L'audition est ouverte à quatorze heures quarante.
Nous accueillons cet après-midi une délégation du groupe Carrefour, à savoir M. Alexandre Bompard, président-directeur général du groupe Carrefour, M. Laurent Vallée, secrétaire général de Carrefour France, et M. Jérôme Hamrit, directeur marchandises de Carrefour France.
S'agissant d'une commission d'enquête, il me revient, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Monsieur Alexandre Bompard, monsieur Laurent Vallée, monsieur Jérôme Hamrit, veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».
MM. Alexandre Bompard, Laurent Vallée et Jérôme Hamrit prêtent successivement serment.
Nous sommes en commission d'enquête en audition publique ouverte à la presse. Si vous jugez, monsieur le président-directeur général, qu'une partie de nos échanges nécessite le huis clos, nous pourrons naturellement l'organiser, si vous considérez que des points d'ordre stratégique ou hautement confidentiels sont abordés. Je suis accompagné de Grégory Besson-Moreau, qui est rapporteur de notre commission d'enquête, et avec les membres de la commission qui sont présents, nous allons pouvoir procéder aux échanges et questions.
Pour être tout à fait sincère, puisque c'est l'exercice, je dois vous avouer que je suis à la fois heureux et préoccupé par cette audition.
Heureux d'un échange avec vous, bien sûr, d'abord en raison de la considération que je dois, avec mes collaborateurs, à la Représentation nationale. En prenant connaissance des premières auditions, je vous avais écrit que j'avais le sentiment que les questions soulevées relevaient davantage des pures questions et relations commerciales et que mes collaborateurs seraient mieux placés pour vous répondre techniquement. Vous m'avez indiqué que vous souhaitiez évoquer la stratégie et l'avenir de la grande distribution – ce qui me paraît à la fois tout à fait utile et, à mon sens, plus essentiel – et comme beaucoup de gens qui n'y ont jamais mis les pieds se sont exprimés depuis trois mois sur ce secteur, qu'un acteur qui y travaille donne son avis ne peut pas faire de mal.
Préoccupé ensuite, parce que si je dois reconnaître que je n'ai pas pris connaissance de l'ensemble de vos travaux, les comptes rendus qui m'ont été transmis, ce que j'ai pu lire de certaines auditions publiques m'ont donné parfois le sentiment qu'au lieu d'un débat constructif et serein sur l'ensemble de la filière agroalimentaire, s'était exprimée trop souvent devant vous une nouvelle volonté – je dis « nouvelle », parce qu'elle est finalement très ancienne et très classique – de diabolisation des – je cite, puisque je crois que c'est le titre de votre commission – «… pratiques de la grande distribution ». Je ne suis pas convaincu, pour être tout à fait honnête, que ce soit le meilleur moyen d'aborder le sujet, assez « franco-français » dans son approche et traité d'ailleurs sous cet angle-là à de multiples reprises.
Bien sûr, il existe des dysfonctionnements dans les relations entre l'industrie et la distribution. Bien sûr, il y a des excès condamnables. Sans doute ces relations connaissent-elles des désaccords – j'allais vous dire, comme dans toutes les relations d'affaires. Au contraire d'un certain nombre de personnes qui se sont succédé, il m'est arrivé d'être dans d'autres secteurs, je vous avoue que je n'ai pas vu de grandes différences dans les relations d'affaires entre les secteurs que je connaissais avant et celui-là. J'ai l'impression que l'on a parfois devant vous exagéré un peu l'anomalie et généralisé la caricature. Pour ma part, puisque vous m'y invitez, je vais essayer d'apporter une contribution à votre réflexion, d'abord en rappelant quelques éléments sur le contexte des relations entre la distribution et ses fournisseurs. Ensuite, en vous livrant quelques commentaires sur les différents points qui ont été régulièrement soulevés devant vous.
D'abord, vous m'autoriserez à vous rappeler dans quel cadre la distribution évolue. Contrairement à ce que j'ai beaucoup entendu, la grande distribution a un rôle dans un pays, dans une société, dans une économie. Carrefour a 60 ans cette année. Au cours de ces 60 années, la distribution a eu un rôle principal, premier, pas le seul, mais celui-là est essentiel : démocratiser l'accès à la consommation. Vous le savez, dans les années 50, 60, c'était des produits dits « de luxe » : le foie gras, le saumon, certains vins frais etc. Dans les années 60, c'était des produits liés au non alimentaire, micro-informatiques, téléphones portables. Aujourd'hui, nos clients attendent de nous de rendre accessibles le bio, le manger sain, la qualité. C'est l'ambition de carrefour, résumée par ce qui est devenu, vous le savez sans doute, dans nos statuts, comme la loi PACTE nous y autorisait, notre raison d'être : « la transition alimentaire pour tous ». Au cours de ces 60 années, la distribution a répondu aux exigences de plus en plus fortes des consommateurs. Elle est aujourd'hui en position de garant de la qualité et de la sécurité alimentaires. Elle est le relais des industriels et du monde agricole, car elle est aux avant-postes de la relation avec les clients. La distribution française, Carrefour en particulier, est aussi aux avant-postes du commerce mondial. Carrefour, groupe le plus mondial parmi les acteurs français, a permis la diffusion des produits français et, au-delà, d'une image de la France dans les 40 pays où nous sommes aujourd'hui présents.
Aujourd'hui, la distribution française est confrontée à une rupture historique liée aux nouveaux modes de consommation, liée à la transformation digitale. Ses grands concurrents mondiaux ont changé de visage. Ils s'appellent Amazon, ils s'appellent Alibaba. Leur chiffre d'affaires est trois fois plus important que celui du groupe Carrefour, leur capitalisation boursière, 50 fois supérieure, et leur taux de croissance était situé entre 30 et 50 %. Vous le savez parce que vous suivez bien d'autres secteurs, dans de nombreux secteurs, ce qui nous guette, ce qui nous menace, c'est qu'il n'y ait plus guère d'espace entre les États-Unis et la Chine. Cela peut être le cas pour la distribution.
Cette logique de globalisation qui voit s'affronter des géants disposant de marchés intérieurs vastes et solides impose une taille critique que les entreprises européennes, et parmi elles les entreprises françaises, n'atteignent pas. Cela a entraîné des regroupements, parfois capitalistiques, parfois non capitalistiques qui sont à tort critiqués. À mon avis, il est inévitable et souhaitable qu'il y en ait d'autres. Alors que nous devons affronter une transformation sans précédent pour mener cette bataille, nous sommes aussi, vous le savez évidemment, pénalisés par une fiscalité inadaptée. L'impératif aujourd'hui est de mettre un terme au déséquilibre fiscal entre des enseignes comme les nôtres et les plateformes universelles, qu'elles soient américaines ou chinoises.
Nous avons le grand bonheur de payer en France 83 impôts différents. À chiffre d'affaires équivalent, nous créons quatre fois plus d'emplois, et ces plateformes déversent leurs produits sur nos marchés sans payer de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ni quasiment aucun impôt. Nous faisons face – et c'est le sujet notamment de votre commission – à de grands industriels mondiaux. Ces grands industriels trouvent une croissance nouvelle chez les « géants » que je viens d'évoquer. Les caractéristiques de ces grands industriels, c'est qu'ils sont plus importants, plus internationaux, plus concentrés, souvent dominants sur leurs marchés ou leurs familles de produits, et surtout, ils sont plus rentables. En vous rejoignant il y a quelques minutes, je lisais l'étude qui vient d'être publiée par le cabinet de stratégie OC&C qui montrait que la profitabilité moyenne des 50 premiers acteurs des produits de grande consommation dans le monde était à un niveau record de 18,5 %. Je me suis donc livré au même exercice pour les 50 premiers distributeurs mondiaux. Nous sommes à 0,7 %. Vous mesurez là la différence de puissance, puisque la puissance économique ne vient pas du montant de chiffre d'affaires, elle vient de la profitabilité des modèles. Vous les connaissez ces entreprises qu'on a beaucoup entendues ici, elles s'appellent Coca-Cola, Unilever, Nestlé, Procter & Gamble.
Avec le temps, le marché français est devenu de moins en moins essentiel. C'est le cas y compris pour les entreprises françaises avec lesquelles Carrefour a une relation historique. Prenons le cas de nos partenaires, de Danone, ils réalisent 10 % de leur chiffre d'affaires en France. Pour Carrefour, la France c'est 60 % de son chiffre d'affaires. En France, Carrefour dispose d'une part de marché qui est autour de 20 %. Cela vous donne une idée du très faible poids que représente aujourd'hui Carrefour pour un acteur comme Danone : 2 % de son chiffre d'affaires mondial. Un point distingue la France et la distribution française : la part des petites et moyennes entreprises (PME). Carrefour travaille avec 6 000 PME en France. Ces marques, des PME, des très petites entreprises (TPE), des entreprises de taille intermédiaire (ETI) représentent 22 % du chiffre d'affaires de notre enseigne, mais 50 % de notre croissance. Chez Carrefour, nous avons une relation ancienne et durable avec ces PME. Elles jouent un rôle stratégique d'équilibre par rapport aux grands industriels mondiaux. C'est l'importance des marques de distributeurs (MDD). Elles assurent la diversité de nos assortiments. Elles favorisent l'innovation.
La distribution, enfin, continue de contribuer à l'emploi alors même qu'elle souffre. Prenons encore le cas de Carrefour, c'est 10 000 personnes en France. Si nous avons eu un plan de départs en 2018, nous avons embauché au cours de cette même année 40 000 nouveaux collaborateurs, dont près de 10 000 en CDI. Je ne compte pas les emplois indirects qui sont liés aux activités de la distribution.
J'en viens, mesdames et messieurs les députés, à certains points qui ont été soulevés au cours des auditions publiques. Je n'ai pas eu accès aux propos qui ont été tenus en commission à huis clos, évidemment. D'abord, oui, je l'ai dit en introduction, je le répète, il peut y avoir des dysfonctionnements ou des excès dans les pratiques de la distribution. Pour autant, il ne me paraît pas acceptable de jeter régulièrement l'opprobre sur un secteur tout entier. S'il y a des dysfonctionnements, que représentent-ils par rapport aux milliers d'entreprises avec lesquelles nous travaillons de manière constructive et positive, aux accords réussis avec ces mêmes partenaires, aux millions de commandes que nous passons chaque année, aux millions de factures que nous réglons chaque année, aux tonnes de documents contractuels qui nous imposent une réglementation sourcilleuse ?
Venons-en à quelques-uns des points qui ont été évoqués devant vous. Je voudrais m'exprimer sur cinq d'entre eux. Premier point. J'ai lu que notre secteur ne serait pas concurrentiel. J'ai même entendu les mots « collusion », « cartel », « oligopole ». Je me suis interrogé, plongé dans des affres de perplexité. Je me suis demandé si c'était un coup de chaud des 15 derniers jours de juin, un trait d'humour devant votre commission, ou un mensonge éhonté, mais comme ceux qui ont tenu ces propos ont fait le même exercice que moi en ouvrant la séance, je me suis dit que cela devait plus probablement être un trait d'humour. C'est un trait d'humour, monsieur le président, parce que le marché français – c'est un acteur dans 40 pays qui vous parle – est le plus compétitif du monde. Quand je parle avec mes camarades de Tesco en Angleterre ou de Walmart aux États-Unis, ils me disent : « Mais comment faites-vous dans un marché aussi compétitif ? » Aucun marché dans le monde n'a, comme le marché français de la distribution, autant d'acteurs qui disposent d'une part de marché entre 7 et 20 %. Aucun marché ne connaît une telle intensité concurrentielle, aucun marché n'est aussi faiblement concentré.
Deuxième point : certaines personnes auditionnées soutiennent que les regroupements à l'achat français ou internationaux seraient des « monstres » conçus pour imposer la loi du plus fort ou facturer des prestations, même fictives. La domination des enseignes et des alliances à l'achat est proprement inexistante vis-à-vis des grands industriels mondiaux qui contrôlent leurs marques, qui sont, comme je le disais tout à l'heure, 20 fois plus rentables en moyenne que les acteurs de la distribution, et génèrent une part de notre chiffre d'affaires plus grande que la part que nous représentons dans leur chiffre d'affaires. Or ce sont eux qui constituent, vous le savez, le périmètre des alliances à l'achat. Un seul chiffre pour illustrer cette idée : nos achats pèsent 1 % du chiffre d'affaires mondial de nos 20 premiers fournisseurs. Si nous ajoutons Envergure, 1,5 %. Qui peut, avec un raisonnement économique vraiment très simple, croire que les fournisseurs qui sont compris dans le périmètre de ces regroupements, qui sont parmi les groupes les plus puissants au monde, se retrouvent en situation de dominé par ces alliances à l'achat ?
