Intervention de Jean-Paul Delevoye

Réunion du mercredi 24 juillet 2019 à 15h00
Commission des affaires sociales

Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites :

Je tiens tout d'abord, madame la présidente, à vous féliciter de la part de tous les parlementaires pour votre reconduction à la tête de la commission des affaires sociales, dont le rôle est déterminant à l'heure où nous présentons un projet de société majeur.

Je veux encore saluer l'ensemble des parlementaires, ambassadeurs ou autres, qui ont déjà, suivant une méthode originale, beaucoup travaillé à l'élaboration de ce projet et vous faire part de la haute considération que je porte au débat politique, à la controverse, à l'enrichissement mutuel que la confrontation et la discussion dans le respect de chacun peuvent apporter. C'est pourquoi, dès la remise de mon rapport au Premier ministre, j'ai souhaité qu'il soit adressé à chacun d'entre vous par internet afin que, quelle que soit votre appartenance, vous puissiez l'approfondir, le critiquer, l'amender et le nourrir.

Je vous suis très reconnaissant de votre invitation, madame la présidente, ainsi que de l'organisation de la prise de parole des représentants des groupes politiques, car nous avons affaire à un enjeu de société qui concerne chacune et chacun d'entre nous.

Le Premier ministre et le Président de la République m'ont chargé de préparer un nouveau système de retraite. J'appelle votre attention sur ce curieux retour de l'histoire : au lendemain d'une période tragique pour nos sociétés, le même souci de mettre en place une protection sociale a été partagé, tant en Angleterre avec Beveridge, aux États-Unis avec Roosevelt et le New Deal ou en France avec le Conseil national de la Résistance, les gaullistes et les communistes. Je l'ai écrit à la première page de mon rapport : il s'agit de garantir à chacun qu'en toutes circonstances, il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes, et de débarrasser nos concitoyens de l'incertitude du lendemain.

C'est un singulier miroir que nous tend l'histoire au moment où beaucoup de nos compatriotes, mais aussi bien d'autres pays, sont dans l'incertitude du lendemain et l'inquiétude du futur : au XXIe siècle, dans des pays comme la Turquie, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France, une réflexion s'est engagée sur l'adaptation de nos systèmes de protection sociale fondés sur la solidarité collective au moment où l'on constate une forte poussée de l'individualisation, voire de l'individualisme.

Ce rapport est le fruit d'un travail collectif. Construit pendant dix-huit mois avec les partenaires sociaux, il repose sur une méthode dont le but est de réhabiliter le syndicalisme et le politique : le politique en tant que porteur d'une vision, le syndicalisme en tant que porteur d'une régulation sociale. Alors que certains partenaires sociaux ont dès le départ fait savoir qu'ils étaient absolument opposés au projet de système de retraite que nous proposions, ils n'en ont pas moins, dans le souci du dialogue, apporté une large contribution. Je veux saluer la richesse des relations humaines et des contributions de l'ensemble des organisations syndicales salariales et patronales, mais aussi remercier les parlementaires qui ont souhaité s'investir dans le sujet pour toutes leurs contributions.

Je souhaite encore saluer la pertinence de la consultation citoyenne que nous avons organisée, à laquelle plus de 130 000 votants ont pris part. Nous avons rencontré 800 citoyens sur le terrain, et je remercie les parlementaires qui se sont beaucoup investis dans cette entreprise. Ces consultations m'ont confirmé l'existence d'une chose à laquelle je crois profondément : l'intelligence collective. Il est surtout une richesse que j'aimerais trouver dans certains comportements ; lorsqu'ils expriment des avis différents, les citoyens se respectent, ils acceptent la différence. Ils acceptent l'idée qu'aujourd'hui plus personne ne peut prétendre détenir la vérité, et que c'est ensemble, par la confrontation de nos différences, que nous devons enrichir notre projet. Il me souvient de cette merveilleuse phrase que j'ai entendue lors de la restitution des travaux des ateliers citoyens au ministère de la santé, de cette femme, magnifique dans sa dignité : « Monsieur le haut-commissaire, j'ai appris dans les ateliers citoyens qu'il fallait à un moment concilier l'intérêt collectif et mon intérêt personnel. »

