La séance est ouverte à dix-sept heures dix.
Bonjour à toutes et à tous. Nous poursuivons nos travaux d'audition par la Commission d'enquête parlementaire, et nous accueillons cet après-midi M. Gwenn van Ooteghem, Directeur des achats marques nationales Intermarché.
Je suis accompagné de M. Grégory Besson-Moreau, le Rapporteur de la Commission d'enquête, et des membres de la Commission. Nous allons pouvoir procéder aux échanges et questions.
Au préalable, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Monsieur Gwenn van Ooteghem, veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».
Nous sommes en audition publique ouverte à la presse, et si la nature de nos échanges le nécessite, nous pourrons organiser le huis clos. Les échanges qui relèveraient, le cas échéant, d'une séquence à huis clos seront consignés, et ne figureront pas dans le rapport final rédigé par M. le Rapporteur.
Monsieur le Directeur, vous avez la parole.
Il me paraît important de souligner qu'Intermarché dispose d'une seule centrale d'achat nationale en France, que je représente ce soir en tant que Directeur des achats marques nationales.
J'aimerais d'abord vous apporter quelques précisions sur cette Direction des achats marques nationales. Sont exclus du périmètre des négociations de cette Direction les produits traditionnels ainsi qu'une grande partie des achats non-alimentaires. Nous sommes organisés en quatre départements regroupant les différents marchés : l'épicerie et le DPH, qui comporte la droguerie, la parfumerie et l'hygiène, mais aussi le frais et les liquides.
Nos acheteurs et nos acheteuses ont en moyenne 30 ans. Les équipes sont majoritairement composées de femmes. Les acheteurs ont en moyenne trois ans d'expérience dans la fonction achat et une forte orientation sur le client et le développement catégoriel.
Car nos priorités sont claires : développer nos parts de marché. Notre portefeuille global d'activité est composé de plus ou moins 500 fournisseurs. Notre part de marché est d'un peu plus de 14 %. Nous revendiquons donc le statut de petit client pour nos fournisseurs.
Notre politique d'achat – mes dirigeants en ont parlé hier – repose sur le discernement. Et il y a deux axes de discernement pour nous.
Un premier niveau : il faut avoir des politiques d'achat différentes pour les petites et moyennes entreprises (PME), les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les multinationales, afin de préserver l'équilibre de la relation commerciale.
Et le deuxième niveau de cette politique de discernement, c'est le fait qu'il faut avoir des politiques d'achat différentes vis-à-vis des industriels qui fabriquent des produits peu transformés, avec une forte composante de matières premières agricoles françaises.
Je vous propose de parler tout d'abord de notre politique de différenciation. Afin de tenir compte de la réalité des rapports de force dans nos négociations, nous avons segmenté nos approches et nos fournisseurs en trois groupes.
Le premier, ce sont les PME et les très petites entreprises (TPE). Dans le portefeuille de ma Direction, 52 % de nos fournisseurs sont des PME et TPE. Elles sont plus fragiles et méritent une attention accrue. Nous avons donc une politique d'achats spécifiques – en particulier pour les PME françaises – visant à préserver cet équilibre.
Pour les PME françaises, le brief était clair cette année : pas de déflation hors matières premières spéculatives, comme le café par exemple, et des procédures simplifiées pour les dirigeants des PME, notamment pour rencontrer nos dirigeants.
Le deuxième groupe, vous l'avez compris ce sont les ETI, les entreprises de taille intermédiaire. 16 % de nos fournisseurs de la Direction que je représente sont des ETI. Il faut spécifier que les désaccords majeurs avec les ETI sont rares, même s'ils peuvent exister. Les ETI sont en effet bien organisées pour mener les discussions avec nos collaborateurs. Leurs marques sont souvent de notoriété et plébiscitées par nos clients. C'est pourquoi nous n'avons pas de politique d'achat spécifique pour les ETI.
Le dernier groupe, ce sont les multinationales, qui représentent 32 % de nos fournisseurs. Nous négocions avec les représentants des filiales de ces multinationales en France, ou – de plus en plus souvent – avec les représentants de leurs filiales européennes, puisque telle est l'organisation.
Les Directeurs généraux de ces filiales sont en effet de plus en plus souvent en charge de plusieurs pays. Pour certains d'entre eux, la France est donc considérée comme une simple région. Il faut donc relativiser notre poids dans leur business, car vous l'aurez compris, à l'échelle de certaines de ces multinationales, nous passons du statut de petit client à celui de très petit client. Ce qui n'est pas péjoratif, mais c'est une réalité à prendre en compte.
Dans cette configuration, le rapport de force est en faveur des multinationales. D'autant que leur taille s'accroît au fil des acquisitions pour certaines d'entre elles. Ce n'est pas un hasard si tous les distributeurs dans le monde s'organisent pour tenter de peser face aux plus grandes entreprises.
Concernant ces organisations transfrontalières, notre politique d'achat est donc renforcée. Vous le savez, pour tenter de mieux négocier avec ces plus grandes entreprises, nous sommes associés à d'autres distributeurs en Europe pour développer des synergies et des services au travers de l'alliance AgeCore.
Il y a trois aspects sur lesquels nous avons des difficultés à négocier de façon relativement équilibrée avec ces grandes entreprises.
D'abord, évidemment – et c'est quelque chose dont on parle beaucoup, on ne peut pas l'ignorer – c'est la négociation du prix. Chaque année un certain nombre de multinationales nous proposent des hausses de prix parfois démesurées. Cette situation s'aggrave de plus en plus au travers de la technique du Reset Gencod, ou changement d'EAN (European article numbering). Cette technique consiste à légitimer un changement de Gencod sur un produit star, qui se vend beaucoup, le plus souvent grâce à un simple changement de litrage ou de grammage.
La multinationale arrête de livrer son distributeur sur l'ancien Gencod et lui impose de passer commande sur le nouveau. Le problème pour nous, c'est que les hausses sur ces Reset Gencod peuvent aller jusqu'à 40 %. Ce sont souvent des hausses à deux chiffres. Les industriels qui ont de telles pratiques considèrent qu'il ne faut pas intégrer ces Reset Gencod à la négociation tarifaire. Nous considérons au contraire qu'il le faut. Nos principaux achoppements sur la négociation du prix proviennent donc de là.
Nous avons énormément d'exemples de ce type. Sur les trois dernières années, la majorité des multinationales a en effet eu recours à ce type de pratiques. Il me semble que le cas Harrys – même si je ne vais pas le développer ici, puisque nous sommes en séance publique – a quand même été abordé par le Président de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA). Ce cas est éloquent en la matière : des augmentations à deux chiffres alors qu'elles ne semblent pas justifiées, même s'il y a une augmentation qualitative du produit.
Le deuxième point d'achoppement – parce qu'au-delà du prix, il peut y avoir d'autres points d'achoppement avec les plus grandes entreprises – ce sont les accords de gamme. On peut être d'accord sur les prix, mais pas sur les contreparties exigées, qui sont souvent des produits additionnels dans nos rayons. Mais nos linéaires ne sont pas extensibles et nous refusons ces pratiques quand elles sont exagérées, car nous pensons qu'elles concourent à évincer les PME de nos linéaires ou à empêcher d'autres industriels d'entrer sur le marché.
Le troisième élément structurel qui peut illustrer nos difficultés, sans schématiser ni caricaturer : les multinationales peuvent se permettre de faire des choix d'enseigne quitte à se passer d'un ou deux de leurs clients. Et là, nous n'avons toujours pas trouvé la solution. Le cas du leader mondial des colas est de notoriété publique. On peut donc en parler. Cette multinationale commence ses rendez-vous en annonçant qu'elle s'est passée de Leclerc pendant plusieurs mois de sa propre initiative. Elle peut donc faire la même chose en ce qui nous concerne. Cela existe. C'est plus rare, mais il faut en être conscient.
Le deuxième élément de notre politique de discernement est un axe qui concerne cette fois l'ensemble des industriels : les TPE, PME, ETI et les multinationales. On n'exclut personne de cette démarche. Cette politique de discernement consiste à identifier les industriels qui fabriquent des produits peu transformés avec une forte composante de matières premières agricoles françaises. Ceci permet donc de mener des discussions autour de la juste répartition de la valeur et de la prise en compte du prix payé aux producteurs. Nous cherchons également au travers de ces politiques de discernement à mieux prendre en compte les fluctuations des produits agricoles. Nous avons réussi – je crois que vous ne l'ignorez pas – à mener ces politiques sur les produits dérivés.
Et plus récemment, nous avons accompagné en urgence tous les industriels de la filière porc. Tout le monde a vraiment joué le jeu en transparence, nous avons bouclé nos discussions sur la revalorisation en un temps record.
Nous pensons que pour aller plus loin dans ces politiques, nous nous heurtons de la part de certains industriels à un réel manque de clarté, beaucoup d'opacité, et parfois une réelle volonté de faire obstruction à cette démarche. Dès lors, il nous est impossible d'avoir des réponses claires sur la provenance et la proportion de matières premières agricoles françaises dans la fabrication des produits de nos partenaires industriels.
Nous avons également un deuxième axe de difficulté sur ce sujet. Nous avons du mal à avoir une réelle transparence quant aux engagements d'augmentation de rémunération du monde agricole, qui sont pourtant l'argument premier de certaines hausses tarifaires.
Je terminerai mon propos introductif en soulignant que nous avons été l'un des principaux contributeurs à la croissance de nos partenaires industriels en 2018. De notre point de vue, c'est bien cela créer de la valeur. Faire croître le chiffre d'affaires, c'est aussi innover, développer et oser de nouveaux concepts. C'est être à l'écoute du client, lui apporter de nouveaux bénéfices qui répondront à ses nouvelles attentes. Pour nous, la création de valeur ne peut donc se limiter à la simple augmentation des prix.
Pouvez-vous nous réexpliquer un élément au sujet de la Centrale internationale de négociations ? Intermarché est le distributeur au niveau local. Au niveau international, il y a AgeCore basé à Genève. Il y a aussi – vous me corrigez si je me trompe – Intermarché international qui est basé à Bruxelles. Et vous, vous êtes Directeur des achats marques nationales Intermarché.
Où vous situez-vous dans le dispositif ?
Je suis bien en France, Monsieur le Président. Je suis situé à Tréville, à côté de Bondoufle, au sud de Paris. Je suis en France et ma zone de compétence est la France.
Je suis rattaché à Claude Genetay que vous avez vu hier, et à Thierry Cotillard.
Donc, vous êtes sous leur responsabilité ? Ou vous êtes leur collaborateur, leur coéquipier ?
