Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Réunion du lundi 27 mai 2019 à 18h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à dix-huit heures dix.

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Chers collègues, nous recevons maintenant MM. Hervé Lecaillon et Philippe Vanni, l'un et l'autre avocat au cabinet Fidal.

Maître Lecaillon, Maître Vanni, nous allons procéder à votre audition. Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter serment.

Les personnes auditionnées prêtent serment.

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Après un propos liminaire de quelques minutes, nous passerons à un échange de questions et de réponses qui nourriront le rapport de notre commission d'enquête.

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Philippe Vanni

Nous sommes honorés par le fait que notre cabinet ait été choisi par votre commission pour être entendu et ainsi donner notre vision sur les relations commerciales existantes entre les producteurs, les industriels, les distributeurs et sur les dispositifs appelés à encadrer ces relations. C'est pour nous la confirmation que Fidal est un cabinet référent dans le domaine des négociations commerciales et, plus généralement, sur le terrain du droit de la concurrence, tant en ce qui concerne les pratiques restrictives de concurrence que les pratiques anticoncurrentielles.

C'est un droit que nous examinons au quotidien auprès de nos clients, partenaires, contacts, lesquels comprennent l'ensemble des acteurs de la négociation commerciale : producteurs, organisations de producteurs, coopératives, industriels, grossistes et négociants, distributeurs spécialisés ou non, organisations professionnelles, autorités de contrôle et de régulation, tous secteurs confondus. Notre cabinet existe depuis 97 ans et dispose de 86 bureaux qui nous ont permis de développer un conseil de proximité et le déploiement d'un réseau de partenaires indépendants à l'international.

Fidal est composé de 1 450 avocats spécialistes regroupés en départements spécialisés touchant l'ensemble des disciplines dont les affaires. Chaque département dispose d'une direction technique nationale qui veille au partage de la connaissance, élabore des solutions innovantes, garantit la qualité de service et fait le lien avec les institutions. Je suis moi-même directeur d'un département.

Le cabinet a développé un savoir-faire multi-expertises, une approche multisectorielle ainsi qu'une orientation principalement tournée vers le conseil qui nous permettent de disposer d'une relation client significative. Notre base est composée de 80 000 clients, ce qui nous permet de bien connaître ce marché. La diversité de notre clientèle nous a amenés à nous organiser pour assurer la confidentialité et l'indépendance du traitement des dossiers. Chaque avocat et chaque équipe est maître de son dossier et nous tenons à cette confidentialité. Aujourd'hui le chiffre d'affaires de Fidal est de 367 millions en 2018 et c'est le plus grand cabinet indépendant d'avocats français.

Nous avons préparé une synthèse dont la limite sera le respect du secret professionnel. Notre sentiment concernant ces négociations commerciales en 2019 et celles à venir en 2020 c'est qu'une année chasse l'autre et qu'elles se ressemblent. Nous l'indiquons car cela résulte des communications alarmantes qui sont faites par certaines fédérations professionnelles, telle l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) qui a fait état, dans un communiqué du 3 avril 2019, d'une nouvelle année de déflation, d'une baisse cumulée depuis 2013 de 6,1 % du prix des produits de grande consommation (PGC) et de la persistance de mauvais comportements, en dépit d'un cadre législatif durci et de la signature de la Charte d'engagement conclue à l'issue des États généraux de l'alimentation (EGA).

Il y est fait état également de la contagion de ces pratiques à d'autres secteurs non alimentaires, ainsi qu'à d'autres pays européens qui ne disposent pas de la réglementation lourde que nous avons en France et qui, au travers des alliances internationales et des centrales internationales, s'exposent à ces pratiques. Heureusement, et comme par le passé, il existe toujours quelques rayons de soleil dans la brume persistante des négociations commerciales. Nous avons notamment identifié des écrits de Mme Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, qui indique, après avoir dressé un bilan des contrôles menés par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pendant les négociations commerciales en 2019, que le climat général paraît plus apaisé qu'en 2018. Les distributeurs ont un comportement plus constructif et moins agressif surtout avec les PME. Les exigences de baisse des prix distributeurs ont été presque deux fois plus faibles que l'année dernière et les produits laitiers ainsi que les fruits et légumes semblent particulièrement bénéficier de ce nouveau climat. Toutefois, des comportements critiquables subsistent.

Nous constatons également, et c'est heureux, une persistance de l'action de la DGCCRF et de la mobilisation du ministère de l'économie. Je pense que vous avez tous analysé le rapport 2018 de la DGCCRF et nous nous attarderons donc sur les principales actions et les faits marquants. Tout d'abord, un contrôle sur l'influence des acteurs de coopération à l'achat : nous nous sommes intéressés aux filières du lait et de la viande bovine. Alors que le régime du lait de vache correspond à un régime obligatoire de contractualisation, nous avons constaté que les acteurs n'ont pas toujours signé les accords qu'ils devaient conclure, que les conditions générales de vente n'indiquent pas le prix prévisionnel, que les accords ne contiennent pas la clause de renégociation, le fameux article L. 441-8. Il existe donc des défaillances qui montrent que le système n'est pas nécessairement suivi, peut-être parce qu'il est difficile de l'appliquer. Nous constatons aussi une intensification du contrôle des sanctions concernant les retards de paiement : quatorze décisions de justice rendues, dont treize sur la base d'actions entreprises par le ministre de l'économie ce qui démontre l'importance de son poids dans ces actions de contrôle.

Concernant les principaux faits marquants, le Conseil constitutionnel reconnaît la compétence judiciaire du juge pour contrôler le prix lorsque celui-ci ne résulte pas d'une libre négociation et qu'un déséquilibre significatif est caractérisé dans les droits et obligations des parties. Nous avons aussi une assignation importante à venir du groupe Leclerc pour des demandes de remises additionnelles. On évoque une demande qui dépasserait les 100 millions d'euros. Autre fait marquant : la confirmation de la condamnation de Système U et la condamnation d'Intermarché pour les pratiques agressives notamment sur le Nutella.