Troisième point, mesdames et messieurs les députés, les négociations. Mon Dieu, que de légendes cette activité emporte avec elle. Laissez-moi d'abord exprimer une conviction forte. Le commerce, c'est et cela doit rester le fruit d'une négociation entre un distributeur et un fournisseur. La négociation, c'est un acte fondateur, incontournable, nécessaire de notre métier ! Quel est l'arbitre final de cette négociation ? Une seule personne : le client. L'échec d'une négociation, c'est dans les magasins qu'il se constate. Depuis 60 ans, la négociation, cela ne sert pas à rien, contrairement à ce que j'ai pu lire. La négociation, c'est ce qui permet de redistribuer du pouvoir d'achat aux Français. C'est ce qui permet de lutter contre quelque chose dont on a oublié que c'est un problème macroéconomique : l'inflation. C'est ce qui permet de maintenir et d'améliorer le niveau de vie de la plupart de nos concitoyens. Ces négociations, bien sûr, elles peuvent être difficiles, parfois elles se terminent in extremis. Elles peuvent aussi, dans l'immense majorité des cas, très bien se passer, comme toutes les négociations dans tous les secteurs d'activité. Lorsqu'il y a des excès, croyez-moi, ils sont vite connus et réprimés.
Quatrième point : les déréférencements. Le principe est simple. Les déréférencements sont réprimés lorsqu'ils sont abusifs, comme tout contrat qui est violé abusivement. Le problème – parce qu'il y en a un s'agissant de la distribution –, c'est que même un déréférencement parfaitement légal, auquel il est procédé après un échange, un préavis, un délai raisonnable, est critiqué et remis en cause. Pardon, mais ce n'est pas acceptable. La liberté de choix du distributeur doit pouvoir pleinement s'exercer. C'est une autre forte conviction que je veux partager avec vous. Le commerce est une activité qui ne peut s'épanouir que dans la liberté.
Cette liberté est essentielle, en particulier pour procéder chaque année à de très nombreux arbitrages, arbitrer entre des produits, en ajouter, en supprimer, en créer. C'est une liberté qui touche à l'essence de notre métier, le commerce. Ne pensez pas, mesdames et messieurs les députés, que notre liberté n'est pas étroitement surveillée. Le droit de la concurrence français, les contrôles de l'administration, les enquêtes de l'autorité et de la concurrence, croyez-moi, ne sont pas défaillants. Un seul chiffre sur ce point : Carrefour a fait l'objet de 2 000 enquêtes de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) depuis 2015. Carrefour est présent dans 40 pays, je vous le disais, nulle part existe-t-il un tel encadrement.
Cinquième point : les marques de distributeur (MDD). Elles sont critiquées depuis leur naissance par les grands industriels. Pourtant, elles sont essentielles. Carrefour a inventé les produits libres en 1976. Depuis plus de 40 ans, les MDD y ont trouvé leur place. Les clients les apprécient. Sans doute à l'origine les produits des distributeurs avaient-ils un côté générique imitant la qualité et le packaging choisi par les industriels, mais les marques propres, vous le savez, ont beaucoup évolué. Elles ne sont pas des substituts médiocres ou low cost de marques emblématiques. Beaucoup de MDD, notamment de Carrefour, sont désormais des produits de qualité, parfois même des produits premium, qui sont développés pour répondre à de nouveaux besoins du consommateur. Il peut même s'agir de produits de niche, du prêt à manger, ou encore de produits responsables. Certains produits distributeurs viennent également combler des manques au sein de catégories qui ne sont pas totalement couvertes par les grandes marques. Ces produits apportent de l'innovation. Mettons-nous dans la position du client, dont je n'ai pas beaucoup entendu parler ici. Voici des produits qui sont compétitifs du point de vue du prix ou de la qualité, ou des deux, élargissent le choix qui lui est offert, apportent de l'innovation qui poussent les grands industriels à améliorer leur propre offre et conduisent à singulariser les distributeurs. Le rôle de ces MDD est donc particulièrement important.
Je voudrais terminer par trois points en conclusion. Premier point. Imputer à la distribution les difficultés du monde agricole est simpliste, fallacieux et, pardonnez-moi, irresponsable. Nous achetons chaque année en direct pour un milliard d'euros de produits agricoles. Nous avons d'ailleurs pris des engagements encore supérieurs cette année à l'égard de la production française. Depuis près de 30 ans, Carrefour travaille avec plus de 25 000 producteurs autour de ce que nous appelons les « Filières qualité Carrefour », des filières agricoles avec des milliers de producteurs et d'éleveurs, en leur donnant de la visibilité sur des contrats pluriannuels, sur des volumes, des prix, et des cahiers des charges extrêmement exigeants pour le consommateur. Le monde agricole, vous le savez, a des sujets de transformation, des sujets de transition, des sujets difficiles. Je sais qu'ils s'y engagent fermement, mais continuer, comme je l'entends parfois de la bouche des industriels, à entendre dire que c'est le comportement de la distribution qui explique les difficultés du monde agricole, encore une fois, c'est fallacieux, et peu responsable.
Deuxième point, l'équation demandée à la distribution est extrêmement difficile à résoudre. Il nous est demandé, monsieur le rapporteur, de faire trois choses : maîtriser les prix aux consommateurs, car nous sommes redevables de quelque chose d'assez important : le pouvoir d'achat des ménages, de bien rémunérer les producteurs, car sinon nous les fragilisons, et de garantir la qualité. C'est notre responsabilité à l'égard des clients. Vous avez, mesdames et messieurs les députés, l'habitude de travailler sur des textes qui doivent concilier des impératifs contradictoires. Nous devons aussi exercer cette contradiction. C'est la noblesse de ce métier, d'ailleurs. Je ne dis pas que nous y parvenons chaque jour, mais croyez-moi, si nous n'y parvenons pas, ce seront les clients qui nous sanctionneront les premiers.
Troisième et dernier point. Au fond, je dois vous dire que je trouve simpliste, et là aussi déplacé, de faire croire que les relations entre les distributeurs et les fournisseurs ne sont fondées que sur des rapports de force. Face aux grands groupes industriels mondiaux, il faut des distributeurs forts pour maintenir l'équilibre entre les PME. La concurrence n'est pas verticale, elle est horizontale. Chez Carrefour, nous considérons que la contractualisation des relations entre les acteurs du commerce est la seule voie du progrès. C'est la démarche que nous suivons avec nos partenaires, c'est la seule manière de mettre un terme à la chaîne de défiance qui s'est installée entre les producteurs et les industriels. Mettre un terme à cette défiance est aussi, me semble-t-il, un des rôles de votre commission. Cela impose une analyse du secteur loin des caricatures et des clichés. Une analyse du secteur objective, impartiale et des passionnés.
Merci, monsieur le PDG, vous aurez eu 25 minutes de propos introductif. Vous serez certainement celui qui, depuis le départ de nos auditions, aura eu entre deux et trois fois plus de temps que l'ensemble des invités à cette commission.
Comme cela fait trois mois que l'on parle de moi…
S'il vous plaît, je ne vous ai pas interrompu. Vous aurez eu entre deux et trois fois plus de temps que l'ensemble des personnes que nous avons auditées dans cette commission d'enquête afin d'introduire le sujet qui est le nôtre. Tout d'abord, vous dire que cette commission d'enquête n'est pas consécutive aux travaux d'atelier des États généraux de l'alimentation et de la loi qui en a suivi. Cette commission d'enquête a été voulue par les députés, et notamment par la majorité, parce qu'à titre personnel, c'est un dossier que j'ai été à même de suivre – la question des négociations commerciales – étant à l'Assemblée nationale depuis un certain nombre de mandats, trois mandats. Beaucoup de questions tournent autour des relations et des négociations commerciales en France avec plusieurs projets de loi dont les parlementaires ont été à même de se saisir depuis 10 ans, notamment la loi de modernisation de l'économie (LME), la loi Sapin 2, et puis la loi consécutive aux États généraux de l'alimentation (EGA) voulue par le Président Emmanuel Macron.
Monsieur Bompard, monsieur le PDG, vous ne pouvez pas contester qu'il y a une question en France qui tourne autour du déséquilibre des relations commerciales. Premier point.
Deuxième point, vous ne pouvez pas contester qu'il y a une question qui tourne autour du juste partage de la valeur ajoutée créée par l'ensemble des maillons d'une chaîne qui s'étire de la terre à l'assiette en passant par les producteurs, les agriculteurs notamment, les transformateurs, les industriels, les distributeurs, pour arriver au consommateur. Vous ne pouvez pas nier non plus qu'au cours des auditions auxquelles la commission d'enquête a procédé depuis trois mois, l'ensemble des acteurs, en partant des producteurs, des interprofessions, des industriels, PME, ETI, groupes nationaux et internationaux, multinationales, nous a décrit le contexte tendu de relations et de négociations commerciales, particulièrement tendu en France, plus en France que dans d'autres pays, notamment de l'Union européenne.
Vous avez fait référence aux GAFA, notamment Alibaba et Amazon qui sont de nouveaux venus dans le monde de la distribution, mais le sujet qui nous préoccupe – même s'il se télescope avec l'arrivée de ces nouveaux venus dans le secteur du commerce – est antérieur. Vous avez évoqué les regroupements capitalistiques ou non capitalistiques. Vous avez évoqué des plateformes qui déversent leurs produits sans TVA et impôts dans notre pays.
Vous avez évoqué des mots qu'à titre personnel, en tant que président de la commission d'enquête ou en tant que député, lorsque nous avons débattu de diverses lois, que ce soit la loi Sapin 2, ou la loi consécutive aux États généraux de l'alimentation, j'ai prononcés, comme d'autres députés, notamment le mot « oligopole ». En effet, parce qu'un certain nombre de députés depuis une dizaine d'années ont assisté, ont observé ce regroupement et cette concentration à l'achat. Certains députés ont employé le mot de « cartel », c'est vrai, en commission, et dans l'hémicycle, et j'ai jugé bon en tant que président de la commission d'enquête de relayer ce mot.
Enfin, vous avez expliqué que la domination supposée des enseignes à l'achat était liée au périmètre délimité par les multinationales. Vous nous avez dit que vous étiez heureux de pouvoir être auditionné, et vous nous avez fait part d'un certain agacement, mais il faut comprendre la chronologie des éléments, puisque depuis plus de trois mois, nous auditionnons un certain nombre d'acteurs qui décrivent et qui pointent comme les principaux auteurs des tensions dans les relations commerciales, les distributeurs qui se sont structurés en centrales d'achat au niveau national, mais aussi en centrales de négociations et en centrales de services au niveau européen et international.
Monsieur le PDG, au préalable, j'ai des questions d'ordre personnel à vous poser : votre âge, votre formation, votre parcours, et je souhaite vous demander combien le PDG de Carrefour est rémunéré.
J'ai 47 ans. Mon parcours : je suis à l'origine haut fonctionnaire. Ensuite, j'ai rejoint le groupe Canal+ où j'ai passé quatre années, puis j'ai été PDG d'Europe 1. En 2011, je suis arrivé dans la distribution spécialisée pour devenir PDG du groupe Fnac. Nous avons été cotés en bourse deux ans plus tard. Quelque trois années ensuite, nous avons réalisé une opération de fusion en rachetant Darty, contre, à l'époque, Steinhoff Conforama. Nous avons constitué le Groupe Fnac Darty. Il y a deux ans, j'ai rejoint le groupe Carrefour – deux ans presque jour pour jour – en qualité de PDG. Mes éléments de rémunération – vous vous en doutez – sont publics. Contrairement à d'autres acteurs, nous sommes un groupe coté donc bien sûr, soumis à des obligations fortes de publicité et de transparence de l'ensemble de ses informations. Je gagne 1 500 000 euros de rémunération fixe qui peuvent être augmentés d'une rémunération variable qui peut atteindre 165 % de cette rémunération fixe, et qui sont liés à l'atteinte d'objectifs à 80 % de nature économique et financière. Je suis également attributaire de plans de longs termes de rémunérations qui sont en gros des actions.
Je tiens quand même à rappeler que j'ai reçu un e-mail il y a à peu près deux heures m'indiquant votre présence. Je suis donc très heureux qu'au dernier moment vous ayez pris la décision de finalement venir devant la représentation nationale, ce qui est pour moi quelque chose de normal. En tant que bon citoyen, on se doit de respecter les demandes de la représentation nationale que nous sommes aujourd'hui.
Je suis préoccupé aussi. Je me suis dit : « C'est bizarre, M. Bompard n'a pas l'air de vouloir venir ?», alors que je me rappelle vous avoir vu à l'époque lors de la commission d'enquête sur Lactalis, parce que j'étais également rapporteur. Je me suis dit : « M. Bompard est peut-être plus spécialisé dans la sécurité alimentaire ?», puisque je ne me rappelle pas avoir eu autant de problèmes pour vous faire venir.
