouveaux médicaments au prix souvent exorbitant (cela a été dénoncé par de nombreux spécialistes) et la nécessité d'avoir un pôle public de recherche et de production de médicaments qui permette d'être mieux en phase et plus réactif face aux besoins.
J'aurais deux questions. La première porte sur la démocratie sanitaire. Lors de votre audition devant la commission des affaires sociales du Sénat en 2014, avant votre nomination au poste de directeur général de l'INCa, vous aviez déclaré que l'approfondissement de la démocratie sanitaire constitue un élément essentiel car elle contribue à identifier les solutions les plus appropriées et à avancer collectivement vers une amélioration des prises en charge. Vous aviez réaffirmé que si vous étiez nommé au poste de directeur général, vous veilleriez à renforcer le travail de l'INCa avec les représentants des usagers. Ma question est simple : quelles sont les mesures concrètes que vous avez pu mettre en place afin de développer la prise en compte des usagers et de leurs représentants, dans l'organisation et le fonctionnement du parcours de soins en cancérologie ? Et dans quelle mesure ces dispositions ont-elles porté leurs fruits et ont permis une meilleure prise en charge des patients ?
Ma seconde question a trait à votre formation initiale en informatique. Dans votre début de carrière, vous avez beaucoup travaillé au sein de sociétés de services en informatique. Je voulais connaître votre appréciation sur les perspectives d'évolution des soins en cancérologie au regard du bouleversement que constitue la révolution numérique dans notre système de santé.
Madame Mireille Robert, oui, l'emploi est une priorité. C'est un peu nouveau pour l'INCa, parce que nous sommes une agence sanitaire et scientifique, donc ce n'est pas notre champ de prédilection et de compétence directe. Nous avons décidé et pris l'initiative de nous organiser avec nos camarades du ministère du travail, de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail et de l'association nationale des DRH. Nous allons travailler avec les organisations syndicales et patronales, il faut fédérer les acteurs essentiels autour de cette impulsion que nous portons.
C'est une priorité et c'est un travail de longue haleine. C'est aussi dans la persévérance, dans l'effort régulier et dans l'intelligence collective que nous y arriverons. Un point qui est central pour moi : nous n'arriverons à rien sans les entreprises. On peut critiquer à bon droit certaines entreprises qui ont effectivement des attitudes et des comportements qui ne sont pas acceptables. La plupart sont en réalité dans une situation pas évidente à traiter, avec des sujets qui sont compliqués à aborder, qui posent plein de questions. Notre propos est de les rassembler autour de nous et de les aider à faire face à ces situations.
Concernant la médecine génomique, madame la députée Corneloup, la position de l'INCa est claire et assez ancienne. Mes prédécesseurs ont mis en place des plateformes de génomique moléculaire, qui permettent à notre pays, à travers vingt-huit plateformes, de disposer d'un outil qui est très innovant, déjà accessible et qui, grosso modo, permet de tester 68 000 tumeurs par an. Ce sont les chiffres que j'ai en tête et qui permettent d'identifier les altérations particulières qui permettent de caractériser les tumeurs et d'apporter le traitement spécifique le plus adapté. C'est quelque chose qui existe. Notre ambition est d'aller vers une médecine qui soit non pas personnalisée mais de précision, pour arriver à identifier de manière de plus en plus précise la situation particulière pour pouvoir apporter une réponse qui soit la plus efficace thérapeutiquement. La France a décidé de se doter, à travers le plan de France médecine génomique, porté par l'alliance Aviesan et l'INSERM, d'une infrastructure extrêmement importante sur ces questions-là. Nous y travaillons, c'est un outil public qui est à la fois un outil de soins et un outil de recherche, nous y contribuons et il est en cours d'installation. Les deux premières plateformes ont été désignées.