Je rappelle que toutes nos préconisations sont soumises à débat, mais je préviens que je ne suis pas en mesure de vous donner un quelconque calendrier. En revanche, après avoir présenté le rapport aux partenaires sociaux, je l'ai remis au Premier ministre, qui a fait un communiqué à temps de cette réception et m'a immédiatement demandé de recevoir l'ensemble des partenaires sociaux en présence de représentants de Mme la ministre des solidarités et de la santé et de Matignon. Je terminerai ces consultations demain matin et ferai au Premier ministre un résumé de ces rencontres, de façon à entendre avec un peu de recul les critiques, les interrogations, les soutiens et les analyses des partenaires sociaux. L'après-midi suivant, le Premier ministre commettra un nouveau communiqué de presse, et nous invitera sous son autorité, probablement à la dernière semaine d'août, pour préciser les responsabilités de chacun, les thématiques débattues avec les partenaires sociaux ainsi que le calendrier du déroulement de l'action. C'est donc à lui qu'il appartient de répondre aux questions que, très légitimement, vous posez.

Dans cet esprit de concertation, nous allons par ailleurs poursuivre une participation citoyenne, dont nous sommes en train d'arrêter le contenu et la forme ; mon bras droit Jean-Luc Izard organisera demain une rencontre à ce sujet.

Je rappelle qu'il ne s'agit pas d'une énième réforme des retraites, mais d'un véritable projet de société. Pour la première fois, cette étape importante n'a pas été entourée de débats ou de propos politiques pessimistes du genre « si on ne fait pas cette réforme, c'est foutu ». C'est contraire une démarche éminemment positive : la refondation d'un système dans lequel nous souhaitons montrer, à l'échelle du monde ou de l'Europe, que l'on peut parfaitement associer efficacité économique et solidarité collective, et compenser la fragilité d'une solidarité professionnelle par la solidité d'une solidarité nationale et de la mutualisation.

Nous sommes à un moment qui dépasse largement le débat sur les retraites, un moment où les uns et les autres risquons d'être confrontés aux aléas du futur, à des problèmes d'interruption d'activité liée au chômage, à la maladie ou au handicap. Face à cela, il y a deux réponses : la réponse anglo-saxonne du chacun pour soi et de l'assurance, que nous récusons ; une réponse de mutualisation collective et de solidarité, afin que chacun se sente responsable et solidaire de l'autre, qui probablement la plus solide dans la mesure où elle permet de lutter contre la pathologie dont nous souffrons actuellement, la fragmentation de notre société au nom d'intérêts catégoriels, la déchirure et le conflit générationnel : « Pourquoi paierais-je des cotisations pour une retraite que je ne toucherai pas ? ». Aujourd'hui, à plus de 50 % les jeunes estiment qu'ils auraient plus intérêt à la capitalisation ; et du côté des retraités, la tentation est grande de se croire exonéré d'une responsabilité vis-à-vis de la nation. Je l'ai toujours dit et assumé : si la France va mal, les retraites iront mal ; si les retraités vont mal, les actifs iront mal, et vice versa. Nous devons tous être conscients de la nécessité d'une solidarité collective qui nous confère une responsabilité individuelle pour un bien-être collectif.

Nous sommes évidemment au coeur d'un système de répartition, fondé sur la solidarité infra et intragénérationnelle. Vous avez reçu hier une jeune personne qui vous a interpellé sur le problème environnemental ; on voit bien que cette solidarité infra et intragénérationnelle est horizontale lorsqu'il s'agit du système des retraites, et verticale lorsque nous avons des responsabilités vis-à-vis des générations futures au regard de la qualité de l'environnement dans lequel elles vivront. C'est pourquoi nous devons impérativement retrouver le sens de la cotisation et de l'impôt, mais aussi celui de la solidarité ; souvenons-nous des écrits célèbres de Simone Weil sur les droits et les devoirs, rédigés en 1942 alors qu'elle était proche du général de Gaulle.

Le nouveau système doit nous permettre de mieux prendre en compte les réalités sociales nouvelles avec une retraite qui accompagne les diversifications professionnelles. Nos parcours professionnels deviennent toujours plus multiformes, toujours plus différents sur le plan des métiers et des statuts comme sur le plan géographique. Plutôt que d'imposer la séquence différentielle de multiples caisses, nous devons faire en sorte de nous adapter à la polymorphie des parcours professionnels dans leur diversité.