Comme le simple parlementaire que je suis, je suis allé sur Wikipédia regarder votre CV et j'ai un très grand respect pour la carrière que vous avez. Ce que je vous dis n'est pas du tout un trait d'humour.
À la base, je suis moi-même entrepreneur et je ne peux que respecter votre CV. Je me suis dit : « On va parler finances ». Je ne comprenais pas pourquoi vous ne souhaitiez pas venir devant nous aujourd'hui. Je vous remercie, puisque vous êtes présent.
Je tiens juste à vous rassurer, parce que j'ai senti un peu d'amertume dans vos propos liminaires. Je voulais vous rassurer, en tant que rapporteur, je crois au modèle de la grande distribution. Je fais partie des rares parlementaires qui croient au modèle hypermarché. Je crois en l'expérience client. Je ne crois pas au « tout Amazon ». Je ne crois pas au « tout Internet ». Je crois aussi aux circuits courts et à la vente directe. Que les choses soient très claires, entre vous, entre la grande distribution en règle générale, le monde industriel et le rapporteur que je suis, je serai impartial et vous connaissez ma tendance à la croyance au modèle de la grande distribution.
Concernant les chiffres que vous nous avez annoncés, monsieur le PDG, j'estime que vous avez quand même fait preuve d'un tour de passe-passe de chiffres. Je tiens à rappeler, pour les personnes qui nous regardent, que le produit le plus connu au monde, c'est le Coca-Cola. Coca-Cola, c'est trois fois moins de chiffre d'affaires que le groupe Carrefour. Vous parliez de Danone. Danone est quatre fois plus petit que le groupe Carrefour. Si l'on prend notre fleuron national dont tout le monde parle, Lactalis, c'est presque cinq fois plus petit que vous. Tout à l'heure, vous nous disiez : « On a un gros problème avec Danone, qui fait tant, et nous, en magasin, on ne fait qu'un très faible chiffre d'affaires », mais je vais vous poser une question. Aujourd'hui, combien le « roi du pain », le « roi des céréales pour le matin » et le « roi de l'eau » représentent sur le chiffre d'affaires d'un magasin ? Nous le savons : entre 0,2 % pour ce que je viens de vous annoncer et 0,6 % du chiffre d'affaires d'un magasin. Notre fleuron français, Lactalis, représente pour un magasin environ 3 à 4 % – suivant les magasins – du chiffre d'affaires d'un magasin. Oui, quand il y a pressions, on est légitimes à se poser cette question : est-ce au final la grande distribution qui met une pression à l'industriel, ou est-ce l'industriel ? Au regard de ces chiffres, qui sont, pour la plupart des industriels, inférieurs à 1 %, je me pose la question. Nous avons mené des auditions avec le président et les autres commissaires, en commençant par le monde agricole industriel et nous finissons avec le monde de la grande distribution. Il n'y a aucun a priori. Dans les propos liminaires, je sentais quand même une petite touche d'amertume sur les auditions passées, mais croyez-moi, on va continuer. Certains auront peut-être aussi cette touche d'amertume. En rien je ne souhaite détruire le modèle de la grande distribution.
Ma première question, monsieur le PDG, est sur le chiffre d'affaires global Carrefour France – ce qui nous importe aujourd'hui à l'Assemblée nationale: quelle est la part du chiffre d'affaires qui est signée en déflation ? Car je ne suis pas du tout d'accord avec ce que vous avez dit tout à l'heure. Je suis opposé, et j'ai moi-même cette fois une petite touche d'amertume dans les mots que vous avez utilisés, car pour vous, les prix bas n'ont pas amené le monde agricole à souffrir. Je vais vous dire une chose. Quand, au bout de trois ans, quatre ans, cinq ans, 50, 70 % de votre chiffre d'affaires part en déflation, je peux vous assurer une chose, c'est qu'au bout de la chaîne, l'agriculteur ne voit pas son prix monter. Peut-être que l'industriel gagne bien sa vie, je sens aussi une touche de jalousie à ce que l'autre gagne plus que soi-même. Mais la réalité économique est là. La déflation, j'en suis persuadé, monsieur Bompard, que vous opérez depuis des années ne va pas spécialement dans le bon sens du monde agricole.
Première chose, je suis ravi d'être ici. Vous m'avez beaucoup rassuré dans la réponse à mon courrier puisque vous m'avez dit que vous vouliez en effet parler de la vision économique et stratégique du secteur, c'est ce que l'on est en train de faire. Je crois que c'est plutôt ma place et que je peux vous apporter quelque chose. Le but du jeu est que cela soit efficace pour vous.
Vous avez utilisé en fin de votre propos le terme de « réalité économique ». Voyez-vous, monsieur le rapporteur, vous avez été entrepreneur. Quand vous étiez entrepreneur, je suis sûr que vous regardiez la manière dont votre chiffre d'affaires se développait – c'est l'activité commerciale –, comment cela marchait. Mais ce n'était pas le développement de chiffre d'affaires qui vous fragilisait ou qui pouvait faire qu'un beau matin vous mettiez la clé sous la porte. C'était votre résultat économique et c'était la situation de votre trésorerie. On ne mesure pas la puissance d'un groupe au montant de son chiffre d'affaires. Si c'était le cas, je pèserais autant, jusqu'à il y a 18 mois, qu'Amazon. Amazon fait 40 fois, 50 fois selon les semaines, la capitalisation de Carrefour.
Vous parliez des grands industriels mondiaux. Si c'était le cas, j'aurais une capitalisation boursière, puisque c'est un juge de Paix économique de la puissance, de la bonne santé, de l'avenir, etc. Elle serait supérieure à celle de Danone. L'est-elle ? Bien sûr que non. Coca-Cola ? Bien sûr que non. Procter & Gamble ? Bien sûr que non. Nestlé ? Bien sûr que non. Les grands acteurs de la distribution française sont des nains économiques à l'égard de ces industriels. Ce n'est pas le montant du chiffre d'affaires qui fait la puissance d'une entreprise, c'est son équilibre, sa profitabilité, sa croissance organique. C'est l'ensemble de ces éléments-là. Vous disiez : « Je comprends le terme ». Ne croyez pas que je suis agacé. J'ai été parfois triste des débats que vous avez eus, mais là c'est le nouveau converti à la grande distribution qui vous parle, je dois avoir une passion naissante. Lorsque l'on travaille dans la grande distribution, que l'on voit les 300 métiers que font les femmes et les hommes – nous avons 400 000 collaborateurs dans ce groupe – et que nous avons parfois le sentiment que ces 300 métiers sont résumés au montant des marges, à « On écrase l'industriel, la PME, ou l'agriculture », ce qui n'est absolument pas le cas de ces métiers, parfois, on a un peu d'agacement ou de tristesse pour les équipes. Ce sont des métiers.
Je vous remercie d'avoir dit avec beaucoup, j'en suis sûr, de convictions que vous n'étiez pas contre le modèle de la grande distribution. Non, nous ne sommes pas plus puissants que ces groupes-là. Tous les indicateurs économiques le montrent. Je vous citais ce chiffre, je suis peut-être passé un peu vite dessus : 18 % de profitabilité moyenne des 50 plus grands industriels mondiaux du secteur. Pour les meilleurs du secteur de la grande distribution, c'est 2 %. C'est le juge de paix de la puissance économique. Non, nous ne sommes pas à égalité sur ce terrain-là. Nous sommes même bien loin. Comme je sais que ce secteur vous passionne, si vous regardez un peu l'état de la grande distribution dans le monde, vous mesurez, France incluse, le nombre de grands acteurs dont on se disait : « Ils font 10, 20, 30 milliards d'euros de chiffre d'affaires », mais qui sont en difficulté, qui licencient, qui sont en phase de restructuration, ou qui parfois disparaissent. C'est un secteur qui est en proie, parce qu'il y a des difficultés, à des transformations extrêmement délicates à mener avec des risques de sinistralité très forts.
Pour répondre à votre question sur la déflation. Vous savez quel est mon métier, je vous le disais, dans un contexte de concurrence. Pardon, monsieur le président, mais ce n'est pas un cartel ; ce n'est pas un oligopole ; là non plus ce n'est pas la définition du cartel ou de l'oligopole. Quand huit acteurs font plus de 8 % de marché, qu'ils se mènent une compétition tous les jours, c'est de la concurrence quasi pure et parfaite. Il n'y a pas de secteur où il y a autant de concurrence pure et parfaite que le nôtre. Donc quand huit acteurs se font une compétition tous les jours pour attirer les clients, les faire venir, les fidéliser, etc., quand huit acteurs se font une compétition comme cela, que nous demandent les clients ? Ils nous demandent le bas prix, parce qu'il y a la contrainte de pouvoir d'achat que vous parlementaires vous connaissez mieux que quiconque. Vous connaissez cette contrainte, c'est ce qui nous a conduits aussi le 17 novembre dernier, à travers cet épisode très difficile pour notre pays, à prendre conscience du poids, de la prégnance de ces contraintes de pouvoir d'achat. Donc les clients nous demandent des prix bas. Ils nous demandent de la qualité, et c'est le formidable mouvement d'aspiration à la qualité alimentaire aujourd'hui. Et puis ils nous demandent, vous avez raison, c'est le troisième élément, de la responsabilité dans la relation avec le producteur. Le producteur agricole n'est pas notre ennemi. Je vous parlais des filières qualité, c'est extraordinairement important pour nous. Nous avons besoin d'un monde agricole qui va bien. J'achète pour un milliard d'euros, rien que pour le groupe Carrefour, de produits agricoles. J'ai besoin d'une agriculture française qui va bien. C'est absolument nécessaire.
Venons-en à inflation ou déflation. Venons-en au fond à la manière dont sont structurées ces opérations. Je suis industriel, je viens voir un jour – enlevons les centrales, ce sera plus simple – Carrefour. Je dis : « Voilà, moi j'ai une inflation de 5 %. Je propose 5 % d'augmentation. » Moi, mon objectif, ce n'est pas de transmettre ces 5 % au consommateur final. Sinon, si je fais le même exercice, moi aussi, comme j'ai des coûts aussi qui augmentent chaque année, moi aussi j'ai 5 % d'inflation, vous le mesurez bien : j'ai l'augmentation des matières premières, l'augmentation du coût du travail. Bref, nous avons les uns et les autres de l'augmentation de coûts. Notre travail, c'est d'abaisser, de compenser, par des plans d'économie ou par des gisements de productivité ou par nos organisations, ces éléments-là. L'industriel, quand il y a une augmentation de coût, de la matière première, c'est à travers sa taille de faire le travail qui lui permet de se retrouver dans un bon équilibre économique autour de 0,1 %. Comme moi, exactement de la même manière, je dois être capable de compenser mon augmentation naturelle de 5 % pour arriver à un prix assez stable. Au fond vous le voyez, les coûts alimentaires depuis 10 ans, les prix alimentaires, ont évolué comme l'inflation dans notre pays. Ils n'ont pas baissé. Ils ont été au même niveau, une inflation autour de 0,1 %. Notre travail d'industriel et de grand distributeur, c'est à travers nos organisations, nos volumes, nos opérations de productivité, notre meilleure organisation, d'arriver à compenser l'augmentation des prix de matières premières éventuelles, pour arriver à une inflation zéro, que nous demandent les consommateurs et le client final. Ils nous le demandent, évidemment, parce que la contrainte du bas prix est importante. C'est comme cela qu'on arrive à ce 0,1 %.
J'entends le discours que vous donnez, vous feriez un très bon homme politique, mais vous n'avez pas répondu au montant. Vous me dites qu'effectivement l'objectif est d'être proche de cette inflation : 0 à 1 %. Je vais vous le donner le chiffre si vous ne l'avez pas, parce qu'on a eu votre centrale d'achat.
Autour de zéro. Je sais que vous avez eu nos collègues d'Envergure. Nous avons à peu près 40 % des contrats qui se terminent en légère déflation. J'insiste sur le point que mentionnait Alexandre, c'est-à-dire que ce sont des déflations qui sont très contenues. Vous n'avez pas posé la question « qu'est-ce qui est en dessous de moins de 0,5, moins de 0,6 ou ainsi de suite ». À la fin de l'année, ce que Laurent allait vous dire : on va terminer, notamment sur les filières qui ont des produits agricoles derrière, sur quelque chose qui est très proche de zéro en moyenne.