S'agissant des outils et des tests qui peuvent exister et qui sont un peu légion sur le marché, je crois qu'ils posent une question collective aux régulateurs. Nous avons des tests qui sont en réalité des dispositifs médicaux, dans la plupart des cas, c'est-à-dire qu'ils ne passent pas les mêmes fourches caudines que celles de l'évaluation des médicaments. Nous sommes très attentifs sur la survenue de ces tests au regard de l'intérêt qu'ils peuvent porter mais nous sommes extrêmement vigilants sur leur efficacité car il y a, dans ces tests, des enjeux extrêmement importants – je passe les enjeux commerciaux, ce sont des enjeux d'efficacité. Les tests sont caractérisés par un certain nombre d'éléments, dont la valeur prédictive positive ou la valeur pronostique. Il faut que ces tests soient très efficaces pour qu'on puisse soutenir le fait qu'on les mette sur le marché. Il y a des tests qui existent aujourd'hui et qui ne le sont pas, qui peuvent conduire au fait qu'une équipe déciderait de ne pas administrer une chimiothérapie adjuvante à l'occasion d'un cancer du sein, après une chirurgien et qui pourraient décider ladite équipe, se fondant sur ce test, pour décider à mauvais escient, ce qui entraînerait une perte de chance pour la femme concernée.
Nous avons donc un sujet quant à l'évaluation de ces tests. Un récent rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) s'est plongé sur quelques-uns d'entre eux, dans une offre qui n'est pas nationale mais mondiale ; ce n'est donc pas évident.
Madame Elimas, vous m'avez posé deux questions sur la stratégie et sur la pédiatrie. Je distinguerai deux choses. Il y a la préparation de la stratégie décennale de lutte contre les cancers qui pour nous est la prochaine stratégie et qui couvre l'ensemble des sujets. Encore une fois, merci de votre confiance et de la mission qui nous est confiée, qui nous tient à coeur et sur laquelle nous avons déjà commencé à travailler. Cela fera l'objet d'une proposition qui sera transmise au Gouvernement pour une annonce de la prochaine stratégie. Nous travaillons pour cela en interne avec l'ensemble de nos partenaires, les agences régionales de santé, les cliniciens, les praticiens... C'est un travail de conception que nous sommes en train de faire et qui reprend les trois orientations que je vous ai données et les trois ambitions.
Sur la pédiatrie, un groupe a été mis en place : c'est une task force pédiatrie avec les associations, là aussi à l'issue de vos propositions et de la décision de madame la ministre Frédérique Vidal, d'abonder de 5 millions d'euros supplémentaires la recherche en cancérologie pédiatrique. Nous sommes en train de travailler avec les associations pour identifier les actions prioritaires sur ces questions. Dans les enjeux que nous avons identifiés, l'un, me semble-t-il, pourrait être qualifié de structuration et qui porte beaucoup sur notre capacité à faire venir de jeunes chercheurs sur ce champ de la recherche. Le sujet des jeunes chercheurs est un point important ; nous essayons de voir comment on peut organiser le fait qu'ils ne soient pas uniquement français et faire en sorte qu'il y ait un peu de mobilité pour les associer, les faire venir sur cette discipline. Il y a un sujet de connaissance, de cartographie et d'informations sur ce que permet la recherche sur les progrès, sur les essais cliniques. C'est un petit sous-ensemble, il existe via des outils qui seront proposés aux familles pour une meilleure information.
Nous identifions aussi un enjeu de recherche et de partage des données. C'est un point qui est particulièrement crucial. Vous disiez qu'on devrait connaître un peu mieux l'histoire naturelle de la maladie ou en tout cas mieux comprendre comment la maladie survenait. Je pense que c'est une question qui est très importante à laquelle nous pouvons espérer répondre au niveau national. Je crois que nous pouvons y répondre encore moins difficilement au niveau international. Le nombre de cancers pédiatriques est très important mais malgré tout relativement faible – il y a environ 2 500 nouveaux cas de cancer par an, d'enfants et de jeunes. Il faut qu'on partage les données : c'est ce qui nous permettra, avec cette cartographie et notamment notre travail avec nos collègues américains, de mieux comprendre quelles sont les conditions et ce qui peut causer la survenue des cancers.
Mme la députée Sanquer, sur la vaccination HPV, oui, nous la prônons. La HAS a émis récemment une recommandation sur la vaccination à partir de 30 ans. C'est pour nous une façon très claire de s'attaquer au sujet du cancer du col de l'utérus et d'autres cancers, en réalité, avec l'espoir, comme on peut le voir se dessiner dans d'autres pays, de l'éradiquer.
Sur l'Institut de Polynésie, nous sommes à disposition, dans la limite de nos moyens qui, vous l'avez compris, sont assez modestes, de l'Institut et des autorités polynésiennes pour travailler. Il y a quelques semaines, j'ai reçu le ministre de la santé de Polynésie pour permettre à des professionnels de Polynésie de se former et de découvrir les plateformes de génétique moléculaire. On peut tout à fait imaginer une coopération pour aider l'Institut dans ces questions-là.