Alors que la société était fondée sur un emploi stable à vie, avec des structurations stables, nous sommes en train de basculer, on peut le regretter ou pas, dans un monde de carrières heurtées, de carrières courtes, avec des périodes d'interruption subies comme le chômage ou la maladie. Dès lors, comment faire en sorte que dans le futur système de solidarité générationnelle de retraite nous intégrions beaucoup mieux qu'aujourd'hui la nécessité d'une redistribution prenant en compte ces parcours heurtés et ces carrières courtes ? Et si la retraite est bien le reflet du travail, nous devons également être attentifs à la redistribution en direction des retraites les plus faibles.

Enfin, et je sais, chère Corinne Vignon, que c'est un de vos combats, nous devons corriger les inégalités entre les femmes et les hommes. Il faut très clairement rappeler les choses : notre système de retraite est le reflet de notre système économique. Si notre système économique ne corrige pas les écarts de salaire entre les femmes et les hommes, nous les retrouverons au moment de la retraite. Si, comme dans certains pays comme les États-Unis, le système économique laisse se développer la valeur ajoutée au profit des actionnaires en laissant stagner les salaires, les salaires seront faibles, et les retraites aussi.

Ajoutons que le système de retraite n'a plus vocation à corriger des dysfonctionnements tels que les plans sociaux déguisés : il y a donc une formidable interpellation sur le travail des jeunes, le travail des seniors ainsi que sur la qualité du travail et le bien-être au travail, qui est au coeur de mes préoccupations.

Il est maintenant pour moi temps de vous présenter les grandes lignes du rapport.

Le système universel de retraite concerne les quarante-deux régimes obligatoires actuels de retraite, y compris celui des parlementaires, ce qui répond à une très forte demande d'équité de la part de nos concitoyens. À cet égard, je veux saluer l'initiative que vous, parlementaires, avez prise bien avant qu'il me soit demandé de mettre en place ce système de retraites : vous avez anticipé et demandé à entrer dans un régime universel. Cela n'est pas suffisamment dit à un moment où la chasse aux politiques est trop souvent facile et répandue. Il convient de réhabiliter le politique lorsqu'il est fier et honnête vis-à-vis de ses engagements, et lorsqu'il met en conformité ses engagements et ses actes.

Le système universel concerne aussi les régimes spéciaux. J'ai refusé de stigmatiser telle ou telle catégorie : chaque Français mérite le respect et la dignité. Si nous devons faire en sorte que les régimes spéciaux soient supprimés, c'est vers les chemins de convergence que nous devons nous diriger.

Les assurés pourront acquérir des droits jusqu'à 120 000 euros brut annuels, ce qui garantit un niveau élevé de couverture, le plus élevé d'Europe, et renforce la répartition. Et nos collègues européens nous ont indiqué que celles et ceux qui à une époque avaient choisi la capitalisation – je pense notamment à nos collègues allemands – ont salué et soutenu notre projet consistant à construire un système très solidaire pour 99 % des salariés, qui renforce la répartition.

Le système à points apportera lisibilité et transparence. Les points seront acquis dès le premier euro, pour chaque activité. Il arrive par exemple que des étudiants effectuant des travaux de cueillette ou de distribution ; mais si vous n'atteignez pas 150 heures rémunérées au SMIC, aucun trimestre ne vous sera attribué, votre travail n'ouvre aucun droit pour la retraite. Avec le système à point, dès les premiers euros gagnés des points sont attribués, et chaque point est monétisable et viendra augmenter le montant de votre pension lorsque vous la liquiderez.

Vous m'avez beaucoup interpellé sur la question de savoir qui déterminera et évaluera le point. Nous avons proposé le contrat suivant : la valeur d'acquisition d'un point sera égale à 10 euros cotisés ; le rendement d'équilibre du système serait fixé à 5,5 %. J'entends déjà le débat sur la faiblesse de ce point ; mais les gens sérieux reconnaissent la qualité de ce rendement, qui est proche de celui du régime de retraite complémentaire des salariés du secteur privé AGIRC-ARRCO piloté par les partenaires sociaux. Concrètement, cela signifie que 100 euros cotisés, qui donneront droit à 10 points, garantiront le versement de 5,50 euros de retraite chaque année ; il faudra moins de vingt ans pour récupérer le montant des cotisations versées. C'est donc un contrat social juste.

