Nous sommes honorés par le fait que notre cabinet ait été choisi par votre commission pour être entendu et ainsi donner notre vision sur les relations commerciales existantes entre les producteurs, les industriels, les distributeurs et sur les dispositifs appelés à encadrer ces relations. C'est pour nous la confirmation que Fidal est un cabinet référent dans le domaine des négociations commerciales et, plus généralement, sur le terrain du droit de la concurrence, tant en ce qui concerne les pratiques restrictives de concurrence que les pratiques anticoncurrentielles.
C'est un droit que nous examinons au quotidien auprès de nos clients, partenaires, contacts, lesquels comprennent l'ensemble des acteurs de la négociation commerciale : producteurs, organisations de producteurs, coopératives, industriels, grossistes et négociants, distributeurs spécialisés ou non, organisations professionnelles, autorités de contrôle et de régulation, tous secteurs confondus. Notre cabinet existe depuis 97 ans et dispose de 86 bureaux qui nous ont permis de développer un conseil de proximité et le déploiement d'un réseau de partenaires indépendants à l'international.
Fidal est composé de 1 450 avocats spécialistes regroupés en départements spécialisés touchant l'ensemble des disciplines dont les affaires. Chaque département dispose d'une direction technique nationale qui veille au partage de la connaissance, élabore des solutions innovantes, garantit la qualité de service et fait le lien avec les institutions. Je suis moi-même directeur d'un département.
Le cabinet a développé un savoir-faire multi-expertises, une approche multisectorielle ainsi qu'une orientation principalement tournée vers le conseil qui nous permettent de disposer d'une relation client significative. Notre base est composée de 80 000 clients, ce qui nous permet de bien connaître ce marché. La diversité de notre clientèle nous a amenés à nous organiser pour assurer la confidentialité et l'indépendance du traitement des dossiers. Chaque avocat et chaque équipe est maître de son dossier et nous tenons à cette confidentialité. Aujourd'hui le chiffre d'affaires de Fidal est de 367 millions en 2018 et c'est le plus grand cabinet indépendant d'avocats français.
Nous avons préparé une synthèse dont la limite sera le respect du secret professionnel. Notre sentiment concernant ces négociations commerciales en 2019 et celles à venir en 2020 c'est qu'une année chasse l'autre et qu'elles se ressemblent. Nous l'indiquons car cela résulte des communications alarmantes qui sont faites par certaines fédérations professionnelles, telle l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) qui a fait état, dans un communiqué du 3 avril 2019, d'une nouvelle année de déflation, d'une baisse cumulée depuis 2013 de 6,1 % du prix des produits de grande consommation (PGC) et de la persistance de mauvais comportements, en dépit d'un cadre législatif durci et de la signature de la Charte d'engagement conclue à l'issue des États généraux de l'alimentation (EGA).
Il y est fait état également de la contagion de ces pratiques à d'autres secteurs non alimentaires, ainsi qu'à d'autres pays européens qui ne disposent pas de la réglementation lourde que nous avons en France et qui, au travers des alliances internationales et des centrales internationales, s'exposent à ces pratiques. Heureusement, et comme par le passé, il existe toujours quelques rayons de soleil dans la brume persistante des négociations commerciales. Nous avons notamment identifié des écrits de Mme Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, qui indique, après avoir dressé un bilan des contrôles menés par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pendant les négociations commerciales en 2019, que le climat général paraît plus apaisé qu'en 2018. Les distributeurs ont un comportement plus constructif et moins agressif surtout avec les PME. Les exigences de baisse des prix distributeurs ont été presque deux fois plus faibles que l'année dernière et les produits laitiers ainsi que les fruits et légumes semblent particulièrement bénéficier de ce nouveau climat. Toutefois, des comportements critiquables subsistent.
