Il me paraît important de souligner qu'Intermarché dispose d'une seule centrale d'achat nationale en France, que je représente ce soir en tant que Directeur des achats marques nationales.
J'aimerais d'abord vous apporter quelques précisions sur cette Direction des achats marques nationales. Sont exclus du périmètre des négociations de cette Direction les produits traditionnels ainsi qu'une grande partie des achats non-alimentaires. Nous sommes organisés en quatre départements regroupant les différents marchés : l'épicerie et le DPH, qui comporte la droguerie, la parfumerie et l'hygiène, mais aussi le frais et les liquides.
Nos acheteurs et nos acheteuses ont en moyenne 30 ans. Les équipes sont majoritairement composées de femmes. Les acheteurs ont en moyenne trois ans d'expérience dans la fonction achat et une forte orientation sur le client et le développement catégoriel.
Car nos priorités sont claires : développer nos parts de marché. Notre portefeuille global d'activité est composé de plus ou moins 500 fournisseurs. Notre part de marché est d'un peu plus de 14 %. Nous revendiquons donc le statut de petit client pour nos fournisseurs.
Notre politique d'achat – mes dirigeants en ont parlé hier – repose sur le discernement. Et il y a deux axes de discernement pour nous.
Un premier niveau : il faut avoir des politiques d'achat différentes pour les petites et moyennes entreprises (PME), les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les multinationales, afin de préserver l'équilibre de la relation commerciale.
Et le deuxième niveau de cette politique de discernement, c'est le fait qu'il faut avoir des politiques d'achat différentes vis-à-vis des industriels qui fabriquent des produits peu transformés, avec une forte composante de matières premières agricoles françaises.
Je vous propose de parler tout d'abord de notre politique de différenciation. Afin de tenir compte de la réalité des rapports de force dans nos négociations, nous avons segmenté nos approches et nos fournisseurs en trois groupes.
Le premier, ce sont les PME et les très petites entreprises (TPE). Dans le portefeuille de ma Direction, 52 % de nos fournisseurs sont des PME et TPE. Elles sont plus fragiles et méritent une attention accrue. Nous avons donc une politique d'achats spécifiques – en particulier pour les PME françaises – visant à préserver cet équilibre.
Pour les PME françaises, le brief était clair cette année : pas de déflation hors matières premières spéculatives, comme le café par exemple, et des procédures simplifiées pour les dirigeants des PME, notamment pour rencontrer nos dirigeants.
Le deuxième groupe, vous l'avez compris ce sont les ETI, les entreprises de taille intermédiaire. 16 % de nos fournisseurs de la Direction que je représente sont des ETI. Il faut spécifier que les désaccords majeurs avec les ETI sont rares, même s'ils peuvent exister. Les ETI sont en effet bien organisées pour mener les discussions avec nos collaborateurs. Leurs marques sont souvent de notoriété et plébiscitées par nos clients. C'est pourquoi nous n'avons pas de politique d'achat spécifique pour les ETI.
Le dernier groupe, ce sont les multinationales, qui représentent 32 % de nos fournisseurs. Nous négocions avec les représentants des filiales de ces multinationales en France, ou – de plus en plus souvent – avec les représentants de leurs filiales européennes, puisque telle est l'organisation.
Les Directeurs généraux de ces filiales sont en effet de plus en plus souvent en charge de plusieurs pays. Pour certains d'entre eux, la France est donc considérée comme une simple région. Il faut donc relativiser notre poids dans leur business, car vous l'aurez compris, à l'échelle de certaines de ces multinationales, nous passons du statut de petit client à celui de très petit client. Ce qui n'est pas péjoratif, mais c'est une réalité à prendre en compte.
Dans cette configuration, le rapport de force est en faveur des multinationales. D'autant que leur taille s'accroît au fil des acquisitions pour certaines d'entre elles. Ce n'est pas un hasard si tous les distributeurs dans le monde s'organisent pour tenter de peser face aux plus grandes entreprises.
Concernant ces organisations transfrontalières, notre politique d'achat est donc renforcée. Vous le savez, pour tenter de mieux négocier avec ces plus grandes entreprises, nous sommes associés à d'autres distributeurs en Europe pour développer des synergies et des services au travers de l'alliance AgeCore.
Il y a trois aspects sur lesquels nous avons des difficultés à négocier de façon relativement équilibrée avec ces grandes entreprises.
