Je n'évoquerai ni la PMA et la filiation, ni la recherche sur l'embryon, sur lesquelles nous aurons de nombreuses occasions de revenir ; je m'en tiendrai, conformément à ma mission de rapporteur, au titre II, qui concerne le don d'organes.
Donner un organe, le faire de son vivant ou y consentir après la vie, approuver un prélèvement sur un parent ou sur un enfant, et même recevoir d'un inconnu cet improbable cadeau : rien, dans le don d'organes, n'est anodin.
Dans son ouvrage Réparer les vivants, la romancière Maylis de Kerangal invite à des réflexions qui, souvent, dérangent lorsqu'il s'agit de s'imaginer soi-même vivant un peu dans le corps d'un autre ; elle s'intéresse à celui qui donne, mais aussi à celui qui espère – parfois ardemment – recevoir. Ainsi évoque-t-elle « ceux qui attendent, dispersés sur le territoire [… ], des gens inscrits sur des listes selon l'organe à transplanter, et qui chaque matin au réveil se demandent si leur rang a bougé, s'ils sont remontés sur la feuille, des gens qui ne peuvent concevoir aucun futur et ont restreint leur vie, suspendus à l'état de leur organe ».
En France, le don d'organes et de tissus est rigoureusement encadré. Il est régi par les lois successives de bioéthique et par trois grands principes : le consentement présumé ; l'anonymat du donneur pour le receveur, et réciproquement ; la gratuité, qui proscrit la marchandisation du corps. Si ces principes n'ont pas en eux-mêmes valeur constitutionnelle, ils sont nécessaires à la mise en oeuvre du principe de sauvegarde de la dignité humaine qui est, lui, un principe à valeur constitutionnelle.
Bien moins médiatisé que le titre I, notamment que l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, le don d'organes n'en est pas moins un sujet majeur ; d'abord, en raison des espoirs d'améliorer le niveau des dons ; ensuite, parce que la France est très souvent regardée pour ses dispositions en la matière et pour son avance technique dans le domaine de la transplantation.
C'est en France, en 1952, qu'a eu lieu l'une des premières tentatives de greffe à partir d'un donneur vivant, réalisée par l'équipe de Louis Michon à l'hôpital Necker, à Paris. C'est aussi à la France, dès la fin des années 1960, que l'on doit parmi les premières greffes réussies d'autres organes que le rein, notamment celles du coeur. Ainsi, grâce au professeur Edmond Henry, Emmanuel Vitria a vécu de 1968 à 1987 avec un coeur transplanté. Puis, il y a tout juste dix ans, à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil, une équipe médicale réalisait un exploit en procédant à une greffe simultanée du visage et des mains sur un homme gravement brûlé.
La transplantation, qui a longtemps relevé de la prouesse technique et scientifique, est désormais une pratique éprouvée, même si elle demeure naturellement complexe et délicate. Elle est aussi chargée de symboles et d'interrogations quant à l'usage des produits du corps, qui ne seront jamais les pièces interchangeables d'un véhicule automobile.
Explanter, implanter : le don d'organes ne connaît pas les catégories sociales, les différences entre les générations ni les couleurs de peau – les frontières que la société et, surtout, les politiques peuvent parfois créer.
La transplantation est devenue, en quelques années, une prescription fréquente, notamment parce qu'elle est techniquement bien maîtrisée par les équipes médicales françaises. La France est, d'une certaine manière, victime d'un niveau de demande élevé au regard duquel l'offre apparaît très insuffisante, et même de plus en plus insuffisante.
Ainsi, chaque année, les nouveaux patients en attente de greffe inscrits sur le registre national sont plus nombreux. Soixante ans après les premières transplantations d'organes, seuls 6 105 patients ont pu être greffés en 2017, quand plus de 28 000 personnes étaient en attente d'un organe, dont près de 19 000 en attente d'un rein.