Intervention de Adrien Quatennens

Réunion du mercredi 24 juillet 2019 à 15h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAdrien Quatennens :

Merci, monsieur le haut-commissaire, pour votre exposé et votre disponibilité. Le sujet est sensible, tout autant que le calendrier. Du reste, vous aviez annoncé vous-même que la réforme des retraites pourrait être le grand sujet de la campagne des élections européennes. Or nous sommes le 24 juillet, et on nous annonce désormais que la réforme pourrait finalement intervenir après la prochaine échéance électorale.

Disons-le : sur la forme, vous vous y prenez plutôt bien. Vous êtes connu pour votre appétit pour le dialogue et votre respect des opinions qui ne sont pas les vôtres, ce qui n'est pas le cas de tout le monde. Cela fait de vous un interlocuteur apprécié. Néanmoins, le dessein que vous poursuivez n'est pas n'est pas celui que défend le groupe La France insoumise.

Vous avez indiqué, dans votre présentation, que nous étions amenés à discuter, non pas d'un projet de réforme des retraites, mais d'un projet de société. Je vais vous prendre au mot, monsieur le haut-commissaire. Le projet de société que vous dessinez se fonde sur l'idée qu'il n'y aurait pas d'autre issue que ce que vous appelez la « polymorphie des carrières », expression que je traduirai, pour ma part, par précarisation de l'emploi. De fait, beaucoup de nos concitoyens ont la boule au ventre et vivent dans la peur du lendemain lorsqu'ils sont confrontés à la mobilité géographique ou à des carrières courtes et détricotées. Je crois, quant à moi, qu'un projet de société utile viserait à assurer davantage de stabilité, à remettre un peu d'ordre dans les carrières de nos concitoyens, surtout si l'objectif est d'organiser l'économie de manière à relever les grands défis qui nous font face, par exemple le changement climatique.

Votre projet de société, votre réforme des retraites a pour première motivation la volonté de simplifier le système : celui-ci serait, par nature, trop complexe. Or vous comprendrez que, compte tenu des quelques précédents que nous avons eus à connaître au cours de ces deux dernières années et demie, nous nous méfiions de l'idée de simplification. On se souvient, en effet, que le code du travail devait être simplifié au motif qu'il était trop épais et trop complexe – on sait ce qu'il en est advenu. Après avoir ainsi simplifié le code du travail et l'assurance chômage, il s'agit désormais de simplifier les retraites. Je réfute l'idée selon laquelle quarante-deux régimes, ce serait trop et trop complexe. Si ces régimes existent, s'ils ont une justification, ils ne sont pas complexes par essence.

L'autre difficulté est liée au fait que vous arguez de l'iniquité du système pour justifier une harmonisation qui se fait bien souvent par le bas. Plutôt que d'inciter les Français à comparer leurs avantages respectifs pour leur imposer une telle harmonisation, pourquoi ne pas aligner le système sur les régimes les plus favorables, s'il s'agit de promouvoir une logique de progrès ?

Vous avez utilisé un argument d'autorité que l'on entend fréquemment : comme on vit plus longtemps, il faudrait aussi travailler plus longtemps. Or c'est notamment parce que l'on travaille moins longtemps que l'on vit plus longtemps... Surtout, l'espérance de vie en bonne santé recule dans notre pays. Vous proposez, de fait, de repousser l'âge de départ à la retraite : avec le système de décote, le maintien de l'âge légal à 62 ans ne serait qu'un effet rhétorique : les gens seront très largement poussés à partir à 64 ans. Travailler jusqu'à cet âge signifie que l'on ira au-delà de l'espérance de vie en bonne santé. Quand on a fait son temps au travail, on peut espérer autre chose que d'arriver à la retraite au moment où commencent en général les premiers pépins de santé – il faut le prendre en compte. À cela s'ajoute un effet sur le chômage aux deux extrémités de la vie active, avec, d'un côté, des jeunes qui ont du mal à s'insérer dans l'emploi, et de l'autre, quelque 300 000 chômeurs de plus de 60 ans qui, pour l'essentiel, ont travaillé pendant quarante annuités et sont maintenus en dehors de l'emploi.

Par ailleurs, la question de la valeur du point continue à se poser. Par nature, un système par points peut ne pas être plus juste ou plus égalitaire. Vous avez expliqué à plusieurs reprises que la valeur du point pourrait notamment dépendre de l'espérance de vie. Or des inégalités persistent au sein d'une même génération : on n'a pas la même espérance de vie selon que l'on est cadre ou ouvrier, favorisé ou non. J'aimerais donc avoir des éclaircissements sur la valeur du point et sur le niveau des pensions. On peut craindre une baisse générale.

S'agissant des pensions de réversion, vous avez expliqué que la réforme aurait un effet bénéfique. Les femmes sont les plus concernées, et l'époux survivant touche en moyenne entre 50 et 60 % de la pension de l'époux décédé. Si l'on prend désormais en compte 70 % du niveau de vie du couple, il y aura sans doute un grand nombre de perdants. J'aimerais aussi vous entendre sur ce point.

Enfin, vous avez parlé de projet de société. À cet égard, je pense que 60 ans et 40 annuités sont de bons critères. C'est finançable, pour peu évidemment que l'on mette davantage à contribution les revenus financiers des entreprises, que l'on augmente les salaires et que l'on emploie davantage, grâce à un changement de modèle économique. Une augmentation de 1 % des salaires, c'est 2,5 milliards d'euros de cotisations en plus ; 100 000 emplois supplémentaires permettent de dégager 1,3 milliard d'euros de cotisations. D'autres idées que le système par points sont possibles afin d'assurer la durabilité du système.

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