Comme chaque année, nous observons un renforcement et des évolutions du cadre législatif et réglementaire ce qui peut poser des difficultés aux acteurs qui ont toujours un texte à étudier et à interpréter.

Autre nouveauté, la loi EGAlim du 30 octobre 2018 avec son collège d'ordonnances et dispositions, notamment celles relatives au relèvement à 10 % du seuil de revente à perte (SRP) et à l'encadrement des promotions, qui sont intervenues à quelques semaines de la clôture des négociations. Cela a causé des difficultés. Bien entendu, personne ne veut blâmer un texte qui a pour objet de recréer de la valeur, de la répartir, de permettre aux producteurs de ne plus être victimes de prix construits à rebours – c'est-à-dire de l'aval vers l'amont. C'est intéressant, mais, comme d'autres, nous nous interrogeons sur l'efficacité du dispositif puisque peu d'accords sont conclus au niveau des filières, hormis celles du lait et du vin.

On constate également la difficulté pour les organisations interprofessionnelles à accoucher des indicateurs de prix, une réticence forte concernant la communication de la structuration des prix où sont faites les marges. On le sait depuis l'article L. 441-8 du code de commerce, ce sujet est un point d'achoppement fort. D'autre part, nous avons peu de visibilité relative à l'incidence du relèvement de seuil avant une revente à perte de 10 %.

Ces dispositifs sont susceptibles de créer des déséquilibres au niveau des producteurs. On pense notamment aux fournisseurs de produits saisonniers qui, du fait de l'encadrement des volumes, ont, ont eu, et auront des difficultés. On pense également aux fournisseurs qui ont bâti leur stratégie non commerciale sur des opérations de promotion parce qu'ils n'ont pas toujours la capacité d'être innovants ou d'avoir un produit qui se distingue. Les opérations de promotion sont souvent un moyen pour ces entreprises de rivaliser et d'être visibles. Une bouteille achetée à 30 euros qui donne droit à une bouteille gratuite ne correspond pas à deux bouteilles à 15 euros. C'est important en termes de management de produits et donc de communication pour les fournisseurs.

Également on observe un déséquilibre chez ceux qui ne bénéficient pas d'une profondeur de gamme. Il faudrait voir si la chose se confirme mais le « cagnotage » permet à un fournisseur disposant d'une large profondeur de gamme, de plusieurs références, de placer certaines de ses références plus longtemps en promotion que ceux qui ne disposent que de quelques voire d'une unique référence. Nous avons donc des textes difficiles, complexes avec des déchiffrages qui arrivent parfois un peu tard. Les lignes directrices de la DGCCRF, avec laquelle nous avons les meilleures relations, sont arrivées assez tardivement et ont créé des difficultés pour les opérateurs qui ne savaient pas comment placer les promotions au cours de cette année 2019.

Le contrat « marque de distributeur » (MDD) est toujours un absent de marque. Des produits MDD peuvent échapper à certains dispositifs notamment le relèvement du seuil de 10 % puisqu'il n'y aurait pas de revente à perte mais une simple vente du fait de la nature de contrat d'entreprise.

Ces nouveaux textes ne concernent pas uniquement les produits alimentaires puisque l'ordonnance qui vient porter refonte du titre IV du Code de commerce amène aussi d'importantes observations. Certaines de ces dispositions sont très utiles parce qu'elles vont permettre d'harmoniser les dispositions du code général impôts et du Code de commerce. Nous avons cependant deux mesures qui nous paraissent susceptibles de poser des difficultés.

La première, c'est le nouvel article L. 442-1, ancien article 442-6-1-1, relatif à la pratique qui consiste à obtenir ou tenter d'obtenir un avantage sans contrepartie ou avec une contrepartie disproportionnée. Nous nous interrogeons pour savoir comment cet article peut s'inscrire dans le cas d'une libre négociabilité des conditions commerciales. C'est un article qui fait écho à la jurisprudence « GALEC », laquelle était articulée à l'article 442-6 sur le déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties. Nous ne sommes pas ici dans cette circonstance, et ce qui est à craindre c'est que les distributeurs refusent de prendre de risques.

Nous serions alors dans un contexte où la contrepartie ainsi que sa valeur pourraient être contestées, et pourrions retomber dans le régime antérieur à 2008.

La deuxième problématique, c'est la définition du prix convenu. Celle-ci va désormais intégrer les services de coopération commerciale. C'est logique parce qu'autour de la table de la négociation commerciale, on raisonne en triple net. La difficulté se situe davantage sur le plan juridique, puisque des services distincts de la relation « achat-vente » pourraient venir en réduction du prix. C'est quelque chose qui nous heurte sur le plan juridique et certaines fédérations viendront sans doute vous en parler.

Le secteur de la grande distribution continue à se concentrer au sens économique et non juridique. Désormais, en France, il y a quatre groupes d'acheteurs. Tout d'abord, l'alliance « Horizon » qui regroupe Casino, Auchan Retail, Métro, Schiever et Dia. Cette alliance, qui intègre des produits MDD, a une vocation nationale et internationale avec des déclinaisons : « Horizon Achats », en France, « Horizon appel d'offres » et « Horizon filières » à Paris, et puis, à Genève, « Horizon International Services », « Horizon International Tender », « Horizon International PME ». Il y a, ensuite, « Alliance Envergure » qui regroupe Carrefour, Système U et Provera. Carrefour a également annoncé un partenariat avec Tesco, qui est sous enquête. Nous avons également l'alliance « Intermarché Francap » et enfin Leclerc qui, pour l'instant, se trouve seul mais fait état de réorganisations dans ces domaines.