Les débuts, les milieux et les fins de carrière sont traités de la même façon. On parle souvent de la valeur du point, mais on oublie qu'en 1993, le point a été désindexé de l'évolution des salaires pour être indexé sur l'inflation. Ce qui fait que lorsque vous acquérez des points à l'âge de vingt-cinq ans, la vraie question est de savoir quelle est la valeur du point trente-cinq ou quarante ans plus tard, lorsque vous liquidez votre retraite : le point est assis depuis 1993 sur l'inflation ; trente ans plus tard, cela fait 25 % à 30 % de décapitalisation. Nous estimons pour notre part que tout point acquis sur les salaires doit évoluer en fonction des salaires et non de l'inflation. C'est une question de cohérence, et cela rendra notre système moins dépendant de la croissance et plus juste dans la constitution de la retraite.

Cette règle sera mise en place progressivement. Le système garantira que, pour un même revenu et un même montant, les mêmes droits seront accordés. Comment, dans le pays de l'égalité, accepter qu'à cotisation identique la retraite soit différente parce que les statuts sont différents, les modes de calcul sont différents ? Cela a été une demande très forte de nos concitoyens : ma retraite sera-t-elle le reflet de mon travail ? Sera-t-elle fondée sur les mêmes calculs que celle de mon voisin ? Nous apportons cette réponse à tous, sauf pour quelques cas particuliers que nous pourrons politiquement justifier.

Il est proposé que le taux de cotisation des salariés et assimilés soit fixé à 28,12 %. Il sera partagé à 60 % pour les employeurs et à 40 % pour les assurés. Ce taux se décompose en deux cotisations : une cotisation plafonnée de 25,31 %, qui s'appliquera à toute la rémunération jusqu'à 120 000 euros, et une cotisation déplafonnée de 2,81 %, qui participera au financement mutualisé et solidaire. Cette cotisation fait débat : d'aucuns y voient un impôt ; pour beaucoup de monde, c'est une découverte. Car on ne manque pas de critiquer le système que nous proposons, en oubliant les caractéristiques du système actuel dans lequel on trouve déjà des cotisations déplafonnées – et même, dans certaines retraites complémentaires, des surcotisations : autrement dit, il faut verser 120 % de cotisation pour avoir 100 % des droits.

Nous avons donc reclarifié le dispositif : les salaires au-dessus de 120 000 euros paieront jusqu'à 120 000 euros ; mais au-delà, et je l'assume, les hauts revenus, qui ont la faculté de choisir leur régime complémentaire paieront la cotisation déplafonnée de 2,81 % qui s'appliquera à la totalité des rémunérations perçues sans limitation et permettra de faire contribuer solidairement les plus hauts revenus au financement du système de retraite.

Pour les indépendants et les professions libérales, un barème unique de cotisation sera prévu ; il sera adapté à l'activité indépendante afin de ne pas remettre en cause les équilibres économiques. Les intéressés cotiseront au même niveau jusqu'à un revenu égal au plafond de sécurité sociale – environ 40 000 euros. Pourquoi ? Parce que les syndicats de salariés ont considéré que, pour bénéficier à 100 % des outils de solidarité, il faut que la contribution de chacun se situe à 28,12 %. Le minimum contributif est effectivement extrêmement important pour les artisans, les commerçants et les agriculteurs ; et nous avons pris pour contrat qu'un plafond de 40 000 euros soit appliqué à tout le monde avec une cotisation à 28,12 % ; au-delà, la cotisation sera dégressive.

Certains ne manqueront pas de dire que cela représente 10 points de plus et que l'on met à mal notre modèle économique. Nous sommes en train de travailler de façon très intéressante avec chacune des caisses afin de voir comment les mener vers des chemins de convergence qui permettent, notamment grâce au changement d'assiette, de parvenir à franchir le cap pour 100 % des indépendants et des commerçants. Pour d'autres – avocats, auxiliaires médicaux... –, il restera des pas à franchir et nous sommes en train d'y travailler. Ce temps de réflexion sera employé à mobiliser l'intelligence de tous, non pour contester quoi que ce soit, mais pour trouver ensemble une réponse aux défis auxquels nous sommes confrontés.

Ce nouveau système sera plus simple et plus lisible ; au lieu d'avoir une multitude de caisses, il n'y en aura qu'une seule, un seul calcul, une seule liquidation et une seule demande de retraite. Vous devez être assaillis par des personnes qui vous disent que le système actuel est compliqué ; j'ai encore rencontré ce matin quelqu'un qui, ayant calculé sa retraite de base, avait oublié sa retraite complémentaire et, de ce fait, se demandait pourquoi on lui avait retiré 10 %... Avec le nouveau système, les choses sont claires : une caisse, un capital points, une seule demande de retraite et une seule pension de retraite versée au même moment, et non plus une pension le 5 du mois, une le 10, etc.

