Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du mercredi 24 juillet 2019 à 18h30
Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances :

Vous avez raison, nous entendons nous aussi la frustration des industriels. Nos enquêtes sont organisées en deux temps : dans un premier temps, nous recueillons les signaux faibles, qui nous permettent ensuite d'alimenter les contrôles. Le second temps est celui de l'enquête, c'est-à-dire du recueil de pièces qui pourront former un dossier qui puisse être communiqué à un juge. L'enquête Eurelec a ainsi duré dix-sept mois, pour 8 000 pages de documentations saisies et analysées. L'assignation, transmise au juge, ne comporte qu'une petite centaine de pages, mais également des annexes.

Nous souhaitons bien entendu éviter tout vice de procédure – du fait d'une pièce manquante par exemple – et ne voulons pas que l'enquête réalisée puisse être contestée par le juge – nous n'avons pas eu trop de soucis jusqu'à présent. C'est la raison pour laquelle nous sommes très vigilants sur la qualité des enquêtes.

Quelles sont nos marges d'amélioration ? Nous avons développé une nouvelle stratégie cette année, en séparant clairement les sanctions administratives et les assignations. Les premières ont le mérite d'être rapidement prononcées et de constituer une petite piqûre de rappel – certaines peuvent tout de même peser plusieurs millions d'euros ! Il faut qu'elles soient proportionnées. Elles sont, par exemple, prononcées quand la contractualisation n'est pas intervenue dans les temps. Mais les sujets ne sont pas de même importance que pour les assignations : ainsi, selon nos calculs, dans le cas d'Eurelec et de l'assignation de E. Leclerc, le distributeur a indûment prélevé 39 millions d'euros l'an passé et 83 millions cette année.

Le feu roulant de l'enquête nous permet d'adresser des signaux plus réguliers au marché. Il est difficile de réaliser une enquête en moins de dix-huit mois. Peut-être pouvons-nous informer plus régulièrement les industriels de l'avancée de la procédure ? Mais c'est surtout la hausse des sanctions qui a crédibilisé l'action de contrôle de l'État. Bien sûr, les sanctions doivent être proportionnées et suffisamment élevées pour que le mis en cause n'ait pas intérêt à tricher. En l'espèce, la répétition de trois fois l'indu protège le distributeur deux ou trois ans. Vous aurez également noté que nous ne reprenons pas l'indu mais qu'il appartiendra aux industriels – dont certains sont de gros acteurs – de le réclamer. Ces 117 millions d'euros sont donc une pure sanction.

En résumé, les sanctions administratives sont rapides, les enquêtes plus longues, mais assorties de sanctions proportionnées à l'indu perçu et au caractère intentionnel ou non de la faute. Certaines enquêtes démontrent une volonté explicite de contourner la loi quand d'autres acteurs font preuve de remords – « J'ai suivi la concurrence pour faire comme les autres, mais j'ai bien compris le message et je suis en train de remettre les choses en ordre ». Enfin, le name and shame permet d'alimenter la chronique, en particulier dans des moments importants des relations entre industriels et distributeurs. Pour mémoire, la procédure lancée contre Google Shopping par la direction générale de la concurrence de la Commission européenne a duré dix ans !

Peut-être un des leviers consisterait-il à élargir les possibilités d'utilisation des sanctions administratives, mais il faut préserver la place du juge et les droits de la défense.

Vous m'avez interrogée sur les modèles économiques : les groupes intégrés sont souvent des entreprises cotées, dont les difficultés sont de ce fait plus rapidement visibles par les actionnaires et le grand public. Les résultats favorables des modèles coopératifs sont probablement liés à des choix opérés il y a trente ou quarante ans, en termes de limitation des frais de structure et immobiliers.

Mais les transformations et les défis sont les mêmes : concurrence du e-commerce sur les produits blancs, changement d'habitudes de consommation, baisse de fréquentation, augmentation de la concurrence. Aujourd'hui, un acheteur peut fréquenter jusqu'à huit enseignes, alors qu'il y a vingt ans, on faisait des infidélités au plus deux ou trois fois à son enseigne préférée ! L'e-commerce se développe, ce qui a des conséquences sur les hypermarchés, d'autant que les consommateurs se tournent de plus en plus vers des structures plus modestes – c'est tout le paradoxe des progrès du commerce de proximité. Le modèle des franchisés se développe, notamment dans des formats de proximité. Nous sommes particulièrement vigilants au risque de verrouillage de la concurrence entre enseignes par l'utilisation de contrats de franchise. La « loi Macron » a facilité les possibilités de changement d'enseigne pour les franchisés. C'est important pour éviter la surconcurrence.

Mais les différences de performances sont aussi liées aux cultures d'entreprise : on a le droit d'être meilleur que les autres, ce n'est pas interdit !

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