Mon manager est le Directeur général, donc Claude Genetay.
Vous nous avez dit que la politique du groupe Intermarché, c'est une seule politique pour les PME : pas de déflation. Par conséquent, flat ou inflation pour les PME. Cela veut donc dire une seule politique pour les ETI et pour les multinationales : c'est de la déflation.
Est-ce qu'aujourd'hui le mot d'ordre du groupe Intermarché sur ces ETI et multinationales est : on doit aller chercher de la déflation, du prix bas, là où on peut en trouver ?
Ensuite, vous dites que 32 % de vos fournisseurs sont des multinationales. Ce sont 32 % par rapport à des noms d'entreprises ou cela représente le volume ou le chiffre d'affaires ? Que représentent en chiffre d'affaires, en volume, ces multinationales ?
Ces 32 % correspondent effectivement à un nombre de fournisseurs sur le total du portefeuille d'activité. Et le chiffre d'affaires des multinationales représente pour nous environ 85-87 % du portefeuille, sur le périmètre de ma Direction. Puisqu'effectivement on met de côté la Direction produits frais transformés, le non-alimentaire et toute la marque de distributeur (MDD) avec lesquels on travaille aussi avec des fournisseurs.
Il n'y a pas de politique systématique de déflation. Nous valorisons nos demandes sur la partie « plans d'affaires » avant tout. C'est ce que je vous ai dit, nous sommes très orientés sur le développement du chiffre. Et donc, effectivement, nous avons des services concrets, du référentiel, des entrées de produits, du travail sur les gammes, mais aussi sur les prospectus. Mais il n'y a pas que ça. Nous valorisons effectivement le développement du chiffre d'affaires que nous sommes en mesure de proposer à nos industriels. Et puis il y a aussi évidemment la composante du tarif du fournisseur que nous étudions afin de savoir où nous allons avec eux.
Ce n'est pas la question que je vous posais.
Apparemment pour vous les PME ne représentent que 13 % du chiffre d'affaires. Je pense que sur ces 13 %, on peut encore retirer les MDD et les alliances locales. En gros, une PME, c'est 5 %, puisque les alliances locales représentent pour vous en fonction des magasins entre 0,7 et 2 %. J'ai assisté à plusieurs auditions, je commence à connaître les chiffres. Au final, les PME ne représentent pas grand-chose. Le plus gros, ce sont les multinationales. Donc, vous nous dites qu'une seule politique pour les PME, ce n'est pas une déflation. Quand j'entends cela, je me dis qu'une seule politique pour les multinationales, c'est de la déflation. C'est cela ma question.
Je me suis peut-être mal exprimé. Je vais répondre à votre question, rassurez-vous. Je pense qu'il y a deux variables à prendre en compte dans la relation commerciale que nous pouvons avoir avec un fournisseur.
D'abord, il y a le nombre. Effectivement, le nombre de PME chez nous, c'est quasiment 260-270, c'est-à-dire que nous avons une relation avec 270 industriels qui sont plus petits. Sur les multinationales, nous sommes à 156.
Donc, au-delà du chiffre d'affaires, il faut quand même compter le nombre dans la relation commerciale. Ce ne sont pas juste les chiffres d'affaires.
Ensuite, nous n'avons pas d'objectif de déflation systématique avec les autres entreprises, hors PME-TPE. Cela dépend en effet de la variation de la matière première. Il y a des très grands groupes industriels qui transforment des produits laitiers. On l'a vu aussi sur les produits dérivés du porc. Il y a Herta notamment pour ne citer que lui.
Quand c'est nécessaire, notre politique de discernement inclut l'ensemble des typologies. C'est pour cela qu'il y a une politique d'encadrement de la relation commerciale. On fait attention concernant la typologie de fournisseurs. Mais quand il s'agit de fournisseurs leaders dans le monde sur leurs marchés, mais que cela concerne le monde agricole français, c'est quelque chose de plus transversal.
Sur ces 32 % du nombre de clients qui représentent 87 % de votre business, combien en pourcentage ont été signés en déflation depuis les dernières années ? Prenons l'exemple de 2018. Quel est le pourcentage de déflation ?
Je n'ai pas les chiffres précis en tête, parce que nous regardons ces chiffres sur l'ensemble du portefeuille d'activités. Sur l'ensemble du portefeuille d'activités, nous sommes à 5050. Sur les multinationales, nous sommes au-delà de 50 % sur la déflation. Je pense que nous devons être à 6040.
Il y a deux manières de regarder cette notion de déflation. Je sais qu'on vous a exposé les descentes : « 1 net », « 2 net », « 3 net », « 4 net », « 5 net », qui sont des indices qui veulent dire quelque chose.
Concernant le chiffre d'affaires in fine développé, même en « 3 net » ou « 5 net ». Par rapport au chiffre d'affaires des années précédentes –en l'occurrence 2018 – je pense que nous aurons moins de dossiers en déflation. Il y a des chiffres d'affaires qui sont développés chez nous. Nous sommes sur les multinationales à environ +8 % en 3 ans.
Donc, il y a deux façons de dire les choses. J'ai répondu sur la partie indice qui est vraiment très spécifique à notre métier.
J'ai eu le chiffre hier de 71 multinationales. Vous nous parlez de 156 multinationales, de 32 % et de 270 PME. Je n'arrive pas à m'y retrouver. Est-ce que vous pouvez me dire combien de multinationales représentent ces 32 % ?
Nous avons effectivement 156 multinationales. Mais pour les entreprises les plus importantes, en termes de présence dans le monde entier et de chiffre d'affaires, il y en a 71 qui font l'objet d'une négociation internationale. Donc, tous les critères ne sont pas réunis pour que les négociations se fassent sur la centrale de service internationale sur les 156 multinationales.
Et sur ces 156 multinationales et ces 270 PME, combien touchent uniquement à l'agroalimentaire ? J'essaye de distinguer celles qui sont liées au monde agricole, qui sont quand même celles qui sont le plus en souffrance.
Nous devrions faire un exercice, je suis d'accord avec vous. Nous le faisons de façon empirique, mais nous devrions faire l'exercice. Pas sur les multinationales, parce que je pense que c'est transversal à l'ensemble des fournisseurs.
On n'a pas de mal à parler des produits très peu transformés. Quand on a des produits hyper transformés, c'est plus compliqué. Ce sont par exemple les marchés laitiers, le porc. Ce sont les produits peu transformés. Ou les filières « Volailles », les choses comme cela.
Une autre difficulté, c'est qu'on a du mal à entrer dans le détail avec un certain nombre d'industriels –et là, ça ne touche pas que les multinationales – parce qu'on ne sait pas quelle est la composante réelle de la matière première. On ne sait pas quelle est l'origine et quel est le poids. Évidemment, je pense que dans une marge de progression, il faudrait que nous soyons plus précis avec cela.
Mais c'est vrai que pour nous, l'évidence dans un premier temps, ce sont les produits laitiers et le porc. Toutefois, je pense qu'il y a d'autres filières sur lesquelles nous avons essayé d'avoir des démarches en ce sens. Malheureusement, nous avons énormément manqué de transparence. Nous posons des questions simples : si je vous rémunère plus sur votre produit cette année que l'année dernière, quelle est la part qui va au monde agricole en termes d'augmentation ? Est-ce qu'on peut écrire un engagement sur ce sujet-là ? À part les filières que je viens de vous citer, nous n'avons pas eu de réponse claire.
À vous entendre, vous êtes grand Seigneur ! Mais au moins on ne peut pas vous reprocher l'incohérence. Vous avez la cohérence avec le propos de votre Président. Ce qui me préoccupe en entendant le groupe Intermarché et en entendant un certain nombre de groupes de la distribution, c'est que la négociation se fait en fonction de l'état de santé de votre interlocuteur. Vous nous dites : les PME, les ETI, tout ce qui est territorial, on essaie de faire attention. C'est ce qui nous a été dit hier. Précisément, on nous a dit : nous avons une lecture de la rentabilité de nos fournisseurs.
Puis vous avez illustré ce que pouvait être une négociation dans l'urgence en faisant référence à la crise porcine. Donc, vous savez faire. Et vous avez dit que quand il y avait une augmentation qui vous semblait injustifiée, vous ne l'acceptiez pas. Mais tout le monde nous a expliqué que les négociations, de toute façon, se font en déflation depuis un certain nombre d'années. C'est ce qu'a expliqué tout à l'heure le Rapporteur.
La question que j'ai envie de vous poser – parce que vous dites que vous vous intéressez aux agriculteurs, à la situation des acteurs des territoires – c'est : comment arrivez-vous à objectiver vos refus ? Est-ce que vous avez des éléments précis qui vous indiquent que vous ne pouvez pas accepter une augmentation ? Ce qui nous a été expliqué, c'est que vous et vos compères, vous exercez une pression telle que vous n'objectivez même pas vos refus. Quels sont les éléments que vous mettez sur la table pour refuser une augmentation ?
Nous sommes beaucoup plus sereins dans les discussions avec nos industriels à partir du moment où les choses sont claires. Nous objectivons effectivement nos négociations en fonction de leurs résultats. Il y a beaucoup d'industriels.
Non ! Hier, on nous a dit : les multinationales ont 13 à 18 % de résultat. En gros, on peut les presser, on peut y aller. Les PME, c'est 2-3 %, on fait plus attention. C'est précisément ce qui nous a été dit hier. Et donc, vos premiers éléments de réponse revenaient sur cet argument-là.
Mais la bonne santé financière de votre fournisseur, ce n'est pas un argument de négociation. Ce n'est pas votre problème. La bonne santé financière d'une entreprise, ce n'est pas votre problème. Sauf si vous avez en tête de récupérer des contreparties financières d'un fournisseur qui a une activité économique qui génère un résultat et un profit très intéressants. Et là, vous voyez une source potentielle de profit facile à plusieurs niveaux. Nous avons rappelé les différentes étapes de la négociation au niveau local jusqu'à la centrale internationale.
Comment objectivez-vous les refus d'augmentation ? Comment vos commerciaux objectivent-ils les refus d'augmentation ?
Nous discutons ce que la négociation pose sur la table de discussion. Si une société me dit qu'elle a un besoin tarifaire – et cela peut arriver – parce qu'elle est en difficulté financière, nous pouvons en discuter à partir du moment où nous avons la complète transparence sur le sujet.
