Nous avons beaucoup travaillé ensemble, monsieur Leclerc, je n'ai donc pas de question à vous poser aujourd'hui. Je souhaite rappeler ce que cette commission d'enquête représente et comment ses travaux sont conduits par son rapporteur et son président. Je leur fais entièrement confiance, et je sais qu'ils ne sont pas guidés par un désir de vengeance contre la grande distribution. Eux comme moi, et bien d'autres ici, vivons dans des territoires ruraux où la grande distribution est bien souvent le premier employeur du canton.
La grande distribution a toujours été considérée comme un partenaire essentiel dans le triptyque producteur-transformateur-distributeur. L'intention à l'origine des états généraux de l'alimentation était de ramener autour de la table des négociations des acteurs qui ne savaient plus se parler ni se mettre d'accord, et faire en sorte qu'ils sachent, comme dans d'autres pays, terminer une négociation. En France, une négociation n'est jamais terminée. Industriels, producteurs et distributeurs nous l'ont dit, les négociations se concluent au moment du Salon de l'agriculture, qui offre une énorme caisse de résonance, mais continuent par la suite. Jamais cela ne s'arrête de sorte qu'on puisse commercer sur des bases saines et durables. Il est donc important de rassembler ces partenaires.
Vous vous souvenez que, le 17 novembre 2017, lorsque nous avons signé la charte, 16 % du PIB français était rassemblés autour de la table. Vous êtes venu parce que, comme ministre de l'agriculture et de l'alimentation, j'ai souhaité qu'on vous sollicite. Nous étions réunis avec l'ensemble des interlocuteurs habituels – la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), l'ANIA, les organisations syndicales de producteurs – et nous nous étions mis d'accord sur un texte. Mais il manquait un acteur qui représente 20 % du marché. Fallait-il continuer sans en tenir compte ou fallait-il chercher à atteindre l'objectif des états généraux de l'alimentation, d'avoir une chaîne qui, du producteur au consommateur, permette de dialoguer, de négocier et de mettre en place la contractualisation assurant une juste rémunération et une répartition équitable de la valeur ?
Cette charte a été signée ; elle constitue un engagement. Puis la loi a été adoptée, suivie par la négociation de trente-cinq plans de filière. J'ai toujours considéré que les filières devaient être les plus longues possibles, car les filières courtes qui ne comptent qu'un producteur et un transformateur ne fonctionnent pas toujours bien. En revanche, si l'on réunit les producteurs, les transformateurs et les distributeurs, comme dans la filière porcine, on peut travailler sur les indicateurs de coût de production, qui déterminent le prix sur lequel il faut se mettre d'accord.
La loi a créé un certain nombre de mécanismes. Vous n'étiez pas d'accord sur le SRP, mais vous l'appliquez car c'est la loi. Or le SRP n'est pas prévu pour imposer au distributeur d'augmenter les prix de manière générale. Ce dispositif porte uniquement sur les produits à prix cassés, qui représentent 6,6 % des produits alimentaires ; il a pour objet de mieux rémunérer les agriculteurs. Nous avons toujours demandé de ne pas confondre les prix de vente dans les magasins et la marge que le distributeur réalise. Nous souhaitions que ces marges soient mieux réparties, pour augmenter celle des agriculteurs. Ce rééquilibrage peut se faire sans modification du prix.
La commission d'enquête n'a pas pour objet de refaire les états généraux de l'alimentation. Aujourd'hui, mon successeur veille à la bonne application de la loi ; les négociations se passent mieux dans certaines filières comme celles du lait, de la volaille, des oeufs. Chacun a su faire des efforts. Dans certaines filières, les contrats tripartites donnent pleine satisfaction, à l'exemple de la filière « Qualité Race Normande », chez Carrefour. Tous ces éléments nous permettent d'avoir une agriculture riche, innovante et rentable.
La commission d'enquête a été créée pour comprendre les mécanismes internationaux de négociation qui nous ont été expliqués par bon nombre d'interlocuteurs. Pourquoi les entreprises sont-elles conduites à créer un groupement à l'étranger, avec des répercussions très importantes sur le revenu de nos producteurs ? Il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur qui que ce soit, car nous avons besoin de tout le monde pour conduire cette réforme.
Notre discours a toujours été le même : la juste répartition de la valeur doit se faire chez le producteur, chez le distributeur et chez le transformateur.
Chacun doit y trouver profit, car distributeurs et transformateurs sont également des employeurs. On a vu des entreprises industrielles faire faillite, poussées, sous la pression excessive de la distribution, à faire des achats à l'étranger. Quant au consommateur, il était souvent schizophrène : il voulait des produits de qualité mais ne se souciait pas de leur provenance. Aujourd'hui, on lui demande de faire des choix, en privilégiant le revenu des agriculteurs, la traçabilité et la qualité de travail des entreprises françaises, et de faire confiance aux marques de distributeurs qui proposent les meilleures productions aux meilleurs prix.
Nous souhaitons comprendre pourquoi des blocages apparaissent à un moment. Nous en connaissons certains. Dans le secteur de la viande bovine, que les accords internationaux ont mis sous les feux de l'actualité cette semaine, nous savons que lorsqu'un opérateur peut bloquer le référencement d'abattoirs et n'envoie pas vers la Chine ce que demandent les consommateurs chinois, des entreprises françaises perdent de l'argent. Dans la restauration collective, 70 % de la viande ne vient pas de France, et chacun, du producteur, du transformateur et du distributeur, en porte une part de responsabilité. Les débouchés commerciaux existent, je pense qu'il y a des moyens de s'entendre pour faire avancer les choses.
Ne vous méprenez pas sur les intentions de cette commission d'enquête : elle cherche à comprendre les mécanismes de fonctionnement des relations commerciales, et à proposer des solutions pour que les choses se passent mieux au sein du triptyque producteur- transformateur-distributeur, dont les membres sont condamnés à travailler ensemble.