Monsieur le député Dharréville, la transformation des modes de vie est un sujet vaste et compliqué. Il est extrêmement important de rechercher les causes ; ceci étant, on en connaît les principales, aujourd'hui en tout cas. Quand j'énumérais tout à l'heure les résultats sur le tabac, sur l'alcool et sur le surpoids, aujourd'hui ce sont des chiffres internationaux qui sont très clairs : la consommation de tabac, ce sont 45 000 décès par cancer – il y a d'autres pathologies, je vais y revenir –, l'alcool 16 000. Nous avons une très bonne connaissance des principaux facteurs de risques qui sont liés à des modes de vie, à des habitudes de vie qui sont malheureusement marqués aussi par des inégalités fortes.
Néanmoins, je comprends que vous posiez la question, plutôt sur le sujet de l'environnement et du travail. Aujourd'hui ce que l'on peut voir, si je prends l'environnement, on estime qu'environ 3 % des cancers sont liés à des facteurs environnementaux. C'est notre connaissance d'aujourd'hui, compte tenu de ce que nous avons mis en place et des moyens d'observation que nous avons mis en oeuvre ; ce n'est pas une vérité absolue. Ces questions sont extrêmement délicates et difficiles à appréhender, au sens où les expositions environnementales et la survenue des cancers sont difficiles à établir. Les expositions peuvent être faibles, de longue durée, elles peuvent être des poly-expositions, elles peuvent être cumulées avec un facteur de risque dit « principal » qui peut accroître, aggraver ou faciliter la survenue du cancer. Nous avons besoin – et c'est un point qui est important pour nous dans la prochaine stratégie – de travailler au moins comme guide idéal, autour de la notion d'exposome que vous connaissez, c'est-à-dire comment s'organiser pour déjà mesurer les expositions, observer les expositions et ensuite essayer de trouver, si ce n'est une causalité, une corrélation de quelques éléments d'indices qui soient mobilisables et qui nous permettent d'approfondir l'acte de recherche. C'est un sujet qui est devant nous et qui occupera une place importante, à côté des autres facteurs de risque qui sont déjà bien identifiés.
Nous contribuons à la formation des praticiens, notamment sur la cartographie des formations.
Nous sommes évidemment très sensibles au prix du médicament. Pour les dernières techniques mises à disposition, les prix sont relativement élevés. Ils posent clairement des questions de soutenabilité. Je crois que dans le prix du médicament, il faut arriver à regarder ce qui est ou pas de l'innovation, ce qui apporte une amélioration du service médical rendu nette ou pas. C'est vraiment le rôle de la HAS, avec laquelle nous travaillons.
Je crois aussi qu'il y a un équilibre à trouver dans la réflexion que nous avons sur l'innovation. Je crois qu'il y a une petite course à l'innovation et aux nouveaux médicaments qui, parfois, n'est pas la bonne solution. Parce qu'on peut effectivement constater que, sans doute, ce sont des segments qui ont plus de valeur pour certaines entreprises que les médicaments plus anciens, malheureusement, qui sont pourtant très efficaces. Je voudrais vous citer un exemple dans une des leucémies de l'enfant où le progrès et l'innovation n'ont pas résidé dans la survenue et l'élaboration d'un nouveau médicament mais dans l'ajustement des doses et du protocole thérapeutique des médicaments déjà présents sur le marché. Je crois qu'il faut qu'on ait cela aussi à l'esprit : c'est une façon de ne pas faire une course à l'échalote sur l'innovation des médicaments.
Madame Dubié, la démocratie sanitaire était l'un de mes enjeux importants. On a mis en place un comité de démocratie sanitaire que l'on réunit trois à quatre fois par an. On lui soumet toutes nos propositions importantes, sur lesquelles il émet un avis. Il a un ordre du jour et des travaux qu'il peut engager lui-même. Cela vaut pour le parcours, pour ce qu'on appelle le dispositif d'annonce, pour la recherche aussi. Il peut élaborer des propositions. Il travaille avec nous dans la réflexion sur l'élaboration de la stratégie. Nous avons aussi lancé une concertation citoyenne pour fonder un peu les orientations stratégiques que je vous ai proposées tout à l'heure, via une enquête et donc avec un appel à contributions, car il est important d'être bien au fait et de bien percevoir ce que sont les attentes de nos concitoyens. Nous continuerons bien sûr dans les prochains mois. J'ajoute que tous nos groupes d'évaluation et la plupart de nos recommandations associent un représentant des patients pour participer et faire valoir la voix des patients dans l'ensemble de nos activités. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que nous sommes arrivés à l'objectif que je m'étais fixé en 2014, avec une très bonne intégration des représentants de patients, dans ce travail-là.
