La séance est ouverte à neuf heures
Nous accueillons, ce matin, une délégation de l'Institut de liaison et d'études des industries de consommation (ILEC), représentée par M. Richard Panquiault, son directeur général, et par M. Daniel Diot, son secrétaire général.
Avant de démarrer nos travaux, je vais demander à chacun, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter serment.
MM. Panquiault et Diot prêtent successivement serment.
Je vous propose de faire une présentation d'ouverture de quelques minutes. Ensuite, nous pourrons passer aux questions de M. le rapporteur Besson-Moreau et des membres de la commission désireux de vous interroger. Vous avez la parole.
Je vous remercie de nous accueillir aujourd'hui. Pour commencer, je dirai quelques mots sur l'ILEC. Cette association regroupe des fabricants de marques alimentaires et non-alimentaires.
Le chiffre d'affaires cumulé nos adhérents s'établit à environ 38 milliards d'euros, ce qui représente plus de la moitié de ce qui est vendu sous marques en grande surface. Deux tiers de nos adhérents sont « en alimentaire » et un tiers est « en non-alimentaire ». Au total, ils représentent pratiquement 150 000 agriculteurs liés aux négociations des sociétés qui opèrent dans les catégories alimentaires agricoles françaises, 120 000 emplois directs ou encore 530 000 emplois indirects induits et plus de 1 000 marques.
J'avais prévu de vous parler de trois sujets, si vous me laissez huit à dix minutes. Cela étant, je peux être plus court si vous le souhaitez. Je voudrais tout d'abord citer des chiffres. Dans ce cycle d'auditions, vous avez affaire à des parties prenantes d'un côté ou de l'autre des relations industriecommerces. Je voudrais donc planter le décor en commençant par des chiffres. Je ferai ensuite deux développements assez classiques, sur le rapport de force et son exercice d'une part, et sur les pratiques illicites d'autre part. Et pour cause, je considère que c'est autour de ces deux sujets que tournent toutes les relations industriecommerce.
Je voudrais simplement ajouter ici qu'à titre personnel, j'ai travaillé durant vingt-sept ans dans des entreprises, dans lesquelles j'ai exercé des fonctions essentiellement commerciales et de direction générale. Je ne suis donc pas un professionnel du syndicalisme, mais des relations industriecommerce et des produits de grande consommation.
Commençons par les chiffres. Nous avons observé ce qui s'est passé dans plus de 400 négociations depuis 2014, date du démarrage des premières alliances. En l'occurrence, au cours des cinq dernières années, 79 % de ces négociations se sont terminées avec de la déflation, c'est-à-dire une baisse du tarif net auquel les industriels vendent aux distributeurs. Dans le non-alimentaire, 93 % des négociations se sont terminées par une déflation. Nous avons concentré notre analyse sur le non-alimentaire : détergents, cosmétiques, jouets, etc. Et pour cause, en alimentaire, il existe un « effet matières premières ». Si un vendeur d'huile d'olive, par exemple, parvient à augmenter son tarif de 4 % quand l'huile d'olive progresse de 25 %, sa situation sera ingérable. En non-alimentaire, cet effet matière première joue moins. Dans ce secteur, nos adhérents sont Unilever, Colgate, L'Oréal ou encore Playmobil. Ce sont donc plutôt des acteurs connus et solides. Pourtant, 93 % des négociations des cinq dernières années se sont terminées avec une baisse du tarif net.
Ces données apportent un éclairage sur la réalité du rapport de force : depuis 5 ans, les prix déflatent systématiquement, tous azimuts. Si l'on parle d'argent, 1,8 milliard d'euros ont ainsi été transférés des industriels vers les distributeurs. Et si l'on parle en prix nets, cela représente une baisse de 13 % en non-alimentaire et une baisse de 6 % à 7 % en alimentaire. Voilà pour l'état des lieux du rapport de force. Certes, il peut arriver que des industriels baissent de leur plein gré leurs prix de vente. C'est notamment le cas lorsque les matières premières ont baissé, pour réajuster les conditions de tel ou tel client ou encore pour relancer la machine. Mais aucun ne le fait cinq années de suite et, dans 93 % des cas, avec 1,8 milliard d'euros à la clé.
La conclusion de ce premier point est que les industriels ont perdu la main sur leurs tarifs. Les distributeurs sont non seulement maîtres du prix de vente, mais ils sont aussi devenus maîtres du tarif des industriels. C'est cela, le coeur du problème.
J'en viens au rapport de force et à son exercice. Vous connaissez les chiffres. Ils ont été cités lors des différentes auditions. Il faut se rappeler qu'en 2014, les quatre premiers clients pesaient 66 % du business. Aujourd'hui, les quatre premiers clients ou alliances pèsent 92 à 93 %. Un changement de braquet s'est opéré en 2014. C'est tout à fait net. Pour autant, le niveau de concentration de la distribution française n'est pas atypique ou anormal. Il est élevé et se situe plutôt dans la fourchette haute de l'Europe, mais il n'est pas atypique. En revanche, la structure de la concentration de la distribution française pose à mon avis vraiment question. Le sujet est moins celui de la concentration elle-même que celui de la façon dont le business est concentré. Le phénomène des alliances, notamment, est assez particulier.
Il y a presque vingt ans, Carrefour et Promodès fusionnaient – Carrefour rachetait Promodès. Une nouvelle entité économique voyait alors le jour, dans laquelle les notions de synergie pour le distributeur et de mutualisation pour l'industriel avaient du sens. Il y avait un projet économique. C'était une entité unique. Aujourd'hui, des acteurs continuent à s'allier. Ainsi, le même Carrefour, par exemple, est allié avec Système U, lequel était allié quelques mois avant avec Auchan, dont il s'est séparé. Auchan est alors revenu vers Casino, qui était lui-même allié à Intermarché. Puis Intermarché est resté seul de son côté. On se rend bien compte qu'entre 2014 et 2017, un mouvement d'alliances assez spectaculaire s'est produit, avec une vitesse et une plasticité qui, de notre point de vue, posent vraiment question. Il suffit de notifier à l'Autorité de la concurrence pour que des monstres de 20 à 40 milliards d'euros s'allient entre eux pour devenir des structures énormes pesant entre 25 et 35 % du business. Tandis qu'il y a vingt ans, on s'interrogeait sur le poids de Carrefour-Promodès qui représentait 22 % et à côté duquel dix entités pesaient entre 5 % et 10 %. En 2019, quatre méga-monstres pèsent entre 25 % et 35 % et leurs alliances se font et se défont à une vitesse confondante. Cela nous interroge sur la façon dont ces alliances se nouent.
Ce système repose en quelque sorte sur un malentendu. En effet, dans les alliances, les membres sont partenaires dans une certaine mesure mais concurrents dans une autre mesure. C'est très clair : ils sont partenaires à l'amont, pour massifier, et adversaires ou concurrents à l'aval. Mais aujourd'hui, je ne sais pas où est placé le curseur. J'ignore pourquoi on a le droit de partager un assortiment, mais pas des promotions. Pourquoi l'assortiment est-il moins stratégique que la promotion ? Je ne sais pas où est placé le curseur. Je ne sais pas qui a vérifié où il était placé. Je ne sais pas non plus qui a vérifié l'incidence de ces alliances sur le marché et sur les conditions des industriels.
Car, pour terminer ce point sur les alliances, de deux choses l'une. Soit il existe in fine un alignement des conditions – ce qui pose une question de concurrence, puisqu'à terme, tout le monde a les mêmes conditions de prix et de triple net. Soit le niveau de dérive est le même – ce qui signifie qu'un industriel doit avoir la même stratégie vis-à-vis de deux alliés et dériver dans les mêmes conditions.
Mais cela suppose aussi que ces deux enseignes aient la même stratégie vis-à-vis de lui. Ce n'est pas la vie du business. Ce n'est pas ainsi que cela se passe. Nous considérons que la massification actuelle via les alliances mérite d'être étudiée de beaucoup plus près. D'autant que l'Autorité de la concurrence s'était penchée sur la question en 2014 et avait rendu un avis en mars 2015, lequel faisait état de risques significatifs. Et pour cause, nous le savons bien, partager des conditions est sensible. C'est un risque, qualifié de « significatif » par l'Autorité de la concurrence. Mais aujourd'hui, nous ne savons pas ce que ce risque significatif veut dire. Nous ne savons pas s'il est matérialisé ou pas. Nous ne savons pas ce que l'Autorité de la concurrence en pense.
