Intervention de Murielle Chagny

Réunion du jeudi 23 mai 2019 à 10h00
Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Murielle Chagny, Professeure de droit, directrice du master de droit de la concurrence :

S'agissant de l'évolution liée aux acteurs du numérique, la solution me paraît être de rester sur des règles générales car ces règles ont la vertu de pouvoir s'appliquer quelle que soit la situation donnée et il me semble que c'est la voie qu'il faut poursuivre car si on a des règles générales, elles permettront d'appréhender des géants du numérique au-delà même de la question de la distribution, telles que les pratiques de Google dans d'autres domaines.

Il y a aussi la question, pour les géants mondiaux, de l'appréhension de leurs pratiques sur le fondement de quelles règles avec la question des lois de police et peut-être l'intérêt d'une intervention au plan de l'Union européenne. La directive récente sur les pratiques commerciales déloyales se déclare applicable à partir du moment où soit l'acheteur, soit le fournisseur est localisé dans un des États membres de l'Union européenne. Cela permet déjà d'élargir le champ d'application. C'est la raison pour laquelle, sur ce type d'acteur, je crains que la solution ne puisse pas être purement franco-française.

Concernant l'abus de dépendance économique, en l'état actuel, on peut se demander si, en France, il est vraiment opportun ou utile de le réactiver dans la mesure où désormais, au sein du droit des pratiques restrictives, certains instruments, notamment au niveau du déséquilibre significatif, permettent de se saisir des pratiques de façon assez efficace, soit un texte général avec des sanctions, notamment l'amende civile, qui peut être élevée. Concernant la France stricto sensu, on pourrait se demander si on a vraiment besoin de réactiver l'abus de dépendance économique. En revanche, cela aurait tout son sens dans une perspective européenne. On peine à se saisir des abus d'exploitation car l'abus de position dominante n'est manifestement pas l'instrument idoine faute de pouvoir caractériser la position dominante. On pourrait donc se demander si l'abus de dépendance économique ne gagnerait pas à insérer l'arsenal des pratiques anticoncurrentielles, y compris à l'échelle européenne.

Comment pourrait-on le réactiver ? À mon sens, cela passe par une redéfinition ou en tout cas des critères donnés sur ce qu'est la dépendance économique car l'interprétation qui est faite de la notion de dépendance économique à partir des quatre critères cumulatifs fait que le texte n'est quasiment jamais applicable. Il est applicable quand on peut établir une position dominante, ce qui ne sert à rien. Au vu des expériences passées, puisque le législateur a déjà essayé de modifier ce texte pour qu'il soit davantage applicable et que cela n'a pas donné les résultats espérés, il faudrait être beaucoup plus directif en donnant des critères, des éléments très précis à destination de l'autorité de la concurrence et des juges.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.