Si un grand groupe nous dit qu'il est en difficulté financière et qu'on ne peut pas vérifier le sujet, c'est un peu plus compliqué. Cela veut dire qu'on ne rentre pas dans le schéma de la négociation. Et vous avez raison, une société, c'est fait pour gagner de l'argent. Donc, nous n'avons pas de problème avec les grands groupes qui gagnent de l'argent. Ce n'est pas un sujet. Je pense que si cela vient maladroitement sur la table, c'est juste parce que nous essayons d'opposer la fragilité de certains par rapport à la force des autres. Je pense que les réalités sont parfois un peu différentes.
Comment est-ce qu'on objective ? Par le biais des négociations sur le plan d'affaires. L'enseigne « Intermarché » est en capacité de produire une meilleure croissance que le marché. Les industriels – qui doivent faire tourner leur usine – souhaitent même investir. Ils font des choix d'enseigne.
Ensuite, quand nous avons une transparence tarifaire sur la matière première, nous sommes capables d'étudier le sujet. Ce sont les critères qui sont éligibles à la décision.
Donc, vous demandez aux fournisseurs de vous amener les éléments de négociation de prix de ces matières premières ? C'est-à-dire, par exemple, les produits qui entrent dans la composition d'un biscuit. Dans ce cas, vous tenez compte de l'évolution du prix du lait, de la farine, du beurre, des oeufs… C'est cela ?
Vous l'avez compris. C'est l'une des variables.
Ce que j'ai compris, c'est que si l'entreprise est en état de santé financière, vous y allez et vous demandez des contreparties. Vous mettez un premier niveau de pression à votre niveau. Et si l'entreprise vous apparaît plus fragile ou sur un secteur d'activité plus fragile, vous y allez plus doucement.
Mais je voudrais revenir sur les multinationales dont vous avez très bien parlé tout à l'heure. Ces multinationales ont des filiales en France. Elles sont souvent animées par des Directeurs généraux France. Ces multinationales – dont vous et vos dirigeants dites qu'elles font des profits importants – à force de négocier avec elles en France et d'exercer une pression sur elles, quand elles vont avoir des choix d'investissement à faire, elles vont réduire les investissements en France et développer des investissements à l'étranger pour répondre à vos desiderata de marge supplémentaire et pour satisfaire les distributeurs qui se sont regroupés en centrale d'achat avec d'autres opérateurs français ou européens. Et tout cela au détriment de l'emploi industriel en France et dans nos territoires.
Mais qui êtes-vous pour juger de la pertinence d'un groupe international, pour le fragiliser en France et l'encourager à développer ses activités à l'étranger ? Cela ne vous ennuie pas ?
Nous, on est là pour faire du business, pour développer les achats. Chacun peut avoir son point de vue, et je respecte le vôtre. Mon point de vue de professionnel de la grande distribution depuis 20 ans, c'est que les relations commerciales sont de plus en plus tendues. Je l'admets. On a toujours eu des rapports spécifiques avec certains grands groupes. Il y a des multinationales avec lesquelles on s'entend très bien, on développe un bon business, il n'y a pas de problème particulier. Avec d'autres, c'est plus compliqué. C'est comme cela. Cela fait partie des affaires.
On ne critique pas la rentabilité des groupes, que ce soient les ETI, les PME ou les multinationales. On dit juste qu'il ne faut pas avoir de jugement particulier sur le sujet, parce que c'est un sujet un peu délicat. On a des fournisseurs qui se battent les uns contre les autres. Souvent, il y en a deux ou trois par marché, et ils veulent prendre des parts de marché chez Intermarché – parce qu'on se développe – aux concurrents.
Forcément, notre sujet dans les discussions, c'est de leur vendre les plans d'affaires les plus en développement possible. Nous ne pouvons pas donner les places de la même manière à tout le monde. Il faut parfois que l'on fasse des choix. Ce qui explique que certaines entreprises investissent plus chez nous que d'autres.
Et un directeur commercial a plusieurs clients, donc j'imagine qu'il doit avoir plusieurs niveaux de conditions. Il est possible que finalement, ils investissent plus chez un client durablement parce qu'il peut apporter une croissance durable. Nous ne mettons pas de pression particulière sur ce sujet-là. Je vous l'assure.
Si, parce que les fournisseurs des enseignes de la distribution que nous avons reçus, de manière unanime, nous ont expliqué que c'est en France que les négociations commerciales sont les plus tendues. Et que c'est en France que cette relation de confrontation vise à détruire de la valeur. Destruction de valeur qui était finalement le sujet de préoccupation de notre collègue Hervé Pellois tout à l'heure, lorsqu'il vous a interrogé sur la partie agricole et agroalimentaire. C'est aussi cela notre sujet.
Au-delà du déséquilibre de la relation commerciale, comment expliquez-vous que même les groupes internationaux, les multinationales, nous disent que les négociations sont plus difficiles ici en France qu'en Allemagne, en Espagne, ou en Italie ? Alors que vous pourriez être dans une démarche beaucoup plus collaborative.
Je pense qu'il y a une réalité derrière ce que vous dites, qui n'est pas celle de tout le monde. Il y a des relations plus difficiles avec quelques entreprises, d'ailleurs pas que des multinationales. Sincèrement. Comment est-ce qu'on se l'explique ? Je suis Directeur des achats, mais comme tous les directeurs des achats, je suis payé pour trouver des accords avec les industriels. Trouver des accords, c'est bénéfique pour tout le monde, parce que cela veut dire que l'on arrive à trouver ensemble des voies pour développer nos affaires. C'est cela qu'on veut faire.
Encore une fois, nos ennemis, ce ne sont pas les fournisseurs. Nos concurrents, ce sont les autres enseignes. Notre fournisseur nous permet de faire la différence dans nos discussions par rapport aux autres. C'est pour nous un partenaire. Toutefois, il y a une réalité – culturelle certainement – qui fait qu'en France sur le sujet de la grande distribution, on a parfois des difficultés à être d'accord. Mais sincèrement, on a plutôt des accords que des désaccords, dans l'immense majorité des cas.
Vos fournisseurs n'ont pas d'autre choix que d'avoir des accords avec vous s'ils veulent distribuer leurs produits, puisque de toute façon c'est vous qui concentrez la majeure partie du contact avec le consommateur.
Ce que vous avez dit tout à l'heure est très important. Vous avez dit : nous sommes très attentifs à la santé financière des entreprises, et faire une déflation sur une entreprise en difficulté financière ne nous dérange pas. Donc, lorsqu'il y a une entreprise qui est en bonne santé financière, votre logique c'est d'aller demander de la déflation.
C'est exactement ce que vous nous dites. S'il y a des difficultés, on est « flat » ou on est en inflation. Mais si l'on sent que financièrement, tout se passe bien, on va chercher de la déflation. J'aimerais avoir votre point de vue sur cela.
Et je voudrais qu'on parle aussi de la partie internationale, puisque l'ensemble de ces 71 entreprises font partie d'AgeCore, et une centaine sont chez Horizon international. Est-ce qu'aujourd'hui il y a un lien entre AgeCore et vous en tant que Directeur des achats marques ?
Je n'ai pas une connaissance aiguë de ce qui peut se passer ailleurs. Mais il y a des pays qui sont beaucoup plus concentrés que la France en termes de distributeurs et sur lesquels la relation est peut-être moins tendue. Donc, je pense que la concentration n'est pas le facteur-clé sur la typologie des relations commerciales. À mon avis c'est plus culturel !
Au sujet de la bonne santé financière qui serait le corrélatif de nos demandes. Pas du tout. Nous ne sortons pas les bilans et les comptes de résultat et nous ne faisons pas les demandes en fonction. On est quand même sur des marchés très concurrentiels. Vous savez que dans la grande distribution, il y a peut-être des débats de chiffres, mais il y a quand même des acteurs qui sont en grande difficulté. On se bat pour notre survie. C'est un modèle qui est en complète mutation. Il va falloir investir aussi, changer.
En fait, je pense que le sujet du résultat, ce n'est pas un sujet qui concerne l'acheteur. Il est très loin de cela. C'est plutôt celui qui concerne deux principes. Celui de l'équilibre, parce que quand on est fort dans la relation commerciale, c'est aussi de par son chiffre d'affaires et le résultat. Et le deuxième concerne la recherche, et la raison d'être des sociétés qui est de faire du chiffre.
Nous, groupement d'indépendants, effectivement nous sommes là pour développer les affaires des indépendants. Nous ne sommes pas là pour servir l'actionnariat. C'est juste qu'il existe des pratiques qui nous opposent. Je vous parlais des changements d'EAN et des Reset Gencod, où là clairement, il n'y a pas de sens du client. Il n'y a pas de sens du client quand on augmente un produit : c'est le même. Il y a juste le grammage ou le litrage qu'on augmente de 40 %. Il n'y a pas de sens du client ! C'est parfois ce qui peut nous opposer dans la culture. C'est-à-dire que l'on travaille pour le client et il y a des choses comme cela sur lesquelles on n'arrive pas à se trouver.
Oui, je suis en contact avec eux puisqu'il y a 71 fournisseurs multinationaux sur AgeCore. Je suis en contact avec eux pour savoir comment les négociations se déroulent.
Vous êtes au courant des négociations qui se passent chez AgeCore. Donc, on vous appelle pour vous indiquer à quel stade en sont les négociations chez AgeCore, en fonction de ce qui se passe à Genève. C'est cela ?
Absolument, il y a un suivi qui est fait sur l'ensemble des négociations. Il est important pour nous de savoir si les négociations se passent bien.
Qui donne le feu vert final à l'achat ? La Centrale internationale AgeCore ? La centrale Intermarché international à Bruxelles ? Ou vous Les Mousquetaires en France ? Puisque finalement les négociations sont conduites parallèlement. Il y a des achats au niveau local et ensuite, Bruxelles, Genève. Est-ce qu'il y a un feu vert qui est donné ? Il faut bien que tout cela soit temporisé et coordonné, puisque vous faites un point de situation des négociations. Mais la négociation finale et l'acte d'achat final, qui est-ce qui en décide ?
L'acte d'achat est opéré en France, chez moi, donc c'est nous qui décidons de l'achat.
Et à quel moment cet achat est-il décidé ? C'est lorsqu'il y a un accord final avec les différentes centrales ?
Même si l'on doit remettre en question nos accords tous les ans, parfois on peut faire des accords pluriannuels. On continue à faire du business avec tous les industriels en parallèle des négociations, c'est-à-dire qu'on n'attend pas le 1er mars pour savoir ce qu'on fait avec les industriels sur les plans innovation, sur les prospectus, sur nos référencements. La vie du business suit son cours toute l'année.
C'est assez choquant de n'entendre parler que du prix. Même si je sais bien que nous sommes sur des négociations et qu'il faut parler de prix.