Sur l'informatique, vous avez lu mon curriculum vitæ avec attention et je vous en remercie. C'est un champ important, il y a un changement numérique, autour de la transformation numérique et de l'évolution du service, qui est déjà en cours. La prochaine évolution majeure, déjà à l'oeuvre, c'est l'intelligence artificielle. Au sein de l'INCa, nous avons constitué une plateforme de données qui s'appelle la plateforme de données Cancer. Nous avons énormément de données et nous travaillons avec des équipes de recherche pour utiliser au mieux ces données afin d'apporter un meilleur service aux patients.
Monsieur le directeur général, vous avez souligné les progrès technologiques, les progrès de la thérapie, qui ont fait progresser le taux de survie. On peut donc déjà se réjouir que huit enfants sur dix guérissent – j'ai connu le rétinoblastome où on a un taux de survie de près de 100 %. Pour autant, il y a encore beaucoup trop de décès. Dans le cadre de ces lésions, les progrès de la génomique ouvrent effectivement des perspectives de thérapie qui suscitent de grands espoirs. On a délivré des autorisations temporaires d'utilisation, mais avec des coûts assez exorbitants. Comment réfléchir pour l'accès aux soins, dans le cadre éthique ?
Quelle méthode a été choisie par l'INCa pour permettre une bonne allocation des nouveaux fonds accordés par le ministère de la santé ? Comment coordonner ces actions de recherche, notamment au niveau international et en particulier au niveau européen ?
Monsieur le directeur général, nous sommes bien sûr tous préoccupés par cette maladie qu'est le cancer. J'ai quatre questions à vous poser.
Comment s'organise le travail de l'INCa avec celui de la HAS ? Celle-ci a émis plusieurs recommandations concernant la prévention et le traitement du cancer : comment cette articulation se fait-elle avec le plan cancer et avec toutes les organisations qui travaillent dans ce sens ?
Au regard de votre parcours et alors que nous interrogions la semaine dernière la directrice générale de la HAS sur le développement du numérique dans le secteur de la santé, quelles sont vos recommandations pour une application de ces nouveaux outils dans les hôpitaux spécialisés dans la lutte contre le cancer ?
Pour revenir sur les inégalités d'accès aux traitements, celles-ci sont souvent liées à la catégorie socioprofessionnelle et souffrent aussi de graves disparités territoriales. Comment accélérer la prise en charge en territoire rural et comment réduire ces inégalités sociales et territoriales ?
Enfin, concernant les associations de lutte contre le cancer et d'aide aux malades – je pense plus spécialement aux associations concernant les cancers pédiatriques –, comment l'INCa peut-il intervenir pour apporter plus de cohérence, plus de coordination, plus de force à tous les efforts qui se développent ?
Je voudrais bien sûr vous entendre sur les attentes des familles et des parents qui demandent plus de recherche, plus de moyens, plus d'audace scientifique. Nous nous sommes battus il y a quelques mois pour qu'il y ait des moyens financiers supplémentaires pour la recherche. Où en sommes-nous ? Pouvez-vous nous donner des raisons d'espérer des évolutions significatives dans ce domaine ?
Monsieur le directeur général, merci pour la clarté de votre exposé. Votre agence montre la volonté d'améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de cancer, notamment en réfléchissant aux parcours de santé pour les personnes les plus vulnérables, dont l'accès à l'innovation et aux soins peut être perturbé.
C'est le cas des personnes en situation de handicap, que j'aimerais aborder avec vous. En effet, ces personnes rencontrent davantage d'obstacles dans leur accès à la santé et disent souffrir d'un mauvais accompagnement et d'une prise en soins peu efficace. C'est dans ce contexte que l'INCa a lancé le mois dernier un appel à projets pour financer des projets qui permettraient aux personnes handicapées un meilleur accès aux parcours de santé.
