Intervention de Frédérique Vidal

Séance en hémicycle du mardi 24 septembre 2019 à 15h00
Bioéthique — Présentation

Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation :

Si nous sommes réunis aujourd'hui dans l'hémicycle, c'est parce que la France considère que la bioéthique n'est pas uniquement l'affaire d'une poignée d'experts ou de juristes, mais qu'elle nous concerne tous.

Parce que nos choix en matière de bioéthique engagent non seulement l'avenir de chacun, mais aussi le modèle de société que nous voulons bâtir et la conception de l'humanité que nous voulons défendre, notre pays a jugé essentiel de les soumettre aux représentants du peuple et de les préciser dans la loi. C'est aussi cela qui fait la singularité du modèle bioéthique français, par-delà l'équilibre qu'il propose entre dignité, liberté et solidarité.

Le monde semble parfois débordé par les possibles. Ils émergent à la faveur des avancées de la science, mais également au gré de la démocratisation des techniques médicales, de la mondialisation des pratiques, de l'évolution des mentalités. Or le possible n'est pas toujours aligné sur le souhaitable.

La révision des lois de bioéthique est l'occasion de résoudre ce hiatus, d'ajuster dans le droit les propositions de la recherche aux aspirations de la société. C'est caricaturer la science que de l'imaginer sans conscience. Pour autant, la science n'est pas la sagesse et elle ne saurait à elle seule définir le progrès et fixer un cap à l'innovation.

Le progrès surgit au carrefour des avancées scientifiques et d'un projet de société, et c'est dans un moment comme celui-ci que cette vision peut s'expliciter.

Je sais que certains ont le sentiment que les révisions successives des lois de bioéthique consacrent une permissivité croissante, que nous sommes les jouets d'un emballement technologique incontrôlable et que les interdits d'aujourd'hui sont mécaniquement appelés à devenir les nouveaux droits de demain.

Je crois que cette vision fataliste est erronée. II n'y a rien d'inéluctable, il n'y a que des choix, faits collectivement, dans un esprit de mesure et de discernement, sans témérité ni pression mais à la lumière de connaissances nouvelles qui nous permettent aussi de mieux mesurer les conséquences de nos décisions et de lever les barrières que nous avions érigées par prudence ou par ignorance.

Si nous voulons que ces choix soient les plus justes possibles, il faut qu'ils puissent s'adosser à des débats apaisés, respectueux des sensibilités tout autant que des faits établis. C'est l'état d'esprit qui a prévalu durant les dix-huit derniers mois. Jamais une loi n'avait à ce point impliqué la société civile ni mobilisé autant de parties prenantes et d'institutions. Pourtant, tout ce travail préparatoire s'est déroulé dans un climat de sérénité remarquable, et je crois que l'équilibre du présent projet de loi en porte le sceau.

Sur des sujets qui touchent aux ressorts les plus intimes d'une société humaine – la procréation, le développement de la vie, le patrimoine génétique – , il est essentiel d'aller au fond des choses sans se fourvoyer dans une bataille de mots, sans agiter des concepts ou des images choquantes qui ne serviraient qu'à alimenter la machine à fantasmes et à court-circuiter tout raisonnement rationnel.

Dire les choses telles qu'elles sont, oui. Les farder de nos peurs, non.

Les questions que nous allons aborder sont complexes parce qu'elles se présentent invariablement comme des dilemmes, qu'il s'agisse de la transmission de l'information génétique ou du statut de l'embryon. Je crois qu'il ne faut ni avoir peur de cette complexité, ni tenter de la réduire, mais simplement prendre le temps de penser toutes les implications de nos choix et d'en démêler les interactions, sans prendre de raccourcis, sans abuser des simplifications.

Bien que la recherche soit ici un objet d'examen et non un appui à la décision, ne nous interdisons pas de nous inspirer des grands principes de la démarche scientifique – l'esprit critique, l'examen rationnel, le souci des faits et des preuves – pour mener les débats les plus constructifs et profonds possibles.

Ce projet de loi porte des avancées majeures. Il y a celles qui sont applicables dès maintenant parce que les techniques médicales sont déjà disponibles et qu'il s'agit d'en faire bénéficier de nouveaux publics. Il y a aussi celles qui sont en germe dans la recherche et qui pourront changer le destin de nombreux patients.