J'aimerais savoir comment vous appréciez la qualité du produit. Je vous ai entendu dire que c'était très flou au niveau des multinationales, et qu'on ne savait notamment pas ce qu'il y avait dans les produits transformés. C'est inquiétant. Comment est-ce que vous appréciez la qualité du produit et comment est-ce que vous la valorisez ? Aujourd'hui où dans la loi EGalim il est dit qu'on doit produire 40 % de labels, on doit aller vers de la qualité. Quand j'entends ces achats internationaux avec un flou installé, sans savoir ce qu'il y a dans le produit, je trouve que c'est inquiétant.
Le produit, c'est évidemment essentiel. Comme on fait un focus sur les équipes d'acheteurs qui connaissent bien les produits aussi, on omet de vous parler – parce que ce n'est pas forcément le sujet – de toutes les équipes de chefs de marché et d'ingénieur qualité qui sont dans les sièges de nos sociétés et qui ont une vraie expertise sur le produit, sur le marché, et sur la composition des produits. Moi je veux bien. De toute façon, je vous dirai que le « Juge de Paix », c'est le client. Le client de plus en plus va rechercher des produits haute qualité environnementale, avec effectivement des produits sains, bons pour la santé.
Quant aux achats MDD, c'est quelque chose qu'on maîtrise complètement. Je ne suis pas un patron de la partie MDD, mais évidemment la composition du produit est discutée avec des usines de groupements ou avec les industriels partenaires du groupement. Sur la marque nationale, on les encourage à y aller de plain-pied, mais ils y vont tous de toute façon. Autrement, si demain leur concurrent – parce sont qu'ils sont en concurrence – a des produits plus sains, il va vendre plus qu'eux.
C'est une question que l'on se pose. À un moment donné, il faut rattacher les wagons pour effectivement mettre dans l'équation économique – puisque le sujet, c'est le client – la différence qu'un industriel va faire sur l'autre sur ses produits. Il s'agit d'un vrai sujet qu'on essaye de traiter.
Nous avons vu tous nos partenaires à Tréville la semaine dernière, pour leur demander de nous constituer des dossiers sur ces sujets-là, et de nous les envoyer pour la rentrée. Je ne peux pas vous dire ce que nous allons faire, parce que nos concurrents sont là. La question que l'on se pose, c'est comment réussir à valoriser ces démarches-là. Nous l'avons déjà fait chez certains fournisseurs, mais c'est compliqué avec eux, parce que dans notre relation commerciale, il y a un manque de confiance. Ils ne nous font pas forcément confiance. Du coup, quand on leur demande de partager ces sujets-là, il y en a qui y vont vraiment, et il y en a d'autres qui y vont un peu à reculons.
Il y a d'autres sujets sur lesquels on peut travailler avec certains facilement et d'autres un peu plus difficilement. Mais on a essayé de leur demander de nous envoyer pour 2020 l'ensemble des démarches environnementales et qualité qu'ils avaient. On va essayer de faire la différence dans les ventes l'année prochaine, et essayer de le mettre dans l'équation économique. Un industriel qui viendra avec ce type de démarche, par rapport à un industriel qui viendra sans, aura une longueur d'avance. C'est ce qu'on essaye de faire. J'espère que tous les industriels nous suivront, on en saura un peu plus au mois de septembre. Cela dépendra du nombre de dossiers que l'on va recevoir.
Dans vos achats, par exemple, est-ce que vous privilégiez les achats de viande française ?
Sur ma Direction achat marques nationales, quand la décision d'achat vient du groupement, je pense que oui. Quelqu'un d'autre que moi pourra le déterminer. Pour ma part, je ne peux pas vraiment exiger d'un fournisseur qu'il achète français ou autre. On les encourage. C'est notamment ce que l'on a essayé de faire sur le porc, avec une grande multinationale. C'est compliqué de demander un engagement sur des sujets comme celui-ci. Mais on lui a dit que ce serait bien qu'il puisse – si on lui passe un tarif à la hausse – plus acheter en provenance de France sa matière première. Mais nous ne pouvons pas imposer à un fournisseur de s'approvisionner à tel ou tel endroit.
De toute façon, au final, je le dis encore une fois : le client arbitrera. Je pense que ce que le client veut in fine, c'est ce genre de démarche. Si le produit se vend mieux, il sera mis en avant dans nos gondoles et ailleurs. Et ceux qui n'adopteront pas ce genre de démarche ne le seront pas. On est maître de cette politique-là sur nos délais. Nous pouvons être tout à fait prescripteurs et puis on peut y aller. C'est ce que l'on est tous en train de faire. Sur la marque nationale, ils y vont aussi. Maintenant, je ne peux pas contraindre. Je ne veux pas conseiller un industriel – même si j'ai mon point de vue sur le sujet – d'aller dans cette démarche-là.
Bien sûr que vous ne pouvez pas le contraindre, mais vous pouvez privilégier un achat de viande française.
C'est exactement ce que je vous disais. Maintenant, on demande aux industriels de nous proposer effectivement des schémas sur ce sujet pour 2020. Et je pense que nous essaierons de prendre cela en compte véritablement en termes de valeur ajoutée pour nous, parce qu'encore une fois, ce que l'on veut faire, c'est du développement commercial. C'est du chiffre d'affaires. C'est de la part de marché.
On n'est pas uniquement « focussés » sur les délais. C'est ce qu'on disait à nos partenaires – il y en avait 500 ou 600 la semaine dernière – que chez nous, chez Intermarché, il y a de la place pour les grandes marques. Notre stratégie fait aussi de la place aux grandes marques sur l'ensemble des sujets qui ne sont pas mis de côté là-dessus. On aimerait bien travailler en collaboration avec eux à ce sujet.
Il n'y a pas que le prix. Je suis d'accord, vous avez raison. Il y a aussi le client, il y a la qualité des produits, il y a la qualité du développement. Un fournisseur, à proposition équivalente, mais qui est capable de nous produire plus de croissance et de nous donner plus de moyens de nous développer, fera forcément la différence par rapport à un fournisseur qui a fait la même proposition économique mais qui n'est pas en mesure de le faire. C'est évident.
Revenons sur l'exemple que vous preniez tout à l'heure sur le porc. Vous disiez que vous avez fait un effort parce que c'était obligatoire. On sait très bien que les charcutiers qui représentent les deux tiers de la commercialisation d'un porc subissent une augmentation de coûts aujourd'hui. Il y a un an ou un an et demi, lorsque les producteurs de porc étaient en difficulté car le prix était insuffisant, est-ce qu'il y a eu des tentatives de venir en aide à ces éleveurs de porcs pour essayer d'améliorer leur prix de vente ? Ils étaient aussi dans une situation très délicate. Je veux bien qu'on le fasse pour les industriels, mais il faudrait aussi le faire pour les producteurs eux-mêmes.
Ma deuxième question porte sur la MDD et les produits de marque. Je sais que vous vous en occupez. Comment se fait cette répartition à l'intérieur d'Intermarché, est-ce qu'il y a des tendances de fond qui sont impulsées par le groupe, disant que vous allez faire plus de MDD, moins de marques, ou le contraire ?
La troisième question est relative aux acheteurs. C'est vrai qu'on a beaucoup parlé de situation délicate. Tous ceux que l'on connaît qui ont fait ce travail de vendeurs par rapport à vos acheteurs, subissent des conditions d'accueil qui sont loin d'être satisfaisantes. Comment cela se passe-t-il chez vous ? J'aimerais que vous nous décriviez un peu ce qu'est Tréville, ce que sont les fameux « box » et les conditions réelles de négociation que vous pouvez avoir, les instructions qui sont données à vos acheteurs et les conditions matérielles qui sont données aux vendeurs.
Et je voudrais savoir si les acheteurs sont intéressés à la réduction qu'ils obtiennent. Est-ce qu'ils ont un intéressement qui est lié à leur capacité d'écraser un peu plus le vendeur ?
Concernant le prix du porc, il nous a paru très vite tout à fait évident qu'il fallait revaloriser la filière pour le transformateur. La notion que nous avons développée, c'était celle de la réactivité sur les fluctuations de matières premières, parce que d'une part nous voyons les cours du marché, et d'autre part nous devons réagir vite.
Et je pense que c'est aussi important, notamment pour une plus petite entreprise qui a peu de trésorerie et qui la voit tout de suite se dégrader. Donc, nous avons privilégié et nous avons mis en oeuvre une force de frappe très importante. C'est-à-dire que nous n'avons pas attendu de recevoir les tarifs des fournisseurs. Nous les avons appelés et leur avons demandé de combien ils avaient besoin. C'est comme cela que nous avons réussi à fixer 100 % des sociétés très rapidement. Et vous savez que quand on est concurrent, c'est quand même un sujet important. Généralement, lorsqu'il y en a un qui donne l'impulsion – c'est un pari que nous faisons, il s'agit de confiance avec l'industriel – si nous lui passons ces hausses très rapidement, nous espérons qu'il sera cohérent avec l'ensemble de ses clients sur les données économiques. C'est le pari qu'on a fait, on ne devrait pas se tromper sur ce sujet. On leur fait confiance. Ce sont des sujets de l'urgence. Je pense que c'est un sujet important. Dans d'autres pays, ces sujets-là sont très vite actés par l'ensemble des acteurs.
Sur la répartition de la MDD et des marques nationales, il n'y a pas de nid-de-poule particulier. Je suis autonome, placé sous la direction de Claude Genetay et je n'ai pas d'objectifs de diminution du chiffre d'affaires. C'est tout le contraire. Je dois gagner des parts de marché et du chiffre d'affaires sur la marque nationale et mon homologue a les mêmes objectifs. Nous sommes en saine concurrence sur ces sujets-là. Il n'y a pas de consigne particulière, mais nous pensons que nous pouvons développer.
Les fameuses situations avec les acheteurs... Je suis un peu perplexe depuis plusieurs jours. Je sais que tout n'est pas rose, mais j'entends beaucoup de choses. Il y a plein d'exemples qui sont donnés, sur lesquels j'ai du mal à identifier.
Le parc de Tréville est un parc d'activité. Il y a un péage à l'entrée, ensuite vous avez de grands espaces verts et on reçoit nos fournisseurs et nos partenaires dans un grand espace réunion, un énorme bâtiment sur lequel il y a 50 salles de réunion – cela s'appelle bien des salles de réunion et non des box – qui nous sont dédiées pendant la négociation. Mais sinon, ces salles de réunion sont dédiées aux collaborateurs d'Intermarché tout le reste de l'année. Comme j'ai besoin d'espace pour recevoir mes fournisseurs, je demande effectivement à ce que ces salles de réunion nous soient dédiées en novembre, décembre, janvier et février. Mais tout le reste de l'année, l'ensemble des collaborateurs du groupement utilisent les salles de réunion. Ce sont les mêmes.
