Intervention de Alexandre Bompard

Réunion du jeudi 11 juillet 2019 à 14h30
Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Alexandre Bompard, président-directeur général du groupe Carrefour :

Première chose, je suis ravi d'être ici. Vous m'avez beaucoup rassuré dans la réponse à mon courrier puisque vous m'avez dit que vous vouliez en effet parler de la vision économique et stratégique du secteur, c'est ce que l'on est en train de faire. Je crois que c'est plutôt ma place et que je peux vous apporter quelque chose. Le but du jeu est que cela soit efficace pour vous.

Vous avez utilisé en fin de votre propos le terme de « réalité économique ». Voyez-vous, monsieur le rapporteur, vous avez été entrepreneur. Quand vous étiez entrepreneur, je suis sûr que vous regardiez la manière dont votre chiffre d'affaires se développait – c'est l'activité commerciale –, comment cela marchait. Mais ce n'était pas le développement de chiffre d'affaires qui vous fragilisait ou qui pouvait faire qu'un beau matin vous mettiez la clé sous la porte. C'était votre résultat économique et c'était la situation de votre trésorerie. On ne mesure pas la puissance d'un groupe au montant de son chiffre d'affaires. Si c'était le cas, je pèserais autant, jusqu'à il y a 18 mois, qu'Amazon. Amazon fait 40 fois, 50 fois selon les semaines, la capitalisation de Carrefour.

Vous parliez des grands industriels mondiaux. Si c'était le cas, j'aurais une capitalisation boursière, puisque c'est un juge de Paix économique de la puissance, de la bonne santé, de l'avenir, etc. Elle serait supérieure à celle de Danone. L'est-elle ? Bien sûr que non. Coca-Cola ? Bien sûr que non. Procter & Gamble ? Bien sûr que non. Nestlé ? Bien sûr que non. Les grands acteurs de la distribution française sont des nains économiques à l'égard de ces industriels. Ce n'est pas le montant du chiffre d'affaires qui fait la puissance d'une entreprise, c'est son équilibre, sa profitabilité, sa croissance organique. C'est l'ensemble de ces éléments-là. Vous disiez : « Je comprends le terme ». Ne croyez pas que je suis agacé. J'ai été parfois triste des débats que vous avez eus, mais là c'est le nouveau converti à la grande distribution qui vous parle, je dois avoir une passion naissante. Lorsque l'on travaille dans la grande distribution, que l'on voit les 300 métiers que font les femmes et les hommes – nous avons 400 000 collaborateurs dans ce groupe – et que nous avons parfois le sentiment que ces 300 métiers sont résumés au montant des marges, à « On écrase l'industriel, la PME, ou l'agriculture », ce qui n'est absolument pas le cas de ces métiers, parfois, on a un peu d'agacement ou de tristesse pour les équipes. Ce sont des métiers.

Je vous remercie d'avoir dit avec beaucoup, j'en suis sûr, de convictions que vous n'étiez pas contre le modèle de la grande distribution. Non, nous ne sommes pas plus puissants que ces groupes-là. Tous les indicateurs économiques le montrent. Je vous citais ce chiffre, je suis peut-être passé un peu vite dessus : 18 % de profitabilité moyenne des 50 plus grands industriels mondiaux du secteur. Pour les meilleurs du secteur de la grande distribution, c'est 2 %. C'est le juge de paix de la puissance économique. Non, nous ne sommes pas à égalité sur ce terrain-là. Nous sommes même bien loin. Comme je sais que ce secteur vous passionne, si vous regardez un peu l'état de la grande distribution dans le monde, vous mesurez, France incluse, le nombre de grands acteurs dont on se disait : « Ils font 10, 20, 30 milliards d'euros de chiffre d'affaires », mais qui sont en difficulté, qui licencient, qui sont en phase de restructuration, ou qui parfois disparaissent. C'est un secteur qui est en proie, parce qu'il y a des difficultés, à des transformations extrêmement délicates à mener avec des risques de sinistralité très forts.

Pour répondre à votre question sur la déflation. Vous savez quel est mon métier, je vous le disais, dans un contexte de concurrence. Pardon, monsieur le président, mais ce n'est pas un cartel ; ce n'est pas un oligopole ; là non plus ce n'est pas la définition du cartel ou de l'oligopole. Quand huit acteurs font plus de 8 % de marché, qu'ils se mènent une compétition tous les jours, c'est de la concurrence quasi pure et parfaite. Il n'y a pas de secteur où il y a autant de concurrence pure et parfaite que le nôtre. Donc quand huit acteurs se font une compétition tous les jours pour attirer les clients, les faire venir, les fidéliser, etc., quand huit acteurs se font une compétition comme cela, que nous demandent les clients ? Ils nous demandent le bas prix, parce qu'il y a la contrainte de pouvoir d'achat que vous parlementaires vous connaissez mieux que quiconque. Vous connaissez cette contrainte, c'est ce qui nous a conduits aussi le 17 novembre dernier, à travers cet épisode très difficile pour notre pays, à prendre conscience du poids, de la prégnance de ces contraintes de pouvoir d'achat. Donc les clients nous demandent des prix bas. Ils nous demandent de la qualité, et c'est le formidable mouvement d'aspiration à la qualité alimentaire aujourd'hui. Et puis ils nous demandent, vous avez raison, c'est le troisième élément, de la responsabilité dans la relation avec le producteur. Le producteur agricole n'est pas notre ennemi. Je vous parlais des filières qualité, c'est extraordinairement important pour nous. Nous avons besoin d'un monde agricole qui va bien. J'achète pour un milliard d'euros, rien que pour le groupe Carrefour, de produits agricoles. J'ai besoin d'une agriculture française qui va bien. C'est absolument nécessaire.

Venons-en à inflation ou déflation. Venons-en au fond à la manière dont sont structurées ces opérations. Je suis industriel, je viens voir un jour – enlevons les centrales, ce sera plus simple – Carrefour. Je dis : « Voilà, moi j'ai une inflation de 5 %. Je propose 5 % d'augmentation. » Moi, mon objectif, ce n'est pas de transmettre ces 5 % au consommateur final. Sinon, si je fais le même exercice, moi aussi, comme j'ai des coûts aussi qui augmentent chaque année, moi aussi j'ai 5 % d'inflation, vous le mesurez bien : j'ai l'augmentation des matières premières, l'augmentation du coût du travail. Bref, nous avons les uns et les autres de l'augmentation de coûts. Notre travail, c'est d'abaisser, de compenser, par des plans d'économie ou par des gisements de productivité ou par nos organisations, ces éléments-là. L'industriel, quand il y a une augmentation de coût, de la matière première, c'est à travers sa taille de faire le travail qui lui permet de se retrouver dans un bon équilibre économique autour de 0,1 %. Comme moi, exactement de la même manière, je dois être capable de compenser mon augmentation naturelle de 5 % pour arriver à un prix assez stable. Au fond vous le voyez, les coûts alimentaires depuis 10 ans, les prix alimentaires, ont évolué comme l'inflation dans notre pays. Ils n'ont pas baissé. Ils ont été au même niveau, une inflation autour de 0,1 %. Notre travail d'industriel et de grand distributeur, c'est à travers nos organisations, nos volumes, nos opérations de productivité, notre meilleure organisation, d'arriver à compenser l'augmentation des prix de matières premières éventuelles, pour arriver à une inflation zéro, que nous demandent les consommateurs et le client final. Ils nous le demandent, évidemment, parce que la contrainte du bas prix est importante. C'est comme cela qu'on arrive à ce 0,1 %.

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