Nous constatons également, et c'est heureux, une persistance de l'action de la DGCCRF et de la mobilisation du ministère de l'économie. Je pense que vous avez tous analysé le rapport 2018 de la DGCCRF et nous nous attarderons donc sur les principales actions et les faits marquants. Tout d'abord, un contrôle sur l'influence des acteurs de coopération à l'achat : nous nous sommes intéressés aux filières du lait et de la viande bovine. Alors que le régime du lait de vache correspond à un régime obligatoire de contractualisation, nous avons constaté que les acteurs n'ont pas toujours signé les accords qu'ils devaient conclure, que les conditions générales de vente n'indiquent pas le prix prévisionnel, que les accords ne contiennent pas la clause de renégociation, le fameux article L. 441-8. Il existe donc des défaillances qui montrent que le système n'est pas nécessairement suivi, peut-être parce qu'il est difficile de l'appliquer. Nous constatons aussi une intensification du contrôle des sanctions concernant les retards de paiement : quatorze décisions de justice rendues, dont treize sur la base d'actions entreprises par le ministre de l'économie ce qui démontre l'importance de son poids dans ces actions de contrôle.
Concernant les principaux faits marquants, le Conseil constitutionnel reconnaît la compétence judiciaire du juge pour contrôler le prix lorsque celui-ci ne résulte pas d'une libre négociation et qu'un déséquilibre significatif est caractérisé dans les droits et obligations des parties. Nous avons aussi une assignation importante à venir du groupe Leclerc pour des demandes de remises additionnelles. On évoque une demande qui dépasserait les 100 millions d'euros. Autre fait marquant : la confirmation de la condamnation de Système U et la condamnation d'Intermarché pour les pratiques agressives notamment sur le Nutella.
Comme chaque année, nous observons un renforcement et des évolutions du cadre législatif et réglementaire ce qui peut poser des difficultés aux acteurs qui ont toujours un texte à étudier et à interpréter.
Autre nouveauté, la loi EGAlim du 30 octobre 2018 avec son collège d'ordonnances et dispositions, notamment celles relatives au relèvement à 10 % du seuil de revente à perte (SRP) et à l'encadrement des promotions, qui sont intervenues à quelques semaines de la clôture des négociations. Cela a causé des difficultés. Bien entendu, personne ne veut blâmer un texte qui a pour objet de recréer de la valeur, de la répartir, de permettre aux producteurs de ne plus être victimes de prix construits à rebours – c'est-à-dire de l'aval vers l'amont. C'est intéressant, mais, comme d'autres, nous nous interrogeons sur l'efficacité du dispositif puisque peu d'accords sont conclus au niveau des filières, hormis celles du lait et du vin.
On constate également la difficulté pour les organisations interprofessionnelles à accoucher des indicateurs de prix, une réticence forte concernant la communication de la structuration des prix où sont faites les marges. On le sait depuis l'article L. 441-8 du code de commerce, ce sujet est un point d'achoppement fort. D'autre part, nous avons peu de visibilité relative à l'incidence du relèvement de seuil avant une revente à perte de 10 %.
Ces dispositifs sont susceptibles de créer des déséquilibres au niveau des producteurs. On pense notamment aux fournisseurs de produits saisonniers qui, du fait de l'encadrement des volumes, ont, ont eu, et auront des difficultés. On pense également aux fournisseurs qui ont bâti leur stratégie non commerciale sur des opérations de promotion parce qu'ils n'ont pas toujours la capacité d'être innovants ou d'avoir un produit qui se distingue. Les opérations de promotion sont souvent un moyen pour ces entreprises de rivaliser et d'être visibles. Une bouteille achetée à 30 euros qui donne droit à une bouteille gratuite ne correspond pas à deux bouteilles à 15 euros. C'est important en termes de management de produits et donc de communication pour les fournisseurs.
