Je commencerai par répondre à votre question sur les prix. Je me propose de vous laisser quelques copies de la comparaison faite par Eurostat des niveaux de prix alimentaires et boissons non alcoolisées dans l'ensemble des pays européens en 2018. On y lit que quand la moyenne de l'Union européenne est à 100, la France est à 115 et l'Allemagne à 102. Je reprends l'exemple que je connais par coeur puisque mon magasin est à un kilomètre de la frontière allemande : l'essentiel de mes clients vont acheter les produits d'hygiène-beauté en Allemagne parce qu'ils y sont moins chers. La France est, de longue date, le pays où les multinationales qui vendent ces produits les vendent plus cher – ils le disent ! – et il suffit de traverser la frontière pour le constater. Les écarts au niveau européen sont patents, particulièrement avec les pays du Sud du continent : en Espagne, pour une moyenne européenne à 100, le niveau des prix est à 95. Nous avons beaucoup de magasins frontaliers et nous avons souvent eu une discussion avec les industriels pour essayer de trouver un équilibre, mais la porte est complètement close à ce sujet.
Bien sûr, comme cela ne concerne qu'une centaine de magasins, pour eux ce n'est pas un sujet et nous n'avons jamais réussi à faire bouger les lignes.
Pour ce qui est du relèvement du seuil de revente à perte, nous avons évidemment appliqué la loi de façon stricte et modifié les prix dès le 1er février. Dans la foulée, nous avons essayé de résoudre l'équation dont je parlais tout à l'heure. Il fallait prendre garde au pouvoir d'achat de nos clients, et si certains produits augmentaient très fortement, nous avons opéré une compensation sur nos produits à marque distributeur pour trouver un équilibre et faire que l'impact sur le panier ne soit pas trop fort.
Oui, on peut dire rapidement que le gain de marge dû au relèvement du seuil de revente à perte ne va que dans la poche des distributeurs mais, chez U, nous essayons de multiplier les accords pour la marque distributeur. Elle met en jeu des coopératives agricoles qui, pour nombre d'entre elles, sont mieux disantes que le prix du marché. Ainsi, l'an dernier, nous avons signé un accord avec la coopérative bretonne Triskalia pour toute la production à base de porc pour notre marque. L'accord contractuel est que le prix est défini en fonction des cours de production et il prévoit, étant donné les cahiers des charges que nous fixons, qui sont souvent de l'ordre de Bleu-Blanc-Coeur, le versement de suppléments de prix. Le jour de la signature avec la coopérative agricole, on signe en même temps avec l'industriel qui transformera le produit : c'est le fameux double bipartite, qui permet à la coopérative agricole d'être certaine du mécanisme de prix et de la valeur. Autrement dit, le gain de marge issu du relèvement du seuil de revente à perte nous permet, plus que jamais, de multiplier les accords de ce type, que nous pratiquions déjà.
Autre exemple : nous venons de faire un choix industriel avec un partenaire qui a investi 85 millions d'euros dans une usine située dans la Meuse, où seront produits tous nos yaourts pour la France. La discussion qui a eu lieu tout récemment avec les éleveurs laitiers me permet d'expliquer la décomposition du prix, là encore fixé contractuellement. On établit pour les groupements d'éleveurs laitiers concernés un prix-plancher en dessous duquel on ne descendra jamais, quoi qu'il arrive, même si les cours baissent demain ; on ajoute une prime « qualité du lait », ce qui est une pratique courante, et aussi des primes correspondant à nos propres considérations de qualité. La plupart des produits de ce groupement répondent au cahier des charges Bleu-Blanc-Coeur ; cela signifie une alimentation animale différente et la prime Bleu-Blanc-Coeur est de trois centimes au litre en plus. Mais tous les agriculteurs qui vont alimenter l'usine en question n'étaient pas encore convertis à ce cahier des charges ; s'ils jouent le jeu, ils percevront une prime de 1,5 centime au litre pendant la période de reconversion, puis elle passera à 3 centimes au litre. Un tel mécanisme conduit à des prix un peu plus élevés que le marché. Nous pourrions décider de fabriquer des yaourts de base avec du lait de base, mais nous ne le faisons pas ; cela permet de mieux rémunérer. De plus, avec cette usine, nous nous engageons pour cinq ans, et chacun y gagne, alors que toutes les négociations dont nous avons parlé portent sur une année. Nous nous efforçons de multiplier les accords de ce type, pour le lait bio par exemple.
Dernier exemple, auquel je tiens, et qui était dans l'esprit de la loi avant la loi : depuis 2016, nous avons signé avec la Fédération nationale bovine un accord sur « le coeur de gamme ». Nous ne sommes que deux distributeurs en France à avoir choisi de payer un peu plus cher toute la viande labellisée – charolaise, limousine, etc. Depuis l'entrée en vigueur de la loi, 13 millions d'euros ont été prélevés sur nos marges et alloués au complément de prix payé aux éleveurs bovins. J'étais à la foire de Charolles, au coeur du pays charolais ; les agriculteurs présents avaient salué notre dispositif et celui de mon confrère qui procède de la même manière, et regretté que nous ne soyons pas plus nombreux à nous engager de la sorte au moment où les éleveurs de viande bovine connaissent des temps difficiles.