J'avais bien reposé cette question il n'y a pas très longtemps à votre centrale d'achat. Je ne parlais pas des contrats. Je parlais de la masse échangée du chiffre d'affaires. Parce que sur le nombre de produits, cela ne veut rien dire. Il faut parler du volume, et sur le volume que l'on a eu en échange, on nous expliquait qu'en gros à peu près 60 % du volume échangé avec l'industrie de l'agroalimentaire avaient été signés en déflation. C'est cela que je veux vous dire.
Sur le volume, il y a plus de parts de vos achats signés en déflation qu'en inflation. Et là je vous parle de déflation, je ne vous parle même pas du « flat ». Sur le volume en inflation, le retour que l'on a eu, c'est que oui, vous étiez en inflation. Pour cela, je me félicite de la grande distribution, les circuits courts, quand vous faites vivre l'économie locale, vous êtes en inflation. Mais cela représente entre 1 et 2 % de votre chiffre d'affaires. Sur les PME, vous êtes en « flat » ou en inflation, cela représente en gros 5 à 10 % suivant les magasins, du chiffre d'affaires. C'est-à-dire que sur tout le reste, vous êtes, d'après ce que j'ai eu en audition, en déflation. C'est cela que je veux vous dire, monsieur Bompard. C'est pour cela que je vous dis que vous feriez un bon homme politique. Le message est clair et beau. La réalité caractérisée est tout autre. La réalité est caractérisée : c'est de la déflation à - 1,5, -2 %. Cette addition de déflation, c'est ce que l'on comprend, mais peut-être que vous avez d'autres chiffres à nous fournir.
Permettez-moi de vous donner d'autres chiffres en effet. Si l'on prend le chiffre des filières alimentaires – temporairement et je peux y revenir après, j'exclus les produits de Droguerie, Parfumerie et d'Hygiène (DPH) –, si vous prenez l'intégralité de nos dépenses à l'achat, et j'entends bien que vous souhaitez différencier le nombre de contrats de l'assiette d'achat, qui est une chose différente, nous allons avoir quelque chose d'assez équilibré. Je vous rappelle que mes collègues d'Envergure ne négocient que pour les plus grands groupes. Quand on étend à l'intégralité de la base achats de Carrefour – j'entends que vous me posez la question uniquement pour les marques nationales (MN), pour les MDD, je pourrai y revenir si vous le souhaitez – cela a trait avec la culture française. On va avoir quelque chose d'assez équilibré. C'est-à-dire que l'on va avoir quelque chose de l'ordre de 25 % de la masse achat qui va être en inflation, 20 à 25 % vont être « flat », entre - 0,1 et + 0,1. On va avoir un peu moins de 50 % qui vont être en déflation. Là où j'insiste beaucoup, c'est que sur ces métiers, on va avoir une déflation. Techniquement, on peut dire que c'est une déflation, parce que c'est inférieur à - 0,1, mais je vais avoir un nombre très minoritaire de masses à l'achat qui va être dans une déflation de l'ordre de 1,5 à 2 que vous mentionniez. Vraiment très peu. J'insiste aussi sur le temps long que mentionnait Alexandre, à savoir que sur un temps long – je suis dans ce métier depuis 20 ans – on a quelque chose qui est en réalité en moyenne assez « flat ».
Je tiens à rappeler quand même qu'il y a un lien qui est un peu plus indirect entre un agriculteur et un shampoing, mais sur le DPH en moyenne, en effet nous avons des inflations plus fortes qui sont enregistrées. Je ne peux pas exactement vous donner tous les mécanismes. Pour votre information, j'ai commencé ma carrière chez Procter & Gamble donc il me semble que je connais un petit peu ce monde-là. Il y a dans ce métier, des mécanismes de productivité, des capacités à générer des économies année après année, et des mécanismes d'innovation également qui permettent de générer ce type de déflation. C'est un monde un peu différent, le DPH. J'en viens, je crois que vous en venez également.
Puisque nous évoquions Envergure, pouvez-vous nous indiquer la part des produits qui est négociée par Envergure pour le compte du groupe Carrefour ?
Deuxième question, monsieur le PDG, puisqu'on était dans le pilotage stratégique ou politique du secteur du commerce et de la grande distribution, comment expliquez-vous que la France soit le pays où les négociations et les discussions commerciales sont les plus rudes ? Ce mot, ou tout au moins cette description de la nature des négociations a été présentée à l'unanimité par l'ensemble de nos intervenants, qui nous a dit : « C'est en France que c'est le plus compliqué ». J'observe que vous êtes un nouveau venu, monsieur Bompard, dans le secteur de la grande distribution, mais malgré tout, vous vous êtes déjà forgé un nom aux côtés de l'autre grand nom de la distribution qu'est Michel-Edouard Leclerc. J'emploierais bien le mot de « caïd », ce n'est pas un mot péjoratif. Un caïd, c'est un chef, un manager juridique, financier, stratégique, économique. Il y a deux caïds de la distribution et de la communication du commerce en France. Le premier, c'est Michel-Edouard Leclerc, et puis il y a le jeune Alexandre Bompard qui vient d'arriver dans le secteur de la grande distribution, mais qui se forge une place.
Je ne suis pas comme le rapporteur, je ne déclare pas ma flamme pour la grande distribution, mais je n'ai rien contre. De nature, je suis très ouvert aux évolutions. Je comprends que le commerce, en un siècle, dans notre pays et dans cet espace du monde qu'est l'Union européenne, je comprends qu'il évolue, qu'il a évolué et qu'il est encore en phase de mutation. Et cela ne me crée pas de souci. Moi ce que je voudrais, c'est que dans cette affaire, tout le monde tire profit du commerce, ce que j'appelais « le juste et équitable » partage de la valeur ajoutée.
Sur la première question, sur la part d'Envergure dans nos achats de marques nationales (MN), c'est de l'ordre de 80 %. Je reviens sur le point que j'évoquais tout à l'heure sur la MDD. Si l'on intègre l'intégralité des achats – nous avons la charge de l'intégralité des achats du groupe Carrefour en France – si l'on prend les MDD sur lequel nous devrions encore boucler l'année 2019 avec une évolution en inflation des prix à l'achat, cela nous donne pour la totalité du groupe Carrefour, « MN + MDD », une évolution positive des prix d'achat pour l'année 2019 versus 2018. Je pense que c'est intéressant à évoquer quand même, parce que cela veut dire que dans l'économie, nous ne générons pas une déflation globale.
Monsieur le président, je retiens donc que le terme « caïd » désormais n'est pas péjoratif.
Absolument. Je le prends avec le plus grand sourire.
Vous ne l'avez pas trouvé trop long, ce propos liminaire ? J'ai essayé de répondre à certaines de vos questions.
Non. Cependant, j'ai bien enregistré ce que c'était qu'un chef. D'ailleurs, c'est pour cela que vous êtes le PDG. « Caïd » n'est pas péjoratif et c'est pour cela que je l'ai rappelé.
Je l'ai pris avec le sourire. Je vais essayer de répondre à votre question parce qu'en effet, vous avez raison, c'est une bonne question. Au fond, pourquoi, dans un secteur où il y a autant de discussions partenariales entre les uns et les autres, autant de sujets de développement commun, de relations commerciales, d'innovations sur les produits, etc., comment cet objet de négociation annuelle donne-t-il lieu à une telle sensibilité ? Vous avez raison, je suis certain qu'un certain nombre des personnes qui se sont succédé à ce micro vous disaient la vérité en disant : « Dans d'autres pays, nous ne ressentons pas cela ». Souvent, j'ai tendance à penser que c'est assez largement lié à ce cycle annuel qui est un peu particulier. Vous savez que dans la plupart des autres pays où nous nous trouvons, on a une espèce de négociation permanente non ritualisée. C'est le seul avantage quand vous rejoignez un secteur, vous avez un regard un peu nouveau sur ces sujets-là. Vous avez l'impression qu'il y a un peu un rite de la négociation avec son point de départ, sa crise paroxystique et son dénouement, dans 99,9 % des cas, dans de bonnes conditions.
Vous avez un élément un peu paroxystique qui est lié aux rituels de la négociation annuelle. Je crois que cela joue beaucoup. Le fait que cela soit très concentré, que tout le monde connaisse les dates, que vers le 15 janvier il y ait forcément un article de presse pour dire : « Cette année les discussions sont particulièrement difficiles, encore plus difficiles que l'année précédente ». Ce n'est pas ce que l'on vit dans les autres pays parce que la négociation est un peu permanente.
Je m'en félicite parce que j'aime la Représentation nationale et j'aime la politique, comme vous me le disiez, je pense que l'on est un des seuls pays où ces sujets-là font l'objet parfois d'une interpellation de nature politique. C'est le poids du politique dans notre pays, qu'on ne retrouve pas forcément sur ces sujets-là dans d'autres géographies.
Le rite de la négociation et sa « calendarisation », et puis quelques éléments qui ont très probablement une faculté d'interpellation des uns et des autres qui sont de nature un peu différente. C'est ce que je ressens moi parce que, vous avez raison, on voit ces négociations dans tous les pays, mais je voulais vous ajouter juste un petit point, qui va vous éclairer sur cet élément précis. Vous vous en doutez, je connais les 80 patrons des fournisseurs d'Envergure ou ceux qui passent par Carrefour World Trade (C.W.T.) ou etc. Savez-vous combien de fois – je suis assez ouvert, je suis assez réactif de manière générale – mon téléphone sonne par an pour que l'un de mes collègues me dise : « Je voulais juste dire que les négociations, c'est terrible, c'est violent, c'est difficile, je ne m'en sors pas », d'après vous ? Je suis là depuis deux ans. J'ai connu deux campagnes, la première, on pourrait dire que je n'avais pas tant de coresponsabilités, la deuxième, je l'assume pleinement. Combien de fois diriez-vous ? Zéro.
Mon téléphone sonne de la part des dirigeants sur bien d'autres questions, et parfois de mécontentement sur ce que nous faisons sur d'autres sujets. Mais ce que je veux dire, c'est que si vous demandez à un directeur commercial d'un industriel…
Bien sûr, vous avez raison, et lui va le vivre comme quelque chose de très tendu, mais pour que cela remonte et que ce soit un vrai sujet qui mette en péril – puisque tout à l'heure vous parliez un peu de « péril » pour l'industriel... En réalité, ils ont le calme des vieilles troupes. Quand je parle au patron de Nestlé, ou de Danone ou de Procter & Gamble, il ne se dit jamais : « Mon Dieu, les négociations en France, quel problème pour l'industriel que je suis, la déflation de 0,5, comment est-ce que je vais faire ? » Pour eux, ce n'est pas un sujet. C'est de la négociation commerciale classique. Mais le rite fait qu'en effet il y a une sensibilité, une crispation, un élément un peu paroxystique. Je le regrette, parce que je crois que c'est très négatif.
Cette interrogation que vous avez, je l'ai posée presque à chaque fois. J'ai presque eu tout le temps la même réponse. Le monde des patrons est un petit monde et tant mieux, au moins il y a de la communication. Si j'appelle, il va forcément redescendre l'information, mais dans ce cas la négociation est foutue. Donc c'est de la crainte. Certains l'ont fait avec certains de vos concurrents – moi j'estime qu'il n'y en a pas huit, mais quatre, mais nous aurons l'occasion d'y revenir. Pernod Ricard l'a fait. Coca l'a fait. Ils ont eu des problèmes. Et vous avez beau être tout là-haut, quand vous appelez, l'information redescend, et vous n'êtes plus dans le box de négociation, et la négociation se passe très mal. Ceux qui ont essayé ont eu tellement de soucis après pour rattraper le coup de téléphone, qu'ils n'appellent pas. Voilà le retour. Je réponds à cette interrogation puisque cette question-là, je la pose très souvent à huis clos. Tous ne m'ont pas répondu la même réponse, mais ils ont été nombreux.
