Intervention de Thierry Benoit

Réunion du jeudi 11 juillet 2019 à 9h00
Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Benoit, président :

Convenons-en ensemble, la distribution, le commerce, c'est quelque chose qui est évolutif, et nous le voyons bien, en pleine mutation en ce moment, au moment où la commission d'enquête procède à son à son travail d'audition. Nous sommes vraiment en pleine période de mutation. Convenons ensemble que les distributeurs ont fait preuve depuis un certain nombre d'années de créativité. Nous voyons bien la complexité, l'écosystème qui a été créé pour améliorer le cadre de la négociation.

Si nous regardons un peu dans le rétroviseur, et si nous essayons de dresser des perspectives et de nous projeter de la loi « Galland » à la loi issue des États généraux de l'alimentation (EGA), en passant par la loi de modernisation de l'économie (LME) de 2008, et la loi Sapin 2, êtes-vous d'accord pour convenir que la guerre des prix – qui s'est amplifiée depuis une petite dizaine d'années – dénature totalement la relation du consommateur au produit ? Je prends l'exemple de la promotion sur le Nutella : comment pouvons-nous expliquer au consommateur que le prix d'un pot de Nutella va subitement baisser de 70 % ?

Ensuite, vous ne pouvez pas contester le fait que l'on négocie en déflation sur une majorité de produits, alors que c'est le « bon sens paysan » : tout augmente ! Le coût de l'énergie, la main-d'oeuvre, l'investissement, les programmes de recherche, les lois ou la réglementation sanitaire et environnementale, tout ce qui tourne autour de la responsabilité sociale de l'entreprise. Tout ceci fait que nous avons du mal à comprendre que nous soyons majoritairement en déflation lorsque vous êtes en période de négociation.

Ce qui nous préoccupe dans la relation du consommateur au produit, c'est l'avenir de l'industrie et de la production industrielle en France.

Un Directeur France d'une multinationale, quel est son premier concurrent ? C'est bien souvent dans sa même entreprise, celui qui produit en Allemagne, en Italie ou en Espagne. Lorsqu'il rencontre son Directoire, on le presse tellement que cette multinationale va avoir intérêt à encourager, accentuer ses investissements à l'extérieur de la France, ce qui fragilise d'autant la production industrielle et l'emploi industriel en France.

Le dernier point, ce sont les producteurs. Nous négocions avec les producteurs, cela peut être les producteurs de denrées alimentaires – notamment des agriculteurs – mais aussi les producteurs de produits d'hygiène, de beauté et autres. Parce que cet encadrement des promotions sur les denrées alimentaires, nous avons bien compris – et d'ailleurs certains l'avaient compris dans le cadre des débats de la loi EGAlim – que nous avons déporté la problématique de l'encadrement des denrées alimentaires sur ce qui est non-alimentaire.

Ce que l'on reprochait à l'alimentaire il y a un an ou deux – c'est-à-dire 4 entrecôtes pour le prix d'une, et ainsi de suite – nous allons le retrouver sur ce qui est non-alimentaire. Tout cela vise à fragiliser un arsenal français : le consommateur, les industriels, mais aussi les producteurs et notamment les agriculteurs. C'est ce qui explique que la Commission d'enquête s'intéresse aux négociations commerciales et notamment au rôle que peut avoir le regroupement à l'achat, mais aussi certaines centrales internationales.

On parle souvent dans notre pays de valeur ajoutée. Nous avons bien compris depuis quelques semaines qu'en termes de valeur ajoutée, les centrales internationales s'apparentent à des centres de profit facile. Vous avez face à vous un certain nombre d'interlocuteurs que vous classez par catégorie : les fournisseurs locaux, les PME, les entreprises de taille intermédiaire et les multinationales. En fonction du résultat ou de la capacité à faire du résultat de votre fournisseur, vous vous dites qu'il y a une contrepartie financière potentiellement exploitable que vous pouvez obtenir. Vous avez tous créé ce système des centrales internationales – que vous appelez les centrales de négociation ou les centrales de services – qui visent à capter de la contribution.

Sur l'ensemble de l'arsenal des négociations à tous les niveaux – depuis le niveau local jusqu'au niveau international – nous voyons bien qu'on dénature totalement le rapport au prix dans la négociation.

Vous vous y retrouvez parce que certains acteurs de la distribution nous ont expliqué que finalement, leur oxygène, c'était ce qui leur était redistribué par les centrales internationales.

Je pense que notre rôle est d'essayer d'y voir un peu plus clair au niveau français, d'encourager l'Europe aussi à bouger – notamment l'Autorité de la Concurrence – et à regarder ce qui se passe.

Nous pouvons au moins vous savoir gré à vous, E. Leclerc, d'avoir vos centrales en Europe. C'est quelque chose qui vous distingue de certains autres interlocuteurs. Je le dis parce que c'est une réalité.

Il y a quand même un sujet. Comprenez que les modestes députés que nous sommes s'intéressent à ce sujet. Nous tourons le projecteur vers les distributeurs et les centrales d'achat françaises et internationales dans l'espoir que les politiques, les gouvernements, les exécutifs français et européens s'y intéressent encore plus parce que nous sommes convaincus qu'il y a un sujet.

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