Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens à vous adresser un grand merci pour la mise en place de cette commission d'enquête qui traite d'un sujet éminemment complexe. Je suis très heureux que deux groupes de l'Assemblée l'aient décidé car nous sommes aujourd'hui à un tournant de l'équilibre économique des exploitations agricoles et de la filière dans son ensemble.
À l'heure où l'agriculture s'interroge, le Président de la République a souhaité lancer, en 2017, les États généraux de l'alimentation (EGA) qui furent, comme jamais, un événement de concertation. Pour la première fois, tous les acteurs de la chaîne, de l'amont à l'aval, s'asseyaient autour de la table : producteurs, agriculteurs, consommateurs, distributeurs, toutes celles et tous ceux qui, de près ou de loin, travaillent sur les sujets de l'alimentation étaient présents. Cette rencontre a été un réel succès. Il s'ensuivit la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi EGAlim, que le Parlement a votée. Lorsque cette loi est venue devant le Parlement, j'étais alors sénateur et, à ce titre, j'ai contribué à ce travail. Devenu, depuis une dizaine de mois, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, me voici de l'autre côté de la barrière, pour sa mise en application.
Ces États généraux de l'alimentation ont donné un fol espoir à celles et ceux qui s'intéressent à l'agriculture et à l'alimentation, et à raison. La loi EGAlim a en effet permis de cadrer, tant dans son titre I que dans son titre II, les grands sujets mais elle a surtout cherché à répondre au souhait de la profession agricole, des distributeurs et des hommes politiques, à savoir que la profession agricole ne pouvait continuer à travailler de la sorte, sans compter ses heures et sans gagner sa vie. Tout l'intérêt de cette loi EGAlim et de ces États généraux de l'alimentation était de parvenir à une meilleure répartition de la valeur entre les maillons de la chaîne.
La loi a été promulguée le 1er novembre 2018. Les ordonnances sur le seuil de revente à perte (SRP), sur les promotions et autres n'ont été prises qu'en début d'année, au cours du trimestre. La loi EGAlim n'a donc pas encore donné sa pleine mesure et nous ne pouvons pas encore en percevoir l'entière concrétisation. L'année 2019 étant, si je puis dire, l'« année zéro », nous en mesurerons pleinement les effets l'année prochaine. Nous constatons toutefois d'ores et déjà que les négociations commerciales qui se sont déroulées entre le 1er décembre 2018 et le 28 février 2019 n'ont pas été satisfaisantes. Pour avoir rencontré les représentants des filières agricoles, je peux vous assurer que le compte n'y est pas !
Le système de ces négociations commerciales n'est pas satisfaisant puisqu'il ne permet pas aux trois maillons de la chaîne de s'en sortir. Pour ne citer que trois chiffres, nous comptons 450 000 agriculteurs, 17 000 industriels agroalimentaires, PME et grandes entreprises réunies, et sept distributeurs. Tout est dit : il existe un déséquilibre. Si le compte n'y est pas, c'est que, même si la situation s'est légèrement améliorée dans quelques filières, les agriculteurs n'ont pas vu plus de revenu retomber dans la cour de leur ferme.
C'est la raison pour laquelle le rapport de cette commission d'enquête qui touche à son terme sera très intéressant pour le Gouvernement et pour le ministère de l'agriculture et de l'alimentation. Nous avons besoin de comprendre les raisons de cette situation et des solutions pour l'améliorer. L'objectif est clair : les grandes surfaces, les distributeurs doivent certes gagner de l'argent et cette commission d'enquête ne va évidemment pas les stigmatiser, car nous avons en besoin ; c'est ainsi que nos concitoyens achètent aujourd'hui et, compte tenu de la situation économique de nombre d'entre eux, et les prix bas leur permettent d'acheter. Je tiens ici à réaffirmer que, lorsqu'un consommateur achète un produit dans une grande surface, que ce produit soit bio, issu d'un circuit court ou d'un marché paysan, qu'il provienne directement d'un paysan ou soit issu de l'industrie agroalimentaire, nous avons la chance qu'il achète des produits sûrs, sains et tracés. Quel que soit son prix, l'alimentation en France est de grande qualité.