Je ne voudrais pas être redondant parce que des choses ont déjà été dites, mais je voulais quand même rappeler, pour m'intéresser principalement au monde agricole dans cette noble assemblée, qu'un certain nombre de propos que vous avez dits en préalable m'ont quand même un peu heurté. Si vous considérez que le fait de faire un milliard de chiffre d'affaires pour le monde agricole est quelque chose de bien, c'est vrai que l'on peut considérer que vous êtes un élément important, mais je pense que l'on va du producteur au consommateur, et que le producteur est quand même majeur dans cette situation. Tous les chiffres nous indiquent en ce moment que l'on a une perte de notre influence au niveau de l'agroalimentaire et de l'agriculture en France, ce qui est très dommageable. Les chiffres qui viennent d'être publiés montrent que notre déficit commercial en Europe, au niveau de l'Union européenne, est pour la première fois négatif de 300 millions, alors qu'il a été de sept milliards positif il y a six ou sept ans. Je ne suis pas sûr que les agriculteurs pendant ce temps n'ont rien fait, n'ont pas essayé de développer leur business, n'ont pas essayé de gagner en productivité. Ils font un maximum. Malheureusement, ils font un maximum souvent en reprenant des exploitations d'autres agriculteurs qui sont eux-mêmes en difficulté et on est dans une situation qui est très fragile. Le fait d'avoir la discussion que l'on a, où on a surtout une discussion jusqu'à maintenant en disant : « Il y a les géants de la grande distribution, il y a les multinationales », c'est bien. J'ai bien compris aussi qu'il y a des PME et des ETI, et notamment des ETI qui sont relativement spécialisées, qui ont des niveaux de marge qui sont absolument proches des vôtres. Mais quand on est une ETI industrielle, avec des niveaux de marge qui sont proches des vôtres, il ne reste pas grand-chose pour développer un business et faire de la recherche, et essayer d'innover. J'ai entendu le propos en disant que l'on faisait un petit effort supplémentaire sans doute vis-à-vis de certaines PME ou autres, mais il y a quand même un grand malaise dans nos PME et dans nos ETI que l'on rencontre sur le terrain. Moi je suis député breton, je peux vous dire qu'il y a une vraie difficulté. Eux me parlent de déflation, pas d'inflation au niveau des prix. On s'interroge pour savoir qui dit la vérité. C'est vrai que vous avez développé Carrefour avec un certain nombre de filières sur des éléments très précis. Vous avez développé des plus-values avec les agriculteurs. Cela s'est fait. Est-ce que ces plus-values sont suffisantes pour permettre une rentabilité des exploitations, je n'en suis pas sûr. Mais en tout cas, il y a un problème de fond. Même si aujourd'hui nous ne sommes pas là pour parler uniquement de l'agriculture, je pense que le milieu agricole est particulièrement le parent pauvre de la guerre que se jouent les grands distributeurs.
Monsieur le PDG, il faut que nous abordions les points sensibles, c'est-à-dire le rôle d'Envergure, de C.W.T. ou encore comment se passent les négociations. L'objectif de la commission, c'est d'en ressortir plus intelligents avant qu'après.
Monsieur le député, quand vous avez cité le chiffre de Carrefour, ce que j'essaie de vous faire toucher du doigt, mais vous le savez puisque vous connaissez bien les territoires, c'est que deux tiers des débouchés de l'agriculture, c'est la grande distribution française. Le mode de commercialisation se fait principalement par la grande distribution française, donc l'idée que ce sont deux mondes qui s'opposent, ce n'est pas possible. Moi, j'ai besoin d'une agriculture française qui va bien. J'en ai vraiment besoin, et plus d'ailleurs les consommateurs, comme c'est le cas aujourd'hui, sont à la recherche de circuits courts, de produits locaux, de produits frais, plus j'ai besoin, sans doute plus qu'il y a 30 ou 40 ans, d'une agriculture qui va bien.
La transformation du modèle agricole français, vous la connaissez bien, il y a plein d'éléments qui aujourd'hui expliquent les difficultés de l'agriculture française. Vous les connaissez par coeur. Je lisais un rapport de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) avant de vous rejoindre. Il y a la non-concentration des terres, il y a le coût du travail, il y a les normes phytosanitaires, il y a l'adaptation de l'offre et de la demande et puis vous avez raison, il y a aussi la capacité à augmenter les prix. Vous avez vu qu'à la suite des États généraux de l'agriculture, on a dit qu'il ne s'était rien passé. Moi je ne crois pas. Je ne pense pas que du jour au lendemain, tout ait changé, ce n'est pas le cas, mais les augmentations ont été passées sur un certain nombre de filières. On dit qu'il n'y a que le lait. Oui, mais que n'aurait-on dit s'il n'y avait pas eu le lait ? Il y a des efforts qui sont faits et qui ont été faits, pas seulement par Carrefour, mais par tous les acteurs pour passer des augmentations. Pour Carrefour par exemple, nous avons augmenté de 35 millions d'euros ce que l'on versait aux producteurs laitiers, à la suite des ÉGA. Il y a eu aussi une initiative récente, vous le savez, sur le porc, et dans bien d'autres domaines. Est-ce que c'est assez ? Vous avez raison, ce n'est pas assez. Est-ce que les filières agricoles qui ont inventé les filières qualité Carrefour sont assez ? Ce n'est pas assez, mais on est très largement leader dans ces domaines-là. Il y a 25 000 producteurs et éleveurs avec qui on travaille toute l'année en contractualisant et en enlevant ce qu'est le cauchemar de l'agriculteur : « si j'ai une variation des volumes et des prix, qu'est-ce qui va se passer pour moi ? ». On a pluriannualisé, c'est sur la durée, et on les aide à opérer cette conversion nécessaire qu'ils ont envie de faire, qui est la conversion vers le bio. Est-ce que tout est parfait ? Évidemment que non. Est-ce que la relation est parfaitement aplanie ? Évidemment que non. Est-ce que cela va dans le bon sens ? Est-ce que c'est une priorité ? Est-ce qu'il y a des signes tangibles que nous avançons sur ces sujets ? Vraiment, oui.
Monsieur Bompard, dans votre programme « Act for food », vous expliquez que vous voulez être le leader de la transition sur l'alimentation, pour plus de qualité. Vous faites dans votre marque de l'innovation, vous faites du bio. Bien évidemment, vous êtes conscients que cela a un prix et qu'il y a une différenciation nécessaire, puisque quand on fait du commerce, on cherche aussi à différencier ces produits, et donc vous travaillez sur cette différenciation. Vous savez que cela nécessite des investissements de la part aussi des partenaires agricoles, notamment pour l'alimentation. Cela nécessite des investissements de la part de vos partenaires agricoles. Ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est pourquoi vous le comprenez pour vous, et vous ne l'acceptez pas pour des industriels qui, eux aussi, ont ce type de démarche, qui eux aussi ont cette différenciation et cette valorisation à faire valoir, qui eux aussi travaillent avec des producteurs ?
Quelque part, l'enchaînement de nos auditions nous dit plutôt la crainte qu'ont les producteurs, qu'ont des industriels, à ne pas pouvoir valoriser auprès de vous ces innovations, cette qualité. Tout cela pour défendre aussi les consommateurs, c'est ce que vous dites vouloir faire. J'ai du mal à comprendre cette antinomie que vous avez entre votre propre démarche et celle que peuvent avoir des industriels qui, comme l'a dit monsieur le rapporteur effectivement, mais parce que c'est le modèle de la grande distribution, représentent chacun une toute petite partie de ce que vous vendez, puisque c'est le modèle même de la grande distribution. Mais effectivement, nous n'oublions pas que vous êtes pour ainsi dire leur seul canal de distribution, puisque la grande distribution, c'est entre 90 et 95 % du mode de distribution qu'ont tous ces industriels.
Enfin, j'aurais aimé vous entendre rapidement sur votre stratégie de développement sur les territoires. Vous nous parlez des territoires. Si vous pouviez nous rappeler combien d'hypers, combien de supers, comment vous développez aussi les petites surfaces ? Parce que s'il est facile pour un directeur d'un hyper ou d'un super de faire du circuit court, j'aimerais comprendre comment vous comptez continuer à développer ce type de démarche avec des toutes petites surfaces urbaines.
Monsieur le PDG, vous n'avez pas répondu tout à l'heure à ma question. Pour rebondir sur les problèmes des industriels et du monde agricole, 50 % du monde industriel dans l'agroalimentaire en déflation, 25 % flat, 70 % du monde industriel en DPH en déflation. Vous l'avez très bien dit tout à l'heure, tout augmente. Quand on signe en déflation, comment ces gens-là font-ils pour investir en R et D ? Comment ces gens-là font-ils pour augmenter leurs salariés ? Comment ces gens-là font-ils pour développer de nouveaux produits ? Sachant que cette déflation-là et ces chiffres, nous les avons, ils sont légèrement différents, mais très proches. C'est comme cela depuis cinq ans.
Vous avez raison, madame la députée, l'innovation, la montée en gamme, la transition alimentaire pour tous sont l'affaire de tous les acteurs, évidemment pas la grande distribution toute seule, pas Carrefour tout seul. Cela impose que l'agriculteur opère et qu'on l'aide à opérer cette conversion au bio et que les industriels jouent leur rôle d'innovateur sur le marché et ils le font bien sûr. On a la chance d'avoir des industriels partout dans le monde qui ont conscience de cette aspiration-là, qui ont conscience de son potentiel économique et qui mènent ce combat-là, d'ailleurs parfois pour des raisons de responsabilité d'entreprise. Prenons une entreprise française comme Danone, qui a mis vraiment ce sujet au coeur de son modèle.
Là où je ne suis pas totalement de votre avis, c'est que l'innovation, et c'est bien naturel, nous sommes prêts à la financer, à la payer. C'est plus cher, un produit d'innovation. Je vais vous donner un chiffre, la part de marché de Carrefour sur les innovations est supérieure de 30 à 40 % à sa part de marché naturel. Faites-moi confiance, si vous parlez aux acteurs industriels et vous leur dites : « Quand vous faites de l'innovation, quel est l'endroit où vous la présentez de manière préférentielle ? Quelle est l'entreprise qui l'accueille le plus facilement ? » C'est le groupe Carrefour. Nous sommes l'enseigne de l'innovation produit, nous l'avons toujours été. C'est la marque de fabrique. Cela l'est encore plus, à travers la transition alimentaire, et cela a un coût, cela veut dire des prix un peu supérieurs.
Après, j'ai une deuxième mission. Mon objectif est que la transition alimentaire ne soit pas un phénomène de bobos parisiens, qu'elle soit accessible à tous. Cela veut dire que mon travail – et cela rejoint votre question sur la déflation ou l'inflation – consiste à ce que les prix soient certes plus élevés que le prix conventionnel, que le prix biologique soit toujours plus élevé que le prix conventionnel, mais pas trop élevé pour que le plus grand nombre des clients aient accès à ces produits.
Pour répondre, monsieur le rapporteur, à votre question, quand je regarde L'Oréal, quand je regarde, Procter & Gamble, quand je regarde ces groupes-là qui sont censés souffrir de la déflation, je vous assure, j'ai l'impression qu'elles ont encore des capacités d'investissement en R&D – et je m'en félicite, ce sont des partenaires –, des capacités à faire du développement économique, à ouvrir partout dans le monde, etc., absolument exceptionnelles. Il n'y a aucun de ces acteurs-là qui se retrouvent fragilisés parce qu'éventuellement les équipes achats auraient fait un - 0,5 % sur une catégorie.
Cela dépend des acteurs, par nature.
Au fond, elles se présentent dans une négociation à + 5. Moi, je me présente dans une négociation à - 5. On sait très bien qu'il y a un point d'équilibre. Je parle pour les grands groupes, elles n'ont pas besoin d'un + 3, +4, pour avoir un équilibre économique, sinon elles n'auraient pas 20 % de profitabilité.
La logique que vous avez, vous êtes nombreux à l'avoir, même si vous êtes peu nombreux dans la grande distribution en France : « puisqu'elles ont, on peut continuer d'aller chercher ». Moi, j'ai été critiqué parce que j'avais dit : « Il n'y a pas de honte à gagner de l'argent en France !». Parce qu'il n'y a pas de honte à gagner de l'argent en France, j'avais même proposé un amendement, qui est passé, pour que les patrons de plus de 1 000 employés déclarent leur salaire. Parce que j'estime qu'il n'y a pas de honte à gagner de l'argent en France. On doit être fier de ce que l'on gagne. Mais là vous me dites : « Ils gagnent, donc on peut y aller ». 75 % de vos achats sont signés en déflation ou en « flat » depuis cinq ans, tout augmente. J'aimerais que vous m'expliquiez avec l'expérience et la carrière que vous avez et les réussites qui ont été les vôtres, comment, avec moins, on peut faire plus.
Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment se passent les négociations, avec qui on négocie lorsque l'on veut vendre des produits chez Carrefour ? C'est-à-dire l'articulation entre Carrefour, la centrale nationale Envergure, et la centrale internationale, C.W.T.
Vous avez raison, il n'y a pas de honte à ce qu'il y ait des grands groupes français de l'industrie agroalimentaire qui se portent bien, qui se développent et qui conquièrent le marché. Et moi, ma mission, ma responsabilité, c'est d'assurer la pérennité et le développement du groupe Carrefour. Un secteur qui, vous l'avez compris, est aujourd'hui en proie à des transformations, des mutations, des difficultés extraordinairement importantes. Je dois concilier des objectifs – je le disais tout à l'heure – qui peuvent apparaître contradictoires, c'est ma mission.