Les négociations commerciales s'exportent auprès de centrales internationales qui appliquent une loi souvent différente de la loi française et désignent une juridiction étrangère, faisant ainsi craindre à certains la volonté d'un contournement du dispositif légal français. C'est un changement plus significatif. Parmi les changements significatifs, nous avons un paysage qui change avec un commerce connecté et un consommateur roi. Pour la première fois le client est roi avec l'émergence de nouveaux opérateurs sur le secteur du e-commerce, qui disposent d'importants moyens technologiques, plateformes, moyens logistiques. On pense à Amazon, à Google, à Alibaba, qui viennent défier les grands distributeurs, alors que ceux-ci ont eux-mêmes développé une approche « e-commerce ». On a également le développement de l'omnicanalité qui amène à avoir un consommateur qui a accès à tout, partout, tout le temps, qui va butiner entre l'achat physique et le numérique, et qui vit en tribu, donc sur les réseaux sociaux et avec les influenceurs. La part des achats en ligne en France représente 6,6 %. En 2025, 70 % des consommateurs achèteront des produits alimentaires et boissons en ligne.

Parmi les changements significatifs nous voyons apparaître la consommation éthique et responsable avec un client qui prend en compte les impacts sociaux et environnementaux de son acte d'achat. Le consommateur achète moins et mieux : c'est la « premiumisation », avec une déconsommation qui s'installe.

On observe aussi : un retour du commerce de proximité, un délaissement partiel du brick and mortar, le magasin physique pour ce qui concerne les plus grandes unités, un regroupement des distributeurs spécialisés, des ventes directes et des circuits courts. Les grands distributeurs doivent s'adapter avec le développement du « phygital », contraction entre le physique et le digital, la progression des « drives piétons », l'approche multiformats, la concentration des hypers sur l'alimentation avec des magasins qui sont à la fois des surfaces de vente et des entrepôts et puis un rapprochement de ces distributeurs avec les opérateurs du e-commerce : Auchan avec Alibaba, Carrefour avec Tencent, Monoprix avec Amazon.

On constate aussi une volonté d'harmonisation européenne avec la directive UE 2019633 du 17 avril 2019 sur les pratiques commerciales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire. Il s'agit d'une directive d'harmonisation minimale et nous pensons qu'elle a peu de chance d'interférer avec le dispositif français qui l'a largement dépassé depuis longtemps.

La bonne nouvelle, c'est que ceux qui n'ont pas ces réglementations dans les pays voisins vont s'enrichir d'une réglementation a minima qui n'est certes pas comparable avec celle de la France mais qui représente un point de départ. Il existe un écart manifeste et, par exemple, l'article 3.2 permet à l'acheteur de renvoyer des produits agricoles et alimentaires invendus aux fournisseurs sans payer pour ces invendus et pour leur élimination. Le fournisseur est tenu d'effectuer un paiement pour que les produits agricoles et alimentaires soient stockés et référencés.

Ensuite, une proposition intéressante émise en mai 2019 par la Commission européenne – mais qui sera certainement très difficile d'application compte tenu du contexte que nous connaissons déjà avec la loi EGAlim – d'accroître la transparence des prix. Le but serait de mettre à disposition les informations essentielles sur la manière dont les prix des produits agricoles sont déterminés et évoluent tout au long de la chaîne d'approvisionnement. Évidemment, la problématique sera toujours celle de la structuration des prix et de la transparence.

En conclusion de cette synthèse : nous considérons que si le prix va demeurer – dans un contexte de fragilisation économique – une donnée essentielle de la négociation commerciale, il est fort probable que les négociations futures inscrivent leur pérennité dans la recherche de partenariats marquée par une forte capacité d'innovation et par le respect de la responsabilité sociétale des entreprises. Cela se dessine clairement et la pratique du name and shame devrait prendre de l'ampleur ces prochaines années.

Stigmatiser l'approche d'un acteur qui a vendu et communiqué sur des éléments qu'il ne tient pas a très certainement des incidences sur les consommateurs qui veulent que cette parole soit tenue. Je pense c'est un point important. Sur le terrain de la réglementation, un encadrement européen harmonisé pourrait être une solution. En attendant, peut-être, conviendrait-il de placer le dispositif non français dans le périmètre de l'ordre public international français. Cette proposition a été faite il y a quelque temps, mais ce serait isoler de façon certaine le dispositif.

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Merci pour cette introduction très intéressante. Vos propos me laissent penser que vous avez dû défendre de nombreux industriels, puisque j'y retrouve les demandes qui émanaient de certains d'entre eux ou de certaines filières lors de la préparation de la loi EGAlim.

Pourquoi vos clients ne portent-ils pas plainte ? Vous avez parlé des treize enquêtes en cours qui émanent directement du cabinet du ministre de l'économie. Cela est peu car le sujet concerne des milliers et des milliers d'industriels. Beaucoup se plaignent et c'est la raison de la création de cette commission d'enquête sur les relations entre la grande distribution et ses fournisseurs. Ces quatorze enquêtes en cours ne représenteraient-elles pas l'infime partie visible de l'iceberg ?

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Hervé Lecaillon

Monsieur le rapporteur, nous sommes dans un contexte de relations commerciales et de « business ». La structure de la distribution en France est assez spécifique. Pour synthétiser, il existe 50 000 entreprises, PME, fournisseurs, avec certes de très grands groupes mais surtout beaucoup d'entreprises moyennes ou de taille intermédiaire. En face, il y avait sept distributeurs qui maintenant sont regroupés à l'achat. Aujourd'hui, les parts de marché de ces distributeurs représentent 20 % à 25 % du marché. Signaler les pratiques abusives de certaines enseignes cela pose des problèmes économiques et commerciaux pour ces entreprises. L'entreprise sait que si elle attaque un distributeur, elle ne travaillera plus avec lui et qu'elle se prive de 20 à 25 % de parts de marché. Or, la volonté des fournisseurs, c'est dans un contexte concurrentiel, d'être présents sur tous les secteurs. Lorsque nos clients nous signalent les pratiques qu'ils subissent, notre rôle de conseil c'est bien évidemment de leur présenter les différentes solutions dont celle du contentieux mais ce n'est pas celle qui est privilégiée car elle est longue, coûteuse et puis surtout parce qu'elle peut avoir d'importantes incidences économiques et commerciales pour l'entreprise.

