Intervention de Ludovic Châtelais

Réunion du mercredi 10 juillet 2019 à 19h00
Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Ludovic Châtelais, directeur général de Cora :

Je représente en tant que directeur général la société Cora France, une filiale du groupe belge Louis Delhaize, fondé en 1875. Cora France est un acteur historique de la distribution en France et présente quelques singularités.

Nous sommes les plus petits acteurs de la grande distribution française avec 2,6 % de part de marché et 61 hypermarchés exploités en France. Nous sommes un groupe intégré avec un mode de fonctionnement décentralisé avec comme principe directeur pour chaque magasin le « marketing de site », qui vise à mettre en place un assortiment le plus adapté à son environnement et qui se traduit par un référencement local important.

Cora France emploie 18 000 collaborateurs, soit près de 300 par magasin, majoritairement implantés sur le quart nord-est de la France, principalement dans des villes de taille moyenne, faisant de nos magasins des acteurs importants à l'échelle locale, avec des emplois non délocalisables. Le chiffre d'affaires (CA) 2018 de Cora France est de 4,4 milliards (carburants compris) et 3,6 milliards (hors carburants). La taille moyenne de nos hypermarchés est de 8 000 m². Nous évoluons actuellement sur le format le plus délicat de la grande distribution, notre mix de chiffre d'affaires alimentaire et non alimentaire étant historiquement équilibré.

Mais ces dernières années, avec la dématérialisation de certains supports (CD, DVD), la montée en puissance du e-commerce et l'arrivée de nombreux spécialistes sur ces secteurs d'activité, le chiffre d'affaires non alimentaire s'effondre, nous obligeant à repenser notre modèle.

Ce phénomène n'échappe pas à l'alimentaire, avec les nouveaux entrants sur nos zones de chalandise : Action, Grand Frais, Lidl, qui multiplient les implantations dans les villes moyennes.

Ce format souffre également d'un écart de compétitivité par rapport à ses concurrents en raison de contraintes fiscales propres à la surface et aux valeurs du chiffre d'affaires que n'ont pas ces nouveaux concurrents comme la taxe sur les surfaces commerciales (TaSCom), la taxe locale sur les enseignes et publicités extérieures (TLPE) et la contribution foncière. Ce format ne se développe donc plus et fait face à l'arrivée massive de formats de moins de 1 000 m².

Notre taille critique, avec un faible pouvoir de négociation face aux concentrations des grands industriels dans un contexte de guerre des prix depuis 2014, nous a contraints à chercher des alliances à l'achat afin de maintenir notre compétitivité. Le rapport de force évoqué entre grande distribution (GD) et grands industriels est loin d'être une réalité pour nous et je suis à votre disposition pour développer en huis clos cette situation actuelle.

En l'absence d'alliance à l'achat, notre décrochage en termes de conditions d'achat avec ces grands groupes internationaux et de compétitivité en aval aura été fatal à notre enseigne, au point d'être présent ce jour pour évoquer ce sujet avec vous.

Je vais développer en quelques points notre fonctionnement achats avec Carrefour sur la structure Interdis. Les caractéristiques de l'adhésion Interdis avec Carrefour ne concernent que les principaux fournisseurs, au nombre de 209, à savoir 179 sur la partie alimentaire et 30 sur le non alimentaire. Par fournisseurs principaux, j'entends les fournisseurs internationaux avec un portefeuille de marques. Ces 209 fournisseurs représentent 4 % de nos 7 000 fournisseurs et réalisent 49 % du chiffre d'affaires. Vis-à-vis de ces énormes groupes, nous avons disparu de la négociation. Nous apportons nos petites parts de marché à Interdis. L'accord est un accord d'adhésion aux centrales de Carrefour pour négocier l'accord-cadre annuel avec les fournisseurs. Il garantit le maintien de concurrence en aval et aux positions géographiques de nos deux enseignes. Par ailleurs, chacune des enseignes est autonome sur la mise en oeuvre des dynamiques promotionnelles et des nouveaux instruments promotionnels (NIP). Les logistiques sont également indépendantes.

En dehors de ces accords, Cora a mandaté la société Provera, filiale de Louis Delhaize, représentée par Lionel Barbaras, qui négocie directement auprès des fournisseurs de taille intermédiaire et régionaux.

Provera négocie avec 2 094 fournisseurs qui pèsent 30 % du chiffre d'affaires, dont 904 en alimentaire et 1 190 en non alimentaire.

Enfin, Cora achète et négocie directement pour ses magasins via les achats effectués par nos managers de rayon auprès de 4 743 fournisseurs locaux, pour 21 % du chiffre d'affaires.

En conclusion, dans un marché d'hypermarchés très chahuté, sans cette compétitivité « achats » via nos adhésions aux centrales d'achat, les consommateurs n'entreraient plus dans nos magasins, ce qui aurait pour conséquence leur fermeture et la perte d'emploi de nos 18 000 collaborateurs, et priverait tous nos fournisseurs locaux de ces débouchés. Le consommateur trouverait toujours les produits de grande consommation de ces fournisseurs industriels chez nos concurrents, mais pas les offres de ces fournisseurs locaux, qui sont des produits différenciés.

Les conséquences d'une perte de compétitivité à l'achat induiraient la concentration du nombre d'acteurs sur le marché de la grande distribution par la disparition des petits acteurs.

Au-delà de l'intérêt pour le consommateur et celui de son pouvoir d'achat, la diversité du paysage des enseignes de la grande distribution contribue à garantir l'équilibre des relations commerciales.

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