Le système universel par points permet de renforcer la solidarité.

Aujourd'hui, 25 % des dépenses sont consacrées à la solidarité ; nous avons eu l'opportunité de l'orienter parfois vers des situations mal ou insuffisamment prises en compte. Je dois saluer tous les efforts des précédents gouvernements, de droite ou de gauche, ainsi que les syndicats, qui, réforme après réforme, ont cherché à améliorer la solidarité.

L'occasion nous a été donnée de revisiter avec eux cette solidarité, et nous aurons aussi celle de nous enrichir de vos débats afin de faire en sorte de mieux prendre en compte les carrières heurtées en prévoyant l'attribution de points au titre de la solidarité pour les périodes de chômage indemnisées, les périodes de suspension de l'activité imputables à la maladie, à la maternité, à l'invalidité. La réforme accompagnera aussi les proches aidants en leur garantissant des droits renforcés à la retraite pour compenser ces périodes ; à cette fin, nous attendons le travail de Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Le minimum de retraite pour quelqu'un qui aura cotisé toute sa vie sera porté à 85 % du SMIC, soit 1 000 euros. Le travail de ceux qui ont connu de longues carrières avec de faibles revenus sera récompensé : cela concerne les artisans, les agriculteurs, les personnes travaillant à temps partiel – très souvent des femmes, d'ailleurs. Les intéressés auront ainsi la garantie de bénéficier d'un meilleur filet de sécurité, et verront leurs efforts reconnus, car le minimum contributif évoluera en fonction du SMIC. À terme, il s'éloignera ainsi du minimum vieillesse et récompensera le travail mieux que la solidarité ne le fait.

La retraite des femmes sera revalorisée avec la prise en compte des conséquences de l'éducation des enfants sur la carrière et la rémunération par l'attribution d'une majoration de retraite de 5 % par enfant dès le premier enfant. Les parents pourront d'ailleurs choisir de partager ou d'attribuer intégralement à l'un ou à l'autre cette majoration ; la mère en sera bénéficiaire si aucune option n'est exprimée.

Les parents d'un ou deux enfants auront ainsi davantage de droits qu'aujourd'hui. Pour les couples homosexuels, le partage se fera à parts égales de 2,5 %. Cette mesure constituera aussi un avantage pour les enfants adoptés qui ouvriront aux mêmes droits que les enfants conçus au sein du couple. La pension de réversion, qui a fait l'objet de beaucoup de débats, sera également versée au moment du décès d'un conjoint afin de garantir au survivant le maintien de son niveau de vie.

Tout cela a été fait pour tenir compte d'une évolution de la société. À notre surprise, nous avons constaté que beaucoup de nos concitoyens demandent un solde de tout compte en cas de divorce. Jusqu'alors, la réversion constituait-elle un droit patrimonial au prorata temporis, mais le solde pour tout compte consiste en un partage des droits acquis et des droits futurs, à ceci près qu'il n'y a pas de droit de préemption sur les droits du passé.

Dans ces conditions, on peut imaginer d'attribuer des points au titre d'enfant pour un père, une mère ou un parent, car si le choix de l'option s'avère pénalisant en cas de séparation ou de divorce, cette situation peut être rattrapée au moyen de la prestation compensatoire. En effet, à partir du moment où vous divorcez, vous n'avez plus de préemption possible sur vos droits du futur par rapport à votre ex-conjoint. On peut donc concevoir que le droit de réversion ne soit plus un droit patrimonial, mais la garantie pour un couple de maintenir son niveau de vie.

En nous fondant sur les unités de compte, qui indiquent que si un couple dispose de 1 500 euros de revenus, lorsque l'on se retrouve seul, ce revenu représente 66,6 %, soit 1 000 euros, nous avons estimé qu'il fallait aller au-delà de ces 66,6 % pour atteindre 70 % du revenu du couple.

Les droits acquis avant la réforme dans les anciens régimes seront garantis ; ce qui pose la délicate question de la conversion. Bien évidemment, nous nous engageons à garantir 100 % des droits acquis, et cela s'appliquera aux assurés nés à compter de l'année 1963. La photographie des droits acquis sera réalisée juste avant l'entrée en vigueur de la réforme, comme si les assurés partaient en retraite. La pension fictive ainsi calculée sera transformée en points pour un montant équivalent, sans surcote ni décote.