L'encadrement de la recherche est un travail de funambule : il ne s'agit pas de sacrifier nos valeurs fondamentales à une quête éperdue de savoir ; il ne s'agit pas non plus de sacrifier l'espoir de développer des thérapies innovantes et de guérir des maladies actuellement incurables à des préjugés, à des craintes infondées ou à des représentations périmées qui ne correspondent plus à l'état des connaissances.

C'est pourquoi ce projet de loi défend le principe d'une science à la fois libre et responsable, en amont comme en aval, dans le cadre des activités de recherche mais aussi dans l'usage de certaines disciplines comme les neurosciences, de certaines technologies comme l'intelligence artificielle, de certains résultats comme les informations génétiques.

En matière de recherche sur l'embryon, cet équilibre se traduit de la manière suivante : le texte prévoit d'autoriser les chercheurs à conduire des recherches incluant l'édition du génome d'embryons qui ne font plus l'objet d'un projet parental et qui sont destinés à être détruits.

Ces recherches apportent des connaissances essentielles à la compréhension du rôle de nos gènes dans les mécanismes de différenciation cellulaire qui sont à l'oeuvre au cours du développement, mais aussi dans d'autres processus physiologiques ou pathologiques.

Parallèlement, la loi introduit une limite de quatorze jours à leur observation in vitro, afin d'interrompre les travaux avant le début de l'organogenèse.

Enfin, les interdits majeurs fondateurs de notre droit comme des textes internationaux dont nous sommes signataires sont réaffirmés : la création d'embryons à des fins de recherche est prohibée ; la modification du patrimoine génétique transmissible à la descendance est prohibée ; l'intégration de cellules animales dans un embryon humain est prohibée.

Ce texte protège les aspects fondamentaux de notre cadre national en matière de bioéthique en respectant le caractère particulier de l'embryon, en faisant ainsi barrage à toute possibilité de clonage, de création de chimères à partir d'un embryon humain, de modification du patrimoine génétique d'un embryon destiné à être implanté, sans pour autant nous priver des innovations thérapeutiques que nous pourrions mettre au point si nous comprenions mieux les mécanismes du développement et de la différenciation cellulaire.

S'il est un autre domaine scientifique qui peut nous conduire à une vraie révolution médicale, ce sont les cellules souches embryonnaires. Leur capacité à se transformer en de nombreux autres types de cellules du corps humain ouvre de grandes perspectives à la thérapie cellulaire ou à la médecine régénérative. À l'horizon des recherches sur les cellules souches embryonnaires, il y a l'espoir de traiter des pathologies comme la maladie de Parkinson, l'insuffisance cardiaque ou bien encore le diabète.

Actuellement, le régime juridique auquel est soumise la recherche sur ces cellules pèse considérablement sur l'avancée des travaux des chercheurs, car il se confond avec celui qui encadre la recherche sur l'embryon alors même qu'embryon et cellules souches embryonnaires ne relèvent plus du même questionnement éthique.

Les cellules souches embryonnaires étudiées actuellement dans les laboratoires français sont majoritairement issues de lignées dérivées il y a plus de vingt ans ; elles ne résultent donc pas de la destruction d'un embryon. Par conséquent, ce qui nous interpelle est moins l'origine de ces cellules que leur potentiel pluripotent.

Ce constat nous a conduits à proposer deux évolutions importantes.

D'une part, nous prévoyons un allégement du régime de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Cette recherche ne serait plus soumise à autorisation, ce qui la dissocierait clairement de celle sur l'embryon, mais elle serait néanmoins soumise à déclaration car ces cellules ne sont pas comme les autres et leur caractère spécifique doit être pris en compte.

D'autre part, nous prévoyons un encadrement des recherches sur les cellules souches pluripotentes induites, c'est-à-dire des cellules souches adultes reprogrammées qui, sans se confondre avec les cellules souches embryonnaires, partagent la même capacité à donner naissance à tous les types de cellules de l'organisme.

L'Agence de la biomédecine disposera ainsi d'un cadre rénové de dialogue garantissant tout à la fois la réalité du contrôle des dispositions que vous aurez décidées et la qualité des relations avec la communauté scientifique.