Et tout cela se double d'un phénomène d'alliances au niveau international. Quand je parlais tout à l'heure d'une dérive de 1,8 milliard d'euros, j'incluais les accords internationaux. Les alliances existent aussi au niveau international. Vous le savez bien, tous les clients français sont actuellement intégrés dans au moins une structure internationale, parfois même deux, voire trois. Toutes les enseignes françaises sont intégrées dans une alliance internationale. Cela entraîne une multiplication des échelons de négociation et des occasions d'avoir connaissance des conditions de certains clients. Cela pose un problème majeur, d'autant qu'une masse d'argent considérable transite dans le cadre des accords internationaux. Nous l'estimons de l'ordre de 1,5 milliard d'euros.
C'est en ces termes que se pose la question de la concentration. Lorsque vous avez en face de vous des acteurs aussi puissants, aussi gros et noués au niveau international ou national par des alliances, il s'agit de savoir comment ils exercent ce rapport de force.
Le débat devient tout de suite compliqué : nous sommes à la limite de la puissance elle-même et de son exercice, qui devient finalement illicite. C'est ce qui se passe aujourd'hui. En effet, nous considérons que le problème majeur est qu'un très grand nombre d'accords sont désormais signés sous la contrainte et dans des conditions illicites. C'est un sujet important, notamment pour les autorités de concurrence. À partir du moment où un contrat est signé, on considère qu'il y a un accord des parties. Mais dans les faits, ce n'est pas ainsi que cela se passe. Un industriel qui ne signe pas avec un distributeur n'a pas d'alternative. Il n'a pas d'option de sortie, comme on dit dans le jargon la concurrence. Vous préférez donc signer un mauvais accord, c'est-à-dire un accord déséquilibré, plutôt que de ne pas en signer du tout.
C'est cela, l'expression du rapport de forces. C'est ainsi qu'il se traduit. C'est dans les accords internationaux que c'est le plus flagrant. Dans une grande majorité des cas, les contreparties sont fictives ou totalement ridicules. Et c'est de plus en plus le cas y compris au niveau national. Je pense à deux cas de figure dans lesquels nos adhérents nous ont fait savoir qu'ils estimaient avoir signé un accord déséquilibré, dans lequel les contreparties concédées sont loin de correspondre à la dégradation tarifaire acceptée.
Voilà l'ampleur du phénomène. La première question qui en découle vise à savoir comment peuvent être contrôlées les pratiques illicites. Nous pensons que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) doit se pencher d'urgence sur ces sujets de déséquilibre significatif, de même que sur les accords internationaux. Cela fait plus de deux ans que la DGCCRF et la Secrétaire d'État de l'époque, Madame Martine Pinville, s'étaient déclarées compétentes. Mais depuis, il ne s'est rien passé. C'est pourtant un sujet majeur.
Par ailleurs, une fois que l'on a identifié les pratiques illicites, la question est celle de la sanction. C'est, là encore, un vrai sujet. Il suffit d'étudier la jurisprudence de 2014 à 2017 : des amendes ont été prononcées pour près de 6,5 millions d'euros, tandis que la répétition de l'indu représente 154 millions d'euros. Le rapport est de 1 à 24 ! Cela signifie que le risque qui a été pris et qui a été sanctionné coûte 6,5 millions d'euros. Mais s'il n'avait pas été identifié, c'était un gain de 150 millions d'euros. Il y a là un véritable problème.
L'année dernière, la DGCCRF a prononcé une assignation de 20 millions d'euros, mais elle a demandé que soient restitués 83 millions d'euros. Dans ce cas, le rapport est de 1 à 4. Si l'assignation est confirmée, vous payez 20 millions d'euros d'amende et vous restituez 80 millions. Mais si vous n'aviez pas été pris, vous preniez 83 millions d'euros. La sanction n'est pas du tout dissuasive. C'est un vrai problème. Quand on fait de la dissuasion, il faut qu'elle soit suffisamment élevée pour fonctionner.
Pour autant, il existe quand même des motifs de satisfaction. En effet, certaines pratiques illicites reculent. À cet égard, il convient de saluer le travail de la DGCCRF.
Je peux évoquer deux exemples qui témoignent de ce recul. Tout d'abord, il existe une date légale pour signer un accord – en l'occurrence le 1er mars. Durant des années, nous avons observé des dérives et des renégociations systématiques. En 2016, l'argent qui transitait ainsi entre mars et décembre chez nos adhérents représentait 200 millions d'euros. Ce montant est ensuite passé à 120 millions d'euros, puis 40 millions d'euros et 20 millions d'euros. L'autre exemple concerne les déréférencements, qui constituent l'arme absolue de la distribution et dont on parle beaucoup actuellement. Certains phénomènes ont été très médiatisés. Mais quand on regarde dans les grandes lignes, on constate qu'en 2016, 75 % de nos adhérents étaient concernés par des mesures de déréférencement, en moyenne dans trois enseignes. L'incidence sur le business représentait 4,5 points de chiffre d'affaires. En 2017, ces indicateurs sont respectivement passés à 25 %, 1 à 1,5 enseigne en moyenne et 1,5 point de chiffre d'affaires. En 2018, nous avons cessé notre suivi dans la mesure où ce sujet ne présentait plus d'intérêt collectif pour nous. Encore une fois, des cas existent. Mais le phénomène n'est plus aussi marquant que par le passé.
C'est positif, car cela signifie que le marché s'assainit, et ce grâce à l'action de la DGCCRF et à la mobilisation des acteurs. En effet, outre les démarches qui peuvent être engagées sur le plan légal, nous pouvons aussi agir entre nous. Les pratiques illicites mutent – vers l'international, vers les pénalités, vers la logistique. Un guide a ainsi été corédigé par la Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC) – l'un des corédacteurs est assis à ma droite – sur les pénalités, le traitement des pénalités et le taux de service. Pour certaines enseignes, le taux de service est de 100 %. C'est impossible ! Cela n'existe pas ! Et si ce taux n'est pas atteint, c'est ce que l'on appelle « pénalité au premier manquant », vous êtes facturés. C'est un vrai sujet, qui a été pris en compte par les acteurs dans le cadre de la CEPC. Il faut que les travaux de cette dernière se développent et vivent dans le business. C'est un forum intéressant. S'y ajoutent les discussions que nous pouvons avoir avec les distributeurs, qui sont de plus en plus nombreuses. L'objectif étant d'essayer de déminer nous-mêmes un certain nombre de sujets.
Pour le coup, autant vous avez bien compris que les alliances me posent un vrai problème de fond, autant les discussions ou la nature des relations que nous avons pu avoir dans le cadre d'une alliance comme Horizon préfigurent ce que des distributeurs intelligents et constructifs peuvent essayer de faire avec des industriels ou des représentants d'industriels.
Je vous remercie de vous être déplacés aujourd'hui, Messieurs. Nous sentons, dans vos propos liminaires, une envie de parler ! Ma première question concerne les accords internationaux. Vous avez parlé de mesures ou de demandes parfois fictives voire ridicules. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit, en citant des noms afin que nous comprenions bien la typologie des centrales d'achat internationales ? Pouvez-vous également nous expliquer les différentes techniques d'une centrale d'achat à l'autre ?
Il me faudrait vingt minutes pour cela ! Historiquement, il existe deux types de centrales d'achat : celles qui vendent des services, que nous avons tendance à appeler des « pseudo-services », et celles qui achètent les produits.
Les premières se répartissent en deux types. Le premier type concerne les enseignes avec une véritable structure internationale. C'est le cas de Carrefour, qui est présent dans un grand nombre de pays et réalise 35 % à 40 % de son chiffre d'affaires à l'international. Ce premier type de centrales est également constitué d'acteurs – qui sont la majorité – comme Leclerc, Intermarché ou Système U, qui réalisent 95 % à 98 % de leur chiffre d'affaires en France, mais qui sont alliés à d'autres enseignes au niveau international et vendre des services. La seconde catégorie est constituée des centrales d'achat comme Eurelec. J'y reviendrai après.
Pour en revenir aux centrales qui vendent des services, vous pouvez donner des millions d'euros pour des données – typiquement, des « sorties magasins » sous forme de tableaux Excel le plus souvent inexploitables. Là où vous payeriez quelques milliers ou dizaines de milliers d'euros chez un panéliste comme IRI ou Nielsen, vous payez quelques millions d'euros. Ou alors, vous aurez l'immense chance et l'avantage d'avoir deux rendez-vous dits « top to top » avec un directeur des achats et un directeur général, ce qui vous coûtera la modique somme de 1 % à 1,5 % de votre chiffre d'affaires, soit un montant qui peut aller jusqu'à 5, 10 ou 15 millions d'euros ! Or il est certain que cela ne vaut pas ce prix.
