Concernant les sanctions et les contrôles, on a tendance à dire qu'il y a beaucoup de lois en France – et ce sont souvent de bonnes lois. Certes, la loi « Galland » et la loi de modernisation de l'économie (LME) ont créé des déséquilibres. Mais depuis, il y a eu de nombreux autres textes de loi avec de bonnes dispositions. Nous ne souffrons pas d'un déficit de textes, mais d'un déficit d'application des textes. Je ne cesse de le répéter, mais l'on ne peut pas passer ce point sous silence. Si vous faites d'autres lois et qu'elles ne sont pas plus appliquées que les précédentes, cela ne servira à rien !
Quand vous faites une opération promotionnelle à 70 % comme celle d'Intermarché sur Nutella et Perrier notamment, qui était une revente à perte évidente, vous générez 0,5 à 0,6 point de part de marché supplémentaire en janvier et février, soit 30 à 35 millions d'euros. La transaction représentait, elle, 375 000 euros. C'est une très bonne négociation… Ce n'est pas normal ! Pour que la loi soit respectée, il faut que son non-respect soit économiquement moins intéressant. Or, aujourd'hui, il existe un intérêt économique à jouer avec la loi. Aujourd'hui, vous risquez 20 millions d'euros d'amende. Mais avant la loi dite Macron, le maximum encouru était de 2 millions d'euros. Vous imaginez ! Je ne critique personne, car je sais que c'est humain. Mais cela ne peut pas fonctionner. Si la sanction et le montant de l'amende ne sont pas dissuasifs, c'est inutile.
Il est possible d'aller jusqu'au doublement ou au triplement de la répétition de l'indu. Faisons-le ! Là, vous serez sûrs que vous paierez plus cher que ce que vous gagnerez si vous jouez avec la loi.
Il est certain qu'il existe un problème d'effectifs à la DGCCRF. Mais s'il faut l'aider, nous le ferons. Il faut accompagner le ministre sur les assignations. On parle d'omerta et de peur. Ce n'est plus possible ! Je ne vise pas un distributeur en particulier, mais des pratiques. Je vise une situation qui perturbe la concurrence ainsi que les relations entre les distributeurs eux-mêmes et entre les distributeurs et les industriels. En définitive, il existe un problème d'effectifs, de sanctions et de montant de ces sanctions. C'est vraiment tout bête. Il s'agit de faire en sorte que le risque que l'on prend à enfreindre la loi soit pénalisant économiquement, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Économiquement, je le répète, il est beaucoup plus intéressant de ne pas respecter la loi ou, en tout cas, de prendre des risques.
Sur la question de la concurrence, je ne sais que répondre. Entre septembre et décembre 2014, il y a eu trois alliances : « Auchan-Système U », « Intermarché-Casino » et « Carrefour-Cora ». En mars 2015, l'Autorité de la concurrence a produit un avis de 70 pages listant les risques significatifs. Cela fera bientôt cinq ans. Que s'est-il passé depuis ? Certes, une enquête est conduite par l'Autorité de la concurrence depuis l'été dernier, plus de quatre ans et demi après la publication de l'avis dont on ne sait pas s'il a été vérifié ou non. Je suis convaincu qu'il y a des choses à dire.
Dans les alliances, vous êtes partenaires à l'amont et vous avez le droit de massifier, mais vous êtes concurrents à l'aval. Où situer le curseur ? C'est un vrai sujet. Je pense que le curseur est mal placé et que les autorités de la concurrence n'ont pas vraiment conscience de sa position.
Quand Intermarché et Casino étaient alliés, par exemple, on nous a vendu la massification. Mais les industriels qui travaillent avec Intermarché et Casino n'en ont rien vu. Puis ces deux acteurs se sont séparés et Intermarché s'est retrouvé seul. Pensez-vous que certains sont allés reprendre des conditions à Intermarché parce qu'il n'était plus avec Casino donc il ne massifiait plus ? Non ! Bien sûr que non. N'est-ce pas incroyable ? Je pense que des effets de cliquet devraient interroger beaucoup plus qu'aujourd'hui.
La question est celle des conséquences sur les relations commerciales. Je peux parler des conditions d'Intermarché et Casino, puisqu'il y a prescription. Au premier rendez-vous, le quatrième point à l'ordre du jour concernait la comparaison des conditions commerciales, avec l'examen de l'accord Intermarché et de l'accord Casino. Les conditions étant sur la table, je ne peux pas imaginer qu'il n'y ait pas de convergence. Cela se vérifie. Nous avons fait l'étude pour l'Autorité de la concurrence. Or alignement des conditions signifie alignement de ces dernières. Il y a donc moins de concurrence sur le marché.
À une époque où j'étais patron d'une entreprise, un représentant de Système U avait récupéré les conditions d'Auchan et observé qu'il existait trois points d'écart au détriment de Système U. Je lui ai expliqué pourquoi : je n'avais pas les mêmes contreparties. Mon entreprise était un partenaire stratégique d'Auchan et pas de Système U. Si j'étais aujourd'hui patron d'une alliance incluant Auchan et Système U, comment ferais-je ? Pourquoi donnerais-je la même dérive à des acteurs qui ne travaillent pas de la même façon avec moi ? Cela n'a pas de sens. Il y a un hiatus, un angle mort. J'en suis convaincu.
Enfin, sur la question de l'amont, le sujet est celui de la loi EGAlim. Là encore, l'intention est formidable. Je ne crois absolument pas aux mécanismes redistributifs qui feraient défaut et que la loi aurait dû mettre en place : nous ne sommes quand même pas dans une économie dirigée ! Le problème de base est celui de la confiance. J'en prends ma part en tant que distributeur industriel. Les distributeurs ont permis de véritables avancées pour les produits laitiers. Je leur tire d'ailleurs mon chapeau, mais je déplore que seuls ces produits aient été concernés. Il est possible d'avancer sur d'autres sujets. Je parlais tout à l'heure de dialogue, car je suis convaincu que c'est un sujet sur lequel nous pouvons avancer ensemble, en suivant l'exemple de ce qui a été fait pour le lait. C'est faisable. Mais la question de base est celle de la confiance.
Quand un distributeur me dit-on qu'il ne savait pas clairement ce que l'industriel allait faire de l'argent qu'il accepterait de donner en acceptant le tarif, j'ai envie de lui répondre qu'il fallait prendre le risque. Il pourrait évoquer le risque le prix. Je lui répondrais alors qu'il n'existe pas de problème de positionnement de prix pour 80 % des produits concernés dans les fruits, les légumes ou les céréales : les distributeurs font 20 % à 30 % de marge sur ces catégories. Ce n'est pas un problème de prix, mais de confiance. S'ils acceptent l'augmentation de tarif, qui prend le risque ? C'est l'industriel ! En effet, s'il ne la répercute pas aux producteurs en amont, honnêtement, il y a un moment où il va se faire « rattraper par la patrouille » ! Il existe donc un déficit de confiance qui, à mon avis, ne se justifie pas ou de moins en moins.