Si nous avons proposé ce basculement immédiat, c'est notamment parce qu'il a recueilli le plus de suffrages. Il faudra toutefois le sécuriser sur le plan constitutionnel, car nous avons encore quelques interrogations à cet égard. Des travaux supplémentaires seront nécessaires pour sécuriser cette conversion.

Se pose également la question de l'âge du départ à la retraite. « Vous dites maintenir large du départ à la retraite à 62 ans, mais en réalité il faudra attendre 64 ans », nous disent certains. Quelle est la situation dans le système actuel ?

Sans faire le procès de quiconque, disons que les gouvernements plutôt de droite avaient tendance à donner la priorité à l'équilibre budgétaire et donc à reculer l'âge de départ. Ils ont fait toute une série de propositions pour porter de 62 à 65 ans l'âge légal de départ à la retraite. Je pense qu'ils ont budgétairement raison, mais socialement tort : à 62 ans, certaines personnes peuvent être dans l'incapacité de poursuivre leur activité – c'est le cas pour les personnes handicapées ou les personnes invalides.

A contrario, on a plutôt tendance à gauche à augmenter la durée de cotisation, ce qui a quasiment le même effet. Ce système présente aujourd'hui deux difficultés. D'abord pour celles et ceux qui ont fait des études longues : la génération 1973 qui démarre son activité à l'âge de 25 ans et qui doit cotiser quarante-trois ans devra travailler jusqu'à l'âge de 68 ans – donc 67 ans pour que la décote soit annulée. Ensuite pour celles et deux dont la carrière reste relativement courte et qui sont obligés de travailler jusqu'à l'âge de 67 ans pour que la décote soit annulée : c'est le cas de 20 % des femmes.

Nous avons donc cherché une solution budgétairement solide et socialement juste. Nous avons estimé qu'il était important de laisser la liberté de choix. Je rappelle que pour avoir une retraite à taux plein à 62 ans, il faut avoir commencé à travailler avant l'âge de 20 ans. Avec le système actuel, si vous démarrez votre travail à l'âge de 22 ans, il vous faudra apport cotisé quarante-trois ans en 2025 ; autrement dit, c'est à 65 ans que vous aurez une retraite à taux plein. Si vous partez à la retraite à 62 ans, vous serez doublement pénalisé, par la décote – 5 % de décote par an, soit 15 % de décote sur trois ans – et par la proratisation – quarante quarante-deuxièmes, soit 7,5 % : en fin de compte, la décote atteint 22 %. Il est donc faux de dire qu'il n'y a pas de décote dans le système actuel à l'âge de 62 ans, puisqu'il prend en compte la durée de cotisation et la proratisation.

Quel contrat social proposons-nous ? Il doit à la fois consolider le système pour pouvoir assurer la confiance des jeunes en ce qui concerne sa solidité dans le futur et faire en sorte de répondre le plus possible à une exigence sociale.

Nous avons conservé un âge plancher en dessous duquel il serait difficile de partir : les gens partiraient avec des retraites trop faibles et seraient au minimum de solidarité.

Dès le début de ma mission, j'ai estimé qu'il fallait maintenir l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans. Mais si tout le monde part à cet âge, le régime est déséquilibré. Comment accompagner les personnes à l'âge d'équilibre, autrement dit de force du système, c'est-à-dire à 64 ans ? Et comment faire en sorte que notre système soit équilibré ? J'y reviendrai.

Nous proposons de fixer à 64 ans l'âge du taux plein, ou âge d'équilibre, ce qui signifie que le maximum de décote à l'âge de 62 ans sera de 10 %. Mais lorsque l'on atteindrait cet âge d'équilibre, on pourrait imaginer un cumul emploi-retraite qui renforcerait le fait que chaque travail mérite des droits et que, contrairement à ce qui existe aujourd'hui, on puisse continuer à acquérir des droits dans ce cumul emploi-retraite. On pourrait aussi faire en sorte que cet âge d'équilibre, qui renforce la solidité du système universel, puisse annuler l'obligation d'aller jusqu'à 67 ans pour annuler la décote, et de faire en sorte que nous puissions annuler la décote à 67 ans. Ce serait une formidable avancée pour les enseignants, par exemple. Si ceux-ci ont commencé de travailler à l'âge de 25 ans et doivent aller jusqu'à 67 ans, ils pourront annuler leur décote à 64 ans.