Les fournisseurs sont reçus dans de meilleures conditions parce que nous avons investi plusieurs centaines de milliers d'euros pour bâtir ces salles de réunion. Ils sont reçus à l'accueil, ils ont des boissons, du café, ils peuvent s'asseoir, et en période de négociation on commande à manger pour eux, parce que les négociations peuvent durer. Il n'y a pas de box. Et même si les box existaient, sincèrement, le box est juste une dénomination. Entre un box et une salle de réunion, il n'y a pas de différence particulière.
C'est compliqué les deux dernières semaines parce qu'on a une date butoir. Vous l'avez vu, on a 500 fournisseurs, mais c'est 1 200 accords. On a une date butoir au 1er mars.
Heureusement qu'il y a une date butoir, autrement vous seriez en furie toute l'année. Ce serait la pression permanente, parce que la période de négociation qui dure quatre-cinq mois, si elle était limitée à deux mois... La logique voudrait qu'à la saison de la récolte – là, maintenant – l'amont négocie les prix à partir des coûts de production. C'est la partie amont, premier niveau de négociation. Ensuite, vous arrivez. Novembre, décembre, administrativement jusqu'au 31 décembre, pour Noël c'est clos ou pas ? Deux mois de négociation, trois rounds de discussion, terminé.
Cela laisserait moins de temps aux centrales internationales, c'est sûr, pour inventer leurs soi-disant services et essayer de pomper de l'argent à l'industrie. Mais nous aurions peut-être des négociations qui seraient plus en rapport avec le produit. Parce qu'une partie des négociations n'a rien à voir avec le produit. Il s'agit d'utiliser des contreparties.
Donc, vous disiez que vous étiez rendu à la date butoir.
Absolument, si on pouvait tout négocier en trois semaines, je vous assure qu'on serait tous très contents. On arrive à le faire en deux mois, avec certains parfois on y arrive en un rendez-vous. Avec le groupe Bel, on a fait un rendez-vous de trente minutes ! C'est donc possible. Des exemples comme cela il y en a beaucoup, et des exemples où cela dure très longtemps il y en a aussi.
Mais c'est aux négociateurs, aux acheteurs, de créer les conditions de la confiance. À vous entendre les uns et les autres, je vous trouve – vous les enseignes, les distributeurs – très suspicieux à l'égard des industriels, à l'égard des transformateurs, c'est-à-dire à l'égard de vos partenaires. Suspicieux qu'ils gagnent trop d'argent, suspicieux que les produits ne soient pas forcément calibrés.
C'est plus compliqué les deux dernières semaines, parce que forcément on a des rendez-vous flottants. On a des industriels qui font le tour de l'ensemble des enseignes, parfois la dernière semaine, donc on a du mal à prendre des rendez-vous. Cela peut se chevaucher. Mais moi, sincèrement, je n'ai jamais vu les situations que vous avez pu décrire. Nous essayons toujours de faire en sorte que cela se passe le mieux possible, même si effectivement la dernière semaine, c'est un peu le rush, je dois l'admettre.
Les primes des acheteurs sont effectivement objectivées sur différents critères. Il y a des critères de comportements, il y a aussi des critères sur le chiffre d'affaires sur leur catégorie, c'est important. Ils doivent faire croître le chiffre d'affaires, c'est dans leur intérêt de trouver un accord avec tout le monde.
Et puis il y a un critère de marge. Un marché doit se développer en termes de chiffre d'affaires mais aussi il y a les critères de marge qui ne sont pas forcément en hausse, ou peuvent être stables ou en baisse. Cela dépend des ambitions que l'on a sur ce schéma.
Et puis il y a un critère d'évolution de prix, qui peut peser jusqu'à 30 % de la prime d'un acheteur. Il y a des acheteurs qui sont objectivés sur des hausses. C'est le cas d'un acheteur sur le frais. Et puis il y a des acheteurs qui sont objectivés sur des baisses.
Merci pour ces présentations d'échange qui participent à nous apporter un éclairage, parce que notre objectif est de bien comprendre les choses. Je pense que c'est vraiment porteur d'intérêt général de bien comprendre ce qui se passe.
L'enseigne d'Intermarché – et donc vous – êtes amenés à travailler sur les achats avec des fournisseurs. Ils peuvent être industriels, mais cela peut aussi être des producteurs. Ou des parties de filières, parce que Intermarché, si j'ai bien compris, a aussi un volet production. Comment traitez-vous ce volet production ? Comment le situez-vous dans votre activité ? Est-ce que vous le traitez de la même façon ? Cela nous aidera à comprendre un peu comment vous prenez en compte cette notion de filière.
Ensuite, quand vous êtes dans les relations commerciales et la recherche de solutions, est-ce que vous pensez à la loi EGAlim et à ses objectifs ? Est-ce que vous vous dites que votre objectif est d'augmenter le chiffre d'affaires, de faire du business, mais qu'on est quand même dans un contexte qui est celui de la loi EGAlim ? Et cette dernière a des objectifs. Cela a surtout pour objectif de permettre un partage plus équitable de la valeur ajoutée dans les filières, et de permettre d'obtenir un revenu pour les producteurs avec une inversion de la détermination du prix, en prenant en compte le coût de production. Quel est votre comportement vis-à-vis de cela ? Quel intérêt y voyez-vous ?
Oui, nous avons un outil industriel. Il n'est pas au sein de la Direction. Cela ne veut pas dire que j'ignore complètement ce qui se passe, mais précisément, je pense qu'il y a une transparence importante et qu'il y a des vrais engagements de nos usines vis-à-vis du monde agricole. Je pense qu'il y a beaucoup de preuves dans la presse par rapport à cela. Et du coup l'acheteur MDD sait exactement où va la répartition de la valeur ajoutée.
Ce qui me fait rebondir sur le second sujet. Je trouve que c'est un sujet compliqué. Ce n'est pas parce que l'on est acheteur que l'on n'est pas citoyen. Ces questions-là, de toute façon, un distributeur doit se les poser et les mettre en place concrètement. Parce que demain, le client ne fera pas ses courses chez un distributeur qui n'aura pas des notions de qualité environnementale et de juste répartition de la valeur ajoutée. Au-delà du prix qu'est prêt à payer le client, je pense que tout le monde vous a parlé des statistiques.
Ce sont des questions qui sont compliquées, parce que je pense que de part et d'autre, nous ne sommes pas encore bien outillés là-dessus. On ne subit pas. On a une vraie vision, une vraie transparence sur le prix payé à la production. C'était le cas de certaines multinationales qui dans leurs tarifs, dans leurs CGV (conditions générales de vente), nous ont dit quel prix elles payaient à la production en 2018 et quel prix elle s'est engagée à payer à la production 2019. Quand ce n'était pas dans les CGV, on a réussi au plus haut niveau de certaines de nos entreprises, à avoir des engagements. À partir du moment où un communiqué de presse part et qu'il est diffusé au monde agricole qui traite directement avec ses transformateurs, pour nous, il y a totale transparence. Donc, on y va.
Sur le reste, cela peut être plus compliqué. Parfois parce que les industriels ont du mal à faire confiance. On n'est pas en défiance particulière par rapport aux industriels, on se connaît, et même quand on ne s'entend pas, on se respecte. Mais certains industriels ont parfois du mal avec cela. C'est peut-être l'exception culturelle française par rapport à d'autres pays. Et puis ils ne sont pas outillés.
Pour certains, nous avons essayé. Notamment sur les pâtes, pour le blé dur français. On a fait un rendez-vous. On a posé plein de questions sur les engagements, sur la façon dont c'était calculé, comment on avait la garantie que cela allait dans le monde agricole. On n'a pas réussi cette année. J'espère que l'industriel sera mieux équipé l'année prochaine, mais il faut absolument des informations plus précises.
Je pense que vous avez peut-être un rôle à jouer là-dedans, sur au moins certaines informations – je ne dis pas toutes les informations parce que je comprends que l'on ne peut pas tout délivrer – notamment les informations qui sont présentes sur les CGV des fournisseurs. Cela permettrait de voir clair.
Vous nous dites que vous réfléchissez en bon citoyen et je l'espère. Il y a quand même une question de logique. Vous nous parlez des CGV. Effectivement pour l'exemple des pâtes, le cours du blé, cela joue beaucoup. On peut aussi parler du sucre pour ceux qui font des barres chocolatées, et tous les produits agricoles. Même si c'est « flat », des gens qui viennent vous voir avec de l'inflation, vous leur dites : attention le marché du blé aujourd'hui n'augmente pas. On estime qu'on ne fera pas passer d'inflation. Cela fait 5 ans que c'est stable et qu'on vous demande -2,5 %.
Quand vous nous dites que vous êtes un bon citoyen, j'espère que tous les ans, quand vous allez voir votre Président, vous négociez une augmentation. Si depuis 5 ans, vous n'avez pas été augmenté... Et puis votre facture d'électricité personnelle, elle augmente tous les ans, on en entend assez parler des augmentations d'énergie en ce moment. La facture d'énergie de l'industriel augmente. La R&D : ils produisent des nouveaux produits. Il y a toujours des nouvelles références. Cela coûte de l'argent, cela augmente. La publicité à la télé tous les ans, cela augmente. Je peux vous en sortir plein des exemples comme cela. Les charges fixes, la taxe foncière, la taxe CFE (cotisation foncière des entreprises). On est les premiers à les faire augmenter.
Mais vous, votre logique, c'est -2,5 %, parce que le fournisseur est encore en train de faire du résultat, parce qu'au final, la matière première est à peu près stable. Il ne l'a pas mis dans ses CGV, ou même s'il l'a mis c'est à peu près stable. Pour tout le reste, vous vous masquez. Alors que pour vous-même, vous ne l'accepteriez pas. Je suis persuadé que votre salaire a augmenté depuis 5 ans. D'ailleurs, je vais vous poser la question : est ce qu'il a augmenté depuis 5 ans ? Vous acceptez des choses chez les autres que vous ne seriez même pas capable d'accepter vous-même.
Donc le problème ce n'est pas une question uniquement de matière première. C'est justement une question d'être un bon citoyen et de se dire qu'il y a des choses dans la vie qui augmentent. La moindre des choses, c'est de ne pas réfléchir uniquement sur le résultat de l'entreprise, mais c'est de se demander si cette entreprise va créer de l'emploi sur les territoires. Est-ce que cette entreprise ne va pas quitter le territoire ?