Certes, certaines centrales proposent plus de contreparties que d'autres. Mais elles constituent une petite minorité. Je parlais de déséquilibre significatif tout à l'heure. Et pour cause, je pense que l'immense majorité des accords signés au niveau international sont caractéristiques de ce déséquilibre significatif.
La seconde catégorie de structures internationales concerne les structures d'achat. C'est ce que Leclerc a mis en place, il y a trois ans, avec l'allemand Rewe, en constituant Eurelec. Là, il n'est plus question de vous vendre des services mais d'acheter des produits. Cela qui pose d'autres types de problèmes, notamment celui de l'applicabilité du droit. Ainsi, Eurelec a un contrat pour le compte de Leclerc et un autre pour le compte de Rewe, et c'est le droit belge qui s'applique. Pourtant, l'exécution du contrat se situe bien en France. Cela signifie que les acteurs qui sont chez Eurelec n'obéissent pas au même régime légal que leurs concurrents pourtant implantés dans le même pays. À la limite, Eurelec n'a donc pas de raison de respecter la concomitance des engagements. Et cela, je ne comprends pas pourquoi.
Depuis que nous procédons à ces auditions, nous avons beaucoup parlé de ces fameux « services » qui peuvent être qualifiés de fictifs ou de virtuels. Mais lorsque nous tentons de déterminer leur nature, force est de constater qu'elle demeure assez floue.
La genèse de la création de cette commission d'enquête vient de la volonté d'un certain nombre de parlementaires – je regarde mes collègues Daniel Fasquelle ou Guillaume Garot – exerçant depuis plus de dix ans dans cette maison d'améliorer le déséquilibre des relations commerciales au détriment du maillon amont que sont les producteurs, notamment les producteurs agricoles. Les gouvernements qui se succèdent y travaillent également. Peut-on isoler d'un côté les négociations commerciales qui tournent autour des produits, et de l'autre côté les négociations périphériques qui concernent les soi-disant services. J'emploie « soi-disant » car outre l'exposé que vous venez de faire, le cabinet d'avocats que nous avons auditionné lundi soir, chargé de conseiller à la fois des industriels et des distributeurs, n'a pas été capable de nous décrire de manière précise quelle était la nature de ces services.
Pour nous, le contenu le plus fictif ou le moins solide est celui qui consiste à vendre des données magasins, qui sont la plupart du temps peu exploitables et bien plus coûteuses que celles que l'on achète auprès des panélistes. Il peut aussi s'agir des fameux rendez-vous dits « top to top ». Dans certains cas de figure, que l'on peut voir chez Carrefour ou Copernic par exemple, des opérations promotionnelles montées par la structure internationale peuvent s'ajouter à ce qui est négocié dans un plan local. Dans ces cas-là, la contrepartie est réelle. Mais ce n'est pas toujours le cas. Ainsi, de mon point de vue, un rendez-vous « top to top » ou une donnée ne coûte jamais 5 ou 10 millions d'euros.
L'autre difficulté vient du fait que le prix et les services sont mélangés et que soit l'on achète des choses totalement disproportionnées, soit, dans le cas français notamment, on ne sait plus ce qu'on achète. La question de la protection d'un tarif devient celle de sa dégradation pour arriver à un prix net et des contreparties qui justifient cette dégradation. Dans ce domaine, nous avons perdu tous nos points de repère.
Qu'entendez-vous par « payer » ? S'agit-il de faire un chèque ou un virement à la grande distribution, ou d'accorder des remises supplémentaires sur un prix tarif, un prix « fond de rayon » ?
Par ailleurs, que se passe-t-il si vous refusez certains services ? Et si l'on vous menace, quel est le type des menaces ?
Les réponses ne sont jamais univoques. Concernant votre première question, on ne paie pas vraiment des remises supplémentaires, mais plutôt un pourcentage. Cela pose d'ailleurs la question de la destination de ces sommes. Entre 2014 et 2017, 3,2 milliards d'euros sont partis en baisse de prix consommateur. Je pense qu'ils ont été financés à 75 % ou plus par les industriels, donc par les négociations. En revanche, avec les accords internationaux, je ne sais pas où va l'argent. Je pense que c'est une forme de marge de la distribution, sanctuarisée à Bruxelles.
Par ailleurs, si vous refusez un service, cela ne se passe généralement pas bien ! La plupart du temps, d'ailleurs, vous ne refusez pas. Vous finissez par transiger à un certain niveau. Dans quelle mesure des négociations internationales peuvent-elles interférer avec des négociations locales ? En 2018 et 2017, je peux en parler car la presse a fait écho, des mesures de rétorsion ont été prises par des enseignes membres de l'alliance Agecore suite à un défaut d'accord avec les industriels concernés.
Pour nous, cette forme de répercussion d'un accord international sur des négociations locales constitue aussi une forme d'atteinte à la concurrence.
J'étais hier avec le groupe jurassien Bel, dont la directrice m'exposait les difficultés qu'elle rencontre avec la grande distribution, laquelle entend absolument acheter les produits de nos industriels pour en faire sa propre marque en faisant disparaître celle de l'industriel. C'est donc un problème.
Par ailleurs, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) se penche-t-elle sur ces questions de concurrence sauvage à l'international ? Est-elle consciente qu'il y a lieu de prendre des dispositions ?
J'avoue mon ignorance totale concernant l'OMC.
Concernant votre première question, le sujet est celui du poids croissant des marques de distributeur (MDD), qui ont plutôt eu tendance à reculer en France au cours des dernières années. Les marques de PME en ont d'ailleurs davantage profité que les grandes marques, pour des raisons d'assortiment et de linéaire plus que de prix. Cela étant, cette tendance devrait s'inverser compte tenu de l'intérêt stratégique des distributeurs à redévelopper les MDD. La question de l'articulation entre une MDD et une marque nationale est donc récurrente. Il est vrai que cela pose problème aux industriels.
Cela pose aussi la question de la transparence. Nous sommes souvent accusés d'en manquer. Nous aimerions bien qu'elle soit plus grande sur ce que nous achetons, notamment en France. Mais c'est compliqué dans la mesure où souvent, le distributeur est aussi un concurrent de l'industriel. Ainsi, jouer « à livre ouvert » avec un tel acteur est un peu compliqué.
Je vous remercie de la franchise avec laquelle vous vous exprimez ce matin. Vous parlez avec une clarté absolument nécessaire pour que nous puissions faire du bon travail. Je tenais à le souligner. Cette parole est assez rare. Merci d'avoir démonté le mécanisme de la négociation commerciale entre vous, transformateurs, et la grande distribution. À mesure que les auditions passent, nous cernons mieux les problématiques.
Dans les relations avec la grande distribution, quelles propositions pourriez-vous porter pour que l'on puisse régler les problèmes que vous avez posés et aboutir à une fluidité ? Vous avez soulevé deux points : la question juridique des alliances et celle des contrôles et des sanctions. Pourriez-vous nous en dire davantage et nous exposer votre point de vue d'acteur économique ? Par ailleurs, comment envisagez-vous les relations avec les producteurs, qui sont vos propres fournisseurs ? Comment aboutir à une relation équilibrée sur l'ensemble de la chaîne ? C'est ce que nous recherchons.
Concernant les sanctions et les contrôles, on a tendance à dire qu'il y a beaucoup de lois en France – et ce sont souvent de bonnes lois. Certes, la loi « Galland » et la loi de modernisation de l'économie (LME) ont créé des déséquilibres. Mais depuis, il y a eu de nombreux autres textes de loi avec de bonnes dispositions. Nous ne souffrons pas d'un déficit de textes, mais d'un déficit d'application des textes. Je ne cesse de le répéter, mais l'on ne peut pas passer ce point sous silence. Si vous faites d'autres lois et qu'elles ne sont pas plus appliquées que les précédentes, cela ne servira à rien !
Quand vous faites une opération promotionnelle à 70 % comme celle d'Intermarché sur Nutella et Perrier notamment, qui était une revente à perte évidente, vous générez 0,5 à 0,6 point de part de marché supplémentaire en janvier et février, soit 30 à 35 millions d'euros. La transaction représentait, elle, 375 000 euros. C'est une très bonne négociation… Ce n'est pas normal ! Pour que la loi soit respectée, il faut que son non-respect soit économiquement moins intéressant. Or, aujourd'hui, il existe un intérêt économique à jouer avec la loi. Aujourd'hui, vous risquez 20 millions d'euros d'amende. Mais avant la loi dite Macron, le maximum encouru était de 2 millions d'euros. Vous imaginez ! Je ne critique personne, car je sais que c'est humain. Mais cela ne peut pas fonctionner. Si la sanction et le montant de l'amende ne sont pas dissuasifs, c'est inutile.