La bioéthique est par nature un espace en tension, parce qu'on y tranche des conflits de valeurs. Cependant, il serait faux de n'y voir qu'un terrain d'affrontement entre la science et la société. Ces dernières s'y retrouvent moins pour mesurer leurs accords et leurs désaccords que pour dialoguer autour de ce que l'une peut et de ce que l'autre veut. La science propose mais c'est la société, à travers la représentation nationale, qui dispose.

La recherche peut, bien sûr, laisser entrevoir à nos concitoyens des possibilités qui les interpellent, les effraient ou les choquent. Cependant, il ne faut jamais perdre de vue ceci : si la société a le choix de son destin, c'est parce que la recherche le lui donne ; si la société a le choix de prendre un chemin plutôt qu'un autre, c'est parce que la recherche les a d'abord ouverts tous les deux.

C'est la recherche qui nous permet de ne pas subir des phénomènes qui nous dépassent, qu'il s'agisse de maladies, d'aléas climatiques ou de représentations sociales. C'est la recherche qui ouvre un champ des possibles que la société pourra ensuite baliser selon ses principes et son projet. C'est la recherche qui nous rend libres et responsables.

Pensons aux progrès de la génétique, que je ne peux renoncer à évoquer dans cet hémicycle. Mesurons le chemin parcouru depuis la découverte de la double hélice d'ADN en 1953, le premier projet de séquençage du génome humain lancé en 1990 et abouti en 2004, pour un coût total de plusieurs centaines de millions d'euros, jusqu'à la possibilité actuelle de séquencer la totalité du génome d'une personne.

L'évolution est vertigineuse. Les bénéfices en termes de connaissance, de diagnostic et de traitement peuvent être immenses.

Le temps n'est pas si loin où une consultation de génétique débouchait sur la demande de la recherche d'un premier gène, occasionnant une attente de parfois plusieurs mois, puis la demande d'un second gène. Il est maintenant souvent possible de poser un diagnostic précis beaucoup plus rapidement, de mettre en oeuvre des modalités de prise en charge adéquates et de proposer un conseil génétique.

Le temps n'est pas si loin où la médecine habillait son intuition de facteurs prédisposant à certaines maladies de la notion de « terrain favorable » ou de « terrain défavorable ». À présent, nous comprenons mieux la complexité des particularités génétiques ou épigénétiques modifiant la possibilité de développer telle ou telle pathologie.

Le texte que nous vous proposons tient compte de ces avancées, mais il maintient la primauté de ce que nous voulons sur ce qui est possible.

Nous facilitons l'utilisation en recherche des données génétiques prélevées dans un contexte de soins, permettant ainsi à chacun de donner son accord, s'il le souhaite, pour contribuer à l'avancée des connaissances. Nous adaptons les modalités de transmission des informations dans différentes situations particulières, mais nous fixons aussi des limites, car les techniques ne valent que par le but qu'elles servent.

Certes, le séquençage du génome est un formidable outil scientifique et médical, mais nous réaffirmons aussi que son utilisation à d'autres fins constitue une fausse liberté et un risque réel. Nous vous proposons donc de maintenir l'interdiction actuelle, qui représente une protection réelle contre l'utilisation inadaptée de résultats obtenus dans des conditions incertaines et dont la validité est douteuse.

La révision des lois de bioéthique offre à notre pays l'occasion de réaffirmer les valeurs auxquelles il est le plus attaché. N'oublions pas que l'aspiration à la connaissance est l'une d'elles. Substrat de notre culture européenne, elle participe elle aussi de notre dignité d'hommes et de femmes. Nous sommes humains car nous sommes doués de libre arbitre, car notre corps n'est jamais réductible à une chose, mais aussi parce que nous cherchons à savoir et que nous ne nous résolvons pas à ne pas comprendre notre condition et notre environnement. Veillons aussi à ne pas brider cet élan vers la connaissance.

Au-delà d'une caractéristique anthropologique, la science constitue, aujourd'hui plus que jamais, une solution pour relever les défis immenses auxquels nous faisons face, qu'ils soient sanitaires, environnementaux, alimentaires ou numériques. C'est parce qu'elle porte la démarche critique et les innovations permettant d'envisager l'avenir avec lucidité que je suis certaine que vous saurez lui accorder dans ce texte la place, la liberté et la responsabilité qu'elle mérite.

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