Mais vous, vous réfléchissez depuis le début en résultat de l'entreprise. Alors je suis désolé, être bon citoyen, c'est retirer ses oeillères et peut-être voir dans un spectre un peu plus large que ce que vous dites. Depuis tout à l'heure, je vous écoute et je ne dis rien, mais je ne comprends pas la logique qui est la vôtre.
Je ne suis pas exactement en phase là-dessus, je ne porte pas de jugement de valeur sur cela. Je dis juste qu'on est capable de prendre de la hauteur et de réfléchir. Je pense que les choses ne sont pas aussi simples. Un industriel est capable d'investir. Oublions la déflation ou l'inflation. Il est capable d'investir plus là où il va développer de la masse. Je suis payé en masse. Quand on augmente le chiffre d'affaires des industriels de façon significative, ils s'y retrouvent. Ce n'est pas moi qui le dis, mais eux. Ils se retrouvent sur les volumes.
On oublie aussi les innovations. Il y a aussi de la prime à l'innovation. L'innovation n'est pas négociée. Le fournisseur rentre ses innovations au prix qu'il souhaite. Elle s'intègre dans la descente tarifaire, mais on ne négocie pas l'innovation. Vous avez des fournisseurs qui l'ont très bien compris et qui innovent chaque année.
Je pense que la création de valeur et ce qui rend effectivement une entreprise rentable et qui rentre dans ses objectifs, c'est l'innovation, c'est le développement du chiffre. Si on n'est pas schématique ou si on essaie de ne pas caricaturer le propos, quand on propose des plans de croissance aux industriels, cela ne leur pose pas de problème. Il y aura peut-être un moment où cela leur posera un problème, mais je vous rappelle qu'après la loi LME (loi de modernisation de l'économie), nous étions quand même sur des niveaux tarifaires en France qui étaient très importants.
Je crois – en tant que citoyen responsable – qu'il ne faut pas opposer les demandes d'investissement dans une enseigne par rapport à la santé financière d'une entreprise.
Ne voyez-vous pas une contradiction quant au fait que vos négociateurs, vos acheteurs, demandent des compensations pour perte de marge ? Et dans le même temps, vous nous expliquez ici que vous êtes très soucieux du ruissellement et des retombées en termes de revenus pour les agriculteurs. Si vous commencez une négociation – c'est ce qui nous a été expliqué par un certain nombre de fournisseurs – cela commence systématiquement en déflation. On leur demande une compensation pour perte de marge. Ces éléments-là sont très citoyens, mais cela ne va pas du tout dans le sens du discours que vous venez de tenir qui vise à dire qu'il faut que l'ensemble des acteurs – et notamment les agriculteurs, mais aussi nos fournisseurs – s'en sortent et vivent correctement.
Je pense qu'il ne faut pas opposer les uns aux autres. On ne commence jamais une négociation, on ne la termine pas non plus, et on ne réouvre pas une discussion sur une question de marge. La marge développée sur un dossier est fixée dans la discussion pour toute l'année. On ne réouvre pas de discussion sur ce sujet-là.
Vous nous indiquez ici, en Commission d'enquête sous serment, qu'aucun de vos négociateurs n'a un jour demandé de compensation pour perte de marge ?
Absolument, ce ne sont pas les consignes qui sont données. Je n'ai aucune connaissance de cela. Aucun fournisseur ne m'en a parlé. Et en tant que Directeur des achats, je suis quand même assez impliqué dans les discussions. Je n'ai jamais eu ce type de pratique depuis que je suis Directeur des achats. On sait qu'on développe la marge de nos industriels, mais on ne fait pas ce genre de demande.
Ce sont des pratiques qui nous ont été citées ici de manière régulière. J'imagine bien que cela n'est pas dans les consignes, mais c'est d'ailleurs toute la difficulté de cette Commission d'enquête. C'est aussi toute la difficulté – si elles s'y intéressent – pour l'Autorité de la concurrence ou la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), de prouver ce type de démarche. Mais un certain nombre nous l'ont dit ici et sous serment – notamment des fournisseurs – et ils ne l'ont pas inventé.
Je ne peux pas parler pour les fournisseurs. Je dis juste que si l'on peut faire un point sur les marges développées par dossier, on ne partage pas forcément avec les fournisseurs. C'est un sujet qui nous regarde. Je suis affirmatif sur le point.
Vous parlez beaucoup du chiffre d'affaires comme étant une base d'évolution nécessaire de votre activité. Mais si le chiffre d'affaires augmente en permanence et que vous êtes dans un système de déflation – puisque vous nous avez dit, si j'ai bien compris, que dans votre activité, la déflation représentait environ 50-60 %, 6040 – donc cela veut dire que pour avoir une augmentation du chiffre d'affaires, il faut avoir une augmentation des volumes. Puisque s'il y a déflation, il faut obligatoirement une augmentation des volumes, donc c'est une sorte de course à l'augmentation des volumes.
Je suppose que du coup, vous êtes aussi rémunéré en fonction du résultat et de l'augmentation du chiffre d'affaires. En tout cas, je ne peux que vous le souhaiter. Cela me paraît assez logique.
Deuxième chose, vous nous expliquez que vous êtes attentif à ce qui se passe autour de vous, y compris la prise en compte des objectifs de la loi EGAlim. Mais dans cet ensemble de filières, est-ce que vous estimez que la répartition de la valeur ajoutée, la répartition du revenu de chacun des maillons de la chaîne, est juste ou injuste ? Y en a-t-il qui se servent injustement au passage plus que les autres ? Puisque vous êtes en plein dans cette chaîne, quel est votre avis là-dessus ?
On est presque au bout de la chaîne. Je pense qu'il faut se garder d'avoir des avis là-dessus. Soit il y a un observatoire des marges et on sait exactement ce qu'il se passe, soit on oppose les uns aux autres. Il faut avoir des vrais chiffres. Je suis bien incapable de vous dire comment la chaîne de la valeur est répartie sur la plupart des filières que je traite, sauf celles que l'on vient d'évoquer. Donc, il y a un vrai sujet des données et de transparence là-dessus.
C'est une excellente question, et je vous assure que les derniers jours sont compliqués pour nous. Je pense à mes équipes notamment. Nous pensons que nous faisons un beau métier. Nous sommes fiers du métier que nous faisons. Je suis heureux que la représentation nationale traite ce sujet des relations commerciales.
Je pense que c'est compliqué, les uns disent quelque chose et les autres qui disent autre chose, donc il faut tirer les conclusions de tout cela et tenter d'être objectif. C'est pour cela qu'il faut qu'on ait les chiffres. On ne triche pas quand on a les chiffres. Nous sommes très fiers de notre métier.
Notamment sur un sujet important : le client. On ne pense pas au client. Je vous parlais des Reset Gencod. Il y a des hausses qui sont demandées de 70 %. On parlait du pain de mie. On nous demande d'augmenter le prix aux clients de 70 % et d'augmenter le prix de vente public de 40 %.
On ne va pas s'ériger en défenseur absolu, mais il y a des choses sur lesquelles on est là. Mes collaborateurs sont jeunes, c'est une nouvelle génération, donc ils sont très sensibles à l'ensemble des défis qui nous attendent. Ils vont fièrement en rendez-vous et ils n'y vont pas pour ce que j'ai entendu, pour casser du fournisseur. Je ne comprends pas cela. On peut s'opposer sur des idées. On peut s'opposer effectivement sur des chiffres, mais on ne s'oppose pas en tant qu'hommes et femmes. Nous ne voyons pas cela.
Il y a 20 ans, quand je suis arrivé dans ce métier et que j'étais jeune acheteur, c'était un peu plus « viril », mais les pratiques ont énormément changé. Encore une fois, ils ont trois ans d'expérience, ils découvrent le métier. Ce n'est pas cela, leur vision du métier. Ce n'est pas du tout cela. Ce sont parfois des anciens chefs de produit, donc dans le marketing. Ce sont parfois des anciens chefs de marché, des responsables qualité qui font ce métier-là pour passer sur d'autres carrières ensuite. Ils ne voient pas ce genre de choses-là.
Ce n'est pas possible que tous les industriels vous aient dépeint cette chose-là. Ce n'est pas possible. Il y en a que l'on connaît bien, avec lesquels on a de bonnes relations commerciales. C'est plus difficile avec certains. Je ne sais pas ce qu'ils vous ont dit mais j'imagine que ce n'était pas au niveau de ce que j'ai entendu.
Nous sommes fiers de notre métier, fiers de défendre le client, fiers de développer les ventes, nous sommes fiers des partenariats que nous pouvons avoir avec le monde agricole, de la relation et de la différence qu'on fait avec TPE.
Effectivement, c'est un métier difficile pour les deux parties. Je ne le nie pas, quand on est au 1er mars ou au 2 mars, nous sommes tous éreintés des deux côtés, parce que les enjeux sont colossaux. Il y a une pression sur les épaules des uns et des autres qui pèse. Vous vous rendez compte, il faut fixer la rentabilité et le chiffre d'affaires pour toute l'année.
Nous sommes fiers de ce que nous faisons, et nous ne nous reconnaissons pas dans ce que vous avez décrit.
Ceux qui nous ont expliqué que cela se passait bien se comptent sur les cinq doigts de la main. Il faut dire les choses comme elles sont. Cela veut dire qu'il y a encore des marges de progression aussi dans la qualité, sur les pratiques déloyales, abusives. On a des listes qui paraîtront dans le rapport final de M. le Rapporteur.
Est-il fréquent qu'il y ait des problèmes qui tournent autour de la question des livraisons, des retards de livraison, des ruptures de stock, des problèmes d'approvisionnement de vos magasins ?
Et je voudrais aborder les questions des pénalités dites logistiques.
On essaye de faire en sorte que ce soit le moins fréquent possible, parce que si l'on veut développer le chiffre d'affaires, il faut essayer d'avoir un taux de service qui soit optimal. Cela part effectivement de la production et le fournisseur peut avoir des problèmes de production aussi. Ce n'est pas une activité exacte.
Ensuite, concernant la livraison, il y a des problèmes de transport extrêmement importants en France. Il peut aussi y avoir des problèmes d'automatisation, de répartition sur les entrepôts et puis après, il faut que le point de vente aussi gère bien son réapprovisionnement.
Bien sûr, on estime toujours qu'on a un taux de non-service – comme on l'appelle – et qui n'est pas conforme à nos objectifs.