Également on observe un déséquilibre chez ceux qui ne bénéficient pas d'une profondeur de gamme. Il faudrait voir si la chose se confirme mais le « cagnotage » permet à un fournisseur disposant d'une large profondeur de gamme, de plusieurs références, de placer certaines de ses références plus longtemps en promotion que ceux qui ne disposent que de quelques voire d'une unique référence. Nous avons donc des textes difficiles, complexes avec des déchiffrages qui arrivent parfois un peu tard. Les lignes directrices de la DGCCRF, avec laquelle nous avons les meilleures relations, sont arrivées assez tardivement et ont créé des difficultés pour les opérateurs qui ne savaient pas comment placer les promotions au cours de cette année 2019.
Le contrat « marque de distributeur » (MDD) est toujours un absent de marque. Des produits MDD peuvent échapper à certains dispositifs notamment le relèvement du seuil de 10 % puisqu'il n'y aurait pas de revente à perte mais une simple vente du fait de la nature de contrat d'entreprise.
Ces nouveaux textes ne concernent pas uniquement les produits alimentaires puisque l'ordonnance qui vient porter refonte du titre IV du Code de commerce amène aussi d'importantes observations. Certaines de ces dispositions sont très utiles parce qu'elles vont permettre d'harmoniser les dispositions du code général impôts et du Code de commerce. Nous avons cependant deux mesures qui nous paraissent susceptibles de poser des difficultés.
La première, c'est le nouvel article L. 442-1, ancien article 442-6-1-1, relatif à la pratique qui consiste à obtenir ou tenter d'obtenir un avantage sans contrepartie ou avec une contrepartie disproportionnée. Nous nous interrogeons pour savoir comment cet article peut s'inscrire dans le cas d'une libre négociabilité des conditions commerciales. C'est un article qui fait écho à la jurisprudence « GALEC », laquelle était articulée à l'article 442-6 sur le déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties. Nous ne sommes pas ici dans cette circonstance, et ce qui est à craindre c'est que les distributeurs refusent de prendre de risques.
Nous serions alors dans un contexte où la contrepartie ainsi que sa valeur pourraient être contestées, et pourrions retomber dans le régime antérieur à 2008.
La deuxième problématique, c'est la définition du prix convenu. Celle-ci va désormais intégrer les services de coopération commerciale. C'est logique parce qu'autour de la table de la négociation commerciale, on raisonne en triple net. La difficulté se situe davantage sur le plan juridique, puisque des services distincts de la relation « achat-vente » pourraient venir en réduction du prix. C'est quelque chose qui nous heurte sur le plan juridique et certaines fédérations viendront sans doute vous en parler.
Le secteur de la grande distribution continue à se concentrer au sens économique et non juridique. Désormais, en France, il y a quatre groupes d'acheteurs. Tout d'abord, l'alliance « Horizon » qui regroupe Casino, Auchan Retail, Métro, Schiever et Dia. Cette alliance, qui intègre des produits MDD, a une vocation nationale et internationale avec des déclinaisons : « Horizon Achats », en France, « Horizon appel d'offres » et « Horizon filières » à Paris, et puis, à Genève, « Horizon International Services », « Horizon International Tender », « Horizon International PME ». Il y a, ensuite, « Alliance Envergure » qui regroupe Carrefour, Système U et Provera. Carrefour a également annoncé un partenariat avec Tesco, qui est sous enquête. Nous avons également l'alliance « Intermarché Francap » et enfin Leclerc qui, pour l'instant, se trouve seul mais fait état de réorganisations dans ces domaines.