Il est possible d'aller jusqu'au doublement ou au triplement de la répétition de l'indu. Faisons-le ! Là, vous serez sûrs que vous paierez plus cher que ce que vous gagnerez si vous jouez avec la loi.
Il est certain qu'il existe un problème d'effectifs à la DGCCRF. Mais s'il faut l'aider, nous le ferons. Il faut accompagner le ministre sur les assignations. On parle d'omerta et de peur. Ce n'est plus possible ! Je ne vise pas un distributeur en particulier, mais des pratiques. Je vise une situation qui perturbe la concurrence ainsi que les relations entre les distributeurs eux-mêmes et entre les distributeurs et les industriels. En définitive, il existe un problème d'effectifs, de sanctions et de montant de ces sanctions. C'est vraiment tout bête. Il s'agit de faire en sorte que le risque que l'on prend à enfreindre la loi soit pénalisant économiquement, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Économiquement, je le répète, il est beaucoup plus intéressant de ne pas respecter la loi ou, en tout cas, de prendre des risques.
Sur la question de la concurrence, je ne sais que répondre. Entre septembre et décembre 2014, il y a eu trois alliances : « Auchan-Système U », « Intermarché-Casino » et « Carrefour-Cora ». En mars 2015, l'Autorité de la concurrence a produit un avis de 70 pages listant les risques significatifs. Cela fera bientôt cinq ans. Que s'est-il passé depuis ? Certes, une enquête est conduite par l'Autorité de la concurrence depuis l'été dernier, plus de quatre ans et demi après la publication de l'avis dont on ne sait pas s'il a été vérifié ou non. Je suis convaincu qu'il y a des choses à dire.
Dans les alliances, vous êtes partenaires à l'amont et vous avez le droit de massifier, mais vous êtes concurrents à l'aval. Où situer le curseur ? C'est un vrai sujet. Je pense que le curseur est mal placé et que les autorités de la concurrence n'ont pas vraiment conscience de sa position.
Quand Intermarché et Casino étaient alliés, par exemple, on nous a vendu la massification. Mais les industriels qui travaillent avec Intermarché et Casino n'en ont rien vu. Puis ces deux acteurs se sont séparés et Intermarché s'est retrouvé seul. Pensez-vous que certains sont allés reprendre des conditions à Intermarché parce qu'il n'était plus avec Casino donc il ne massifiait plus ? Non ! Bien sûr que non. N'est-ce pas incroyable ? Je pense que des effets de cliquet devraient interroger beaucoup plus qu'aujourd'hui.
La question est celle des conséquences sur les relations commerciales. Je peux parler des conditions d'Intermarché et Casino, puisqu'il y a prescription. Au premier rendez-vous, le quatrième point à l'ordre du jour concernait la comparaison des conditions commerciales, avec l'examen de l'accord Intermarché et de l'accord Casino. Les conditions étant sur la table, je ne peux pas imaginer qu'il n'y ait pas de convergence. Cela se vérifie. Nous avons fait l'étude pour l'Autorité de la concurrence. Or alignement des conditions signifie alignement de ces dernières. Il y a donc moins de concurrence sur le marché.
À une époque où j'étais patron d'une entreprise, un représentant de Système U avait récupéré les conditions d'Auchan et observé qu'il existait trois points d'écart au détriment de Système U. Je lui ai expliqué pourquoi : je n'avais pas les mêmes contreparties. Mon entreprise était un partenaire stratégique d'Auchan et pas de Système U. Si j'étais aujourd'hui patron d'une alliance incluant Auchan et Système U, comment ferais-je ? Pourquoi donnerais-je la même dérive à des acteurs qui ne travaillent pas de la même façon avec moi ? Cela n'a pas de sens. Il y a un hiatus, un angle mort. J'en suis convaincu.
Enfin, sur la question de l'amont, le sujet est celui de la loi EGAlim. Là encore, l'intention est formidable. Je ne crois absolument pas aux mécanismes redistributifs qui feraient défaut et que la loi aurait dû mettre en place : nous ne sommes quand même pas dans une économie dirigée ! Le problème de base est celui de la confiance. J'en prends ma part en tant que distributeur industriel. Les distributeurs ont permis de véritables avancées pour les produits laitiers. Je leur tire d'ailleurs mon chapeau, mais je déplore que seuls ces produits aient été concernés. Il est possible d'avancer sur d'autres sujets. Je parlais tout à l'heure de dialogue, car je suis convaincu que c'est un sujet sur lequel nous pouvons avancer ensemble, en suivant l'exemple de ce qui a été fait pour le lait. C'est faisable. Mais la question de base est celle de la confiance.
Quand un distributeur me dit-on qu'il ne savait pas clairement ce que l'industriel allait faire de l'argent qu'il accepterait de donner en acceptant le tarif, j'ai envie de lui répondre qu'il fallait prendre le risque. Il pourrait évoquer le risque le prix. Je lui répondrais alors qu'il n'existe pas de problème de positionnement de prix pour 80 % des produits concernés dans les fruits, les légumes ou les céréales : les distributeurs font 20 % à 30 % de marge sur ces catégories. Ce n'est pas un problème de prix, mais de confiance. S'ils acceptent l'augmentation de tarif, qui prend le risque ? C'est l'industriel ! En effet, s'il ne la répercute pas aux producteurs en amont, honnêtement, il y a un moment où il va se faire « rattraper par la patrouille » ! Il existe donc un déficit de confiance qui, à mon avis, ne se justifie pas ou de moins en moins.
Je suis heureux de vous entendre dire qu'il y a eu de bonnes lois. Lundi, un cabinet d'avocats nous a expliqué l'inverse.
Sur le lait, par ailleurs, je rappelle que nous sortions quand même d'une situation de prix très bas. Le signal prix envoyé désormais est certes moins mauvais. Mais lorsque nous avons rencontré les producteurs de lait dans les territoires et lorsque nous les avons auditionnés, notamment la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), nous avons constaté qu'il y avait quand même loin de la coupe aux lèvres entre le prix payé par le consommateur, les indicateurs de coûts de production et les prix payés aux producteurs. Nous ne sommes pas encore rendus au bout.
Je voudrais revenir sur les relations entre la grande distribution et vous, les fournisseurs. Nous avons auditionné le Médiateur des relations commerciales agricoles. Il nous a indiqué que les industriels n'ont déposé aucune plainte. Aucun dossier n'a donc été instruit pour le monde industriel. Nous attendons avec impatience l'audition de la DGCCRF, mais nous recevons des échos selon lesquels celle-ci ne reçoit que très rarement des plaintes de la part des industriels de l'agroalimentaire. Comment se fait-il qu'il y ait une montagne de problèmes mais aucune plainte déposée ? Comment faire pour que nous, législateurs, puissions renforcer les contraintes ou faire en sorte que les lois soient respectées ?
Dans les entreprises que je représente, il est vrai que nous avons peu le réflexe de saisir le Médiateur des relations commerciales agricole. Nous avons plutôt la tentation de régler nos affaires entre nous. Je suis toutefois convaincu qu'un recours plus anticipé et plus fréquent à ce médiateur contribuerait à désamorcer certaines situations. Je connais d'ailleurs des cas de figure dans lesquels avoir informé un distributeur que l'on envisageait de le saisir pour médiation a suffi à débloquer la situation. De façon générale, je pense que nous devrions faire davantage appel au Médiateur.
J'évoquais, tout à l'heure, les travaux de la CEPC, organisme paritaire dans lequel les directions juridiques des industriels et de leurs fédérations mais aussi des distributeurs et de leurs fédérations travaillent bien ensemble. C'est un lieu dans lequel on crée du lien. Je pense qu'il en est de même avec la médiation. Elle permet de créer du lien, notamment dans le cadre de l'Observatoire sur les négociations mis en place cette année, qui permet au moins de disposer d'une photographie commune.
Pour ce qui est de la DGCCRF, nous l'alertons sur certains sujets – les accords internationaux, les déséquilibres, etc. Nous espérons qu'elle collecte suffisamment de pièces pour considérer que le sujet est collectif et qu'elle le porte devant le ministre. Tel devrait être en tout cas le processus. Par le passé, la DGCCRF ne trouvait rien à l'occasion de ses contrôles. Aujourd'hui, elle trouve. Et pour cause, des comptes rendus, des documents, des tableaux, des pièces existent. La DGCCRF peut les saisir. Et si le sujet est porté devant le ministre, celui doit avoir la possibilité d'assigner.