Nous ne sommes pas sur un objectif 100 % sur les livraisons. On discute les taux avec nos fournisseurs. On ne sait pas si ce sont les taux de la profession mais ce sont ceux sur lesquels on se met d'accord. C'est une longue discussion. Je ne suis pas dans ces discussions-là, parce que ce sont des discussions très techniques. Ce sont des logisticiens qui n'ont pas une approche forcément très aiguë de la négociation chez Intermarché. Ce sont ce que l'on appelle des pilotes de flux, des logisticiens, qui discutent avec les équipes logistiques des fournisseurs sur ces sujets-là.
Il faudra certainement qu'on auditionne des logisticiens – notamment des logisticiens de votre groupe – pour connaître aussi le produit. À partir de quel moment entrent-ils dans le giron du distributeur ? On a l'industriel, il peut y avoir des plateformes, des zones de stockage, il y a la réserve, le magasin. J'imagine que tout cela est aussi à clarifier pour régler le problème des pénalités logistiques, mais il faudrait sans doute aller vers une suppression pure et simple des pénalités logistiques parce qu'il apparaît que c'est un problème qui est récurrent. Non pas les problèmes de logistique – il y a sans doute quelques problèmes comme vous l'avez dit de fabrication, de stockage, de transport, cela peut arriver – mais il y a surtout beaucoup de problèmes de négociation autour de ces fameuses pénalités logistiques, qui, dans certains cas, représentent des sommes significatives. Et peut-être qu'on pourra aller purement et simplement vers la suppression des pénalités logistiques. Il faut sans doute l'envisager.
Je trouve que s'engager sur un taux de service, c'est normal. Il y a beaucoup d'entreprises, beaucoup de filières sur lesquelles il y a un engagement sur d'autres services. C'est sans doute l'abus que vous qualifiez. Nous nous mettons d'accord en toute bonne foi avec nos fournisseurs là-dessus, nous n'avons pas d'objectif particulier.
On ne facture pas à nos fournisseurs – les logisticiens vous diront cela mieux que moi – sans discussion sur le sujet. Parfois la discussion peut être longue, parce que toute pénalité est due par rapport au contrat. Par contre, si le fournisseur démontre qu'il ne doit pas de pénalités, on ne facture pas.
On imagine mal les fournisseurs rompre l'approvisionnement par plaisir, et avoir un problème de transport. S'il y a un problème lié à la logistique, vous ne pouvez pas dire que c'est à cause de votre fournisseur, sauf exception. Il peut y avoir des aléas, mais dans ce cas, vous n'êtes pas infaillible non plus vis-à-vis du consommateur.
Donc, il peut y avoir des aléas, mais dans ce cas-là, il y a des clauses spécifiques pour traiter les aléas spécifiques. Mais de là à dire que les pénalités logistiques doivent être récurrentes et que cela doit systématiquement faire l'objet de négociations afin une fois de plus de tirer une contrepartie financière. Je pense qu'à un moment donné, le meilleur moyen de limiter cet abus – parce qu'il y a certainement des abus – c'est de l'interdire.
Nous sommes quelques-uns à venir de la société civile et il se trouve que dans nos emplois précédents, quelques-uns ont eu à travailler avec la GMS. C'est mon cas. Je n'en veux pas aux Intermarché indépendants de secteur, de territoire, qui sont à leur compte, qui font un travail pas possible, qui eux aussi réduisent leurs marges sans arrêt. Eux aussi sont pris dans un piège, dans un circuit infernal qui est assez lourd.
Par contre, au niveau des centrales d'achat quand je vois que c'est par exemple déconseillé aux femmes enceintes d'aller dans un box de négociation, c'est très lourd. Quand vous dites que vous essayez au minimum d'imputer des frais de retard à un fournisseur… vous ne devez pas faire « au minimum », si c'est en retard de 48 heures, c'est comme cela ! Point. C'est écrit dans le contrat de toute façon. Donc, le transporteur, s'il ne fait pas son travail, s'il y a un problème avec les fortes chaleurs, avec la neige ou autre, on est de toute façon piégé. Et celui qui est piégé, c'est celui qui vient distribuer la marchandise.
Un exemple tout simple. Cela a coûté à l'entreprise 10 000 euros exactement. Une commande a été complètement refusée parce qu'en retard de 48 heures. Il s'agissait de plusieurs palettes de marchandises qui venaient d'Angleterre. C'est arrivé en retard dans la centrale d'achat, et cela a été refusé. Il y avait le petit blister de protection du produit – cela s'appelle les couettes – elles étaient à peine trop épaisses. Cela a été tout simplement refusé. Cela a coûté 10 000 euros, parce qu'il a fallu ramener au fournisseur. La marchandise était inutilisable, et c'était pour une OP (opération promotionnelle) de chez Intermarché, cela a été fini.
Donc je veux bien être d'accord avec le fait que tout le monde doit travailler. Mais il y en a quand même un qui se retrouve piégé par la situation, par des contrats qui sont signés. Quand le même fournisseur traite avec le petit épicier du coin, ce n'est pas le même ordre de force. C'est : j'ai besoin de tes produits, j'ai besoin de te vendre, on voit ensemble. Là, il y a eu un problème, il faut qu'on se débrouille, et on avance ensemble. On est uniquement en marge avant. Pourquoi en être arrivé à ce point-là ? Et que faire ? Parce que ce qui nous amène ici, c'est quand même le revenu de nos agriculteurs, qui fait qu'in fine, on se demande où cela coince, ou cela ne va pas. Que peut-on faire pour revenir à des choses dites normales ?
Nous avons eu votre Président hier qui nous a expliqué – peut être malencontreusement – que sur les pénalités logistiques, sur les ruptures en magasin – parce que ce sont aussi les ruptures en magasin qui amènent le problème des pénalités – que 40 % des ruptures magasin étaient dues à des retards des fournisseurs. Donc, 60 % des ruptures magasin sont dues à vos problèmes de gestion. Cela vous incombe.
Là, en l'occurrence, le petit fournisseur de l'autre côté, vous ne le payez pas parce que le produit n'est pas en rayon. Il ne peut pas vous imputer une pénalité de mise en rayon. Vous voyez ce que je veux dire, vous voyez là où est le problème de proportionnalité de risques et de pénalités ?
Il y a beaucoup d'amalgames, si je puis me permettre. On ne facture pas, on ne pénalise pas, on ne contractualise pas. Avant de facturer, il faut contractualiser, se mettre d'accord sur un taux. On ne contractualise rien avec nos fournisseurs concernant les ruptures que l'on a dans les points de vente. Le fournisseur, dans le cadre de ses CGV – même si parfois c'est déjà mis – discute avec d'autres services logistiques sur les livraisons entrepôt. C'est ce dont, Madame Barbara Bessot Ballot, vous parliez.
Et le fournisseur doit s'engager sur une qualité de service, sinon il dérègle complètement le fonctionnement de l'entrepôt. Quand il y a un rendez-vous qui est pris et qui n'est pas tenu, cela désorganise complètement l'entrepôt. C'est sur ce sujet-là que les choses sont contractualisées et certainement pas sur la présence du produit en magasin ou non. Cela, c'est de la responsabilité du distributeur. Ce qu'on demande à nos fournisseurs, c'est un peu comme si votre entrepreneur vous livrait la maison en retard. Il y a alors des pénalités de retard.
Sauf pour le particulier où cela ne s'applique jamais. Cela n'est valable qu'en « B to B » !
Je comprends, mais le fournisseur lui-même a des engagements de livraison sur sa matière première. Donc, j'imagine qu'il fait la même chose. Et quand il fait appel à un transporteur pour livrer de son usine à l'entrepôt Intermarché, il négocie avec lui un taux de service et son transporteur est facturé également. Cela fait partie de la profession.
Mais entre nous, cela fait partie de la négociation. Un bon fournisseur professionnel s'assure de la qualité de ses produits, de la régularité des livraisons. Vous, en tant que distributeur, vous vous assurez de la gestion de vos stocks. Alors peut-être que si l'on supprime les pénalités logistiques, cela nécessitera un peu plus de gestion de stock chez vous. Mais quand Intermarché fait une publicité, une promotion – par exemple 70 % sur le Nutella – si vous en manquez 24 heures ou 48 heures, même s'il est encore en promotion, est-ce que c'est la fin du monde ?
Mais vous, la distribution, vous avez tellement infantilisé le consommateur, par vos pratiques des politiques commerciales, par les négociations à tous les étages, que vous avez totalement dénaturé la relation du consommateur au produit et notamment aux denrées alimentaires. Vous êtes tellement avides de contributions financières qu'il ne faut rien perdre, y compris sur les pénalités logistiques.
Cela nécessitera une organisation de votre côté. Je pense que les fournisseurs, les belles entreprises que l'on a en France – les PME, les ETI et les multinationales – ont à coeur de servir. Elles nous l'ont d'ailleurs dit, elles ont à coeur de servir les distributeurs de la meilleure des manières. Elles nous ont toutes dit que c'était leur métier de mettre sur le marché des produits de qualité et d'avoir une qualité de service. Autrement, l'année qui suit, dans la négociation, vous reviendrez inévitablement sur la qualité du service qui a été mauvaise. C'est un élément de négociation.
Je ne vois pas pourquoi au cours de l'année, des pénalités logistiques reviennent de manière récurrente et surtout de manière disproportionnée et abusive.
Au sujet des relations que vous avez au niveau européen, vous arrive-t-il d'avoir des personnes de chez AgeCore au téléphone ? Par exemple, échangez-vous régulièrement avec Monsieur Ferrari pour savoir comment se passe la relation avec certains industriels ?
Oui, il m'arrive d'avoir l'équipe AgeCore pour échanger sur des sujets qui touchent aux négociations internationales. Bien sûr.
Et dans les conversations que vous avez avec eux, quand ils vous disent qu'un industriel ne veut pas de vos services, parce qu'il estime qu'il n'en a pas besoin, parce que c'est une « grosse » multinationale. Il ne vend que des produits en France, donc il ne voit pas pourquoi il aurait besoin de payer du service à l'international.
Que faites-vous alors ? Cela vous arrive-t-il de dire que vous allez en parler aux équipes commerciales de l'industriel en France ? Vous dites qu'il y a un problème à Genève avec AgeCore, vous demandez s'il est possible de débloquer la situation, parce que c'est une relation humaine. Et vous en parlez entre vous.
Sur AgeCore, il n'y a que des industriels qui sont présents dans l'ensemble des pays de l'alliance en Allemagne, en Belgique, en Italie, en Espagne et en Suisse, au moins dans plusieurs de ces pays-là. Et puis oui, ce qui nous intéresse c'est de savoir si les négociations aboutissent ou non.