Je souhaitais donc connaître les objectifs concrets fixés par l'INCa pour améliorer le parcours de santé de ces personnes afin d'avoir un accès digne et pérenne à notre système de santé.
Finalement, je vais peut-être plutôt vous poser une réponse... C'était pour aller dans votre sens et aller un peu plus loin dans la réflexion quant aux nouvelles démarches de recherche, d'accompagnement, de travaux entre les unités de recherche, entre les laboratoires. Mon collègue Delatte l'a dit, en particulier dans les nouvelles technologies – et plus spécifiquement, vous en parliez tout à l'heure, sur les CAR-T cells –, on sait qu'on a des technologies de pointe qui sont très spécifiques et qui vont avoir une durée de vie d'innovation très courte. Il faut donc qu'on puisse les mettre rapidement sur le marché avec la problématique du coût qui est toujours derrière.
Je crois qu'il faut qu'on soit capable, plus que jamais, de réformer notre méthode de recherche.
Je souhaitais vous interroger sur les perspectives de l'e-santé en France. C'est un domaine qui ouvre des perspectives intéressantes en matière de détection précoce du cancer. Les premières études pertinentes commencent à être publiées sur le domaine et révèlent des résultats intéressants. En cancérologie, l'application MoovCare a montré, dans quatre études sur 300 patients, l'impact positif sur la survie avec qualité de vie des patients ayant développé un cancer du poumon, en permettant une détection précoce de rechute via l'envoi chaque semaine de symptômes du patient à son oncologue.
Quid de la réflexion de l'INCa sur ce domaine de l'e-santé en matière de détection précoce, afin d'éviter les rechutes ?
Monsieur le directeur général, merci pour la qualité et la complétude de vos propos.
L'INCa a publié en juin 2019 un appel à projets concernant l'amélioration du parcours de santé des personnes en situation de handicap, face au cancer. Cela me paraît d'autant plus pertinent pour les personnes souffrant de troubles psychiques, en raison du déni fréquent des troubles somatiques. Nous savons que ces personnes ont une durée de vie réduite d'environ vingt ans. La démarche de l'INCa me semble tout à fait intéressante, puisqu'elle pose clairement la question de l'accompagnement et du suivi des usagers sur le long terme et s'inscrit pleinement dans la notion du parcours de soins, ce qui est tout à fait primordial à mes yeux.
Je vais revenir tout particulièrement sur les recommandations que vous avez publiées en septembre 2018. Le point 6 consistait à permettre aux médecins généralistes, une fois la détection du cancer faite, d'orienter le patient vers des soins spécialisés, notamment en prenant en compte la souffrance psychique. Or aujourd'hui, l'accès à des soins psychiatriques est éminemment variable d'un territoire à l'autre. Les délais sont très longs, les patients atteints de cancer ne sont pas prioritaires. Cette problématique est d'ailleurs au coeur de la réflexion de la mission d'information sur l'organisation territoriale en santé mentale, que je mène aujourd'hui avec Caroline Fiat.
Ne faudrait-il pas envisager des parcours spécifiques pour les personnes atteintes de cancer et présentant des troubles psychiques très importants ? Puisque ces recommandations datent d'il y a quasiment un an maintenant, avez-vous un premier retour et un premier bilan de cette expérience, notamment des écueils que rencontreraient les médecins généralistes dans cette orientation ?
Monsieur le directeur général, la lutte contre le cancer est un enjeu majeur de santé publique. Au-delà des constats et des propositions que vous avez faits tout à l'heure, notamment sur le dépistage ou la mise en valeur de l'innovation, je voudrais davantage m'attarder sur la question de prévention, qui me semble être un enjeu majeur. Nous savons traiter un certain nombre de cancers par des traitements thérapeutiques médicamenteux mais je pense plus particulièrement aux traitements thérapeutiques non médicamenteux. C'est pour moi une certaine innovation. Je veux notamment parler de l'activité physique adaptée des personnes en affection longue durée. Vous ne l'avez pas évoqué tout à l'heure mais le coût que représente la prise en charge des personnes en affection longue durée correspond aux deux tiers des dépenses de sécurité sociale. Si l'on mettait en place des thérapies de ce type-là, cela nous permettrait de pouvoir économiser près de 7 à 10 milliards d'euros.