Quand les équipes négocient avec Nestlé, elles savent quel est le niveau de tension économique qui est le nôtre, et donc il faut que le modèle puisse se développer. Moi aussi j'ai de l'inflation, l'énergie augmente, les coûts du travail augmentent, les loyers augmentent. J'ai une inflation naturelle de 3 %. Je vais vous redonner l'exemple de tout à l'heure. Si je transmettais le + 5 de l'industriel, que j'ajoutais mon inflation naturelle, et que je le transmettais au consommateur, cela ferait + 8. Est-ce que vous pensez que le modèle économique français en macroéconomie tiendrait à + 8 ? On a 0 ou 1 % d'inflation dans ce pays. Si on a 1 % d'inflation en moyenne depuis dix ans, on a aussi 1 % ou 0 % sur les produits alimentaires. Je vous assure que quand je vois l'état – et je m'en félicite, parce que j'ai besoin d'une industrie agroalimentaire qui va bien – je vous assure qu'avec le 0 ou le 1 %, ils arrivent à faire un développement économique de leur groupe de manière extraordinairement réussie.
Vous avez auditionné les équipes de C.W.T. et les équipes d'Envergure. Je crois qu'ils vous ont indiqué que C.W.T. ne négocie pas, n'achète pas. Ce n'est pas un échelon d'achat. C'est assez clair, je crois. Envergure a un périmètre défini d'un certain nombre de fournisseurs, 82 alimentaires et non alimentaires, 69 pour l'alimentaire et le reste est non alimentaire, vous devez savoir tout cela maintenant. Donc ils ont ce périmètre en charge. Le reste des fournisseurs est géré par Carrefour France. S'agissant de l'articulation ou des questions que vous avez sur l'articulation éventuellement entre Envergure et l'échelon France, Jérôme Hamrit qui est directeur des marchandises France et qui pilote les équipes « Achats » pourra mieux vous répondre sur les points d'articulation qui faisaient partie de vos questions.
Monsieur le PDG, Carrefour est fondateur de C.W.T. : Carrefour World Trade. On peut imaginer que vous avez des responsabilités dans cette organisation, et puisque nous parlions de pilotage stratégique, quel rôle, quelle mission incombe finalement à C.W.T. ? La centrale internationale, puisque C.W.T. ne fait pas d'achats.
En effet, je suis en charge de la marchandise pour la France. Je ne peux pas vous parler de C.W.T. qui est à l'international et dont je ne m'occupe absolument pas. Pour la France, je peux vous répondre sur des points techniques sur l'articulation entre Envergure et nos services. Et puis il y a tout un tas d'achats auxquels on procède sans lien avec Envergure.
Je rappelle juste les grandes répartitions, il y a en effet, comme le rappelait Laurent, à peu près 82 ou 83 fournisseurs, de mémoire, qui sont négociés par Envergure. L'énorme majorité des contrats, mais qui représente en effet une masse moindre à l'achat, est négociée directement par mon équipe sans être négociée par envergure.
Je reviens également sur la MDD, car nous parlons beaucoup de MN, mais vous savez que nous avons comme cap d'essayer d'avoir plus d'un tiers de nos achats en valeur de nos ventes, en valeur qui passent pour la MDD, c'est également au sein des équipes de Carrefour France et groupe que cela se passe. Il y a cette répartition. Je précise également qu'une partie – et cela fait écho à la question de madame Motin – de nos équipes à l'achat sont distribuées en région. C'est quelque chose que l'on a développé et déployé au cours des dernières années et qui nous permet justement d'accompagner les producteurs locaux et régionaux au plus proche des territoires et dans les petits magasins pour lesquels il n'y a pas un directeur de magasin qui peut se déplacer pour prendre le contact direct.
Une fois que j'ai positionné les responsabilités des uns et des autres, le lien avec Envergure, qui je pense, vous intéresse plus, il est assez simple. Nous, département marchandises France, nous avons la politique commerciale de Carrefour en responsabilité. Une des responsabilités de mon équipe est de définir commercialement quels types d'assortiments, quels types de catégories on veut développer, dans quelles marques on croit que l'on peut le plus se développer. Moi, je transmets des possibilités de plan d'affaires à Envergure. Il y a un négociateur d'Envergure qui – ce plan d'affaires permettant de dynamiser les marques au sein de Carrefour France – négocie sur la base de ce plan d'affaires et convient d'un prix d'achat qui sera contractualisé par mon équipe et qui va être, derrière, activé pendant toute l'année parce qu'il y a un moment dans l'année où l'on convient d'un prix d'achat, puis d'activer à chaque commande.
Je vais répondre à madame la députée, je ne vous ai pas répondu sur le nombre. Nous avons à peu près 250 hypermarchés en France. Le reste des formats – puisque nous sommes le seul groupe totalement « multiformat » – ce sont des supermarchés, Carrefour Market. Et après, ce sont des magasins de proximité, soit généralistes sous différentes marques, soit spécialistes aujourd'hui autour du bio. La transformation que nous sommes en train d'opérer et contrairement à ce que font d'autres acteurs nous croyons en l'hypermarché. C'était très agréable d'entendre les propos que vous avez tenus tout à l'heure sur les hypermarchés. Je crois que l'hypermarché a un avenir, mais sa transformation est évidemment hautement nécessaire. L'hypermarché de 20 000, 25 000 à 30 000 m² où l'on venait passer trois heures le week-end n'est plus le mode de consommation privilégié, mais l'hypermarché comme lieu où sont présents à la fois les producteurs locaux, les circuits courts, où l'offre de produits frais est là, où il y a des services nouveaux, où il y a de la restauration, etc., moi, j'y crois. Nous avons engagé une transformation de l'hypermarché, pas une fermeture de nos hypermarchés. On y tient beaucoup. On est dans une transformation de ce modèle-là et dans une accélération des formats de petite taille. Nous avons annoncé ouvrir 3 000 magasins, dans le monde, dont un tiers en France, des magasins de petite taille d'ici à 2022. Nous sommes absolument convaincus que Carrefour n'est pas seulement l'hypermarché, c'est aussi des magasins de proximité, c'est aussi des supermarchés qui conviennent parfaitement à nos clients urbains. C'est ce maillage extraordinairement complet d'offres multiformats que nous proposons à nos clients.
Sur C.W.T., je ne sais pas quelle est la nature de vos interrogations après l'audition. Je comprends qu'il a été beaucoup dit que nous vendions du vent, que c'était totalement fictif. J'ai entendu cela.
Monsieur Richard Panquiault, président de l'Ilec, a explicitement dit au cours de son audition qu'à C.W.T., il y avait des services qui fonctionnaient. Cela ne doit pas être que du vent ! Depuis 30 ans, avec les industriels qui sont là, je trouverais curieux que depuis 30 ans ils payent pour du vent.
En plus, je trouve qu'il y a des services innovants qui sont chez C.W.T. Il se trouve que j'ai dans mon périmètre la responsabilité sociale de l'entreprise, et je vais vous prendre un exemple qui est en train de se développer grâce à C.W.T. Je prends l'exemple d'une initiative qui a été faite par Carrefour et un industriel, Procter & Gamble, et qui est née chez C.W.T. La beach bottle est une bouteille qui a été faite à partir de plastique recyclé et recueilli sur les plages. Cela a été lancé en 2016 ou en 2017. Cela a été une initiative d'un partenariat entre un très grand industriel et Carrefour, autour d'une initiative innovante, de dire : il y a un sujet qui monte. C'était il y a trois ans, on ne parlait pas du plastique autant qu'aujourd'hui. Ils viennent voir un grand distributeur mondial pour une initiative qui demande un peu de taille et un peu de volume, parce que vous n'allez pas faire cela sur un seul territoire ou sur très peu de magasins. Ils viennent pour discuter avec Carrefour, TerraCycle, qui est une entreprise spécialisée dans le recyclage nous appuie, que Carrefour connaît, on construit ce partenariat avec Procter et Gamble et on le déploie en exclusivité chez Carrefour. Et là, en plus de ce que je comprends – je n'étais pas là, j'en parle d'autant plus aisément, et c'est d'autant plus facile pour moi de le dire – à l'époque en réalité, quand C.W.T. discute et négocie cette proposition qui est conclue avec un industriel pour déployer une innovation, pour déployer un service que possiblement Carrefour est seul à pouvoir rendre et à travailler avec lui, quand ils viennent voir le directeur des marchandises France – ce n'était pas Jérôme Hamrit à l'époque – ils viennent le voir en lui disant : « Il y a une référence supplémentaire, il y a une bouteille grise, on n'est pas sûrs que cela va se vendre », et je crois que c'était 18 000 bouteilles. En réalité, le directeur « marchandises France » n'était peut-être pas très content d'avoir cette proposition qui avait été négociée au niveau de C.W.T. Aujourd'hui, on a des partenariats avec les industriels, certains vont se faire, certains ne vont pas se faire, qui vont ressembler à cela, sur des choses innovantes, sur des choses différentes. Parfois, cela ne se fera pas, parce que là pour le coup on travaille ensemble, et cela ne peut se faire qu'avec un grand industriel mondial, avec un distributeur de taille mondiale. C.W.T. notamment sert à cela. Donc je crois qu'avoir beaucoup dit que cela ne servait à rien, avoir beaucoup redit qu'on ne payait pas le prix...
J'ai aussi entendu dire qu'il n'y avait que 20 personnes pour un chiffre d'affaires incroyable. C'est ce que j'ai cru comprendre lors de l'audition. C'est comme si vous me disiez que les 20 commerciaux de L'Oréal, en faisant 600 millions d'euros de chiffre d'affaires chez un distributeur, c'est anormal. Non, c'est exactement la même chose. Vous avez 20 commerciaux, 25 commerciaux ou 30 commerciaux, peu importe, qui vendent une prestation qui est exécutée par l'ensemble de Carrefour. Évidemment, ce n'est pas la valeur ajoutée de ces 20 personnes.
C.W.T. vend des services qui s'exécutent sur l'ensemble des magasins Carrefour.
Monsieur le secrétaire général, au terme d'une heure et demie d'échanges, les directeurs de C.W.T. ne m'ont pas convaincu de l'utilité, de la pertinence de la justification d'une centrale internationale, autre que le fait de capter des contributions financières à des interlocuteurs qui sont des multinationales. Dans le même temps, vous nous expliquez depuis une heure et demie que les multinationales sont des mastodontes puissants financièrement, implantés dans le monde entier, mais vous nous dites : « Mais nous, on sait faire, on sait diffuser, on sait leur proposer », pas vous, mais C.W.T. sait faire, sait diffuser l'innovation, sait proposer des services. Ce qui nous étonne avec monsieur le rapporteur depuis que nous auditionnons ces centrales internationales, c'est qu'en termes de services, on n'est pas capables de nous présenter un catalogue précis de services, avec un tarif afférent aux services. On a compris que c'étaient des centres de profit facile, et que pour un certain nombre d'enseignes de la distribution – pas tous – c'est ce qui leur permettait, dans le contexte du moment, de vivre et de survivre. Et puis on nous dit : « Vous comprenez, on a affaire à des multinationales, et comme un certain nombre d'acteurs de la distribution se sont structurés en centrales internationales, on est obligés de faire la même chose ». C'est un petit peu comme la guerre des prix. Michel-Edouard déclare la guerre des prix, il décrète en France la guerre des prix, à tout prix, le prix bas. Tout le monde s'aligne. Vous-même, vous l'avez dit, on l'a lu dans quelques revues spécialisées. C'est-à-dire que Leclerc donne le tempo en termes de prix, et les autres se battent pour obtenir le même prix. C'est ce qui m'a fait dire qu'au terme d'une heure et demie d'audition des représentants de C.W.T. cette semaine qu'ils n'avaient pas grand-chose à vendre, du vent en effet.
Lorsqu'il y a un process innovant, lorsque l'on vend un shampoing, lorsque l'on vend un produit laitier, il y a un produit, il y a quelque chose de concret avec des coûts de fabrication, avec des frais de recherche, avec des frais d'innovation, avec de la main-d'oeuvre, mais quand on voit un service, c'est un petit peu comme une banque. Vous savez, comme une banque qui vend un certain nombre de services dont des prix parfois sont prohibitifs. Pourquoi le législateur est-il obligé d'encadrer certaines prestations de certains groupes bancaires ? Parce que c'est prohibitif. Ce qui apparaît au cours des auditions, c'est qu'un certain nombre de vos fournisseurs nous explique qu'un certain nombre de pratiques et un certain nombre de prix sont abusifs, déloyaux, voire prohibitifs.
Comme M. Bompard est PDG d'un grand groupe de la distribution française et que Carrefour est fondateur et partie prenante de C.W.T, et que j'ai devant moi un jeune PDG, un jeune dirigeant de la distribution en France, j'aimerais qu'il puisse m'exposer son analyse de la situation.
