Nous en arrivons à la question des financements, qui nous a beaucoup occupés lors de la première lecture. La discussion parlementaire a apporté certaines réponses, ainsi que des financements, et il est toujours satisfaisant que notre travail porte ses fruits. L'enjeu est important, parce que la programmation d'une infrastructure requiert des financements pérennes. Ces projets portant sur une dizaine d'années, il importe de les protéger de tout changement de pied.
Ce matin, il a été dit que des infrastructures n'avaient pas été financées dans les années précédentes. Vous savez comme moi que les gouvernements changent – bien que les têtes restent parfois les mêmes – , mais les arbitrages de Bercy peuvent contrarier la volonté des élus et la mise en oeuvre de projets d'infrastructures. Chacun connaît le sport national de l'annulation de crédits : il m'incite à conseiller la prudence lorsque l'on dit : « vous allez voir ce que vous allez voir, les décisions seront gravées dans le marbre ». En fait, on est souvent rattrapé par la patrouille de Bercy !
Parmi les financements que vous avez mis sur la table, il y a le surplus du produit de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, dite taxe Chirac. Lors de la première lecture en commission, Mme Bérangère Abba, rapporteure, avait avancé le chiffre de 30 millions d'euros. Il serait aujourd'hui de l'ordre de 45 millions d'euros, ce qui va dans le bon sens. Mme la ministre de la transition écologique et solidaire a annoncé la réduction de 2 centimes d'euro par litre de l'exonération de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques – TICPE – sur le gazole dont bénéficient les poids lourds. Nous nous félicitions de la reprise de notre proposition d'une éco-contribution sur les billets d'avion.
Le seul hic, car il y en a un, est que ces financements ne sont pas totalement pérennes, car ils sont liés à des comportements. Lors de la discussion générale, j'ai indiqué que les taxes sur les billets d'avion étaient des taxes dites de comportement. Nous pouvons imaginer que ceux-ci changent, à l'image de la Suède où l'utilisation des moyens de transport a évolué, le recours à l'avion ayant diminué. Je n'ose prononcer le mot suédois, mais il y a une « honte » de l'avion qui modifie les comportements, l'instauration d'une taxe sur les billets ayant sans doute joué un rôle. S'agissant des taxes sur les amendes, on prévoyait un produit de 400 millions d'euros l'année dernière, mais seuls 230 millions d'euros ont été récoltés. Nous ne pouvons donc pas garantir à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France – AFITF – la pérennité de financements assis sur ce type de taxes, car leur produit fluctue. Nous pointons ce risque et souhaitons donc l'inscription dans le marbre de financements pour l'AFITF. Nous avions dit qu'il lui manquait 500 millions d'euros : vous avez apporté certaines réponses, mais l'inquiétude sur la pérennité des financements demeure. Voilà pourquoi nous avions défendu, avec nos collègues Jean-Marie Sermier et Valérie Lacroute, l'idée de se pencher sur la TICPE. Une partie non négligeable de son produit de 14 milliards d'euros pourrait financer les infrastructures, ce qui faciliterait également son acceptabilité.
Les infrastructures routières et ferroviaires n'ont pas vocation à être utilisées dix ans, mais plusieurs dizaines d'années. L'utilisation de l'emprunt, donc de la dette, pour financer des infrastructures durables, n'a donc rien de dramatique. Le niveau des taux d'emprunt est actuellement faible, ce qui profite d'ailleurs à l'État. Comme le montrera le projet de loi de finances, il y a de bonnes nouvelles sur ce front, puisque l'État gagne presque de l'argent en empruntant, pour reprendre la formule du ministre de l'action et des comptes publics, Gérald Darmanin. Des entreprises privées utilisent cette opportunité pour emprunter aux taux actuels, historiquement bas. Il ne serait pas totalement absurde, au moment où l'on souhaite doter notre pays d'infrastructures essentielles pour desservir le territoire et renforcer son attractivité, d'utiliser ce levier, même si je n'ignore pas les exigences européennes. Il faudra avoir un jour un débat à l'échelle européenne : les infrastructures permettant de renforcer la transition écologique, autre ambition de ce texte, devraient être sorties des critères européens de finances publiques. Les infrastructures doivent durer, mais également permettre de changer les comportements dans le domaine des mobilités et des transports. Voilà pourquoi cet amendement défend le recours à l'emprunt.
Il serait terrible que nous y renoncions. J'observe d'ailleurs que les collectivités territoriales, qui sont bien souvent de meilleurs élèves que l'État en termes de gestion et de dette, ont recours à l'emprunt pour construire des infrastructures destinées à durer comme les écoles ou les équipements sportifs. Elles n'hésitent pas à le faire, car elles savent que la charge de ces équipements ne pèsera pas uniquement sur les habitants d'aujourd'hui et sera étalée sur plusieurs générations. Voilà pourquoi nous refusons que le recours à l'emprunt soit balayé d'un revers de main.