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Puisque l'on constate que le secteur de la distribution se partage le marché – 90 % de ce qui est commercialisé par les distributeurs est partagé entre quatre voire cinq opérateurs – le législateur n'a-t-il pas intérêt à limiter, à encadrer, à fractionner ces parts de marché de façon à dissiper l'oligopole représenté par les quatre grands ?

C'est une question dont nous avons déjà débattu dans cette salle, il y a presque un an, en commission lorsque nous discutions du projet de loi consécutif aux États généraux de l'alimentation.

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Philippe Vanni

La question de cette limitation pose évidemment des difficultés au regard du droit de la concurrence, car il s'agirait d'administrer des parts de marché à des distributeurs. Le jeu de la concurrence, selon mon approche personnelle, doit pleinement s'exercer. On voit aujourd'hui que les distributeurs sont en situation plus difficile que d'autres. Il est fort probable que le marché réponde pour partie à votre interrogation et que nous arrivions à avoir effectivement une répartition de marchés différente. Il ne faut pas oublier le positionnement de ces nouveaux opérateurs et de ces nouveaux canaux de distribution, qui vont très certainement « rebattre la donne ». Il faudra donc un peu de temps pour le constater. Aujourd'hui, il existe des regroupements de plus en plus importants de distributeurs en alliances internationales. C'est un phénomène qui explique le besoin de massifier les volumes pour déterminer de meilleures marges. Cependant, le fait d'être important, puissant, coalisé, allié n'est pas nécessairement nocif. L'Autorité de la concurrence a une position bienveillante vis-à-vis des regroupements à l'achat, parce que cela permet de servir les intérêts du consommateur. Encore faut-il constater si c'est le cas ou pas et l'Autorité de la concurrence réalise une enquête sur l'ensemble de ces alliances.

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Puisque nous évoquons l'Autorité de la concurrence, comment expliquez-vous qu'elle ne voie que très peu à redire lorsque les distributeurs se regroupent et qu'elle regarde d'un oeil moins bienveillant et constructif la structuration en amont en organisations de producteurs ou en associations d'organisations de producteurs ?

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Hervé Lecaillon

L'Autorité de la concurrence applique le droit. En 2015, lors des premiers rapprochements à l'achat entre enseignes, elle avait rendu un avis qui avait fait couler beaucoup d'encre, mais qui, en droit, n'était que très peu contestable. Elle disait que le principe de ces rapprochements à l'achat, c'était que les enseignes de distribution se rapprochaient pour acheter mieux et proposer aux consommateurs des prix plus bas. L'Autorité de la concurrence, qui défend l'application du droit de la concurrence, ne trouve rien à redire si le rapprochement des enseignes bénéficie aux consommateurs. Mais, depuis 2015, un certain nombre d'alliances se sont arrêtées et il y a eu de nouvelles alliances. Là, l'Autorité de la concurrence s'est ressaisie, il y a eu une grosse enquête au cours de l'été 2018 et beaucoup de nos clients ont été interrogés. L'Autorité n'a pas encore rendu ses conclusions mais on voit bien, à la lecture du questionnaire envoyé aux différents opérateurs, ce qu'elle cherche : elle demande précisément aux opérateurs de donner des informations sur les conditions accordées à telles enseignes avant qu'elles se rapprochent et au moment où elles se sont rapprochées.

Le rapport n'a pas encore été rendu, mais quand on regarde les réponses apportées par certains opérateurs, on voit bien qu'il y a des choses qui peuvent heurter le droit de la concurrence.

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Philippe Vanni

Il faut rappeler que l'Autorité de la concurrence protège la concurrence et non les concurrents et qu'elle n'a pas vocation à protéger des acteurs qui seraient moins performants, moins profitables, moins innovants. Elle se concentre sur le surplus, le bien-être du consommateur. Il n'appartient donc pas à l'Autorité de la concurrence de poursuivre les pratiques abusives. Ça, c'est le rôle de la DGCCRF.

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C'est contestable, quand même ! Ça dépend à quel niveau on protège la concurrence ! Lorsqu'il n'y a plus que quatre opérateurs, il n'y a plus de concurrence : on peut s'entendre, on s'organise. Lorsqu'on voit que ces opérateurs français se structurent maintenant au niveau européen, on imagine bien des discussions exclusivement axées sur le prix bas. Or, des denrées de qualité, la nutrition, la sécurité sanitaire, l'environnement, ça a un prix ! À force de laisser des opérateurs tout axer sur le prix bas, le prix bas, le prix bas, on autorise n'importe quoi !

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Hervé Lecaillon

On peut penser que l'Autorité de la concurrence va adopter à l'issue de cette deuxième enquête une position différente de celle prise en 2015. Elle avait déjà alerté en 2015 sur d'éventuelles ententes. L'Autorité de la concurrence a des pouvoirs d'enquête très importants. Si elle identifie des pratiques d'entente, nul doute qu'elle les poursuivra. Attendons donc ses conclusions.

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Philippe Vanni

Dans ces alliances, il n'y a pas que le prix bas à outrance, il y a aussi la notion de service, de logistique, d'aide aux entreprises pour toucher des marchés à l'international. Je ne ferai donc pas un procès à charge de la structure qui sert les intérêts de la concurrence. Le sujet c'est de voir si ses pratiques sont en conformité avec le droit de la concurrence.

Vous évoquiez les difficultés des producteurs. On a un contre-exemple avec le dispositif EGAlim, qui incite les producteurs, les organisations de producteurs, les associations d'organisations de producteurs à se réunir.