Encore une fois, je le répète, autant un industriel ne peut jamais individuellement prendre l'initiative d'assigner. Mais, à l'ILEC, nous sommes prêts à accompagner le ministre en lui expliquant comment les choses se sont réellement passées, sur le plan opérationnel, de notre point de vue.
Vos explications sont très claires et très intéressantes. Elles apporteront beaucoup à notre commission d'enquête.
Vous avez regretté que les sanctions ne soient pas suffisantes. Pour ma part, je ne pense pas qu'il faille une évolution législative, à moins que vous ne me démentiez. En effet, l'article 442-4 du Code de commerce permet déjà de tripler le montant des indus ou d'aller jusqu'à 5 % du chiffre d'affaires. Donc si l'on veut cogner fort, on peut d'ores et déjà le faire, conformément aux évolutions législatives récentes dont vous vous félicitiez. À ce sujet, quel regard portez-vous sur la loi EGAlim et sur la réécriture du titre IV du Code de commerce par ordonnance ?
Par ailleurs, vous avez parlé des alliances au plan européen et de la centrale d'achat Eurelec basée à Bruxelles. Je pense qu'il est possible de l'atteindre depuis la France à partir du concept de loi de police. La Commission européenne s'est emparée de ce sujet et une directive européenne concerne les produits alimentaires et agroalimentaires. Pensez-vous que le niveau national n'est plus pertinent ? Faut-il que la Commission européenne s'empare davantage encore du sujet, légifère et se dote de moyens d'action au plan européen ?
Sur le premier point, je ne peux que paraphraser ce que vous avez dit. La loi Macron a permis de porter le plafond de l'amende à 5 % du chiffre d'affaires, conformément à une disposition proposée par le rapporteur. Les lois ont évolué et nous les trouvons plutôt bonnes. En l'occurrence, cette disposition nous semble majeure. Elle aurait dû structurer différemment la relation industriecommerce. Pourtant, je constate trois ans après que tel n'a pas été le cas. Il en est de même pour le triplement de l'indu. Cette mesure n'a toujours pas été utilisée. Je comprends que l'on fasse attention, mais alors il ne faut pas déplorer le fait que les pratiques illicites continuent à se développer. À mon avis, la relation de cause à effet nette.
Concernant ÉGAlim je suis sensible à deux sujets : la majoration du seuil de revente à perte (SRP) et l'encadrement des promotions. La majoration du SRP était supposée redonner de l'oxygène à la distribution, en lui permettant de mieux rémunérer l'amont agricole. Telle était la logique. À l'époque, beaucoup ont déploré l'absence de mécanisme de redistribution automatique. Je pense que c'est un faux sujet car, je le disais, nous ne sommes pas dans une économie dirigée.
Le problème, c'est que la distribution laisse penser que cette décision lui a été imposée et augmente un certain nombre de prix et que, pour protéger le pouvoir d'achat, ce « sacro-saint » pouvoir d'achat, elle a le bon coeur de baisser les prix sur des MDD ou d'autres marques. Et finalement, nous avons soutenu cette mesure qui allait plutôt à l'encontre des intérêts des acteurs que nous représentons, parce que nous voyions bien que la distribution avait des difficultés et nous avons considéré qu'elle lui procurerait une forme de bouffée d'oxygène – je mets de côté Leclerc, qui a toujours fait savoir très clairement qu'il n'en voulait pas. Mais aujourd'hui, on nous explique que cette décision a été imposée et qu'heureusement que les distributeurs sont là pour faire la péréquation et éviter l'inflation ! C'est en tout cas ce que je comprends. Je m'interroge donc vraiment sur la philosophie de SRP majoré. Nous travaillerons sur un bilan, pour voir ce qu'il en est réellement. Nous en discutons avec Bercy. Nous prendrons des décisions, vous prendrez des décisions sur cette question dans un peu plus d'un an. De mon point de vue, le SRP n'a pas atteint son objectif et a même été dénaturé.
Quant à l'encadrement des promotions, je suis extrêmement favorable à cette mesure. Nous avons milité pour un encadrement même avant ÉGAlim, car nous considérons que les promotions sont génératrices de gaspillage alimentaire et de surconsommation. Elles n'apportent rien au marché et dégradent la rentabilité. Pour le moment, cela a eu un effet sur les négociations. Pour la première fois, en effet, il y a eu une dégradation tarifaire en « 3 net » mais une moindre dégradation en « 4 net ».
Cela signifie qu'il y a eu une reprise des investissements promotionnels depuis l'année dernière, conséquence directe du plafonnement à 25 % du chiffre d'affaires promotionné. Nous pensons donc que cette mesure est intéressante car elle redonnera de l'oxygène et remettra des curseurs intelligents sur les prix. En revanche, nous craignons les mesures de contournement. J'ai eu l'occasion d'en parler à Mme la ministre et à Mme Beaumeunier de la DGCCRF. Je pense qu'à la rentrée, nous observerons des mécanismes massifs de contournement de ces dispositions sur les promotions. Il faut y être vigilant dès maintenant.
Sur le plan européen, il existe effectivement une directive sur les pratiques illicites. Tout d'abord, j'ai bien compris que l'Autorité de la concurrence en France s'est emparée du sujet des alliances et de la concentration. Mais je constate que la seule à avoir agi jusqu'à maintenant est la Commission européenne. C'est elle qui s'est préoccupée du cas d'Agecore et, dans la foulée, d'Intermarché, de Casino, etc. À ma connaissance, c'est la seule à avoir pris une initiative pratique, matérielle, constatable.
Ensuite, vous avez raison, on se rend bien compte qu'il faut une articulation de plus en plus étroite entre les autorités françaises et européennes. Nous disposons du dispositif nécessaire, en France. Avec les lois de police, Bercy a la possibilité de contrôler ce qui se passe et ce qui est signé même à Bruxelles ou à Zurich dès lors que le contrat s'applique en France. Plus on sera adossé à un droit européen, mieux on se portera. Mais aujourd'hui, nous avons déjà ce qu'il convient dans notre arsenal national. Ce sera certainement plus facile, demain, de contrôler des accords internationaux s'il existe une structure législative européenne plus nette. Pour moi, c'est plus une question pratique que réglementaire ou législative.
Merci pour toutes ces explications qui nous permettent d'y voir plus clair. De nombreux points que je voulais aborder l'ont déjà été. Malgré tout, il en reste un que je souhaite évoquer. Nous avons beaucoup entendu parler d'un problème de transparence sur les prix et sur les négociations. Tous nous demandent à cor et à cri d'essayer de savoir ce qui se passe dans les fameux box de négociations.
J'aurais voulu avoir votre sentiment sur ce sujet. Qu'est-il possible de faire, d'après vous ? Qu'est-ce qui ne l'est pas ? Ainsi que vous l'avez indiqué, les négociations commerciales sont déjà très compliquées. Je ne suis pas sûre que l'intervention d'un troisième acteur facilitera beaucoup les choses.
On peut parler de contrats doubles bipartites, mais pas de contrats tripartites qui constituent une entente verticale.
Nous manquons de pédagogie de la transparence. Ce qui a pu faire la différence, c'est la confiance et une pédagogie d'une certaine forme de transparence. Mais je ne veux pas être embarqué dans des histoires où on me fait déballer tous mes livres devant des gens qui sont aussi mes concurrents. Vous ne pouvez pas occulter cela. C'est une donnée majeure, essentielle, de l'équation.
J'ai bien vu, lu et entendu cette demande. Mais je considère qu'il est impossible de mettre quelqu'un dans le box de négociations. C'est la raison pour laquelle, à mon avis, les accords tripartites n'ont pas de validité du point de vue du droit de la concurrence : cela devient de l'entente verticale. On peut parler de contrat double bipartite, avec des liens transparents entre les deux. Mais il faut oublier les contrats tripartites en tant que tels, car c'est de l'entente verticale.
À titre personnel, je suis convaincu que nous manquons surtout de pédagogie de la transparence, nous autres industriels. Des accords ont été aisément signés dans le lait, et pour d'autres, c'est plus difficile. Pourtant, les bases économiques sont les mêmes. C'est la confiance qui fait la différence, de même que la pédagogie d'une certaine forme de transparence. Je suis convaincue que nous avons un travail à faire en la matière, en s'inspirant de l'exemple du lait. Cela étant, je ne veux pas être une fois de plus contraint de déballer tous mes livres devant des acteurs qui sont aussi mes concurrents. Je suis désolé, mais au moins 30 à 35 % de n'importe quel business sont assurés par des MDD. On ne peut pas l'occulter. C'est une donnée majeure et essentielle de l'équation.
Je propose de laisser la parole à Daniel Diot afin qu'il vous réponde sur la réécriture du titre IV du code de commerce.
