Le traité sur la coopération et l'intégration franco-allemandes aura fait couler beaucoup d'encre depuis qu'il a été signé le 22 janvier 2019 à Aix-la-Chapelle. Il se veut un prolongement du traité de Versailles, signé il y a cinquante-six ans, qui tendait au plus bel objectif qui soit : mettre fin à près d'un siècle de guerres entre les puissances française et allemande. Les aspirations des peuples à la paix et à l'amitié, immenses à cette époque, s'imposaient aux gouvernants.
Relisons les mots prophétiques que Missak Manouchian écrivit en février 1944, quelques heures avant d'être fusillé : « Au moment de mourir, je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit [… ]. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. »
La paix et la réconciliation étaient la boussole du président de Gaulle et du Chancelier Adenauer pour reconstruire un monde européen encore esseulé par la Seconde Guerre mondiale, par les fascismes et les totalitarismes qui avaient ravagé le monde. Ce traité avait pour mission d'établir un rapprochement non pas tant entre les dirigeants qu'entre les peuples français et allemand, qui avaient été lancés l'un contre l'autre dans plusieurs guerres au cours des décennies précédentes.
À cette fin, le traité prévoyait des mesures simples, concrètes et d'une grande efficacité : valorisation de la langue de l'autre pays et incitation à son apprentissage ; intensification des échanges scolaires ; création de l'Office franco-allemand pour la jeunesse ; promotion des jumelages entre les villes des deux États. Nous savons à quel point elles furent couronnées de succès.
L'esprit de ces années 1960 était bien d'en finir avec la guerre sur le sol européen. Ce rapprochement est, dans l'histoire, l'une des grandes contributions à la culture de la paix. Il devrait continuer à servir d'exemple, car ces investissements ont été bien plus efficaces et durables que ceux réalisés dans du matériel militaire en vertu de l'adage imbécile selon lequel il faudrait préparer la guerre si nous voulons la paix.
Le présent traité, signé par Emmanuel Macron et Angela Merkel en janvier dernier, complétera le traité de Versailles de 1963. Les vingt-huit dispositions qu'il comporte sont pourtant fort éloignées de l'impulsion donnée par de Gaulle et Adenauer. Avant de les détailler, revenons à la question du couple franco-allemand.
Ce traité va renforcer le noyau dur de l'Union européenne, qui se construit à marche forcée, poussé par la volonté de deux acteurs qui prétendent ainsi guider les vingt-sept États membres que compte notre Union. L'Union européenne à deux vitesses risque de précipiter la chute de cette construction qui met au ban vingt-cinq de ses membres, dans l'attente des décisions franco-allemandes.
La convergence économique et réglementaire n'est pas positive, pour trois raisons. Premièrement, elle favorise la concurrence et le dumping entre les deux économies, française et allemande. L'amitié entre les trusts l'emporte ici sur l'amitié entre les peuples. Deuxièmement, en cas de désaccord franco-allemand, vous le savez, toute l'Union européenne en pâtira et rien ne bougera. Troisièmement, au sein du couple franco-allemand, c'est surtout l'Allemagne qui dirige, ce qui consacre la suprématie de fait du gouvernement allemand sur l'Union européenne.
En voici quelques exemples : les blocages opposés à la création du budget de la zone euro ; l'arbitrage énergétique en faveur du charbon en Allemagne ; l'engagement de l'Union européenne dans les négociations pour faire aboutir le traité avec le Mercosur ; et j'en passe. Tous ces sujets doivent être discutés à vingt-sept, un point c'est tout.
Mais venons-en au fond du sujet : plusieurs graves dispositions entachent ce traité.
Tout d'abord, le préambule rappelle les principes néolibéraux que nous rejetons et qui n'ont rien à faire dans un traité d'amitié entre deux États, notamment l'attachement à la convergence des modèles sociaux et économiques des deux pays et l'engagement des deux États en faveur d'une mondialisation ouverte.
L'article 2, sous le couvert d'une amélioration de la coordination, indique que les directives européennes seront transposées de manière coordonnée en Allemagne et en France, ce qui est inquiétant lorsque l'on sait que certaines dispositions sont opportunément surtransposées pour favoriser les plus grandes entreprises ou celles qui ont fait le meilleur lobbying.
Les articles 3, 4 et 6 relatifs à la coopération en matière de défense sont également inquiétants à nos yeux.
Premièrement, la France et l'Allemagne s'engagent à rapprocher leurs positions diplomatiques dans les institutions multilatérales comme l'ONU ou l'OTAN. Cela n'est certainement pas pour le meilleur, quand on connaît les positions atlantistes de l'Allemagne.
Deuxièmement, plus grave encore, ce traité crée un groupe d'intervention militaire franco-allemand dont les contours ne sont pas indiqués : combien de militaires ? Dans quel but ? Quel commandement ? Sous quelle bannière ? Indépendamment de toutes ces questions, la création d'une unité militaire n'a tout simplement pas sa place, à nos yeux, dans un traité d'amitié.
De manière plus générale, il faut souligner que les questions de défense européenne ou franco-allemande ne seront pas résolues tant que la diplomatie européenne sera inopérante. Comment envisager une intervention militaire claire lorsqu'il n'existe pas d'accord diplomatique entre toutes les parties ?
L'article 13 donne la possibilité de déroger au droit national dans les zones frontalières, ce qui introduit une potentielle rupture d'égalité sur le sol français. À ce stade, les ministres n'ont apporté aucune réponse satisfaisante aux nombreuses questions posées par notre groupe à ce sujet.
L'article 20 vise à instituer une « zone économique franco-allemande dotée de règles communes », ce qui impliquera une harmonisation des législations des deux pays, notamment en matière de droit des affaires. Un « conseil franco-allemand d'experts économiques » sera également créé. L'objectif de cette zone économique est « d'améliorer la compétitivité » des deux économies. Tout est dit : ce ne sont pas les règles environnementales ou les harmonisations sociales qui primeront à terme, mais cet objectif de compétitivité.
Seuls sept articles sur les vingt-huit que compte le traité visent à promouvoir la coopération ou le rapprochement linguistique. C'est très léger, et cela en dit long sur le but profond de ce nouveau texte.
Les députés communistes se sont déjà prononcés contre ce traité en commission. Ils réitèrent leur inquiétude devant un texte qui ne respecte ni l'esprit de la réconciliation, ni même celui de la paix proclamé en 1963, mais consacre ce monde néolibéral, créateur d'inégalités dont nous souffrons jour après jour, par ailleurs à l'origine de la montée inquiétante des nationalismes et des replis identitaires sur le continent européen.