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Ça fait dix ans ! Grosse hésitation quand même !

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Philippe Vanni

On est même arrivé à faire reconnaître que la politique agricole commune (PAC) l'emportait sur le droit de la concurrence en permettant aux organisations professionnelles de producteurs de déterminer le prix. C'est une réponse à une concentration réalisée sur l'aval avec l'idée qu'il faut en amont arriver aussi à ce type de dispositif. Pour l'instant ça ébranle un peu les producteurs, les organisations de producteurs qui n'ont pas ce réflexe mais rien ne dit que le dispositif EGAlim n'arrivera pas à ce succès-là.

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Certaines personnes auditionnées évoquent les fameux « services ». Quels sont ces fameux services qui nécessiteraient une rémunération s'ajoutant aux contrats et donc aux produits commercialisés ?

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Hervé Lecaillon

La liste est longue et n'est pas exhaustive ni encadrée. Le distributeur va proposer un certain nombre de services aux fournisseurs. Certains de nos clients sont parfaitement satisfaits de payer des services au distributeur parce qu'ils représentent un réel avantage pour eux. La problématique vient de services qui sont fictifs, ou qui sont surfacturés, ou qui ne sont pas rendus par le distributeur. Mais, s'agissant de certains services tels que les « têtes de gondole » et les mises en avant de produits, les fournisseurs se battent pour en bénéficier et pour figurer, par exemple, sur les prospectus distribués par une enseigne comme Leclerc. Forcément, cela a un impact car les prospectus se retrouvent dans toutes les boîtes aux lettres et ça marche ! Il existe une telle concurrence entre les enseignes et une telle guerre des prix – que l'on peut regretter mais que l'on constate – que le fournisseur accepte volontiers un service consenti. Beaucoup de services sont réellement rendus.

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Hormis la valorisation d'un produit sur une plaquette promotionnelle, qu'existe-t-il comme autres services ? Il n'existe pas 50 000 services, quand même !

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Philippe Vanni

Il y a principalement deux types de services. Il y a le service que l'on qualifie de coopération commerciale où le fournisseur bénéficie d'une promotion de ses produits à l'égard des consommateurs. Ce sont toutes les opérations de publicité sur les prospectus, les « têtes de gondoles », les animations commerciales. Et puis, il y a les autres obligations destinées à favoriser les relations commerciales, appelées autrefois les « services distincts », qui sont davantage dans la relation amont, c'est-à-dire fournisseur-distributeur, et qui viennent rémunérer des études de marché, des statistiques commerciales.

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Il faut que ce soit distingué dans le contrat. Ces services ne devraient pas affecter les produits agricoles qui sont commercialisés puisque notre sujet concerne surtout l'alimentaire et les produits agricoles.

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Philippe Vanni

À un moment donné, on a voulu supprimer les services distincts. Or, ce sont les PME qui ont demandé qu'ils soient maintenus et préservés. Pourquoi ? Parce qu'elles n'avaient pas les moyens des grands groupes pour disposer de ces remontées d'informations statistiques, commerciales, produits, connaissance du marché, connaissance des attentes des consommateurs. Également, elles ne pouvaient pas s'offrir seules tout ce qui est publi-promotionnels. Lorsqu'il y a un véritable service, une rémunération proportionnée, nous pensons que le service a toute sa valeur.

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Cette commission d'enquête n'est pas un tribunal pour juger la grande distribution, bien au contraire. Nous essayons de recréer de l'équilibre entre les agriculteurs, les industriels et la grande distribution. Vous êtes avocats, vous représentez des industriels de l'agroalimentaire ou des coopératives et des distributeurs.

Il existe des services, mais en fait ils ne sont pas payés par ces industriels, puisque ce sont des remises supplémentaires. On ne fait pas un chèque, mais une remise. Si on prend des centrales d'achat à plusieurs étages qui proposent chacune des services différents, et qu'on refuse, sur cet « ascenseur » à deux, trois, quatre, voire cinq niveaux, le « trois net » ou le « quatre net », est-ce qu'on peut monter à l'étage du dessus ? Avez-vous, dans vos clients, des gens qui vous disent : « Moi, je n'en veux pas, du service, j'ai une très grosse entreprise, je connais mes parts de marché, je n'ai pas besoin d'une étude de Copernic ou de Scopelec, mais si je ne les paye pas, je n'ai pas accès à l'étage du dessus ! ».

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Philippe Vanni

Nous sommes tenus au secret professionnel et nous ne pourrons pas vous en dire davantage sur les pratiques que nous constatons. Pour répondre objectivement à votre question sur les services qui n'auraient pas véritablement d'intérêt et les services dont on ne voudrait pas, imposer la fourniture de tels services et leur rémunération serait constitutif d'une pratique pouvant être considérée comme abusive.

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Sans citer de noms, est-ce que vous avez des clients – vous êtes le premier cabinet d'avocats d'affaires en France – qui expriment leur souhait de porter plainte à la DGCCRF en raison d'un abus de la grande distribution ou de services imposés ?

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Hervé Lecaillon

Oui, il y a des entreprises qui refusent ces services mais la question est : quelle est la conséquence de ce refus ? Il y a un principe de libre concurrence : le distributeur propose des services et le fournisseur est libre de les accepter ou de les refuser. Si le distributeur a le choix entre deux fournisseurs, l'un qui va prendre tous ces services et l'autre qui va en prendre une partie, toute la question est de savoir quelles conséquences il donnera à ce choix. Nous avons des clients qui refusent un certain nombre de services. Les accords de la grande distribution ressemblent à des listes à la Prévert avec des cases à cocher. Ensuite, lors de la négociation, le fournisseur précise ses choix. Bien sûr, il peut y avoir des abus et tout se passe dans le fameux box de négociation mais le principe c'est que le fournisseur est libre d'accepter ou de refuser les services proposés.

