Je tiens à dire à quel point je suis reconnaissant au Président de la République et au Premier ministre de nous offrir la chance, avec l'ouverture de la procréation médicalement assistée à toutes les femmes, de concrétiser une promesse d'égalité. Le jour est venu de consacrer l'égale part de dignité de nos familles et de reconnaître à tous ces couples de femmes effacées, qui se lèvent chaque matin pour accompagner leur enfant à l'école et rentrent le soir pour les baigner d'amour, à toutes ces mères invisibles que la société refuse de voir, la place pleine et entière qui leur revient de droit en république.
Le sujet dont nous nous emparons n'est pas un objet d'étude froid et médical. Nous parlons de familles, de toutes ces familles de chair et d'os, de ces 31 000 enfants élevés par des couples homoparentaux, soumis à l'arbitraire de la vie et du droit – une séparation ou un décès pouvant faire de ces enfants des orphelins de mère.
Je me réjouis donc que ce texte propose un mode d'établissement de la filiation permettant de sécuriser les liens de l'enfant avec ses deux mères, par un acte conjoint d'engagement et de reconnaissance, avant même sa naissance. C'est le signe de la consécration d'un projet parental partagé et d'un mode de parentalité fondé sur la volonté.
Je regrette néanmoins que la solution choisie en commission se borne à créer un semblant d'égalité. Je sais, madame la garde des sceaux, à quel point vous avez été à l'écoute. Grâce à votre participation active, nous avons évité l'écueil de tenir les familles homoparentales à l'écart du droit commun. Toutefois, je trouve dommage que, plutôt que de consacrer l'engagement parental commun à tous les couples ayant recours à la PMA avec un tiers donneur, nous ayons choisi de maintenir les couples homosexuels en marge du titre VII du code civil.
De même, je regrette que le texte ne tire pas toutes les conclusions de l'extension de la PMA en matière de filiation. Des incertitudes planent en effet sur les règles d'établissement de filiation applicables aux couples ayant recours à la PMA à l'étranger.
D'autres familles se retrouvent coincées dans les limbes de la République, niées dans leur existence du fait d'un vide juridique qui les prive des droits attachés à une citoyenneté complète. Je parle de tous ces enfants qui seront privés d'une double filiation maternelle, parce qu'ils seront nés quelques jours après la promulgation de la loi. Je parle de toutes ces mères sociales, séparées de leur conjointe avant la promulgation de la loi sur le mariage pour tous, qui ne pourront jamais adopter ni reconnaître leurs propres enfants, comme si elles étaient effacées du projet parental initial. Je parle de ces couples de femmes à qui l'on interdit de recourir aux modes d'établissement ordinaires de la filiation au motif que l'une d'elles a modifié la mention de son sexe à l'état civil. Les personnes trans doivent-elles payer la sortie du placard au prix du renoncement à leurs capacités procréatives et d'une remise en cause de leur droit légitime à la parentalité ?
Le cadre de la loi doit être général, mais il se doit aussi et surtout d'être inclusif. « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur de ce monde », disait Albert Camus. Ne pas nommer les choses, c'est nier notre humanité.
Le droit nous lie. Il fixe les règles communes et reconnaît à chacun sa place. Exclure de la loi, c'est donc nier l'existence de celles et ceux qui n'entrent pas dans le cadre et les exposer à une errance longue de contentieux et de lutte pour une dignité retrouvée.
Pour toutes ces raisons, ce projet de loi relatif à la bioéthique est aussi un texte de responsabilité et de dignité. Nous ne devons pas oublier les personnes transgenres et nier une fois encore leurs droits, au prétexte de vouloir les conformer à un modèle sexué, en faisant obstacle à l'autoconservation de leurs gamètes. Nous ne pouvons pas continuer à fermer les yeux sur les opérations de conformation sexuée pratiquées sur de très jeunes enfants en arguant que la binarité sexuelle est la seule voie à leur épanouissement.
Puisque nous devons, mes chers collègues, nous efforcer d'écrire la loi à la fois la plus exhaustive et la plus concise possible, je ne sais pas si tous ces sujets pourront être traités ici, mais il est évident que pour ne laisser personne invisible à la loi, nous devrons très vite reconnaître et nommer toutes les familles. Il y va de notre humanité.