Sur ce que vous avez eu en lecture, je vais vous dire aussi ce qui se dit à huis clos, sans pour autant vous donner les noms. Effectivement, quand on pousse un peu dans ses retranchements les dirigeants de C.W.T. en leur disant que les services ne servent à rien, cela choque un peu, surtout que l'on fait du travail. Il y a du travail derrière, les 20 personnes qui sont là, elles bossent. Mais ce qui nous est dit par de très nombreuses entreprises est qu'effectivement, à la limite de beaucoup de centrales d'achat, vous êtes presque la plus légitime, parce que vous êtes en Chine – vous y étiez – parce que vous êtes dans d'autres pays. D'ailleurs si vous n'êtes plus en Chine, peut-être que les taux vont baisser. Vous pouvez peut-être nous le dire, peut-être que cela en rassurera certains. Vous vous dites qu'il y a quand même un peu de légitimité derrière, mais elle est estimée à 10 % à peu près du montant qui est facturé. Le problème, c'est la disproportion dans le montant qui est facturé. Le problème c'est que vous facturez des entreprises qui ont, au sein de leur chiffre d'affaires uniquement, et c'est important, des produits vendus sur le territoire français et vous leur prenez quand même un pourcentage de leur chiffre d'affaires. Cela les choque.
Ensuite, le data sharing peut représenter environ 25 % du taux que vous prenez à l'internationale en moyenne, ce sont les chiffres que nous avons. Nous avons fait venir en off des personnes qui maîtrisent le data sharing. Le data sharing, en trois minutes, ils vous sortent une centaine d'industriels et leurs milliers de références. C'est un fichier Excel. On l'a vu, c'est un fichier Excel distribué sur de la sortie caisse avec des systèmes SAP, et la genèse du rapporteur fait que j'ai peut-être aussi la maîtrise de cette technologie. Vous voyez, c'est la disproportion dans le service.
Nombreux sont vos co-acheteurs, les autres entreprises avec qui vous avez contractualisé qui, même hors audition, en off, nous le disent, et pas que d'ailleurs, avec CWT. Tout le monde. Sans les accords internationaux, nos groupes respectifs déposeraient le bilan. Ce qui montre l'importance de ces accords internationaux, monsieur le président, c'est que si on les retirait et que vous ne faisiez que 10 % de marge sur un service, ce ne serait pas très grave, vous ne perdriez que 10 % des « x » % que vous prenez. Mais parce que la marge est énorme, le fait de retirer ces services serait effectivement catastrophique pour votre groupe. Tout est dans la proportion, et j'ai envie de dire plutôt dans la disproportion des services que vous proposez. Je ne sais pas si vous avez conscience de cela, monsieur Bompard, si vous maîtrisez le sujet C.W.T, et réellement les services qui sont demandés.
Je le maîtrise assez bien. Pardonnez-moi, j'ai tendance à penser que vous le grossissez un peu. Cela fait 15 ou 20 minutes que je vous entends sur ce sujet, laissez-moi vous répondre. Je crois que vous en grossissez un petit peu l'importance, y compris pour le groupe Carrefour, un tout petit peu. Je ne pense pas à C.W.T. du matin au soir, et aucun de mes collaborateurs non plus. Ce n'est quand même pas le centre névralgique de l'entreprise. Ce n'est pas une centrale d'achat à la Leclerc – ce n'est pas un reproche que je fais à Leclerc, là c'est une vraie centrale d'achat qu'il a construite avec un groupe allemand. C'est une vraie centrale d'achat qui permet de bénéficier des prix plus bas qui sont en Allemagne. Cela n'a rien à voir, ce sont des services. Vous pouvez les estimer inutiles. On peut passer du temps à essayer de vous démontrer qu'ils le sont, vous pouvez estimer qu'ils sont trop coûteux. Si vous demandez à un industriel s'il trouve que le prix est trop élevé, il va probablement vous dire qu'il est trop élevé. Si vous me demandez à moi, il est possible que je vous dise qu'il n'est pas assez élevé vu tout ce que l'on fait.
Bien sûr que les services se refusent. Il y a un principe au centre de cela. C'est une relation contractuelle entre un distributeur et un industriel. L'industriel peut dire non, Procter & Gamble, quand ils ne veulent pas, ils ne font pas ! Bien sûr que non, ils ne font pas. Ça ne référence pas, C.W.T. Ce n'est pas une centrale d'achat. Vous n'avez pas besoin de passer par C.W.T. pour être dans les étagères Carrefour. Quand vous lancez un produit mondial – cela va vous étonner – avec de l'innovation comme le disait madame la députée, vous êtes extraordinairement intéressés à savoir comment il va être lancé, comment vous l'optimisez, quelle est la personnalisation. Vous parlez de data sharing. Je suis ravi que vous connaissiez bien ce sujet, c'est un sujet tellement compliqué, moi-même je le connais très peu encore. Mais nous sommes au début de cela, la capacité quand vous avez quatre milliards de transactions par an – quatre milliards, c'est le groupe Carrefour – à donner de l'information aux industriels, à leur dire : « Voilà ce que l'on sait précisément pour le lancement d'un produit. Voilà ce que l'on sait de nos clients. Voilà ce que l'on sait des services que nous pouvons vous apporter », cela a une valeur.
Vous la jugez trop importante, moi je la juge équilibrée. C'est une discussion qui est un peu sans fin, si je peux me permettre, mais encore une fois, ce n'est pas une centrale d'achat, ce n'est pas du référencement, ce sont des services additionnels. Depuis de longues années, les grands industriels mondiaux collaborent, coopèrent avec C.W.T. sans difficulté particulière.
Est-ce que ces grands industriels mondiaux peuvent refuser de négocier avec C.W.T. et voir leurs produits distribués dans les magasins Carrefour ?
Oui, parce que ce n'est pas du référencement.
Dans l'écosystème que les distributeurs ont créé, dont Carrefour, comme il y a plusieurs étages de négociation, on a un industriel nous a dit : « Carrefour a récemment réclamé 200 000 euros au motif que le résultat financier n'était pas atteint. Or, la négociation a eu lieu avec Envergure, et c'est Carrefour qui réclame cette compensation de marge ». Cela nous a été dit en audition, à huis clos.
Rien à voir. Vous pouvez vous agiter, monsieur Vallée, sur votre chaise, mais cela décrit la complexité des niveaux de négociation. Lorsque je vous posais l'articulation entre le groupe Carrefour, Envergure, la centrale d'achat France, et C.W.T., reconnaissez que tout cela est un mode de négociation complexe. Je crois que c'est vous qui aviez dit qu'en France on faisait preuve d'imagination et que le législateur faisait souvent bouger la loi, mais s'il y a un sujet vers lequel il y a matière à porter le regard, c'est certainement celui-là, tous ces niveaux de négociation. Parce que si les distributeurs avaient face à eux un certain nombre de fournisseurs, quelle que soit leur taille, fournisseurs locaux, PME, entreprises de taille intermédiaire, ou groupes internationaux, multinationales, s'il y avait un interlocuteur avec un échelon de négociation, les choses seraient sans doute un peu plus simple et il y aurait une corrélation plus réelle entre le prix de vente, donc le prix payé par le consommateur, et le prix payé aux producteurs, que ce soit un agriculteur ou un producteur de lessive ou de shampoing.
Je peux comprendre votre sentiment, et je peux comprendre le sentiment de complexité que vous ressentez. Comprenez bien que je ne me sente pas aussi concerné par ces niveaux de négociation que d'autres acteurs, parce que je n'ai pas une centrale d'achat européenne. J'ai une centrale d'achat française pour les 80 principaux fournisseurs qui s'appelle Envergure, qui négocie des plans d'affaires. J'ai des services internationaux qui sont vendus par C.W.T. à des groupes qui lancent des produits à l'internationale, et nous sommes présents dans 40 pays. Cela ne veut pas dire trois échelons de négociation avec les mêmes interlocuteurs sur les mêmes produits comme c'est le cas – ce n'est pas du tout une critique, mais c'est un modèle qui a été construit – pour un certain nombre de mes concurrents. Ce n'est pas le modèle que nous avons. Je comprends que vous trouviez cela complexe, mais je vous assure que nous n'avons pas trois niveaux de négociation avec les mêmes partenaires.
Je répète ce qui a été dit par le rapporteur tout à l'heure. Certains de vos fournisseurs, certains des fournisseurs de la grande distribution, nous ont expliqué qu'eux ne diffusent pas de produits à l'international, mais que, de toute façon, il n'y a pas le choix, il faut discuter avec la centrale internationale, passer par la centrale nationale et discuter avec l'enseigne. C'est une embrouille, un petit peu comme dans cette commission. Il y a une gymnastique entre les différents niveaux de négociation, entre celui qui négocie un service, celui qui négocie le produit, et celui qui négocie directement le plan d'affaires. Reconnaissez que tout cela n'est pas simple. Je ne vais pas dire que ce n'est pas clair. Mais ce n'est pas simple, et ce n'est quand même pas très clair.
Je comprends que vous ayez le sentiment de la non-simplicité, mais encore une fois, les industriels qui passent des contrats avec C.W.T. ont une présence qui dépasse la France. Ils ne sont pas forcément mondiaux, mais ils ont plusieurs pays dans lesquels Carrefour est présent.
Vraiment, je ne grossis pas le trait. Mon rôle de parlementaire aujourd'hui est juste de comprendre. Si le trait est gros, c'est parce qu'il nous est présenté comme gros, et c'est pour cela que l'on fait ces auditions. Ce n'est pas une commission d'enquête à charge. Je me répète, mais je vous l'assure, je pense que je vais vous rassurer.
Mais ces industriels nous disent bien que si nous ne signons pas C.W.T, nous ne pouvons pas continuer de négocier dans un état normal avec Envergure et ensuite la distribution en règle générale : « Si nous ne signons pas C.W.T, on va nous coincer dans tel pays ou tel pays ou tel pays ». On leur dit : « Il n'y a rien d'écrit ». C'est pour cela que vous pouvez être sûrs de vous. Mais la négociation, ce qui se fait dans les box, même si le coup du box, pour les connaître un peu, oui un box, c'est une salle de réunion. Le coup du trop chaud, trop froid, pas de café et quatre heures du matin, cela arrive, mais ce n'est pas une généralité. Mais ce qu'il se dit réellement est vrai. Ce qui se dit, c'est : « Si tu n'as pas assuré au niveau international, à Genève, si tu n'as pas fait de virement comme tout le monde, tu n'auras pas de plan d'affaires, tu seras peut-être déréférencé, il y aura peut-être des arrêts commande ». Je ne sais pas si vous êtes le plus apte à en parler, mais je tiens juste à vous informer que chez vous, c'est ce qu'il se passe, et cela, je peux vous l'assurer. Cela nous a été décrit. Vous avez l'air très rassuré. Quand j'ai commencé cette commission d'enquête, je ne pensais pas entendre des choses comme cela de la part de personnes qui ont des niveaux d'étude très poussés, qui ont la responsabilité de milliers d'emplois. On a vu des gens les larmes aux yeux. J'ai vu des patrons d'entreprise tremblants. Les mots que je vous donne, c'est ce que j'ai ressenti, c'est personnel. Ils nous disent que les relations ne sont même pas tendues, ce sont des relations de soumission. Ce sont des abus de position dominante. Je vous le dis, vous êtes le PDG, à un moment donné, faites attention, parce que j'ai toujours privilégié le contrat de confiance à la contrainte législative, mais la logique risque de changer.
Ce qui est grave dans cette affaire, depuis le temps que nous auditionnons, c'est que les enseignes de la distribution par délégation confient à d'autres un certain stade de discussions et de négociations. Ces discussions et ces négociations sont très dures, très âpres. Ce qui est encore plus grave, c'est que comme il y a peu de choses qui sont écrites, un certain nombre de choses qui se disent, mais d'autres qui se pratiquent, tout cela échappe à l'Autorité de la Concurrence et à la DGCCRF.
Les pratiques abusives, les intimidations, les menaces de déréférencement, les discussions pour demandes de paiement pour perte de marge, les pénalités logistiques, tout cela a été évoqué, nous ont été énoncées ici en commission d'enquête, et il nous paraît de notre responsabilité, lorsque nous avons un responsable, qui a accepté de venir en audition – et on vous en remercie – nous pensons qu'en tant que député, avant d'être président de la commission d'enquête et avant d'être rapporteur, c'est de notre responsabilité de vous dire ce qu'il se pratique. Pourquoi je vous le dis ? Parce que vous êtes un jeune PDG, et je pense que seuls des gens comme vous – je l'ai dit au PDG de Super U et nous le dirons aussi à Michel-Edouard Leclerc – sont habilités à changer l'ordre des choses, j'en suis convaincu. Il n'y a que vous. Parce que par la loi, on ne fera pas tout, et nous n'avons pas de toute façon l'ambition de faire la révolution, mais je pense que c'est de notre responsabilité de vous avertir, parce que c'est grave, ce qui nous a été remonté.