Une multitude de textes se sont succédé, qui étaient excellents dans leur forme. Mais cela a fini par poser un problème de lisibilité. Il était donc devenu indispensable de clarifier ces textes. Ce travail a été effectué par la DGCCRF. De mon point de vue, il a été bien fait, avec plus ou moins de concertation mais dans des circonstances compliquées pour les services de l'administration au regard de la charge de travail liée à ÉGAlim.
Nous sommes plutôt satisfaits du travail effectué par la DGCCRF et de l'ordonnance qui est sortie dernièrement. Nous avons néanmoins deux points de réserve, notamment sur la construction d'un certain nombre de dispositions légales. Tout d'abord, concernant la modification du prix convenu. Jusqu'à présent, il s'agissait du tarif moins les réductions de prix. Désormais, la définition du prix convenu intègre les services. Cela nous pose un problème car, de notre point de vue, on mélange des choses qui ne sont pas mélangeables. Finalement, c'est une forme d'atteinte à la liberté tarifaire. En effet, on combine des éléments qui relèvent des prestations de services proposées par le distributeur avec des éléments qui portent sur le prix du produit lui-même. Ce mélange des genres est un peu problématique et représente potentiellement une atteinte supplémentaire à la protection du tarif.
Ensuite, dans son ordonnance, la DGCCRF a redéfini les contours de la convention unique qui lie les fournisseurs et les distributeurs, en mettant en place une convention dérogatoire dans laquelle la définition du champ d'application est liée non pas à la nature des opérateurs, mais à celle des produits – qui nous semble un peu réductrice puisqu'elle ne vise que les produits alimentaires et des produits non-alimentaires dont la liste n'est pas connue puisqu'elle doit être définie par décret. Il nous semble qu'un certain nombre de produits sont sortis du champ d'application protecteur de la convention unique dérogatoire alors qu'ils y étaient jusqu'à présent. Nous attendons avec impatience la production du décret pour voir dans quelle mesure il sera possible d'étendre la protection pour des produits qui, pour l'instant, n'y figurent pas.
Je vous remercie pour vos exposés très intéressants. À l'heure de la Food Tech et du Retail, des start-up déjà bien installées et avec une attitude BtoB affirment être des « plateformes collaboratives entre la grande distribution et l'industrie agroalimentaire » et des « solutions à la fois logistiques et informatiques ». Je me suis renseignée sur les clients de ces start-up. C'est phénoménal ! D'un côté, on nous parle de box. De l'autre, on observe ces pratiques, qui se multiplient. Connaissez-vous ce genre de réseau ? L'une de ces plateformes en retail tech est très connue en France, mais je ne veux pas citer de nom.
Je pense que Richard Girardot, président de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA), pourra vous en dire plus que moi. L'une des grandes problématiques, liée à la transparence vis-à-vis du consommateur, est la capacité à tracer une information aussi fiable et exhaustive que possible. Ainsi, tout ce qui relève du registre de l'échange collaboratif nous semble aller dans la bonne direction. C'est un gage de transparence, de réassurance et de confiance. Cela tourne aussi bien autour des industriels dans leurs relations avec la distribution, qu'autour de ces deux acteurs dans leurs relations avec le consommateur.
J'ai vu qui étaient les clients de ce type de start-up. Visiblement, c'est considérable ! Nous avons le sentiment de passer à une autre ère. Qui utilise ces plateformes et pourquoi tout le monde ne le fait-il pas ?
Un nombre croissant d'acteurs les utilisent. Pour ma part, je vais citer un nom : GS1. Il s'agit d'un organisme paritaire de référence chargé de créer des outils collaboratifs entre les distributeurs et les industriels. En l'occurrence, nous avons besoin d'une vision uniformisée.
Elles sont déjà le présent !
Bien sûr, en bilatéral avec des distributeurs. Encore une fois, la question est celle de l'uniformisation des systèmes, laquelle passe par GS1.
Exactement. C'est une transparence parfaite sur les ingrédients et sur le contenu des produits.
Je n'ai pas noté, dans la liste de vos adhérents, la présence des acteurs principaux des filières porcine et bovine. Pouvez-vous nous dire un mot sur l'organisation de ces deux filières ?
Pas vraiment, puisqu'elles ne sont pas adhérentes à notre organisme.
Quelle est votre question ?
Elle est en relation avec les ambitions de la loi et porte sur l'organisation des filières. Comment la redistribution de la valeur peut-elle être attendue par l'amont, en particulier les éleveurs, dans un contexte où manifestement les opérateurs sont tentaculaires ? Existe-t-il des possibilités d'amélioration de la situation dans le contexte, coopératif ou privé, de la transformation de ces deux filières ?
Je vous prie de m'excuser, mais je pense que je ne suis malheureusement pas la personne la mieux placée pour répondre à cette question. Tout ce que je puis dire, c'est que l'interprofession joue un rôle clé dans la création et la redistribution de la valeur.
Revenons sur les relations entre la grande distribution et les industries agroalimentaires, en retournons à l'intérieur des box. Vous avez expliqué que, de temps à autre, vous étiez obligés de signer sous la contrainte. Qu'est-ce qu'une négociation sous contrainte ? Existe-t-il des comptes rendus, des enregistrements ? Comment la négociation se passe-t-elle réellement ? Quelles sont les dérives ? Il s'agit de bien comprendre la relation entre les acheteurs et les vendeurs.
Nous avons coutume de dire que le point de départ de la négociation, c'est le tarif ou les conditions générales de vente (CGV). Mais le vrai débat n'est pas celui-là. Le premier sujet est celui de la protection du tarif. Aujourd'hui, on se fiche de votre tarif. On vous indique simplement qu'on veut acheter « à moins 2 » ou « à moins 3 », pour de multiples raisons. Le problème est donc celui-là : vous partez de la demande d'un distributeur qui chercher à acheter moins cher et à systématiquement s'aligner sur le prix du voisin. Cela biaise d'entrée de jeu la négociation. Il faudrait partir du tarif et décomposer les éléments qui permettent d'arriver à un prix net, avec de véritables contreparties équilibrées. Dans ces conditions, nous n'aurions pas ce débat.
Je vous le disais tout à l'heure, les MDD redeviennent stratégiques pour les distributeurs. Je le comprends parfaitement. Je ne conteste pas de tels choix stratégiques. Mais quand on vous dit qu'il va baisser de 15 % votre assortiment tout en restant « à moins 2 », il y a un vrai problème. C'est ce que j'appelle un déséquilibre significatif. C'est la double peine. Aujourd'hui, pour un industriel, la perspective de perdre est tellement importante que vous préférez signer « à moins 2 » et « à moins 15 % » d'assortiment que de vous faire sortir et de perdre 3 !
La nature même de la relation biaise le discours et la négociation, laquelle est de plus en plus fictive du fait du déséquilibre initial. Tout industriel vous dira qu'il préfère signer un mauvais accord plutôt que ne pas signer d'accord du tout. Et pour cause, les industriels travaillent avec la distribution. Un marché de la concurrence devrait permettre de refuser de travailler avec un untel pour passer un accord ailleurs. Mais il n'y a plus d'ailleurs. La négociation est donc nécessairement biaisée d'entrée de jeu.
Il existe des cas de figure où cela peut aller très loin. Ce n'est pas systématique, mais je le constate dans les verbatim de négociations. Nous en discutons avec les enseignes concernées, ou nous le ferons. Il ressort qu'il y a des intimidations, des menaces, des attaques personnelles. Cela peut aller très loin. C'est inacceptable ! Les acteurs subissent une telle pression que certains comportements peuvent aller très loin. Il existe des cas de burn-out tant du côté des acheteurs que de celui des industriels. Je connais chez les industriels des personnes qui préfèrent démissionner plutôt que retourner chez tel ou tel acteur. Cela va jusque-là, même si ce n'est pas la majorité des cas. Or les sujets en question ne méritent pas qu'on aille jusque-là.
Nous parlons des box. Logiquement, un acheteur se déplace chez celui chez qui il veut acheter un produit. Pourrait-on imaginer que les négociateurs de la grande distribution ou des centrales d'achat se déplacent chez les industriels pour y tenir les négociations, plutôt que l'inverse ? La négociation commerciale n'aurait ainsi plus dans ces box, pour ne pas dire ces « satanés » box.
Par ailleurs, vous avez évoqué les concentrations, ce que j'appelle le gigantisme du mode de distribution en France et en Europe. Peut-on imaginer que le législateur français aille jusqu'à proposer de limiter les parts de marché qu'une centrale d'achat possède ? Cela avait fait l'objet de débat lors de la loi consécutive aux États généraux de l'alimentation. (EGA) Daniel Fasquelle et moi-même avions déposé des amendements communs.
