Intervention de Jean-Paul Mattei

Réunion du mardi 17 septembre 2019 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Mattei, rapporteur :

La mission d'information nous a permis, au delà de nos différences politiques, d'approfondir, tant philosophiquement que juridiquement, la question de l'impôt universel et la notion de citoyenneté.

Ce travail s'inscrit – cela a été dit plusieurs fois, notamment par la présidente – dans un contexte national marqué par les réformes fiscales de ces dernières années visant à lutter contre la fraude fiscale et l'évasion fiscale et marqué aussi par un contexte international que l'on pourrait qualifier de dumping fiscal. L'assujettissement à la fiscalité américaine des Français nés aux États-Unis a aussi marqué l'actualité fiscale et a suscité une précédente mission d'information de notre commission. La question de l'opportunité d'instaurer en France un impôt universel avait déjà été évoquée à cette occasion par les rapporteurs Marc Le Fur et Laurent Saint-Martin. Nous avions déjà vu la limite de cette forme de taxation.

Je voudrais vous faire part des difficultés que nous avons rencontrées. Au niveau de notre droit interne, tout d'abord, retenir la nationalité comme critère d'éligibilité à l'impôt sur le revenu pose des difficultés d'articulation avec le droit général de la nationalité française et le fait que notre pays admette la binationalité. En effet, les binationaux pourraient, en cas de résidence dans le second pays de nationalité, éviter l'impôt français, ce qui créerait des inégalités de traitement que notre droit n'admet pas. De plus, remplacer la résidence fiscale par la nationalité aurait des conséquences sur d'autres prélèvements obligatoires, tels que l'impôt sur les successions. Penser à l'impôt universel implique ainsi de clarifier quel revenu serait concerné et nécessiterait donc une étude d'impact exhaustive. Au niveau du droit existant dans les autres pays ensuite, les principales dispositions fiscales étrangères qui permettent l'optimisation fiscale concernent principalement les entreprises et non les particuliers. Celles qui concernent les particuliers portent essentiellement sur les revenus du capital, dividendes ou plus-values, et les successions, et beaucoup moins sur les revenus du travail. Penser un impôt universel afin que chacun paye sa juste part d'impôts impliquerait ainsi une réforme globale.

Au niveau de l'architecture juridique internationale, vous savez que la France a conclu avec un grand nombre de pays des conventions fiscales qui, en cas de conflit entre deux droits nationaux, détermine le pays qui se verra attribuer le droit d'imposer. Instaurer un impôt universel entraînerait de manière immédiate un risque de double imposition. Or, les conventions fiscales telles qu'elles existent aujourd'hui, fondées sur le modèle de l'OCDE, retiennent la plupart du temps des critères similaires à ceux existant actuellement en France. Nous savons bien que, dans les conventions fiscales, nous avons de grands principes relatifs au taux effectif, à l'absence de double imposition. L'instauration d'un critère de nationalité en droit français aurait un effet très limité puisqu'en cas de conflit de normes, il est plus que probable que la convention fiscale attribue le droit d'imposer à l'autre État. Renégocier les conventions fiscales est donc une condition sine qua non pour que la mise en oeuvre d'une imposition universelle en droit français soit un succès. Or cette renégociation prendrait plusieurs années et, pour certaines conventions, ne serait pas de l'intérêt de notre pays. Au vu de ces difficultés techniques, nous avons écarté l'idée d'un impôt universel. Nous avons préféré explorer d'autres pistes et donc d'autres solutions pour éviter ou décourager l'évasion fiscale.

Décourager l'évasion fiscale est un objectif qui nécessite une approche pragmatique. Cela passe d'abord par le renforcement des moyens de contrôle fiscal de nos administrations. Nous devons également nous donner des armes juridiques plus adaptées en redéfinissant clairement des notions comme l'exil fiscal ou les pays à fiscalité privilégiée. Un mécanisme d'obligation fiscale étendue, pour les nationaux partant dans des pays à fiscalité privilégiée, pour une durée à définir par le législateur, qui pourrait se situer entre cinq et dix ans, tel qu'il existe notamment chez nos voisins allemands, permettrait de prolonger les obligations fiscales du citoyen qui décide de changer de résidence fiscale. Nous pourrions aller au delà du rétablissement du système antérieur à 2019 pour l'exit tax sur les plus-values, en supprimant l'extinction du sursis d'imposition.

Cette lutte contre l'évasion fiscale doit s'inscrire dans une volonté plus large de contribuer à établir un système fiscal international plus juste. C'est pourquoi nous suggérons une renégociation ciblée des conventions fiscales internationales avec les pays dans lesquels les revenus d'activité, les plus-values, et les successions sont taxés à un niveau inférieur de plus de 50 % à l'impôt français. Nous recommandons la poursuite de la dynamique de progression de la transparence financière internationale, permise par l'OCDE ou encore l'Union européenne, et nous recommandons la création d'un registre mondial des titres financiers, qui serait un outil permettant d'identifier les véritables détenteurs de ces titres.

En conclusion, je tiens à relever la qualité du travail que nous avons pu mener collectivement et qui nous a permis de proposer, malgré les difficultés évoquées quant à la mise en place d'un impôt universel, des solutions alternatives qui vont dans le sens de plus de justice fiscale.

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