Après, est-ce que l'on échange avec les industriels sur ces sujets-là ? Pas forcément. Cela peut arriver. Mais on n'assure pas le suivi de cela avec les industriels, parce que pour certains d'entre eux, ce sont eux qui vont là-bas, et pour la plupart, ce sont des équipes dédiées, avec parfois des entités juridiques dédiées. C'est-à-dire qu'AgeCore est en miroir avec l'organisation de certains fournisseurs. On traite avec des entités juridiques, avec des collaborateurs, des fournisseurs en France, et ces fournisseurs ont des entités européennes avec des entités juridiques différentes, qui traitent avec les centrales internationales, pas uniquement AgeCore. Donc, ce ne sont pas forcément les mêmes personnes.
Prenons le cas du roi d'un produit qui dit qu'il ne veut pas de ces services. Vous est-il déjà arrivé d'expliquer à la Direction commerciale française que cela allait être compliqué d'avoir un assortiment plus important par rapport à son concurrent qui est aussi français, qui vend peut-être aussi à des multinationales mais en France ?
Si la marque A a signé des services à Genève, et que la marque B est un peu réticente à signer ces services parce qu'elle estime que cela ne lui va pas, cela transpire-t-il sur les négociations au niveau local ? Et forcément il y en a un qui veut participer et donc qui investit au niveau international. Donc, il est logique qu'il ait une place plus proéminente sur les rayons. Vous l'avez dit, les rayons ne sont pas extensibles. Celui qui participe, qui investit, a plus de chances de voir aboutir sa négociation et sa demande inflationniste ou une déflation plus légère. Est-ce le cas ?
Dans la majeure partie des cas, un accord est trouvé. Il peut arriver effectivement que la négociation ait échoué, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'accord international. Là-dessus, il n'y a pas de système de démarche homothétique. Cela dépend des industriels.
Vous comparez un industriel A et un industriel B. Vous pouvez avoir des industriels chez qui il y a un niveau de compétitivité, avec un écart entre les deux qui est important. Cela veut dire que c'est embêtant de ne pas être d'accord sur l'international, mais cela ne remet pas tout en question.
On « mouline » deux aspects sur la proposition économique. D'abord, le produit rencontre son client. Cela nous dit si le produit est incontournable et s'il fait bien son job de grande marque. Et puis après, il y a le niveau de marge qui est généré, le niveau de compétitivité. C'est ce que nous pouvons reconsidérer quand nous avons l'information.
Quand nous avons eu vos dirigeants en audition, voici ce qu'ils nous ont expliqué : il y a les négociations internationales, ce sont des services internationaux pour un développement International. Il y a un effet de sas. En France, ils ne sont au courant, de toute façon, on ne se connaît pas, on ne s'appelle pas. Monsieur Gianluigi Ferrari est en Suisse, il n'appelle personne. Ce qui se passe en France reste en France. Quoi qu'il en soit, si on ne veut pas de service international, ils ne sont pas obligés de l'acheter. Nous ne faisons que proposer. Donc, cela n'impacte pas le marché français.
Et là, vous me dites exactement l'inverse. Vous me dites que quand vous avez un problème en Suisse, le téléphone sonne : « Attention, j'ai un problème en Suisse. Il y a tel industriel qui ne veut pas signer. Son produit est un produit-phare, mais on ne va peut-être pas lui prendre toute sa catégorie. ». C'est ce qui nous est remonté aujourd'hui, c'est clairement cela : si on ne signe pas des services que l'on ne souhaite pas, que l'on estime complètement inutiles, en plus de se faire déréférencer dans d'autres pays on va même se faire déréférencer dans notre propre pays. Voilà ce qui nous est remonté. Et là, vous êtes en train de me dire que quand il y a un problème, vous appelez AgeCore, et on vous dit que puisqu'il ne veut pas signer, vous allez mettre le pied sur le frein sur les négociations nationales !
Je n'ai pas du tout l'impression de vous avoir dit cela. Je vais donc essayer d'être le plus clair possible. J'ai écouté mes dirigeants, je n'ai pas entendu cela. 100 % des sommes négociées sur la Centrale internationale en France redescendent en France. C'est dans l'économie du dossier, ce qui est normal, les sommes négociées redescendent à 100 % en France. Cela fait partie de la compétitivité du dossier. Il n'y a pas de démarche significative, mais quand vous avez une compétitivité de dossier qui change d'une année sur l'autre, cela peut être un sujet. Donc, il n'y a pas de démarche systématique, mais cela peut être un sujet d'inquiétude pour nous, d'abord sur notre profitabilité et la pérennité de notre business.
Ce que le Rapporteur explique, c'est que d'un côté on nous explique que les négociations sont totalement séparées. Et là, vous nous expliquez qu'il y a un rapport permanent entre vous, Directeur des achats marques nationales Intermarché, et la Centrale internationale AgeCore. Cela explique qu'il y a vraiment un lien entre l'achat d'un produit et la négociation de contreparties avec le fournisseur, avec l'industriel qui produit, qui fabrique ce produit. C'était la question de Monsieur le Rapporteur.
D'un côté, on nous dit : les discussions sont totalement séparées, ce qui se passe à Genève regarde les administrateurs et les négociateurs d'AgeCore. Et ce qui se passe chez Intermarché ici en France regarde Intermarché et c'est notre affaire. Et vous, vous nous dites qu'il y a bien des échanges, des allers-retours. Les négociations se font de manière coordonnée et non pas cloisonnée.
Je ne suis pas de cet avis. Les discussions sont d'un côté sur AgeCore. Elles sont menées effectivement par ces sociétés de services. On discute avec nos fournisseurs, on a souvent des interlocuteurs, le plus souvent différents. Ce qui n'est pas cloisonné, ce sont par exemple les performances d'un produit. Quand un produit ne fonctionne pas, les chefs de marché français et directions d'enseigne nous le disent.
Et sur l'économie du dossier – comme je vous ai dit – il y a deux composantes : la performance des produits latente qu'ils retrouvent auprès du client, et l'équation économique de marge sur un dossier.
Si vous ajoutez les services additionnels qui sont vendus sur ces sociétés de services, et le fait qu'on n'a plus rien, parce qu'on n'arrive pas à trouver un accord – cela arrive dans une minorité des cas mais cela peut arriver – c'est un sujet qui impacte l'économie du dossier.
Finalement, vous êtes un négociateur, vous qui êtes Directeur des achats. Est-ce qu'il ne serait pas plus simple d'avoir une discussion globale, c'est-à-dire on parle du produit, on parle du plan d'affaires, on parle d'éventuels services afférents au plan d'affaires et aux produits, et que tout cela se passe avec les mêmes interlocuteurs. Plutôt que d'avoir trois niveaux de discussion, trois structures de négociation. Ce serait plus simple, plus sain, plus sincère, et cela irait dans le sens des valeurs dont vous parliez tout à l'heure. La responsabilité sociale de l'entreprise, être un bon citoyen, ce dont je ne doute pas, mais est-ce que ce ne serait pas plus simple ?
Parce que ce montage, cet écosystème que les distributeurs ont créé, je comprends bien que cela permet d'avoir des centres de profit à l'international, un centre de profit à Genève, un centre de profit à Bruxelles, mais on voit bien que cela complexifie les négociations dites commerciales. Cela tend les relations et à l'arrivée on parle de tout sauf du produit.
On ne parle pas de tout sauf du produit, mais c'est vrai que quand on doit répondre à vos questions, on parle surtout du prix. Mais je vous assure qu'on ne parle pas de tout sauf du produit. Heureusement, sinon nous aurions un métier qui ne serait pas très passionnant. Ce serait bien si le monde était plus simple.
Je suis assez jeune dans la fonction. J'ai une petite quarantaine d'années. Tout le sujet de l'internationalisation des groupes, des entreprises agroalimentaires et des groupes de distribution a fait qu'il y a un miroir chez les industriels. Vous avez des comptes clés internationaux, européens, ou des comptes clés internationaux globaux, qui rencontrent les centrales d'achat internationales des différents distributeurs. Il n'y a pas que les distributeurs français qui ont des centrales d'achat internationales. Le système est celui-ci. Il y a des centrales, des sociétés de services chez tous les distributeurs dans le monde, comme il y a du côté fournisseurs des comptes clés internationaux.
On a bien compris au fil des auditions qu'il y avait une forme de mimétisme, notamment chez les distributeurs français. Nous en avons même rencontré qui nous ont dit qu'ils étaient structurés en centrale d'achat par obligation, parce que les concurrents y sont. Ils se sentent alors obligés de construire la même architecture de négociation, parce que cet argent qu'ils peuvent récupérer grâce à ce centre de profit sur les centrales d'achat, il vaut mieux ne pas le perdre. S'ils ne négocient pas à différents niveaux, c'est une perte d'argent pour eux, donc ce sont des parts qui s'en vont pour leurs concurrents, les autres enseignes.
Je regrette que la vision de ce qui vous a été dit soit aussi simpliste, sincèrement.
C'était en séance publique, vous pourrez « revisionner » les auditions. Cela nous a été dit in extenso.
De mon point de vue, il ne faut pas balayer d'un revers de la main le fait qu'il y a une vraie réalité. Vous avez des comptes clés internationaux chez les fournisseurs qui essayent d'optimiser les accords internationaux, et d'avoir le plus de services possible.
J'ai suivi des auditions donc je sais parfaitement quel est votre point de vue sur le sujet des services. Je ne suis pas en accord avec cela. Il y a des vraies choses que nos industriels veulent acheter. Parfois, on doit résister sur le nombre de services qu'ils achètent pour développer leur business. Quand vous achetez une « euro promo » – c'est-à-dire plusieurs produits regroupés sur une même page chez Intermarché – vous créez un business supplémentaire que vous n'auriez pas si vous n'aviez pas acheté le service sur la centrale d'achat.
Nous vous remercions d'avoir participé à cette audition et pour la nature de nos échanges. Le cas échéant, Monsieur le rapporteur et moi-même vous écrirons pour vous demander des compléments, si cela était nécessaire.
Merci à vous. Cette audition est terminée.
L'audition s'achève à dix-huit heures cinquante-cinq.
Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 9 juillet 2019 à 17 heures
Présents. - M. Thierry Benoit, M. Grégory Besson-Moreau, Mme Barbara Bessot Ballot, Mme Josiane Corneloup, M. Yves Daniel, M. Hervé Pellois
Excusé. - M. Arnaud Viala