Je voulais connaître votre avis sur cette question et savoir si des actions ou réflexions sont menées au sein de votre institut.
Monsieur le directeur général, je voulais savoir si vous connaissez Les Entreprises contre le cancer. Cette expérience a débuté lorsqu'un chef d'entreprise a été personnellement touché par le cancer d'un proche. Il a eu l'idée singulière de solliciter une cotisation auprès de ses salariés et en échange de reverser une contribution égale à chaque don.
Actuellement, il reste un fort reste à charge pour les malades du cancer quant au coût lié à la prise en charge des soins, ce malgré le dispositif d'affection de longue durée, estimé à environ 750 euros par an et par personne. Les dépenses de santé ne s'arrêtent pas avec la fin des traitements ; elles perdurent des années après la fin des traitements et les frais annexes liés au cancer ne sont pas pris en considération. Que comptez-vous faire pour soutenir ce genre de démarche ?
Sur la question des maladies professionnelles, entre 15 000 et 45 000 cas de nouveaux cancers reconnus chaque année seraient dus à une exposition professionnelle. Or, en pratique, seulement 2 000 cas de cancer sont reconnus d'origine professionnelle.
Je voudrais donc savoir si vous avez le sentiment d'être suffisamment écouté et utile dans la bataille contre les cancers professionnels. Sachant que les tableaux de maladies professionnelles évoluent très peu, avez-vous un regard sur l'évolution de ces tableaux de reconnaissance des maladies professionnelles ?
Le travail que nous faisons sur la cancérologie pédiatrique est un sujet important, difficile et délicat. Le cancer en soi est déjà une nouvelle douloureuse, elle l'est encore plus pour ces familles-là, lorsqu'il touche leurs enfants. J'ai beaucoup de considération pour la douleur de ces familles.
Comment nous organisons-nous ? À l'issue de vos discussions parlementaires et sur décision de la ministre de la recherche, 5 millions d'euros ont été octroyés. La gestion en a été confiée à l'INCa. Budgétairement, nous avons pris le parti de la demande qui nous a été faite et qui est tout à fait dans notre état d'esprit de travailler étroitement avec les associations, sur la définition des priorités que nous devions suivre, pour la bonne utilisation de cet argent.
On utilisera cet argent de la manière la plus utile possible mais il faut qu'on puisse le faire en réponse aux besoins des familles : c'est donc avec les associations que cela se passe. Nous avons identifié les quelques actions citées tout à l'heure autour de la structuration de l'effort de recherche, de l'information des familles, et d'une approche par l'analyse et le partage des données pour une plus grande connaissance, une meilleure détection et une meilleure compréhension de la survenue de la maladie.
Plusieurs d'entre vous ont cité l'appel à projets sur les inégalités portant sur le handicap et je vous en remercie. Ce n'est non pas une innovation mais une volonté et un changement de façon de travailler que nous avons engagés avec cet appel à projets. Notre ambition est de faire en sorte que l'ensemble des personnes qui sont touchées par des inégalités, en commençant cette année par les personnes qui ont un handicap, puissent accéder, dans les mêmes conditions que les autres, via des adaptations bien sûr, à l'ensemble des services de santé. Nous avons déjà travaillé sur les questions de dépistage. Nous travaillons aussi sur les questions de prévention. Notre point est extrêmement pratique. Nous n'avons pas d'a priori sur les points qu'il nous faut traiter si ce n'est cet objectif de faire en sorte que comme tout un chacun, ils puissent accéder aux mêmes services. Nous n'avons pas d'a priori sur les types de solutions que nous avons trouvées. La démarche dans laquelle nous nous engageons est une démarche qui s'apparente plutôt à de la recherche interventionnelle. Notre idée est d'identifier des solutions qui ont été construites sur le terrain, d'en mesurer la transférabilité et ensuite de les déployer au niveau général. Nous devons plutôt partir des acteurs de terrain et de leur approche, car ils sont au plus près des besoins et ont parfois apporté des réponses pertinentes pour qu'au niveau national, on les évalue et qu'on les déploie ensuite.
C'est une autre façon de faire sur le handicap ; ce sera notre façon de faire sur les inégalités. Nous pensons que nous prenons collectivement la priorité des inégalités de trop haut ; nous regardons les sujets de manière trop générale. Dorénavant, notre méthode sera donc de s'attaquer aux problèmes rencontrés par des groupes de population – les handicapés, les populations précaires, les détenus – pour apporter des solutions avec les acteurs qui sont autour de ces personnes-là.