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Pouvez-vous nous dire – au niveau de la grande distribution ou des centrales d'achat et sans parler de chiffre d'affaires – qui sont vos clients ? Et pouvez-vous nous donner des exemples de mauvaises pratiques que subissent aujourd'hui les coopératives ou les industriels de l'agroalimentaire.

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Philippe Vanni

Nous n'avons pas le droit de révéler le nom de nos clients.

Un service qui ne profiterait pas au fournisseur, tel un référencement à l'international alors que son marché est à 100 % local et français, serait une pratique abusive, et un distributeur qui le contraindrait au fameux « cinquième étage » prendrait un risque. Je pense que la grande distribution a tiré pour partie les conséquences de ses pratiques abusives et des sanctions. Elle est fragilisée et il n'est pas dans son intérêt de se liguer, dans le cadre d'une alliance, contre des concurrents qui, eux, respecteront davantage le texte. Aujourd'hui, les distributeurs sont formés et ont une parfaite connaissance de ce qu'ils peuvent faire, ne pas faire et de leurs intérêts économiques.

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Vous disiez que les centrales n'allaient pas se diriger vers des mauvaises pratiques car leurs concurrents étaient de plus en plus vertueux. Mais l'exemple que vous avez donné nous rappelle que tous les groupes ont été soumis à des sanctions. Tous ont eu des pratiques contestables parce qu'ils sont en situation de dominance et que certains industriels sont en situation de dépendance. Certains acteurs de la distribution investissent dans l'amont des filières, notamment dans certains outils industriels de l'agroalimentaire.

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Hervé Lecaillon

Nous ne disons pas qu'il n'y a pas de pratiques abusives. Les décisions démontrent qu'elles existent. Le constat a été fait, il y a déjà un certain nombre d'années, que les fournisseurs, ou même les distributeurs, n'agissaient pas et n'allaient pas en justice. C'est pour cette raison que le pouvoir d'agir en justice a été donné au ministre de l'économie. Pour vous donner une illustration, une des premières condamnations, il y a quelques années, était celle de l'enseigne Leclerc qui avait été condamnée à restituer 21 millions d'euros à un certain nombre de ses fournisseurs. En fait, et à l'issue de négociations, ces sommes, dans un premier temps n'avaient pas été rendues. Dans la décision suivante rendue par une cour d'appel, la justice avait condamné l'enseigne à restituer ces sommes au Trésor public qui les restituait ensuite aux fournisseurs. Maintenant quand il y a des condamnations de restitution de l'indu, ça se passe ainsi. Les décisions existent, on ne va pas les nier mais il peut y avoir des abus des deux côtés. Dans les box, on ne sait pas ce qui se passe. Il peut y avoir des menaces proférées par l'un ou par l'autre. Il y a en effet des rapports de force qui sont très déséquilibrés, c'est incontestable. Quand on est un distributeur et qu'on sait qu'on a un fournisseur chez qui on représente 20 % ou 25 % de parts de marché, il peut exister des pratiques contestables mais je ne pense pas que ce soit institutionnalisé.

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Philippe Vanni

La solution n'est pas dans le surencadrement. La loi de 2008 pose le principe : c'est la libre négociation sous le contrôle de l'abus. Cet abus est parfois difficile à révéler, mais la jurisprudence, au fur et à mesure, oriente, illustre et sanctionne lourdement.

La nouvelle refonte du titre IV, livre IV – permet des amendes gigantesques, avec un plafond qui peut représenter le triple du montant de l'indu. Les conséquences sont significatives pour les distributeurs qui, même très puissants, n'auront pas les moyens de payer ce type d'amende. Par exemple, pour l'arrêt « U » qui détient pour l'instant le record avec 76,8 millions d'euros, l'amende civile aurait pu être de trois fois ce montant.

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Vous nous avez dit que le renforcement du cadre législatif et réglementaire avait entraîné des difficultés. Pouvez-vous nous en relater quelques-unes ?

Vous nous avez indiqué qu'en matière de lait, de fruits et de légumes, les choses s'étaient mieux passées. Je crois même que, pour le lait, c'était déjà le cas avant la publication de la loi. Vous nous avez dit aussi que le fait qu'un certain nombre de décrets aient été pris en début d'année n'a pas facilité les négociations qui devaient s'achever fin février. Cela vous inspire-t-il davantage d'optimisme pour les futures négociations de fin d'année ? Ne devrait-on pas arriver progressivement à une meilleure application de cette loi ?

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Philippe Vanni

Le premier dispositif de la loi EGAlim, c'est la contractualisation entre les producteurs et les premiers acheteurs. C'est un point important, car il permet aujourd'hui au producteur de prendre l'initiative de son tarif, donc de ses conditions de vente pour la première fois. Nous pouvons être très confiants dans cette approche sur le principe. Les organisations de producteurs et les producteurs doivent s'approprier cette nouvelle faculté, ce nouveau droit auquel ils ne sont pas habitués. Ils évoquent souvent un manque de ressources et de recul. Mais le dispositif EGAlim permet – sauf pour les régimes dits obligatoires – aux producteurs qui ne souhaitent pas conclure le contrat, de proposer la conclusion de ce contrat à l'acheteur. Le producteur pourrait ainsi passer la main. Les fédérations professionnelles sont toutefois assez peu enthousiastes à l'idée de participer à la négociation et à la conclusion de ces contrats. Les organisations interprofessionnelles ont du mal à trouver des indicateurs de prix qui soient des éléments déterminants de création de valeur et de ruissellement de cette valeur vers l'amont. Nous sommes pour l'instant dans un temps de digestion, mais la soupe est un peu amère, sauf pour des filières qui sont plus organisées car elles ont été sensibilisées à ces approches. Mais nous ne désespérons pas d'avoir plus de réussite.

