Avec votre permission, monsieur le président, je présenterai en même temps l'amendement no 1590 de M. Touraine. Je m'interroge cependant sur la place de ces deux amendements dans le déroulement de la discussion : ils n'ont absolument rien à voir avec le sujet qui nous occupe, puisqu'ils tendent à permettre l'application aux couples de même sexe des dispositions relatives à la possession d'état.
Celle-ci autoriserait l'établissement d'une double filiation dans les cas que le dispositif de reconnaissance conjointe anticipée maintient en marge de la loi. Je pense aux enfants issus d'une procédure d'AMP à l'étranger antérieurement à la loi, à ceux issus d'une procédure d'AMP à l'étranger et qui vont naître quelques mois après la promulgation de la loi ou à ceux issus d'une procédure d'AMP en France au sein d'un couple de femmes n'ayant pas eu recours à un tiers donneur. N'oublions pas tous ces enfants et leurs parents d'intention, sous peine de les priver de la plénitude de leurs droits.
Je rappelle que la possession d'état est un mode d'établissement de la filiation qui repose explicitement sur un engagement parental ; c'est le vécu qui révèle alors le lien de filiation, selon l'article 311-1 du code civil. Il est donc admis que la possession d'état ne correspond pas à la vérité biologique. En ce sens, elle peut tout à fait s'appliquer à la compagne de la mère légale. En effet, les qualités requises de la possession d'état – être continue, paisible, publique et non équivoque – sont réunies dès lors que la compagne a élevé l'enfant avec la mère légale pendant une période suffisante au vu et au su de l'entourage familial et amical. Peu importe le mode d'établissement de la conception de l'enfant ; peu importe même que celui-ci soit né grâce au recours à une AMP alors interdite en France.
J'ai bien entendu en commission les arguments de Mme la garde des sceaux concernant le caractère potentiellement équivoque de la filiation à l'égard de la seconde mère. En réalité, il n'existe ici aucun obstacle juridique. Le fait d'appliquer la possession d'état à la seconde mère ne se heurterait en effet à aucune contradiction puisque, dans un couple de femmes, il y a par définition deux branches maternelles. La possession d'état concernerait l'établissement de la filiation s'agissant de la seconde branche maternelle, nécessairement libre : il n'y a pas de filiation paternelle en cas de recours à un don de sperme par un couple de femmes. Cette seconde filiation ne serait donc pas en concurrence avec la première ligne maternelle, celle de la femme qui a accouché. Par conséquent, il n'y a pas opposition entre deux filiations antagonistes, et aucune contradiction tirée du principe chronologique ne saurait rendre la possession d'état équivoque à l'égard de la seconde mère.