Intervention de Nicolas Ferrier

Réunion du lundi 27 mai 2019 à 17h00
Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Nicolas Ferrier, professeur agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Montpellier :

Monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de m'auditionner aujourd'hui. Il m'a été demandé de présenter rapidement l'état du droit positif sur ces relations entre grande distribution et fournisseurs. Ces relations relèvent d'un cadre juridique conséquent et varié.

Nous pouvons partir du droit commun des contrats, du code civil rénové en 2016, dont quelques dispositions pourraient intéresser les relations entre la grande distribution et les fournisseurs, en particulier la violence économique consacrée dans le code civil et le « déséquilibre significatif ». En réalité, ces dispositions présentent un intérêt relativement faible par rapport à celles du code de commerce, surtout depuis sa rénovation, car elles sont certainement plus accueillantes pour des griefs équivalents. Je pense, à vrai dire, que les ressources principales se trouvent dans le code de commerce.

Je pense, bien entendu, à ce fameux droit des pratiques restrictives et de la transparence tarifaire, qui a été élaboré afin de lutter contre les abus de la grande distribution, même si son champ d'application est beaucoup plus large. Ce droit a été récemment refondu, avec un encadrement de la négociation, du contenu du contrat, et un contrôle des pratiques une fois le contrat en place. Les nouvelles dispositions se veulent plus lisibles, plus simples. Elles sont aussi plus larges pour certains d'entre elles, notamment sur la question du déséquilibre significatif, où le texte a été ouvert par rapport à sa version antérieure. De manière plus précise, la période précontractuelle est beaucoup mieux encadrée : certains abus sont spécifiquement visés dès la négociation et non plus au stade de l'exécution du contrat.

L'une des nouveautés de la réforme, c'est d'avoir distingué les rapports avec la grande distribution – car en visant les produits de grande consommation, c'est la grande distribution que l'on vise – par un régime plus strict, mieux adapté, que le droit commun des relations commerciales.

Il y a aussi des dispositions spécifiques relatives aux produits alimentaires et agricoles qui sont venues se greffer dans le code de commerce. Nous savons en outre qu'il existe, au niveau du droit européen, une proposition de directive qui se rapprocherait de notre droit des pratiques restrictives, et sans doute se posera-t-il un problème d'articulation entre les deux.

À côté de ce droit des pratiques restrictives, qui s'apparenterait plutôt à un droit spécial des contrats, il y a le droit des pratiques anticoncurrentielles. C'est un droit qui s'intéresse soit aux structures – on pense évidemment aux dispositifs sur les concentrations –, soit aux pratiques et aux comportements tels que les abus de position dominante ou les ententes. La spécificité de ce droit des pratiques anticoncurrentielles, c'est qu'il suppose une affectation du marché. C'est là que nous sommes véritablement dans le droit de la concurrence, et non dans le droit des pratiques restrictives, qui est indifférent à toute incidence sur la concurrence.

Que penser de ce cadre, très brièvement présenté ? Dans le domaine de la grande distribution, son efficacité est périodiquement remise en cause, contestée, et je pense que l'existence même de cette commission d'enquête montre les limites du droit positif en la matière. Les mauvaises pratiques demeurent. Dès lors, quelles solutions pouvons-nous envisager ? À partir de l'éventail que nous venons de dresser, si nous pensons aux droits des pratiques anticoncurrentielles, il y aurait deux pistes. La première serait d'agir sur les structures, par un assouplissement des règles de concentration.

On sait que certaines initiatives en la matière, notamment à propos des injonctions structurelles, n'ont pas abouti et qu'elles ont été censurées. Il s'agit là cependant d'une piste.

Il existe par ailleurs, désormais, une obligation d'information préalable en cas de rapprochement des centrales d'achat. Ce texte relativement récent, qui a encore été modifié par la loi EGAlim, est proche – en apparence du moins – d'un texte qui concerne la structure des concentrations. En réalité, il nous amène assez rapidement à la question des ententes, car c'est au titre des ententes qu'un tel rapprochement pourrait être, le cas échéant, sanctionné.

Du côté des comportements, on sait qu'il y a eu des initiatives en faveur d'un élargissement du champ de l'abus de position dominante, à travers l'abus de dépendance économique. Là encore, des propositions avaient été faites en 2016 en vue d'assouplir le dispositif mais elles n'ont pas abouti. Si l'on s'intéresse aux comportements eux-mêmes, le droit des pratiques restrictives, surtout dans sa nouvelle rédaction, est sans doute, potentiellement, le plus efficace puisque, justement, il ne suppose pas d'atteinte au marché.

De ce point de vue, est-il nécessaire de modifier les règles de fond ? Dans un premier mouvement je dirais non pour deux raisons. La première c'est que l'on vient tout juste de les modifier. La seconde – pour reprendre une formule bien connue – est que « les réformes sont praticables, les pratiques sont difficilement réformables ». On sait que, depuis 1996, les réformes se sont succédé et ont permis difficilement de remédier aux abus.

Du côté du droit substantiel, donc, il ne me semble pas nécessaire de modifier le droit des pratiques restrictives.

Du côté de la procédure, il y a tout de même, aujourd'hui, cette action du ministère, qui permet de faire face à ce qu'on appelle la passivité rationnelle des victimes c'est-à-dire au fait que les victimes ont davantage intérêt à ne pas agir qu'à agir. Donc, nous avons les textes là. Il reste ensuite à les appliquer plus largement, mais il me semble que cette piste est bonne.

La dernière piste, c'est donc le contrôle exercé par l'administration. De ce point de vue, les textes, les outils juridiques, sont suffisants. Les pouvoirs de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) – qui ont récemment été étendus – sont très importants, et suffisants pour exercer les contrôles. Si une difficulté se présente, elle me semble être davantage d'ordre matériel que d'ordre juridique. Il s'agit donc d'une bonne piste, qui permet de mettre la balle dans le camp de l'administration et non plus dans celui des victimes, dans la mesure où il est très difficile de remédier à leur passivité.

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