Formidable avantage aussi pour les femmes qui ont travaillé à temps partiel et ont des petites retraites : elles ne seront plus obligées d'aller jusqu'à 67 ans. Elles pourront aussi cumuler emploi et retraite, avec l'obligation soit de renforcer leur petite pension soit, pour les cadres, de continuer à servir leur entreprise. J'ai refusé la notion de plafonnement, car j'estime que s'il doit y avoir redistribution des hauts revenus sur les faibles revenus, cela doit se faire par la fiscalité.

Il est important également d'éclairer le fait que cet âge d'équilibre est un point de départ du système. Je rappelle que dans la projection du Conseil d'orientation des retraites (COR), c'était l'âge de référence : l'âge de départ hors catégories actives est aujourd'hui de 63,4 ans.

Je juge que cet âge doit aussi évoluer en fonction de l'espérance de vie. Il s'agit de reprendre la règle de 2003 selon laquelle les gains d'espérance de vie sont partagés à deux tiers pour la vie active et à un tiers pour la durée de retraite.

Enfin, dans le système universel, les assurés qui partiront plus tard bénéficieront d'un plus grand nombre de points et d'une valeur de service meilleure, celle-ci augmentant au fil des ans.

Le système universel ne remettra pas en cause les dispositifs spécifiques de prise en compte des longues carrières. Le droit au départ à 60 ans sera maintenu pour ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans – ce que l'on appelle les carrières longues –, pour les travailleurs handicapés, pour la pénibilité dans le cadre du compte professionnel de prévention (C2P), et pour les assurés en incapacité permanente.

L'objectif d'équité poursuivi dans le cadre de la réforme implique que l'ensemble des dispositifs qui visent à tenir compte de la pénibilité soient harmonisés puisque la suppression des catégories actives répond à un principe très clair : à métier identique, retraite identique. Pourquoi un chauffeur de bus à la RATP et un chauffeur de bus à la communauté urbaine de Bordeaux n'auraient-ils pas la même retraite dès lors qu'ils exercent le même métier ?

Il faut également porter une attention particulière sur la situation des aides-soignants, qui diffère selon qu'ils travaillent à l'hôpital public ou à l'hôpital privé. Nous sommes très attentifs à la situation difficile dans laquelle se trouve le monde hospitalier et nous ne pouvons ignorer la force de ce principe d'équité : en contrepartie de la disparition des catégories actives, nous devrons étendre le droit à la pénibilité au service public avec la non-remise en cause des facteurs mais peut-être mener une réflexion sur l'harmonisation des seuils. On voit que la durée du travail de nuit dans la clinique privée est de 8 heures, tandis qu'elle est de 10 ou 12 heures à l'hôpital public, où l'on compte par nuit. Il faudra donc mener tout un travail de convergence des seuils. Ce dispositif sera ouvert aux fonctionnaires et aux salariés des régimes spéciaux.

Les droits spécifiques des régimes spéciaux et de la fonction publique seront progressivement mis en extinction et les âges de départ des catégories actives de la fonction publique et leur équivalent dans les régimes spéciaux seront ainsi portés à 62 ans après une transition longue d'au moins quinze ans. Ceux ou celles qui – je pense aux aides-soignantes – ont acquis leurs droits après une durée de service de dix-sept ans les conserveront : cela correspond à environ 65 % de la population actuelle des aides-soignantes. Conserveraient ainsi leur âge d'ouverture des droits tous les fonctionnaires et salariés relevant de régimes spéciaux ayant validé au 31 décembre 2024 une durée de service de dix-sept ou vingt-sept ans suivant le cas. Pour ceux qui n'auront pas atteint cette durée minimum, l'âge d'ouverture des droits sera progressivement relevé de quatre mois par génération. Autrement dit, le processus de relèvement des âges pour les départs anticipés mis en extinction prendra quinze ans pour passer d'un âge du départ en retraite de 57 à 62 ans, à raison de trois générations par an ; pour les catégories qui, jusqu'à présent, pouvaient partir à 52 ans, il faudra trente ans. Il est donc mis fin aux régimes spéciaux et à la logique du statut : nous mettons un terme au statut pour aller à la fonction. Le droit à la catégorie active correspond à l'exposition au danger. Il conviendra que chaque ministre apporte une clarification entre la dimension fonctionnelle et la dimension statutaire.

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