Concernant l'encadrement des promotions et le relèvement du seuil de revente à perte, rien ne dit que ce ruissellement vers l'amont n'est pas effectif. Pour l'instant, nous n'avons pas de recul sur ce dispositif très récent. Nous attendons de voir si les engagements qui se trouvent dans cette charte signée par l'ensemble des acteurs de la filière seront tenus ou non.

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Pour l'instant, il est clair qu'il n'y a pas de ruissellement !

J'ai rencontré des agriculteurs, et pas plus tard qu'hier ! Le fond de ma pensée, à ce stade, c'est que vous défendez dans le cadre de contentieux des acteurs de la grande distribution et des industriels. Vous êtes donc venus nous expliquer qu'il ne faut toucher à rien, qu'il ne faut pas encadrer, qu'il ne faut pas en rajouter car c'est suffisamment compliqué. Vous faites votre « business » de ces contentieux. J'ai l'impression qu'au terme d'une heure d'audition, nous n'avons peu de choses à obtenir de vous. Je comprends qu'il y a le secret des affaires, que vous ne voulez pas d'histoires, que vous êtes un beau cabinet et que vous souhaitez conserver vos clients. Moi, je suis convaincu que la situation est plus préoccupante et plus grave. Il y a quatre centrales d'achat, il n'y a plus de concurrence, il y a des acteurs qu'on a laissés faire depuis cinquante ans et, à un moment donné, il faut que le législateur mette « les pieds dans le plat » et que ça s'arrête !

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Philippe Vanni

Je comprends votre point de vue, mais il est radical.

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Allez dans les territoires et vous verrez que les solutions employées par les agriculteurs sont parfois radicales et définitives. Ils sont à bout. Ils ne peuvent pas accepter que leur marchandise ne vaille plus rien parce qu'on achète dans certains pays, parce que dans les négociations commerciales on fait n'importe quoi, parce qu'il y a soi-disant des services qui se facturent et qui se paient, des services qui sont plus fictifs qu'autre chose sous prétexte que l'on assure la mise en valeur des produits. Tout ça, c'est du virtuel ! En ce moment, la grande distribution est en train de vivre ce qu'elle a fait vivre à nos petits commerces il y a cinquante ans. Nous savons très bien que les acteurs de la grande distribution et la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), lorsque cette commission les recevra, vont nous expliquer que la situation est très difficile et qu'ils ont des marges à 1, voire 1,5. Vous nous expliquez un peu la même chose en nous disant que la loi est complexe et qu'il ne faut pas en rajouter. Je vous redonne la parole, mais...

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Philippe Vanni

Il faut nous la redonner, cette parole, parce que nous n'avons pas dit que rien ne devait se faire. Nous avons simplement dit que le dispositif existe et qu'il produit des effets, sans quoi vous n'auriez jamais toutes ces jurisprudences et ces sanctions. On a peut-être besoin de plus de contrôle, de plus de sanctions significatives mais les instruments existent. La refonte du titre IV du code de commerce offre encore plus de possibilités pour le faire. Je ne voudrais pas qu'on arrive à une surenchère législative. Nous connaissons l'ensemble des acteurs de la chaîne ainsi que les coopératives, les agriculteurs et leurs difficultés. Je pense aujourd'hui que le dispositif est suffisant s'il est appliqué. Avoir de nouveaux textes tous les deux ans, c'est extrêmement perturbant, et aucun acheteur ni aucun fournisseur ne peut suivre.

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Pourquoi des textes tous les deux ans ? Parce que ces acteurs sont bien conseillés par des cabinets juridiques pour contourner la loi et faire preuve d'imagination. Ils nous précèdent.

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Je ne connais pas le chiffre d'affaires du cabinet Fidal, qui doit être un chiffre d'affaires mérité, mais nous vivons, malheureusement ou bien heureusement, dans un monde de croissance. Votre cabinet, j'en suis persuadé, croît tous les ans. Le produit que nous fabriquons en France croît en permanence. Or, nous sommes face à une grande distribution qui se dit mal à l'aise car elle est soit flat soit en décroissance. Et quand on analyse les faits – puisque nous avons auditionné des cabinets qui recensent les prix –, on constate une déflation depuis cinq ans. À un moment donné, on ne peut pas défendre la croissance, être soi-même en croissance et accepter que les industriels soient en pleine décroissance.

La roue tourne dans le mauvais sens. Il faut la faire tourner dans l'autre sens, un sens vertueux où la grande distribution saurait se renouveler et entrer dans le domaine du « phygital ». L'argent ainsi généré pourrait permettre d'inciter les clients à ne plus commander sur internet où les prix vont augmenter à telle enseigne que le panier moyen aura augmenté de 15 % à 20 % dans cinq ou dix ans et que tout le monde « n'y aura vu que du feu ! ». Nous espérions, en auditionnant aujourd'hui un cabinet comme le vôtre, être force de propositions et non de simple constat. Or, vous nous dites qu'il ne faut rien toucher, rien changer.

Nous sommes conscients du fait que la France est championne du monde de la création de lois, de règlements, de décrets, mais on constate de la décroissance. Quand un industriel entre dans un box de négociations et qu'on lui demande moins 2 %, moins 3 %, moins 4 %, il ne peut pas reverser cet argent perdu à ses employés qui, eux sont augmentés tous les ans. Même si vous êtes au SMIC, on vous augmente. Et pourtant, l'industriel voit que ses produits sont achetés moins cher. À un moment donné, il se retrouve complètement essoré, et la grande distribution, qui est en décroissance à force d'acheter moins cher, vend moins cher. Et si elle vend moins cher, à un moment donné son chiffre d'affaires baisse aussi.

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Philippe Vanni

Bien entendu. La question qui se pose aussi, c'est de savoir si le fournisseur doit travailler avec la grande distribution lorsqu'il n'est pas en mesure de consentir du prix et du volume. C'est une question que nous abordons avec des fédérations professionnelles de fournisseurs, qui incitent des entreprises qui n'ont pas de capacité à innover, à faire du volume, du prix, d'aller chercher d'autres marchés. Nous connaissons des situations où des fournisseurs se sont tournés vers d'autres marchés, à l'exportation, et ont réussi quelque chose qu'ils ne réussissaient pas avec la grande distribution. Il y a aussi une situation de marchés, de contextes, de puissance.