D'abord, évidemment – et c'est quelque chose dont on parle beaucoup, on ne peut pas l'ignorer – c'est la négociation du prix. Chaque année un certain nombre de multinationales nous proposent des hausses de prix parfois démesurées. Cette situation s'aggrave de plus en plus au travers de la technique du Reset Gencod, ou changement d'EAN (European article numbering). Cette technique consiste à légitimer un changement de Gencod sur un produit star, qui se vend beaucoup, le plus souvent grâce à un simple changement de litrage ou de grammage.
La multinationale arrête de livrer son distributeur sur l'ancien Gencod et lui impose de passer commande sur le nouveau. Le problème pour nous, c'est que les hausses sur ces Reset Gencod peuvent aller jusqu'à 40 %. Ce sont souvent des hausses à deux chiffres. Les industriels qui ont de telles pratiques considèrent qu'il ne faut pas intégrer ces Reset Gencod à la négociation tarifaire. Nous considérons au contraire qu'il le faut. Nos principaux achoppements sur la négociation du prix proviennent donc de là.
Nous avons énormément d'exemples de ce type. Sur les trois dernières années, la majorité des multinationales a en effet eu recours à ce type de pratiques. Il me semble que le cas Harrys – même si je ne vais pas le développer ici, puisque nous sommes en séance publique – a quand même été abordé par le Président de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA). Ce cas est éloquent en la matière : des augmentations à deux chiffres alors qu'elles ne semblent pas justifiées, même s'il y a une augmentation qualitative du produit.
Le deuxième point d'achoppement – parce qu'au-delà du prix, il peut y avoir d'autres points d'achoppement avec les plus grandes entreprises – ce sont les accords de gamme. On peut être d'accord sur les prix, mais pas sur les contreparties exigées, qui sont souvent des produits additionnels dans nos rayons. Mais nos linéaires ne sont pas extensibles et nous refusons ces pratiques quand elles sont exagérées, car nous pensons qu'elles concourent à évincer les PME de nos linéaires ou à empêcher d'autres industriels d'entrer sur le marché.
Le troisième élément structurel qui peut illustrer nos difficultés, sans schématiser ni caricaturer : les multinationales peuvent se permettre de faire des choix d'enseigne quitte à se passer d'un ou deux de leurs clients. Et là, nous n'avons toujours pas trouvé la solution. Le cas du leader mondial des colas est de notoriété publique. On peut donc en parler. Cette multinationale commence ses rendez-vous en annonçant qu'elle s'est passée de Leclerc pendant plusieurs mois de sa propre initiative. Elle peut donc faire la même chose en ce qui nous concerne. Cela existe. C'est plus rare, mais il faut en être conscient.
Le deuxième élément de notre politique de discernement est un axe qui concerne cette fois l'ensemble des industriels : les TPE, PME, ETI et les multinationales. On n'exclut personne de cette démarche. Cette politique de discernement consiste à identifier les industriels qui fabriquent des produits peu transformés avec une forte composante de matières premières agricoles françaises. Ceci permet donc de mener des discussions autour de la juste répartition de la valeur et de la prise en compte du prix payé aux producteurs. Nous cherchons également au travers de ces politiques de discernement à mieux prendre en compte les fluctuations des produits agricoles. Nous avons réussi – je crois que vous ne l'ignorez pas – à mener ces politiques sur les produits dérivés.
Et plus récemment, nous avons accompagné en urgence tous les industriels de la filière porc. Tout le monde a vraiment joué le jeu en transparence, nous avons bouclé nos discussions sur la revalorisation en un temps record.
Nous pensons que pour aller plus loin dans ces politiques, nous nous heurtons de la part de certains industriels à un réel manque de clarté, beaucoup d'opacité, et parfois une réelle volonté de faire obstruction à cette démarche. Dès lors, il nous est impossible d'avoir des réponses claires sur la provenance et la proportion de matières premières agricoles françaises dans la fabrication des produits de nos partenaires industriels.
Nous avons également un deuxième axe de difficulté sur ce sujet. Nous avons du mal à avoir une réelle transparence quant aux engagements d'augmentation de rémunération du monde agricole, qui sont pourtant l'argument premier de certaines hausses tarifaires.
Je terminerai mon propos introductif en soulignant que nous avons été l'un des principaux contributeurs à la croissance de nos partenaires industriels en 2018. De notre point de vue, c'est bien cela créer de la valeur. Faire croître le chiffre d'affaires, c'est aussi innover, développer et oser de nouveaux concepts. C'est être à l'écoute du client, lui apporter de nouveaux bénéfices qui répondront à ses nouvelles attentes. Pour nous, la création de valeur ne peut donc se limiter à la simple augmentation des prix.