Intervention de Hervé Daudin

Réunion du jeudi 11 juillet 2019 à 16h00
Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Hervé Daudin, membre du comité exécutif et président achats marchandises du groupe Casino :

Nous sommes à votre entière disposition, les autres représentants du groupe Casino ainsi que moi-même, pour répondre à toutes vos questions.

Depuis le début des auditions, j'imagine que tous les intervenants ont présenté les changements profonds que notre secteur connaît, tant en amont qu'en aval. J'insisterai simplement sur ceux qui sont à l'oeuvre dans notre groupe, avec trois orientations fortes :

- tout d'abord, nous adaptons notre portefeuille de formats et d'enseignes à la demande des consommateurs. Nous continuons à réduire notre exposition au format des hypermarchés – qui représenteront seulement 15 % de notre chiffre d'affaires à un horizon de trois ans – et nous allons continuer à nous développer dans les formats de proximité, bio ou qualitatifs. Il y a une dizaine d'années, nous avions lancé la notion de « commerce de précision », par opposition à un commerce de masse. Nous continuons dans ce sens, en adaptant en permanence notre parc de près de 10 000 magasins en France, animés par près de 80 000 salariés ;

- ensuite, nous faisons croître nos activités digitales. Notre objectif est qu'elles atteignent 30 % de notre volume d'affaires en 2021. Dans trois ans, près d'un tiers de l'activité du groupe sera donc digital. Nous nous appuierons pour ce faire sur la montée en puissance de Cdiscount, mais nous triplerons aussi notre activité en e-commerce alimentaire, notamment grâce à nos partenariats stratégiques avec Ocado et Amazon. Nous digitalisons également la relation avec nos clients, en lançant des applications qui permettent par exemple des promotions ciblées. Celles-ci sont beaucoup plus efficaces et globalement moins dispendieuses que des promotions massiques et identiques pour tous ;

- enfin, de nouvelles préoccupations produits voient le jour, et nous essayons d'y répondre. Par exemple, nous sommes les leaders dans la vente de produits bio, en pourcentage de chiffre d'affaires. Et nous allons préserver notre avance, en visant 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires à horizon 2021.

La fonction achats, et plus largement la relation fournisseur-distributeur, est partie intégrante des changements profonds que le groupe connaît et que je viens d'énoncer. Lorsque le modèle dominant est celui du commerce de masse et de la standardisation, le prix d'achat est naturellement le référent essentiel de la relation fournisseur-distributeur, coûte que coûte. Et, pour obtenir le meilleur prix, il y a une course à la masse, à la puissance, des deux côtés : côté fournisseur comme côté distributeur. La standardisation appelle la puissance, et la puissance appelle la standardisation. L'acheteur est alors à l'image de ce mouvement, souverain, univoque.

De notre point de vue, ce modèle de distribution, avec comme corollaire sa fonction achats, est dépassé. Lorsque le modèle de la précision ou de la différenciation de l'offre l'emporte – ce qui est le cas dans le groupe Casino, avec la diversité de ses enseignes et de ses formats –, c'est une tout autre relation distributeur-fournisseur qui se met en place. La puissance n'est plus la qualité essentielle, mais c'est l'agilité et la capacité à trouver des compromis collaboratifs, en intégrant beaucoup d'autres dimensions que le seul prix, en incluant la santé, l'innovation, la différenciation, la taille, la proximité.

Le basculement en cours du modèle de commerce de masse, aujourd'hui dépassé, vers celui de la précision s'accompagne ainsi d'une refonte complète de la fonction achats. Aussi, de notre point de vue, il convient de juger le métier d'acheteur non tant au regard de ce qu'il faisait hier, lorsque le modèle du commerce de masse dominait, mais au regard de ses nouvelles pratiques conforme au nouveau modèle dit « de la précision ».

Pour mettre en oeuvre ces changements aux achats, nous avons lancé il y a près de deux ans un plan d'action modèle drastique, dont nous commençons à percevoir les premiers effets. Et, même si ce plan est antérieur à la loi EGAlim, il a trouvé de notre point de vue son plein accomplissement avec une loi que nous jugeons complètement salutaire. Au cours des deux dernières années, nous avons ainsi fait trois avancées essentielles.

Tout d'abord, nous avons différencié notre stratégie d'achat en fonction de la taille de nos fournisseurs et de la nature de nos marchés. Nous avons en effet trois stades possibles de négociation : au stade d'une enseigne, au stade de la centrale d'achats du groupe Casino – c'est-à-dire au stade de l'ensemble des enseignes du groupe – ou au stade d'un partenariat avec des concurrents, en l'occurrence Horizon. Nous avons aussi plusieurs méthodes d'achat possibles : appels d'offres, gré à gré, contrats pluriannuels. L'objectif est d'adapter le bon niveau de négociation – un de ces trois niveaux – à la bonne méthode d'achat au fournisseur et au marché.

Comme exemple des changements récents que nous avons opérés, les achats fruits et légumes, boulangerie-pâtisserie, boucherie et marée ont récemment été sortis de la centrale d'achats du groupe, pour être confiés en direct aux enseignes, pour plus de réactivité et de différenciation sur l'offre. Pour prendre un autre exemple, notre marque distributeur ne se distribue plus de gré à gré – cela conduisait trop souvent à privilégier le fournisseur en place, au détriment de l'innovation –, mais via des appels d'offres transparents et ouverts. Autre exemple : nous avons développé des filières, dans le cadre d'accords tripartites ou pluriannuels. À ce jour, il existe plus de 110 accords au sein du groupe, dans tous les domaines.

Pour prendre un dernier exemple, pour la centaine de nos plus gros fournisseurs, de dimension internationale, nous avons changé de partenaire et créé une centrale d'un nouveau type. Abel Mercier est le directeur général délégué de cette entité. Il ne s'agit pas de s'allier uniquement pour baisser les prix, au profit ultime du consommateur, mais pour promouvoir plus efficacement un nouveau mode de relation, plus collaboratif et plus apaisé, pour favoriser aussi l'innovation.

Nous nous sommes également dotés de nouvelles règles comportementales. Tous nos acheteurs reçoivent désormais lors de leur recrutement un kit juridique et éthique. Je peux citer également tous les engagements pris par Horizon sur la façon collaborative de négocier.

Nous avons formalisé nos engagements en matière de qualité, afin qu'ils puissent être respectés par toutes les parties prenantes, y compris en interne. Il s'agit d'engagements santé, d'engagements goût, d'engagements précurseurs.

Tout n'est pas fini dans le changement à opérer dans les modes de relation entre distributeurs et industriels. Il y a encore beaucoup à faire, tant la restructuration de notre secteur est profonde, mais de premières étapes importantes ont été franchies.

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