Enfin, avez-vous connaissance de pratiques réputées déloyales ?
Je ne suis pas favorable à la relocalisation des négociations chez les industriels, pour des raisons pratiques. Je plains les acheteurs qui seraient obligés de se déplacer chez 20, 30, 40, 50 ou 80 industriels. Ce n'est pas jouable du seul point de vue pratique.
En général, celui qui reçoit met son invité – son acheteur – en condition. Là, c'est l'inverse : c'est celui qui est déjà en situation de dominant qui conditionne la personne avec qui il va négocier.
C'est certain !
Vous avez parlé, et vous n'êtes pas le premier, d'intimidations et de comportements irrespectueux.
Il est certain que les salles d'attente dans lesquelles on reste deux heures est un vrai sujet. En fait, nous ne signons pas assez vite. Certains distributeurs ont ainsi considéré que bien que la date butoir soit le 1er mars, il y avait une tolérance administrative d'une semaine et qu'ils pouvaient donc aller jusqu'au 8 mars. Souvent, la stratégie de négociation consiste à dire que l'on va signer le plus tard possible – ce qui se traduit par l'organisation de négociations le samedi, par exemple. Il faut d'ailleurs reconnaître que nous aussi, industriels, nous participons à ce jeu-là, en proposant nous-mêmes des rendez-vous le dimanche ou le samedi. Nous ne devrions pas y aller !
Il est incontestable qu'il existe une sorte de conditionnement. En même temps, même si je n'étais pas dans les box, je constate que cette année les négociations se sont déroulées dans un cadre constructif chez Horizon. Il n'y a pas eu un mot plus haut que l'autre. Il est donc possible, y compris dans les box de négociation des distributeurs, d'avoir des relations normales.
Concernant le gigantisme, je n'ai pas parlé de la fusion entre Carrefour et Promodès par hasard. C'était il y a vingt ans, et le seuil de menace de 22 % date de cette époque-là. Aujourd'hui, si vous pesez 22 %, vous êtes presque un nain ! Mais à l'époque, c'était monstrueux. Nous restons sur des référentiels historiques, avec des conditions économiques qui n'ont plus rien à voir avec celles d'aujourd'hui.
En outre, je suis convaincu que les alliances sont une forme de concentration particulière qui nécessite des règles beaucoup plus précises que celles qui existent aujourd'hui. Une réflexion doit être conduite au niveau européen sur les effets de taille.
Je pense au boycott.
Il y en a moins que par le passé.
Je vais y revenir. Certaines pratiques manifestement illicites ont reculé, même si une résurgence peut apparaître. Il y a encore deux ou trois ans, les renégociations étaient un véritable fléau, par exemple. On observe aussi un recul des pratiques de déréférencement.
J'en viens au boycott. Ce qui s'est passé entre Agecore et ses enseignes partenaires, que j'évoquais tout à l'heure, en est. À cet égard, il faut saluer la Commission européenne qui s'est préoccupée du sujet Agecore.
Un autre sujet est celui des déductions d'office et des pénalités immédiates. Le fait d'avoir un taux de service à 100 % sous peine de pénalité « au premier manquant » est impossible ! Un taux de service à 100 % signifie, par exemple, qu'il faut livrer l'intégralité de la commande en temps et en heure. Par nature, cela n'existe pas. Historiquement, les taux de service figurant dans les conditions générales d'achat des distributeurs faisaient l'objet de discussions et de négociations pour s'établir jusqu'à 98 % ou 98,5 %. Mais aujourd'hui, ce taux de service est devenu une ressource financière pour certains. Je pense que certains distributeurs budgètent des millions d'euros au titre des pénalités logistiques qu'ils vont infliger dès que lors que personne sur Terre n'est humainement capable d'atteindre 100 % de taux de service. C'est un vrai sujet.
Je parle sous le contrôle de Daniel Diot, qui est un des corédacteurs du guide CEPC sur la logistique. Il est indispensable que nous parvenions à appréhender ce sujet en tant qu'acteurs. L'objectif de la CEPC est de diffuser dans les organisations opérationnelles et les enseignes. Aujourd'hui, ce sujet est inacceptable. La déduction d'office et le taux de service de 100 % sont des pratiques inacceptables. Le boycott également.
Que représentent approximativement les pénalités liées au taux de service de 100 % ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous parler des plans d'affaires ? Il nous a été indiqué qu'il arrivait de négocier une remise de 2 ou 3 points sans avoir en retour un plan d'affaires en volume ou en valeur – étant entendu que des produits peuvent être déplacés au cours de l'année, ce qui revient à réduire les volumes de la marque et le plan d'affaires au global sur l'année. Ce faisant, une remise est imposée sans volume négocié en contrepartie, avec des pénalités en cas de chiffre d'affaires trop faible d'une marque.
Vous en savez plus que moi ! Cela va encore plus loin que ce que je connaissais.
Les pénalités liées aux taux de service peuvent représenter de 0,25 % à 0,50 % du chiffre d'affaires d'un industriel, sachant qu'une partie peut être récupérée après discussion et renégociation.
Mais il devient très difficile de contester une pénalité et de récupérer l'argent quand on estime qu'il a été indûment ponctionné. Le sujet est sensible, d'autant que ces pénalités sont en explosion.
Par ailleurs, les pratiques litigieuses se déplacent beaucoup vers l'international et la logistique. J'espère vraiment que le travail de la CEPC pourra essaimer dans les organisations opérationnelles – enseignes et industriels – pour que nous parvenions à régler ce sujet ensemble.
Concernant les plans d'affaires, la loi ÉGAlim impose de fixer un chiffre d'affaires prévisionnel, au moins pour l'alimentaire. À cet égard, je fais une parenthèse que j'aurais dû faire plus tôt sur cette loi. L'un de ses effets est clair : l'impact sur le non-alimentaire, dont les volants promotionnels explosent. C'est très net. J'en reviens au chiffre d'affaires prévisionnel. Normalement, cet élément doit conduire votre plan promotionnel. En effet, le volume promu est fondé sur le chiffre d'affaires prévisionnel. Nous avons milité en faveur de ce chiffre d'affaires prévisionnel, car nous pensons qu'il permet d'aider à aligner les moyens pour atteindre cet engagement. La loi devrait mieux encadrer ou sacraliser ces notions de plan d'affaires et de chiffre d'affaires prévisionnel, qui mettent en regard un objectif et des moyens.
Il existe une différence fondamentale entre une négociation en France et une négociation à l'étranger, où elle dépasse souvent assez vite la question du prix.
En France, 80 % à 90 % du temps de la négociation porte sur le prix, contre 10 % à 15 % en Angleterre ou en Allemagne, où le reste de la négociation porte sur le développement du business. Tout le problème est là. Nous sommes, normalement, responsables de notre tarif. Mais en fait, tel n'est pas le cas. En somme, nous n'avons pas le prix, et nous n'avons plus tarif non plus ! À l'étranger, cette question se pose beaucoup moins.
Chez nous, la « guerre des prix » fait des ravages. Les EGA ont mis en lumière la mauvaise foi de certains distributeurs qui ont utilisé le SRP pour nous expliquer qu'ils augmentaient des prix non-agricoles, soi-disant pour redistribuer vers l'amont, c'est-à-dire vers les agriculteurs. Personne n'y croit, mais ce sont certains distributeurs qui ont fait passer ce message.
Si vous dites vrai concernant la négociation, les prix devraient être plus bas en France que chez nos voisins européens. Et pour cause, la négociation est beaucoup plus féroce chez nous. Quel est le niveau des prix, en France ? C'est une information importante pour nous.
Ensuite, vous avez parlé de la distribution, mais vous savez que ce monde qui évolue très rapidement. Aux États-Unis, par exemple, Amazon a racheté l'enseigne Whole Foods. On nous dit que cela a eu pour conséquence une pression accrue sur les fournisseurs de Whole Foods. Que pensez-vous de cette évolution qui ne manquera pas d'arriver ici ? Quel est votre regard prospectif sur ce sujet ?
Quelle est votre vision et quelle est celle de vos adhérents concernant ces mutations des marchés ? Certaines enseignes licencient. Le marché se redistribue différemment en termes de surface commerciale. La grande distribution change de stratégie. Nous avons le sentiment que, malgré tout, la grande distribution arrive au bout d'un modèle. Vos adhérents y voient-ils de nouveaux débouchés ?
Ce qui se passe chez Carrefour, Auchan ou Casino est une très mauvaise nouvelle pour nous. Ce sont nos partenaires et ce sont aussi des emplois. C'est vraiment une très mauvaise nouvelle.