Sur l'accompagnement du parcours et la place du médecin généraliste dans l'orientation, on considère que la question se pose chez le médecin généraliste et qu'elle se pose évidemment aussi dans l'établissement, l'orientation et la capacité à identifier les « soins de support » dont peut avoir besoin le patient sont un point extrêmement important. C'est une des vocations de l'INCa ; ce n'est pas uniquement pour faire joli, c'est parce que nous croyons que cela participe du processus de rétablissement et que c'est important.
Sur la dimension psychologique, on met plus de choses que des troubles très marqués ou des pathologies psychiatriques. Je ne suis pas psychiatre mais on y met aussi un accompagnement qui peut relever de l'épisode dépressif. Dans ce cadre-là, nous travaillons, à la demande de la ministre de la santé, sur un parcours modélisant qui va concerner dans un premier temps les femmes après une chirurgie d'un cancer du sein pour essayer de voir dans quelle mesure on peut proposer un parcours qui soit composé, que ce soit à l'établissement ou en ville, de la dimension thérapeutique bien sûr, mais aussi d'un accompagnement psychologique proposé, détecté, « diagnostiqué », orienté et solvabilisé.
C'est une question sur laquelle nous travaillons, et qui pourrait servir de modèle. Dans ce parcours, nous avons un sujet autour de l'activité physique adaptée, qui est un point extrêmement important, en termes de prévention primaire. On sait que le rôle de la pratique physique adaptée en population générale, pour nous tous, est très salutaire ; c'est un facteur protecteur de la survenue des cancers. On sait aussi que c'est un enjeu important en prévention tertiaire car il accroît la survie et l'efficacité des traitements. Nous avons travaillé dans ce parcours sur la prise en compte de l'activité physique adaptée. Nous essayons aussi d'apporter notre expertise pour pouvoir définir qui doit prescrire et dispenser une activité physique adaptée. Ensuite, il y a un sujet, comme vous le savez, d'organisation et de solvabilité.
En tout cas, ces deux items font partie de la demande que la ministre de la santé nous a adressée pour travailler sur ces aspects et modéliser un parcours intégrant ces deux dimensions.
L'initiative des Entreprises contre le cancer paraît très intéressante et nous les rencontrerons volontiers. Le reste à charge est évidemment un sujet important. Nous avons pour projet de cartographier le reste à charge, après les complémentaires. Nous essayons de travailler avec certaines mutuelles sur cette question-là. Pour vous rappeler simplement que le reste à charge a été réduit, puisque sur un certain nombre d'actes, notamment en chirurgie mammaire reconstructrice, la prise en charge a été améliorée. Effectivement, il y a encore un reste à charge, dans le parcours complet, dans le parcours de santé et après le passage en établissement, qui est important et sur lequel nous travaillons avec l'assurance maladie mais aussi avec les mutuelles pour mieux le cartographier et le mesurer. Nous avons des actions avec certaines mutuelles, avec la Fédération des mutuelles de France, sur ces questions.
Sur le numérique, je ne vais pas faire le grand prophète au titre de mon expérience déjà très ancienne en matière d'informatique – je ne suis pas sûr d'être très à jour. Effectivement, c'est un chantier extrêmement important, sur lequel j'ai un regard attentif.
Il y a différents sujets. Il y a celui de la transformation numérique du service. On a aujourd'hui la possibilité de mettre en place des solutions qui répondent à des besoins de nos concitoyens patients ou de nos concitoyens d'une manière générale. Je pense en particulier sur la logique de parcours. Ce sur quoi nous nous engageons à l'INCa, c'est pour l'instant plus une méthode qu'un objet très particulier, c'est de considérer que, même si l'on a quelques bonnes idées autour de la table à partager collectivement, on a besoin de savoir quelles sont les difficultés que rencontrent les gens. On les connaît, pour certaines d'entre elles, mais pas toujours, ou en tout cas, on ne sait pas bien identifier quelle pourrait être la réponse la plus adaptée. Nous allons mettre en place à l'automne ce qui s'appelle un living lab. Le living lab est autour de la transformation numérique du service, c'est l'idée de mettre dans un même endroit au même moment, des patients qui expriment un besoin, des autorités comme l'NCa qui ont une vision générale, des start-up de l'informatique et autres concepteurs qui vont pouvoir, dans l'expression du besoin, essayer d'apporter une réponse et ensuite déboucher sur des outils concrets. Dans le domaine du numérique, nous devons déboucher sur des outils concrets et apporter un service enrichi, qui dépasse ce que le service public sait faire habituellement – distribuer des droits, de l'argent. Il faut qu'on distribue des modalités d'accompagnement et de facilitation. Je crois donc que le parcours est un enjeu de demain.