Ne pensez pas que nous considérions que tout soit normal. Ce n'est pas ce que nous avons dit. Nous avons dit qu'il est difficile pour la partie en situation de faiblesse d'obtenir ce qu'elle attend. Cela relève d'un déséquilibre économique, et s'il doit être caractérisé par les pratiques abusives, alors l'arsenal existant peut suffire, éventuellement par l'intermédiaire d'un tiers.

Il n'y aura, en effet, pas de possibilités pour la partie en situation de faiblesse d'aller se payer un beau procès, d'avoir un bon jugement et de l'afficher derrière son bureau, parce qu'elle aura perdu son client, son chiffre d'affaires et son fonds de commerce.

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L'anomalie du système, c'est que la France est le plus grand pays agricole d'Europe. Nous avons des industriels qui sont performants, et certains sont même les meilleurs dans certaines catégories comme le lait. Là, nous parlons du marché intérieur parce que notre commission souhaite rééquilibrer les relations commerciales et la répartition de la marge. Nous distinguons les producteurs et les consommateurs des acteurs de la négociation et de la distribution, et souhaitons voir apparaître des pratiques éthiques qui permettraient de répartir équitablement la marge. Beaucoup d'outils existent : l'Autorité de la concurrence, l'Observatoire de la formation des prix et des marges, le Médiateur des relations commerciales. On a quand même créé beaucoup de choses, bon sang ! Mais je pense qu'on a laissé la part belle au gigantisme financier et qu'on est dépassés. Il faut aussi que certains industriels s'interrogent sur leur capacité à fournir du volume, à innover. Le consommateur, lui, veut des produits de proximité et de qualité, ce qui suppose des circuits courts et le moins d'intermédiaires possible. C'est ça, notre sujet aujourd'hui.

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Philippe Vanni

Le dispositif EGAlim pose le principe de la cascade des prix. Tout part du producteur et c'est lui qui a le choix. Ce choix, il peut le faire avec un prix dit déterminé ou avec un prix dit déterminable. Le prix déterminable intègre et rend visible les coûts de production, le prix du produit sur le marché sur lequel opère l'acheteur et les cahiers des charges. C'est un moyen pour répercuter les valeurs sur chacun de ces postes et les faire ruisseler vers producteur.

Paradoxalement, et pour l'instant, les fédérations de professionnels que nous rencontrons nous informent qu'elles vont se lancer sur une notion de prix déterminé et non déterminable. Pourquoi ? Parce qu'avec les prix déterminables on a une transparence sur la structuration des prix. Cela donnerait au producteur la possibilité d'obtenir davantage de richesses, de valeur, en rendant les choses plus transparentes. Le dispositif EGAlim a véritablement une vertu, car avec ce prix déterminable, la cascade impacte les coûts amonts jusqu'au distributeur. La richesse générée sur l'aval ruisselle donc vers l'amont. Si vous partez sur une notion de prix déterminé, vous vous tirez une balle dans le pied. Le prix déterminé reprendra certainement une partie des coûts de production, mais il n'y aura pas ce facteur et ces pointeurs qui permettront de retranscrire la marge de l'aval vers l'amont. Vous voyez, le dispositif existe mais, pour l'instant, il y a des réticences à l'appliquer.

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L'esprit des États généraux de l'alimentation, c'était ça : repartir des coûts de production, reparler de la réalité de la production et créer une connexion entre le prix payé par le consommateur et le prix payé au producteur. Les choses ne doivent pas être aussi déconnectées qu'elles le sont actuellement.

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Philippe Vanni

Votre commission s'est-elle intéressée à la médiation, qui pourrait être envisagée comme un remède ?

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Nous avons reçu le président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges et le Médiateur des relations commerciales agricoles. Nous lui avons demandé s'il avait déjà reçu des dossiers de la part d'industriels de l'agroalimentaire depuis que ceux-ci ont le droit de le saisir. Compte tenu du fait que des milliers d'industriels ont demandé la création de cette commission d'enquête, nous imaginions qu'il croulerait sous les dossiers. Il n'en a reçu aucun ! Les industriels ont peur d'aller voir le médiateur car c'est une démarche officielle.

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Philippe Vanni

L'idée serait de soumettre ces litiges à un médiateur spécialiste de la négociation commerciale entre fournisseurs et distributeurs. Je pense par exemple à la Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC), qui a un recul important sur les décisions, ou à d'autres organismes plus indépendants, comme le Centre de médiation et d'arbitrage de Paris (CMAP), qui obtient des taux de réussite élevés dans la résolution des conflits de droit privé.

Si l'on pouvait amener le fournisseur et le distributeur à se décharger de problématiques qui ne sont pas d'ordre uniquement financier mais aussi psychologique, ce pourrait être une solution. Je crois beaucoup au souci de la réputation, de la vision qu'aurait le consommateur de l'opérateur qui aurait trahi sa confiance.

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Je pense néanmoins que l'on se dirige « gentiment » vers la responsabilité sociétale des entreprises, y compris pour les acteurs du commerce. Il faudra toutefois du temps pour que tout cela soit plus vertueux.

Messieurs, je vous remercie. Monsieur le rapporteur pourrait être amené à vous solliciter par écrit s'il souhaite plus de précisions encore, et vous devrez naturellement lui répondre.

La séance est levée à dix-neuf heures vingt.

Membres présents ou excusés

Réunion du lundi 27 mai 2019 à 18 heures

Présents. - M. Thierry Benoit, M. Grégory Besson-Moreau, M. Hervé Pellois

Excusée. - Mme Dominique David