Intervention de Christophe Girardier

Réunion du lundi 24 juin 2019 à 17h30
Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Christophe Girardier :

Vous avez raison de dire que l'insularité accroît les déséquilibres : c'est le cas à La Réunion, à Mayotte, en Guadeloupe et à la Martinique. Il ne faut pas oublier, en outre, que la structure des entreprises y est différente. Par exemple, c'est un franchisé qui exploite l'enseigne Carrefour à La Réunion – le groupe Bernard Hayot. De même, l'enseigne Leclerc est détenue par un groupe qui possédait autrefois l'enseigne Leader Price.

Les produits de dégagement sont effectivement les produits que l'on ne pourrait pas vendre sur le marché métropolitain et européen. Il faut bien comprendre que les distributeurs, à La Réunion, font beaucoup plus de marges sur les produits importés, en particulier sur les marques de distributeur. Si j'ai parlé de promotions en trompe-l'oeil, c'est notamment parce que les promotions, qui concernent à peine 20 % du panier, ne portent pas sur les marques de distributeur, mais sur les produits d'appel. Or certains produits locaux sont hélas de vrais produits d'appel, parce qu'ils sont très demandés à La Réunion.

Même si l'on peut se réjouir de la part de marché atteinte par certains producteurs locaux à La Réunion, cette part reste infime. Un hypermarché, à La Réunion, fait entre 80 et 100 millions d'euros de chiffre d'affaires. Aucun acteur de la production locale n'a un chiffre d'affaires comparable. Le déséquilibre est tel que les producteurs n'ont presque aucun levier pour obtenir une exposition minimale.

Il faut bien comprendre que lorsqu'on autorise un hypermarché à ouvrir, c'est un peu comme si on lui donnait, de fait, une part de marché dominante. Une telle part de marché lui donne le pouvoir de décider des produits qu'il mettra ou non en rayon et de l'exposition qu'il leur donnera. Je prendrai un seul exemple : j'ai visité les hypermarchés d'un distributeur à La Réunion pour vérifier s'il favorisait effectivement la production locale – car tous nous disent qu'ils le font. J'ai fait des photographies des rayons, où l'on peine à trouver les productions locales. Lorsque j'ai montré cette photographie au patron de l'enseigne, il m'a répondu que ce n'était pas l'un de ses magasins. Mais c'était bien le cas !

Dans ce contexte, la production locale pèse peu et le distributeur fait plus de marges en important. Sur certains marchés agricoles, notamment pour la viande de boeuf ou le poulet, il peut arriver que le distributeur fasse des opérations, grâce aux produits de dégagement, mais plus encore grâce aux produits importés d'Europe de l'Est, qui ne sont pas vendus en métropole, mais réservés à l'outre-mer. C'est hélas le cas de Mayotte, où j'ai vu des poulets très mal en point, qui ne seraient pas vendables en métropole. À La Réunion, le phénomène est moins accentué. Les distributeurs font attention, parce qu'il existe une production agricole locale, mais celle-ci n'arrive pas à optimiser ses volumes et à amortir son outil de production, qui est souvent démesuré par rapport à la réalité.

Mme Bareigts a justement rappelé que ces marchés ne sont pas des petits marchés. J'ai rappelé dans mon rapport que le marché alimentaire, à La Réunion, représente un peu moins de 4 milliards d'euros par an, ce qui n'est pas négligeable : La Réunion se situe dans la moyenne des départements de la métropole. Si la production locale pouvait obtenir une exposition plus grande, cela jouerait sur ses volumes.

Le modèle est mortifère, mais l'attitude un peu schizophrène des industriels ne fait que le renforcer : ils se plaignent des promotions mais, en même temps, ils les réclament. Ils se rendent complices de cette course aux promotions, parce qu'ils pensent à tort que le seul moyen pour eux de valoriser leur production, c'est la promotion. C'est la raison pour laquelle ils étaient vent debout contre la possible application outre-mer de la loi EGAlim. Ils se disent que si leurs produits ne peuvent plus faire l'objet de promotions, le décalage avec les produits importés et les marques de distributeur va encore s'aggraver. Pour ma part, j'estime qu'un rééquilibrage et un encadrement sont nécessaires.

Le pouvoir de marché des distributeurs est tellement grand et la situation tellement déséquilibrée, que la production locale n'a plus l'exposition minimale qui lui permettrait d'augmenter ses volumes – car elle pourrait le faire. Il ne s'agit pas non plus de créer des rentes de situation au profit des producteurs locaux : l'excès inverse ne serait pas souhaitable. J'ai expliqué aux producteurs locaux qu'il y a d'autres moyens de valoriser leurs produits : la qualité alimentaire est un facteur très important, y compris pour des ménages modestes. Il serait possible d'avoir des produits au juste prix et de meilleure qualité.

Ce n'est pas le produit de dégagement qui est problématique en soi, mais le déséquilibre que je ne cesse de souligner.

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