Il y a le sujet de l'intelligence artificielle, dont on voit le développement. On entend parfois des discours très prometteurs et presque miraculeux. L'intelligence artificielle pose une question technique – savoir ce qu'elle peut produire ; elle pose une question méthodologique – qui est capable d'interpréter ces données ? Il y a des spécialistes de l'informatique mais il y a aussi des médecins, des cliniciens. Ce ne sont pas les informaticiens qui ont le sens des données. En tout cas, le potentiel est très fort : les implications sont nettes sur l'imagerie médicale, elles seront demain sur le dépistage dans la lecture des mammographies, elles sont dans l'exploitation de nos bases de données qui sont extrêmement riches à l'INCa et elles sont dans l'aide au diagnostic en posant une question d'éthique fondamentale qui est de savoir, dans la décision et dans la discussion, quelle est la position relative du médecin et de son assistance intelligence artificielle.
Nous sommes vraiment très soucieux de voir quels sont les progrès qui peuvent être apportés par l'intelligence artificielle. Le potentiel est énorme. Il y a quelques points de vigilance qu'il faut avoir à l'esprit. Pour l'instant, nous voudrions concrétiser des projets pour voir quels pourraient être ces apports là et pourquoi et comment on pourrait en tirer quelque chose au service des patients.
Dans nos relations avec la HAS et l'ensemble des organisations et des agences sanitaires et de recherche, nous avons une coordination très simple. Elle est organisée déjà au sein de l'INCa, parce que nous sommes en charge de la stratégie décennale, de l'accord de mission et de sa mise en oeuvre. Nous avons des relations très étroites et très constructives avec l'ensemble des acteurs, construites et formalisées dans des accords-cadres que nous actualisons régulièrement et qui nous permettent d'avancer conjointement dans l'intelligence collective la plus importante possible et dans le respect des compétences de chacun.
Je finirai sur la question de la déclaration des maladies professionnelles. Nous avons travaillé avec le syndicat de la médecine du travail sur une fiche de déclaration qui peut aider les médecins du travail à poser le diagnostic et à faire en sorte que les cas justifiés soient identifiés et reconnus comme affection de longue durée au tableau 30 des tableaux des maladies professionnelles. C'est un sujet très important pour nous mais assez éloigné dans l'organisation et le déploiement. C'est vrai que ce n'est pas une approche et une sensibilisation que nous arrivons à faire passer facilement au sein des services de médecine du travail : non pas qu'il y ait un désintérêt, mais les outils sont plus longs à diffuser que ce que l'on peut observer dans notre sphère plus naturelle qui est la santé publique.
Monsieur le directeur général, je vous remercie infiniment pour la précision de vos réponses et le temps que vous nous avez accordé.
La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.
Présences en réunion
Réunion du mardi 16 juillet 2019 à 18 heures 30
Présents. – Mme Delphine Bagarry, M. Belkhir Belhaddad, M. Julien Borowczyk, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Marine Brenier, M. Gérard Cherpion, Mme Josiane Corneloup, M. Marc Delatte, M. Pierre Dharréville, Mme Jeanine Dubié, Mme Nathalie Elimas, Mme Albane Gaillot, Mme Charlotte Lecocq, M. Gilles Lurton, M. Bernard Perrut, M. Laurent Pietraszewski, M. Alain Ramadier, Mme Stéphanie Rist, Mme Mireille Robert, Mme Nicole Sanquer, M. Boris Vallaud, Mme Corinne Vignon, Mme Martine Wonner.
Excusés. – Mme Ericka Bareigts, Mme Justine Benin, M. Paul Christophe, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Carole Grandjean, Mme Claire Guion-Firmin, Mme Fadila Khattabi, M. Mustapha Laabid, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Hélène Vainqueur-Christophe.
Assistait également à la réunion. – M. Thibault Bazin.