Mais, à ce stade, les chiffres parlent d'eux-mêmes : le compte n'y est pas ! Le déséquilibre dans la relation commerciale est patent. Donc, sans stigmatiser les grandes surfaces qui doivent gagner leur vie car des milliers d'emplois en dépendent, il faut absolument trouver le système qui permette aux 17 000 entreprises intermédiaires de produire et transformer des produits de qualité et de rémunérer, elles aussi, leurs collaborateurs, et surtout à l'agriculteur et à l'éleveur d'avoir un juste retour de leur travail.
Aujourd'hui, ce n'est pas le cas, dans deux filières notamment. En effet, même si l'on a le sentiment que la situation de la filière laitière s'est légèrement améliorée, deux chiffres parlent d'eux-mêmes : payer un litre de lait 32, 33 ou 34 centimes n'est pas acceptable quand le coût de revient de ce litre pour le producteur est bien plus élevé et se situe, d'après la profession, entre 39 à 40 centimes. Même s'il arrive certaines années qu'il soit parfois légèrement inférieur, il ne peut pas être à 32 ou 33 centimes d'euros !
De même, lorsqu'un éleveur vend son kilo de viande à 3 ou 3,5 euros, le compte n'y est pas, parce que le coût de la viande est de 5 euros. C'est inacceptable !
C'est la raison pour laquelle les parlementaires ont eu l'intelligence d'inverser la construction des prix, considérant qu'il fallait partir du producteur pour construire ces prix. L'écart entre l'objectif de base de l'agriculteur et ce qui lui est payé reste encore trop grand. Nous avons besoin de modifier le système afin que la répartition de la valeur s'opère et que cesse la bagarre entre les trois niveaux de la chaîne.
Pour ne pas être trop long, je dirai sans développer que, pour assurer une meilleure répartition de la valeur, nous avons besoin de références, d'une part, sur ce qui est issu des négociations commerciales, d'autre part, sur ce qui est vendu de plus en plus dans la grande distribution, à savoir les marques de distributeur (MDD). Ces MDD représentent un aspect très important. Elles montent en gamme ; c'est la volonté de l'ensemble des distributeurs. Les pratiques d'achat des consommateurs ont évolué et l'organisation des circuits de distribution s'en trouve modifiée. Les grandes surfaces sont en train de faire évoluer le système en se tournant moins vers de grandes marques nationales ou internationales et plus vers les marques de distributeur. J'en suis ravi, parce que ces MDD sont systématiquement des produits issus la petite PME et de l'agriculteur du territoire. Il faut toutefois que ces marques de distributeur rémunèrent.
C'est la raison pour laquelle nous avons besoin de travailler la question. Lors du dernier comité de suivi des relations commerciales que nous tenons tous les trimestres à Bercy, avec Bruno Le Maire et Agnès Pannier-Runacher, qui s'est déroulé le 16 avril, nous avons été alertés sur des pressions exercées sur les produits MDD. Nous avons demandé à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) d'exercer plus de contrôles, ce qu'elle a fait et, d'après les chiffres de l'institut Nielsen, les MDD ont enregistré en avril une déflation de 0,2 %. Force est de constater que ces dernières sont au coeur des programmes de fidélisation des clients, de la communication et des stratégies de développement des distributeurs. Cela ne va pas !
Voilà ce que je pouvais vous dire en introduction. J'aurais sans doute l'occasion de répondre à des questions mais je tenais, tout d'abord, à remercier l'Assemblée d'avoir constitué cette commission, car il est indispensable d'y voir plus clair et d'étudier comment améliorer la situation demain. Je voulais vous dire ensuite qu'il ne s'agit pas de stigmatiser les grandes surfaces et les distributeurs ; nous en avons besoin, elles permettent aux agriculteurs de déstocker et aux consommateurs d'acheter à prix bas. Sauf que, et ce sera ma conclusion, pour un produit, ce n'est pas le prix bas qui compte, car la question n'est pas ce que cela coûte, mais ce que cela vaut. Or ce qui est acheté aujourd'hui aux agriculteurs vaut plus que le bénéfice qu'ils en tirent.