Quoi qu'il en soit, le modèle de l'hypermarché est totalement remis en cause. Il faut le réinventer. Je parlais du SRP majoré comme bouffée d'oxygène pour la distribution : je peux vous garantir que c'est ce que nous avions en tête. Encore une fois, le SRP majoré revient à augmenter nos prix, donc éventuellement baisser la demande sur ces produits et perdre du business. Nous avons toutefois soutenu cette disposition parce que nous sommes convaincus que la distribution subit une de pression considérable. La question de la juste concurrence avec Amazon est un vrai sujet. Dans 15 ans, nous regretterons les pratiques de Michel-Édouard Leclerc si on laisse Amazon se développer comme il le fait ! Nous aurions beaucoup à dire en matière de pratiques illicites sur ce point. Notre préoccupation c'est que les évolutions se produisent de façon aussi saine que possible d'un point de vue concurrentiel.
Par ailleurs, la guerre des prix agit comme la bombe à neutrons : elle cible les marques nationales et les marques leader. 2 000 références sont concernées, dont le prix a baissé en moyenne de 15 % à 20 % au cours des quatre dernières années. Donc quand on me dit que ces prix ont augmenté de 5 % en trois mois et que c'est une catastrophe, je rappelle juste qu'ils ont baissé de 15 % à 20 % ces dernières années. En revanche, le prix des MDD a augmenté. Je sais très bien que certaines de nos concitoyens comptent à l'euro près. Une offre a d'ailleurs été développée pour eux il y a trente ans, celle des MDD. Mais leur prix a augmenté. C'est donc de cette offre qu'il faut se préoccuper si l'on s'intéresse au pouvoir d'achat des consommateurs.
Plusieurs études portent sur la « guerre des prix ». La première conclusion est que la capacité à comparer des produits et des paniers est très compliquée. Sur 100 000 codes-barres EAN référencés, 0,24 % sont communs à l'Allemagne, la France, la Belgique et le Luxembourg et 1,5 % sont communes à deux de ces pays. La deuxième conclusion est que la France est en dessous de ses voisins – je ne parle pas de la Belgique et du Luxembourg, qui sont structurellement beaucoup plus chers. Globalement, les produits non-alimentaires sont plutôt moins chers en Allemagne, et les produits alimentaires sont plutôt moins chers en France. Même si, encore une fois, il est très compliqué de comparer. Enfin, le prix est au distributeur. Pour notre part, nous n'avons ni le tarif, ni le prix ! Aujourd'hui, les prix « consommateurs » que vous voyez ne sont pas le reflet des conditions commerciales des industriels, mais de la décision stratégique des distributeurs en matière de marge.
Je souhaite revenir sur votre intervention sur les contrats d'affaires et les méthodes appliquées à l'étranger. L'approche qui intègre notamment un objectif par volume pourrait-elle permettre d'avancer alors que notre modèle atteint structurellement ses limites ?
Par ailleurs, quelle est votre analyse des stratégies d'achat dans les territoires ultramarins ? Il existe une sorte de saisonnalité des produits partant de plateformes d'achat hexagonales, qui arrivent massivement dans nos territoires à des prix excessivement bas. Cela déstructure, ou en tout cas ébranle, les productions locales. Avez-vous connaissance de ces pratiques ? Sont-elles courantes ?
Votre première question devrait être le coeur du sujet. Fondamentalement, un industriel est prêt à payer pour de la croissance. Le pari que vous faites est que les conditions que vous accordez en plus seront compensées par le chiffre d'affaires ou les volumes, et que ce qui est perdu unitairement est gagné sur la masse des volumes. Certains contrats internationaux fonctionnent ainsi : la remise demandée est associée à une performance de croissance. Tout n'est donc pas tout blanc ou tout noir. C'est la grande difficulté ! En France, en revanche, c'est très rare. Dans nombre d'accords, la conditionnalité a disparu. Et quand elle existe encore, il est très compliqué de ne pas avoir à payer la remise qui avait été proposée si la condition n'est pas remplie. Et pour cause, l'industriel a fait l'hypothèse qu'il avait la remise. Donc à la fin de l'année, on ne peut pas lui dire qu'on ne lui verse pas ce qu'il a budgété pendant un an. La question de la conditionnalité et de son respect est clé dans les principes de bonne structuration d'une négociation. C'est la raison pour laquelle je pense que l'on devrait, d'un point de vue législatif, être capable de construire une solution structurante autour du chiffre d'affaires prévisionnel, des plans d'affaires et des leviers de croissance.
Enfin, je ne couvre pas les territoires ultramarins. Je puis simplement vous affirmer qu'il existe des plateformes avec des business models différents existent en métropole. Certaines relèvent pratiquement de la solderie. Elles font partie du paysage, qu'elles déstructurent, et nous devons en tenir compte.
On parle beaucoup de prix bas, mais je voudrais qu'on parle du prix juste. Lorsque vous faites une promotion à -30 % sur du non-alimentaire, par exemple, le distributeur peut se permettre d'ajouter une remise de -40 %. Comment la grande distribution finance-t-elle ce delta ? Faut-il interdire les remises supplémentaires à vos reprises en 3 net ?
Par ailleurs, craignez-vous le développement des cartes de fidélité créditées d'un pourcentage du ticket final en caisse ? Dans la loi ÉGAlim, nous avons fait un très grand travail sur l'encadrement des prix. Mais en fait, nous nous apercevons que c'est la loi est contournée via le ticket final, en créditant de l'argent sur une carte.
Depuis le début de ces auditions, on nous explique que les négociations sont effectuées par de jeunes commerciaux que l'on met dans des box en face de « requins » ! Je voudrais que vous nous expliquiez ce qui s'y passe vraiment. À l'heure de l'informatique, tout cela semble un peu obsolète.
Le dégressif promotionnel est limité à 34 % pour tout le monde : le cumul ne peut pas dépasser ce plafond. Si un industriel propose une remise de 20 %, le distributeur peut abonder à hauteur de 14 % et pas au-delà. La loi encadre bien les remises pour l'alimentaire, normalement. En revanche, les remises en non-alimentaires vont plutôt jusqu'à 50 % voire 70 %.
Par ailleurs, le dispositif des cartes de fidélité constitue effectivement une façon de contourner la loi. Des masses d'argent transitent, dont le distributeur fait l'usage qu'il souhaite. Il existe aussi des forfaits. Le distributeur peut vous demander des dizaines voire des centaines de milliers d'euros pour participer à l'anniversaire de son enseigne. Cet argent ne va pas dans les prix. Il se situe quelque part dans le compte d'exploitation du fournisseur, et le distributeur peut l'utiliser comme il veut – chez ce fournisseur ou ailleurs. C'est la raison pour laquelle la traçabilité, tant dans les accords nationaux que dans les accords français, est une question majeure.
En tout cas, la remise non affectée en bas de ticket de caisse est assurément une façon de jouer avec la loi. Au même titre que dès lors que vous n'affichez pas un pourcentage ou des euros, vous pouvez faire ce que vous voulez ! Par exemple une mention « Prix choc ». Il existe vraiment des trous dans la raquette, et nous essayons d'y sensibiliser Bercy.
Enfin, nous abordons le sujet des négociations dans nos comités RH. Une charte de bonne conduite a été publiée par la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) il y a quelque temps. Elle a permis de vrais progrès durant deux ans. Mais cette année, nous assistons même à des dérapages comme je n'en avais pas vu depuis trois ans. Il existe des cas de burn-out. Certains commerciaux démissionnent du jour au lendemain. Certes, ce n'est pas la majorité, mais c'est trop au regard de notre business. Il n'est pas normal d'en arriver à de tels extrêmes.
J'observe aussi que les négociations montent très rapidement au niveau des directeurs commerciaux, qui sont généralement plus chevronnés mais dont le rôle de management de leurs équipes est devenu très compliqué.
Monsieur, je vous remercie pour la qualité de vos propos et la pertinence de vos réponses.
Le rapporteur pourra, le moment venu, vous questionner par écrit afin que son rapport soit le plus complet précis. Je vous remercie.
La séance est levée à dix heures quarante.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 29 mai 2019 à 9 heures
Présents. - Mme Ericka Bareigts, M. Thierry Benoit, M. Grégory Besson-Moreau, Mme Danielle Brulebois, Mme Michèle Crouzet, M. Yves Daniel, M. Daniel Fasquelle, M. Guillaume Garot, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Cendra Motin, M. Stéphane Travert, M. André Villiers
Excusé. - Mme Dominique David
Assistait également à la réunion. - M. Dino Cinieri