Les négociations commerciales s'exportent auprès de centrales internationales qui appliquent une loi souvent différente de la loi française et désignent une juridiction étrangère, faisant ainsi craindre à certains la volonté d'un contournement du dispositif légal français. C'est un changement plus significatif. Parmi les changements significatifs, nous avons un paysage qui change avec un commerce connecté et un consommateur roi. Pour la première fois le client est roi avec l'émergence de nouveaux opérateurs sur le secteur du e-commerce, qui disposent d'importants moyens technologiques, plateformes, moyens logistiques. On pense à Amazon, à Google, à Alibaba, qui viennent défier les grands distributeurs, alors que ceux-ci ont eux-mêmes développé une approche « e-commerce ». On a également le développement de l'omnicanalité qui amène à avoir un consommateur qui a accès à tout, partout, tout le temps, qui va butiner entre l'achat physique et le numérique, et qui vit en tribu, donc sur les réseaux sociaux et avec les influenceurs. La part des achats en ligne en France représente 6,6 %. En 2025, 70 % des consommateurs achèteront des produits alimentaires et boissons en ligne.
Parmi les changements significatifs nous voyons apparaître la consommation éthique et responsable avec un client qui prend en compte les impacts sociaux et environnementaux de son acte d'achat. Le consommateur achète moins et mieux : c'est la « premiumisation », avec une déconsommation qui s'installe.
On observe aussi : un retour du commerce de proximité, un délaissement partiel du brick and mortar, le magasin physique pour ce qui concerne les plus grandes unités, un regroupement des distributeurs spécialisés, des ventes directes et des circuits courts. Les grands distributeurs doivent s'adapter avec le développement du « phygital », contraction entre le physique et le digital, la progression des « drives piétons », l'approche multiformats, la concentration des hypers sur l'alimentation avec des magasins qui sont à la fois des surfaces de vente et des entrepôts et puis un rapprochement de ces distributeurs avec les opérateurs du e-commerce : Auchan avec Alibaba, Carrefour avec Tencent, Monoprix avec Amazon.
On constate aussi une volonté d'harmonisation européenne avec la directive UE 2019633 du 17 avril 2019 sur les pratiques commerciales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire. Il s'agit d'une directive d'harmonisation minimale et nous pensons qu'elle a peu de chance d'interférer avec le dispositif français qui l'a largement dépassé depuis longtemps.
La bonne nouvelle, c'est que ceux qui n'ont pas ces réglementations dans les pays voisins vont s'enrichir d'une réglementation a minima qui n'est certes pas comparable avec celle de la France mais qui représente un point de départ. Il existe un écart manifeste et, par exemple, l'article 3.2 permet à l'acheteur de renvoyer des produits agricoles et alimentaires invendus aux fournisseurs sans payer pour ces invendus et pour leur élimination. Le fournisseur est tenu d'effectuer un paiement pour que les produits agricoles et alimentaires soient stockés et référencés.
Ensuite, une proposition intéressante émise en mai 2019 par la Commission européenne – mais qui sera certainement très difficile d'application compte tenu du contexte que nous connaissons déjà avec la loi EGAlim – d'accroître la transparence des prix. Le but serait de mettre à disposition les informations essentielles sur la manière dont les prix des produits agricoles sont déterminés et évoluent tout au long de la chaîne d'approvisionnement. Évidemment, la problématique sera toujours celle de la structuration des prix et de la transparence.
En conclusion de cette synthèse : nous considérons que si le prix va demeurer – dans un contexte de fragilisation économique – une donnée essentielle de la négociation commerciale, il est fort probable que les négociations futures inscrivent leur pérennité dans la recherche de partenariats marquée par une forte capacité d'innovation et par le respect de la responsabilité sociétale des entreprises. Cela se dessine clairement et la pratique du name and shame devrait prendre de l'ampleur ces prochaines années.
Stigmatiser l'approche d'un acteur qui a vendu et communiqué sur des éléments qu'il ne tient pas a très certainement des incidences sur les consommateurs qui veulent que cette parole soit tenue. Je pense c'est un point important. Sur le terrain de la réglementation, un encadrement européen harmonisé pourrait être une solution. En attendant, peut-être, conviendrait-il de placer le dispositif non français dans le périmètre de l'ordre public international français. Cette proposition a été faite il y a quelque temps, mais ce serait isoler de façon certaine le dispositif.