Je vais revenir sur ce qui se passe entre l'international et la France. Je remarque, monsieur le président, que vous avez mentionné un certain nombre de pratiques déloyales ou condamnables. J'ai bien compris que vous ne nous associiez à aucune d'entre elles. Vous avez bien compris, je crois, de par vos débats avec Envergure, avec C.W.T. ou avec nous aujourd'hui, qu'aucune de ces pratiques ne nous concernait. C'est ce que j'interprète de vos propos. Sachez que pour moi c'est extrêmement important, parce que là, monsieur le président, on parle de l'éthique de travail de mes collaborateurs. En ce qui concerne les box, qui sont des salles de réunion dans lesquelles il fait une température tout à fait agréable, avec des collaborateurs qui parlent de manière tout à fait polie, je pense que Carrefour a un comportement d'une manière générale beaucoup plus correct en tout cas que ce qui est l'imagerie collective sur le sujet. C'est quelque chose qui me tient beaucoup à coeur néanmoins.
Sur l'international et sur la France, je vais vous dire quelque chose d'assez simple. Je m'occupe, avec mon équipe, des négociations en France. Je n'ai pas eu de perturbation. Cela fait un an et demi que je suis en poste. Je n'ai pas eu de perturbations notables de négociations, de discussions liées à quoi que ce soit qui se passent à C.W.T. Nous avons une bonne continuité de discussion. Le job de mon équipe, le job d'Envergure, c'est de trouver un équilibre de contrats, de business, de contrats d'affaires, qui nous amène à un prix d'achat et surtout à un développement des affaires.
Je voudrais rajouter un dernier point. On parle beaucoup d'Envergure pour la France. Nos équipes, les équipes de Carrefour, parlent avec les fournisseurs pendant toute l'année. Heureusement, la plus grosse partie de nos discussions, c'est comment développer du business ensemble, quel chiffre d'affaires on a fait ensemble le mois dernier. C'est comment on peut accélérer. C'est : est-ce que l'on fait des animations en magasin? C'est comment avoir des produits au catalogue qui sont plus performants. C'est de cela dont on discute le plus avec les industriels. Je voulais le rappeler parce que c'est un peu regrettable que l'on ramène cela à une petite période pendant laquelle il est vrai qu'il y a un pic de tension, mais ce n'est pas la majorité de nos échanges.
Monsieur le président, merci de m'accorder votre confiance dans la volonté que les choses évoluent. Si tout fonctionnait à la perfection, j'imagine que vous travailleriez sur d'autres sujets. Évidemment, il y a, non pas dans les pratiques de la grande distribution – qui n'est pas un terme que pour ma part j'aime beaucoup –, mais dans la manière dont se déroulent ces relations commerciales, manifestement des choses non contestables. Et moi je l'attribue très largement à ce rite de la négociation annuelle, à sa calendarisation. Il y a une forme de tension qui n'apporte rien. Si la jeune génération doit apporter quelque chose, c'est un esprit de responsabilité, d'éthique individuelle encore plus renforcé, et je vous assure qu'il n'y a pas dans les équipes de Carrefour, dans les équipes d'achat, de comportements et de volonté de comportements de domination, de violence verbale, etc. Ce n'est pas cela qu'est cette entreprise fondamentalement. Il y a beaucoup de box de négociation. Il peut y avoir un moment de tension entre untel et un autre. Ce n'est pas du tout l'esprit avec lequel je dirige une entreprise. Ce n'est pas ce qu'était cette entreprise avant que je la rejoigne non plus.
Vous avez raison, il y a une tension pendant quelques jours parfois avec un certain nombre d'acteurs. Je crois qu'elle ne doit pas faire oublier que nous signons, je vous le disais, des centaines de milliers de contrats, que les relations sont partenariales tout au long de l'année, que nous développons ensemble un flux d'affaires, parce qu'avant de négocier, il faut aussi vendre des produits et innover, et que l'état d'esprit avec lequel nous le faisons est un état d'esprit de responsabilité. On ne délègue à personne le soin de mener ces négociations. C'est la responsabilité de Carrefour, et au fond c'est ma responsabilité, à titre principal. Nous essayons de le faire en prenant en compte les transformations que nous devons effectuer qui nous obligent à beaucoup de rigueur, et beaucoup d'exigences, et des résultats. Parce que la transformation de Carrefour est difficile. En effet, il y a une exigence de résultat. Nous essayons de le faire dans l'esprit le plus responsable, le plus coopératif possible, avec des entreprises qui sont nos partenaires tout au long de l'année. Jérôme Hamrit vient de le dire, le lendemain des négociations, les gens se retrouvent pour décider comment on va développer le mois suivant, encore le mois suivant, et le mois suivant… Je comprends que vous ayez ce sentiment, je regrette que des gens vous aient apporté ces propos. Non pas qu'ils les aient apportés, mais que ce soit leur ressenti. On a peut-être besoin de plus de pédagogie et plus de discussions. Je vous assure que ce n'est pas la manière dont est dirigée l'entreprise ni celle avec laquelle les équipes fonctionnent.
Puisque M. Hamrit nous dit : « Nous ne sommes pas concernés. Merci de saluer notre travail ». Sur C.W.T, voici ce que nous disent un certain nombre d'industriels : « Il y a disproportion entre les services, et parfois il y a un service fictif. Nous devrions pouvoir acheter le service ou ne pas l'acheter, ce qui n'est pas le cas ». Un autre industriel nous dit : « On ne peut pas sortir ou refuser de payer ». Un autre, sur la diffusion d'informations confidentielles, nous dit que par exemple, C.W.T. et Système U ont formulé une demande d'alignement des conditions, puisque dans la centrale d'achat C.W.T, il y a Carrefour, il y a Système U, entre autres, « demande d'alignement des conditions ». Un autre : « la dérive additionnelle sur les centrales internationales représente, pour CW.T, un certain nombre de centaines de milliers d'euros ». Je ne veux pas dire le nombre de centaines de façon à ce que vous ne puissiez pas l'identifier. Un autre : « C.W.T. vend par exemple des rendez-vous stratégiques dont le montant est fixé en pourcentage du chiffre d'affaires. » Un autre, qui est un industriel diffuse ses produits dans d'autres pays du monde. Il les diffuse actuellement. « C.W.T. fait état de sa présence dans ce pays et nous facture », et ils nous mettent : « il n'y a pas de service en face ». Enfin, j'en ai un autre qui nous dit : « d'après la facture transmise, le paiement est effectué sous forme de virement sur un compte en Suisse appartenant à C.W.T. Sur la facture, ne figure pas le détail des services facturés ».
C'est ce qui me fait dire aux représentants de C.W.T, il y a quelques jours : « C'est du vent !». C'est-à-dire que l'on est capable de facturer des centaines de milliers d'euros qui sont virés en Suisse, sans avoir le détail des prestations. Je trouve que cela est choquant. Je trouve que c'est grave. Je trouve que c'est notre responsabilité de députés, de président de commission d'enquête et de rapporteur, monsieur le PDG, de porter ces faits qui nous ont été relatés en audition à huis clos devant cette commission. Je pense, en effet, que c'est notre responsabilité, de façon à ce que vous puissiez réaliser un travail approfondi d'examen de ces pratiques que l'on peut qualifier de déloyales, d'abusives, pour le moins.
Je vais avoir une analyse peut-être un peu différente, mais en vous écoutant, et en me rappelant de ce que nous ont dit les industriels, notamment sur le data sharing, je vous rejoins, l'enjeu de demain, c'est la data, on le sait tous. Sauf que là, finalement, ce que vous leur proposez quelque part, ce sont des données marketing : comment vendre, comment mieux exposer, quelle doit être leur stratégie. On est tous les deux d'accord, L'Oréal, Danone et consorts ont tous déjà de très bons services marketing qui travaillent sur ces sujets-là. Ce qui m'inquiète, c'est qu'aujourd'hui quand on les a reçus, ils nous ont à peu près tous dit que pour pouvoir absorber la charge que représente le service qu'ils se sentent obligés d'acheter chez C.W.T. ou autre, ils baissent leur budget marketing, publicité, ils font moins de promotions de leurs produits. J'ai l'impression dans un sens que vous êtes en train, avec cette méthode, de les forcer à externaliser leur marketing, leur stratégie, parce que finalement vous leur donnez toutes les infos, vous leur dites presque comment il faudrait qu'ils fassent, sauf que vous êtes juge et partie dans l'affaire, parce que vous êtes à la fois leur client et celui qui distribue. C'est là où il y a un véritable problème qui va se présenter à vous dans cette politique de data sharing que vous menez actuellement, parce que non seulement vous êtes juge et partie, mais en plus de cela, vous le faites pour différents industriels qui sont concurrents entre eux. Tout cela me semble poser ce problème-là aussi, parce que ce vous leur vendez, qu'ils se sentent forcés d'accepter, c'est la valeur ajoutée du marketing et de leur lancement produit, de leurs achats, et de leurs stratégies commerciales au travers de données.
Il y a vraiment un élément sur lequel nous n'arriverons pas à nous mettre d'accord. C'est dommage parce que normalement c'est l'élément qui est le plus simple, sur lequel on devrait se mettre d'accord le plus facilement. C'est que nous ne sommes pas en capacité de forcer des entreprises de taille mondiale à recourir à des services. Je ne suis pas en position de dire à M. Coca-Cola, à M. Procter, à M. Nestlé, à M. Unilever, à M. L'Oréal, à M. Danone : « J'ai des services, qui plus est fictifs, c'est sur un compte en Suisse, il faut que tu y recours parce que sinon, tu ne seras pas chez moi ». Même si j'étais un voyou et que je voulais le faire, je n'ai pas cette puissance économique là.
Je m'excuse d'y revenir, le rapport de force économique n'est pas celui auquel vous pensez. Qu'il y ait des comportements individuels – vous en mentionnez – qui font souffrir un certain nombre de gens, etc., j'ai pris le point, je vous l'ai dit tout à l'heure. En revanche, sur l'équilibre économique, forcer un acteur à rentrer dans C.W.T. parce que sinon il n'est pas là, sachant qu'en plus, ce n'est pas, comme vous l'avez compris, une instance qui fait du référencement, ce n'est pas le cas.
Sur votre point, madame, je suis un peu surpris, parce que c'est justement notre métier, il faut bien qu'on ait des métiers qui sont les nôtres. Notre métier, c'est la relation avec le client. Il se trouve qu'il y a – je vous le disais tout à l'heure – quatre milliards de transactions par an dans les enseignes du groupe Carrefour. Cette richesse-là d'informations qui est le lien que nous avons avec le client, qui nous permet quand Danone sort un nouveau produit de leur dire : « Ce qu'on a observé au moment d'un lancement sur un produit de ce type avec ce niveau d'innovation, ce qu'on a observé comme potentiel dans telle zone géographique, dans tel pays, dans tel format de magasin, c'est cela, et on est capable d'accélérer ton lancement grâce à cette connaissance du client que nous avons ».
En effet, l'industriel n'a pas ce lien avec le client, c'est le rôle du distributeur. Le distributeur a le lien avec le client. Quand j'étais à la Fnac, j'avais plus d'informations sur le client que Samsung, et d'ailleurs cette donnée-là l'intéressait. C'est le rôle même du distributeur d'être au contact, d'être en avant-poste de la relation avec les clients. Comme nous avons cette relation avec le client, qui est une relation à travers les transactions, les quatre milliards, mais aussi tout ce qui se passe dans les magasins, la compréhension qu'ont nos équipes de vente de ce que souhaitent les clients, nous avons une capacité d'aller voir les grands industriels, en leur disant : « Pour vos lancements, pour vos innovations, voilà ce que l'on peut faire, voilà comment on peut favoriser une réussite d'un lancement d'un produit !» C'est parce que nous avons un lien avec le client. C'est cela le rôle du distributeur : un entre-deux entre le producteur éditeur et le consommateur.
Nous arrivons au terme de cette audition, monsieur le PDG, souhaitez-vous évoquer quelques points à huis clos ou est-ce que vous considérez que nous avons fait le tour du sujet, pour l'instant ?
La grande transparence de nos échanges me permet de vous dire que nous n'avons pas de points particuliers à évoquer à huis clos.
La séance s'achève à seize heures trente.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 11 juillet 2019 à 14 h 40
Présents. – M. Thierry Benoit, M. Grégory Besson-Moreau, M. Yves Daniel, M. Jean-Claude Leclabart, Mme Cendra Motin, M. Hervé Pellois